"Je ne sais pas quand cela a commencé. Je suis sans doute trop jeune pour çà."
Mais depuis plusieurs décennies, la France s'enfonce dans une sorte d'état de non droit, dans lequel celui qui est plus malin que les autres, dont les intérêts corporatistes sont le mieux défendus, qui est proche du pouvoir, ou qui connait les faiblesses de l'appareil policier et judiciaire, aurait tort de se gêner pour s'approprier par la contrainte ce que son manque d'apétit au travail ou son absence de mérite et de talent ne peuvent pas lui procurer.
Quelques exemples récents, pris dans le domaine du logement :
Une locataire de mes connaissances est en conflit avec son syndic de co-propriété, jugeant que celui ci surfacture les charges de son immeuble. Elle établit un dossier solide évaluant son préjudice et celui de l'ensemble des autres locataires et s'en va porter plainte au TGI de sa juridiction, à Paris.
A sa grande surprise, le greffe du tribunal lui annonce qu'en raison du trop grand nombre d'affaires à traiter, les litiges entre locataires et propriétaires ou syndics ne sont plus enregistrés.
Scandaleuse loi du guichet ! Et quel message d'encouragement est ainsi lancé à tous les syndics véreux (ils ne le sont pas tous, mais la presse a relaté de nombreux cas où la profession est mise en cause) de cet arrondissement de Paris: "volez vos locataires, volez vos copropriétaires, ne respectez ni la loi ni vos engagements, il ne peut rien vous arriver..."
Cas isolé ?
Je suis tombé de très haut en écoutant il y a quelques jours un magazine d'investigation diffusé sur M6, concernant les litiges immobiliers. Tout y est passé: propriétaires ne pouvant obtenir l'assistance de la force publique pour expulser des squatters pendant plus de deux ans (!), assureurs refusant de respecter leurs engagements d'assurance entraînant un malheureux propriétaire à supporter plus de 11 ans de procédure judiciaire (!!) sans parvenir à ce que la justice tranche une fois pour toute, condamnations judiciaires à des indemnisations non exécutées faute de capacité de la puissance publique à faire appliquer les jugemnts des tribunaux, locataires mauvais payeurs inexpulsables "pour raisons sociales"...
Le pire, c'est que chaque reportage était suivi par l'évocation de statistiques montrant la profondeur du mal. Effarant.
J'ai parlé du logement, mais les exemples d'état de non droit se multiplient en France dans tous les domaines de la vie. Cela affecte aussi bien notre capacité à pourchasser les fauteurs de crimes et délits, qu'à trancher des litiges de la vie courante.
- Ce sont les taux d'élucidation des affaires de cambriolage qui sont au plus bas, les condamnations à des peines courtes qui ne sont plus effectuées faute de place en prison.
- Ce sont des procédures de 5 ans, dix ans, qui font planer des hypothèques lourdes sur l'avenir des parties prenantes.
- Ce sont les délits financiers de certrains politiques ou de quelques dirigeants d'entreprise qui sont si peu poursuivis et punis qu'on se demande "pourquoi se gêner" ?
- Ce sont des soi disant syndicalistes qui bloquent, détruisent et saccagent, menacent et séquestrent, sans que les procureurs ne poursuivent ces voies d'exercice manifestement abusives de la liberté syndicale.
- Ce sont des cités transformées en zone de non droit par des mafias locales, ou des factions intégristes.
- Etc, etc, etc...
Pourquoi cette déliquescence ? Les causes sont sans doute multiples, mais la responsabilité de l'état me paraît primordiale. En France, l'état a préféré multiplier ses interventions sociales et économiques, au détriment de l'exercice de ses fonctions régaliennes.
Lorsque l'état oublie son rôle dans l'application du droit pour se concentrer sur l'interventionnisme économique et social, il engendre un certain nombre d'effet pervers:
- La crainte pour individu de voir ses droits de propriété baffoués sans possibilité de recours efficace va stériliser sa volonté d'investir, ou de faire fructifier son capital. Dans le domaine du logement évoqué précédemment, cela se traduit par un désengagement croissant des propriétaires du marché de la location, plusieurs millions de logements seraient vides à ce jour en France... Quel gâchis de capital.
- L'inefficacité judiciaire créée des vocations à la délinquance. L'individu évalue son espérance de gain en fonction des risques encourus, et si cela ne contrarie pas sa morale personnelle, il choisira les voies de la spoliation si elles lui semblent plus prometteuses que celles du travail.
- Plus l'état se donne le pouvoir de redistribuer le fruit d'importantes ponctions fiscales à telle ou telle catégorie, plus il créée d'incitation au lobbying pour appartenir aux catégories bénéficiaires de ces largesses. Il en résulte une prise d'importance excessive du rapport de force entre groupes de pression et donnateurs publics.
- L'expression de ce rapport de force peut dégénérer si la justice se montre incapable de réprimer les violations des droits de propriétés qui en résultent, ce qui conduit des groupes à privilégier l'action violente pour s'approprier des avantages que leur mérite propre n'aurait pu leur procurer. Mouvements pseudo-syndicaux violents, revendications communautaristes extrêmistes, terrorisme, prospèrent sur ce terrain fertile.
- Plus ces comportements d'appropriation imméritée par pression collective sur l'état deviennent "légitimes" aux yeux d'une population anesthésiée par leur répétition, voire leur "normalisation", plus l'atteinte violente aux droits de propriété est légitimée dans l'esprit d'un nombre croissant d'individus. "Pourquoi pas moi si cela marche pour d'autres".
- Et par conséquent, l'appareil policier-judiciaire se voit submergé par la constatation de nouveaux cas de violation de la loi, qu'il se donnera de moins en moins la peine de réprimer.
Par la faute d'un état qui ne sait plus les faire respecter, violer les droits de propriété d'autrui devient un mode d'accroissement de plus en plus ordinaire de son patrimoine.
En contrepartie, c'est la nation toute entière qui s'appauvrit, celle des "travailleurs", comme dirait l'autre, celle des artisans, des commerçants, des petits entrepreneurs, des retraités, des salariés, et de la masse silencieuse des gens honnêtes contrainte de subir en silence cet inexorable déclin des valeurs qui ont fait notre prospérité.
Réduire, voire supprimer, des pans entiers de notre "welfare state", et réaffecter une petite partie de ces moyens dans l'efficacité et l'équité de notre police et de notre justice, ne serait non pas une régression, mais une immense source de progrès social.
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