Encore une lecture passionnante, "il vont tuer le capitalisme" par Claude Bébéar, PDG d'AXA, interviewé par le journaliste économique libéral Philippe Manière. Bébéar explique les raisons qui selon lui ont favorisé la naissance puis l'éclatement de bulles spéculatives boursières, et de scandales financiers spectaculaires. Citons entre autres une dérive dans l'utilisation de certains outils d'ingéniérie financière, le "court-termisme" et une certaine paresse intellectuelle tant de certains dirigeants d'entreprises que des investisseurs, cherchant à s'en remettre à des gourous douteux, des agences de rating, des conseillers intéressés, ou des modèles prévisionnels mathématiques déterministes pour prédire l'évolution des marchés et réduire (bien faussement...) le risque perçu de leurs prises de décisions... L'essentiel, à savoir l'étude de la pertinence des stratégies et de la qualité du management des sociétés, a été oublié par les pseudo-spécialistes de la finance d'aujourd'hui.
Toutefois, Bébéar estime que certaines réglementations censées protéger l'épargnant de tels dysfonctionnements, loin de permettre l'atteinte de ce louable objectif, ont souvent amplifié les excès des marchés. Il cite de nombreux exemples (à mon avis probants) concernant par exemple les règles prudentielles qui régissent le monde de l'assurance et qui obligent les investisseurs institutionnels à prendre des décisions à contre courant de ce qu'il faudrait faire lorsqu'il faut traverser une zone de turbulences, ou encore les effets pervers de certaines de nos dispositions fiscales.
Bébéar estime que la plupart des règlementations encadrant les marchés sont inadaptées, mais il en appelle d'autres (sans être trop précis, c'est à mon sens une faiblesse de l'ouvrage) de ses voeux, réglementations qui seraient établies de concert entre professionnels du placement et associations de défense des porteurs. Pourquoi pas. ce sera toujours mieux que des réglements produits par des énarques qui n'ont jamais mis un pied en entreprise.
Cette approche réglementaire s'oppose en cela à celle pronée par certains économistes libéraux, comme Pascal Salin, qui estime que les scandales récents ne sont pas révélateurs d'une crise du capitalisme et nécessitent pas de nouvelles réglementations.
Au risque de me faire descendre en flammes par les plus libéraux classiques ou libertariens de mes lecteurs, j'estime qu'à court terme, le point de vue du praticien de la finance Bébéar me parait plus réaliste: il y a crise parce que de nombreux investisseurs le croient, même si ce n'est pas justifié du point de vue de l'orthodoxie économique. Et qui dit crise dit nécessité de changement des pratiques actuelles pour restaurer la confiance des investisseurs dans l'entreprise, confiance sans laquelle le capitalisme pourrait connaitre une crise majeure.
Toutefois, au lieu de se situer sur un plan réglementaire, les nouveaux textes encadrant le comportement des sociétés que C. Bébéar propose ne devraient-ils pas être plutôt de nature contractuelle ? Peut-on imaginer les associations de défense d'actionnaires minoritaires, les entreprises et les intermédiaires financiers se mettant d'accord sur des principes comptables, financiers, prudentiels, informatifs, et de "corporate governance", à la fois plus libéraux quant aux choix des moyens, mais plus rigoureux quant aux objectifs d'honnêteté et de transparence poursuivis ? Les entreprises se verraient contraintes d'adhérer à ces "chartes" pour susciter la confiance des investisseurs, mais ne seraient pas légalement obligées de le faire. En contrepartie, le non-respect de ces chartes par leurs adhérents aurait juridiquement la même portée que le non respect d'un contrat et donnerait lieu à réparations, avec intérêts, aux parties lésées, ce qui serait dissuasif pour les fraudeurs potentiels. De telles chartes contractuelles seraient en outre plus "adaptables" à la nécessaire évolution des pratiques financières des entreprises dans le temps, car pouvant être régulièrement améliorées par leurs auteurs.
Bon, voilà, c'était la contribution au débat sur la santé des marchés financiers, d'un bloggueur amateur totalement incompétent sur ces sujets.
Pour en revenir au livre, même si on peut ne pas en partager certains éléments de détail, il est tout à fait recommandable pour qui veut comprendre l'apparente folie actuelle des marchés financiers.
Voir aussi cette autre critique du livre sur libres.org, de J. Garello.
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