J'assistais mardi soir à une conférence donnée par le vice président Europe et président pour la France d'un grand fabricant de semiconducteurs. Il était venu nous parler des dernières découvertes que la R&D de son groupe allait apporter sur ce marché O combien passionnant.
Plus l'orateur avançait, plus un malaise s'emparait de moi. L'intervenant nous avait montré la carte des centres de R&D de son groupe. Il y en avait plus de 30, dont un en France, dans le sud. Mais s'il était intarissable sur les avancées provoquées par ses laboratoires de Russie, du sud est asiatique, d'Israel, d'Inde, il était assez discret sur celui de notre côte d'azur.
Un spectateur lui demanda ce que son groupe cherchait chez nous. "Il s'agit d'une équipe de pointe spécialisée dans la certification électronique". Ah. Intéressant certes, mais certainement pas "core business" pour un groupe comme le sien, me dis-je alors. D'où ma question :
"Pourquoi votre présence R&D en France semble-t-elle aussi marginale ? est-ce parce que le système de formation ne produit pas suffisamment de cerveaux de qualité, ou est-ce parce qu'il est impossible de les employer correctement en France ?"
Au début, il n'a pas voulu répondre, sujet politiquement délicat. Mais face à l'insistance de la salle, il a fini par lâcher en substance ceci: "les cerveaux ne sont pas en cause, il y a beaucoup de chercheurs et d'ingnieurs français chez nous. Mais ils travaillent pour la plupart à l'étranger, et compte tenu des conditions fiscales et parafiscales en vigueur en France, nous ne pouvons pas espérer que cela change de sitôt, hélas."
Bref, la France a des atouts, mais hélas ses handicaps sont souvent perçus comme supérieurs à ses potentialités.
Puis il nous apprit que lorsque son groupe, au début des années 90, avait envisagé de créer une usine ultramoderne (investissement de plusieurs milliards d'euros) en Europe, il avait pré-sélectionné la France pour cela. Mais le poids des charges, et plus encore l'interventionnisme déplacé du gouvernement de l'époque pour influer sur les choix opérationnels du groupe (il aurait fallu implanter l'usine de préférence sur un bassin d'emploi politiquement pro-gouvernemental, il y avait des subventions massives possibles à la clé...), les lourdeurs administratives, et l'absence totale de volonté de coopération du tissu universitaire pour créer des programmes d'enseignement et de recherche communs entre l'entreprise et la faculté, ont finalement incité le groupe à s'installer en Irlande. Qui, soit dit en passant, vient de dépasser la France en terme de PIB par tête, alors qu'elle était considérée comme un parent pauvre de l'Europe il y a 20 ans.
Pour un ST-Microélectronics qui s'installe à Grenoble, combien d'opportunités perdues ? Des histoires comme celles ci ne sont hélas pas des incidents isolés.
Ce que cela nous enseigne, ou plutôt nous confirme:
1- La france est encore susceptible d'attirer des investisseurs majeurs (Toyota, STM...), grâce à ses écoles d'ingénieurs ou quelques rares universités de pointe. Mais le milieu universitaire en général n'est pas suffisamment ouvert à l'entreprise pour mettre en oeuvre des coopérations fructueuses en grand nombre dans le domaine de la R&D.
2- Le poids des charges est un obstacle majeur à l'implantation d'entreprises en France, mais ce n'est pas le seul. Le poids des procédures administratives nécessaires pour mener de tels projets est également dissuasif.
3- Lorsqu'une entreprise majeure cherche à réaliser un investissement stratégique de long terme, elle se moque bien des subventions que le secteur public est prêt à lui accorder, elle préfère peu ou pas de subventions, mais un cadre de fonctionnement en régime normal "compétitif" (charges, fiscalité, réglementations raisonnables). Les subventions à l'implantation d'entreprises attirent surtout des "chasseurs de primes" (affaire Daewoo, etc...)
4- Quand un gouvernement se mêle de vouloir influencer les choix stratégiques des entreprises privées pour des motifs politiciens, son intervention a toutes les chances d'être contreproductive.
5- Encore 10 ans comme çà et la France sera l'Irlande d'il y a 20 ans... Nos cerveaux sont de plus en plus obligés de s'expatrier pour trouver des conditions d'emploi épanouissantes: les plus dynamiques et les plus capables s'en vont. Ce sont les innovateurs, les découvreurs et les créateurs des entreprises les plus performantes de demain qui vont créer de la valeur ajoutée ailleurs. Et malheureusement, ces expatriations ne sont pas compensés par un afflux comparable de cerveaux étrangers.
Il faut que les gouvernants et les hauts fonctionnaires (ce sont les mêmes) de notre beau pays comprennent une fois pour toute que leur job est de créer un cadre qui permet à l'entreprise de vivre et de se développer, pas de l'étouffer, de la parasiter ou de la commander.
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