Pas trop le temps d'écrire en ce moment. Les biberons à 2 heures du matin, çà épuise.
Toutefois, dans le contexte actuel, je me devais absolument de parler de l'ouvrage qui suit, le livre d'Alain Madelin et Jacques Bichot, "quand les autruches prendront leur retraite" , (éditions du seuil).
Ce livre est à lire absolument pour comprendre tous les problèmes de notre système de retraites actuel , et pas uniquement ceux dont la télévision parle (choc démographique), ainsi que pour prendre connaissance d'une proposition de réforme extrêmement intelligente de ce système.
Le système Français de retraites n'est pas seulement voué à la faillite s'il n'est pas réformé, du fait du choc démographique qui s'annonce à partir de 2006, à savoir le départ massif en retraite des enfants du Baby Boom, conjugué avec l'incroyable propension de la France à sous-employer ses actifs potentiels. Ce point étant largement commenté dans les médias, le livre se contente de le rappeler.
Le système actuel est aussi ubuesque et inique:
- Ubuesque car le calcul de la retraite est absolument impossible pour un non initié: la retraite de base est composée, pour la majorité, par l'empilement de deux couches (CNAVTS, ou régime général), ARRCO , et pour les cadres, AGIRC, chacun de ces trois systèmes fonctionnant sous une logique différente. Sans parler de la multitude de système particuliers (MSA, monopoles publics...)
- Inique car doublement inégalitaire :
1- D'une part, 25% de fonctionnaires jouissent de privilèges excessifs, payés par les contribuables. Sur ce point également, la presse est prolixe, mais l'ouvrage complète admirablement l'information médiatisée.
2- D'autre part, et la presse n'en parle pour ainsi dire pas, il instaure des effets pervers entre cotisants du même secteur, que les auteurs appellent "effet Procuste" (du nom d'un bandit de la Grèce antique) et effet "Mathieu" (Le saint, en l'occurrence).
Les "effets Procuste" conduisent à "surpénaliser" les personnes qui ne sont pas dans la norme définie par le législateur. Celui-ci estime qu'un cotisant "normal" du secteur privé doit avoir travaillé 160 trimestres (40 ans) pour toucher une retraite à taux plein (168 après la réforme). Si vous n'avez cotisé que 156 trimestres (soit 39 ans, parce que vous avez étudié tard, élevé un enfant, que sais-je encore...), toucherez-vous 156/160 èmes du taux plein, soit 97.5%, comme la logique et l'équité le voudraient ? Non, vous subirez une décote plus importante, arbitrairement fixée par le législateur, de 20% par année manquante. 2,5% de cotisations en moins, 20% de retraite dans les dents, ah le système équitable que voila...
L'effet Procuste joue dans l'autre sens : si vous avez commencé à travailler à 16 ans, sans interruption jusqu'à 60, vous aurez cotisé 176 trimestres à 60 ans : Toucherez vous 176/160èmes du taux plein, soit 10% de plus, comme le voudrait l'équité ? Que nenni, vous toucherez le taux normal et pas un sou de plus. 10% de cotisations parties en fumée, où est la justice là dedans ?
Ces effets "en ciseau" sont extrêmement pénalisants pour les femmes, qui sont les plus nombreuses à avoir des carrières incomplètes, et les ouvriers, qui sont les plus nombreux à avoir commencé à travailler avant 20 ans. Vous avez dit "système socialement juste" ?
Les effets "Mathieu" sont ainsi nommés car ils conduisent à donner encore plus d'avantages à ceux qui sont déjà fort bien pourvus. "Si vous êtes bien portant, on vous donnera davantage", constatait, désabusé, Saint Mathieu à l'aube de notre ère. Le système de retraites français est ainsi fait. Parmi les nombreux exemples cités par l'ouvrage, celui-ci est le plus parlant: le "bonus" ajouté à la pension pour avoir élevé trois enfants varie dans une fourchette de 1 à 9: 1 pour un couple d'ouvriers avec un SMIC et demi de revenu (un TP plus un mi-temps), 6 pour un couple de cadres du privé, 9 pour un couple de cadres du public, et ce alors que l'effort à fournir pour élever trois enfants est le même dans les trois cas (on peut même dire que cela a sans doute exigé plus de sacrifices pour le couple d'ouvriers).
Bien entendu, les effets "Procuste" et "Mathieu" se cumulent : ainsi, une femme ouvrière qui a élevé trois enfants seule et qui a connu des périodes de chômage sera selon toute vraisemblance contrainte au minimum vieillesse, une prestation... récupérable sur le maigre héritage des enfants (incroyable ! - on apprend des trucs incroyables quand on veut vraiment s'informer), alors qu'un énarque soldant sa retraite à 57 ans et demi (mais non, je ne pense à aucun président de l'UMP en activité !) pourra se la couler douce et profiter, avec une retraite incomparablement plus élevée, d'une espérance de vie supérieure d'une dizaine d'années...
Ouvrier, n'écoute pas les extrémistes de gauche qui te disent qu'il faut sauvegarder le système actuel, "on te ment, on te spolie", comme dirait l'autre. Et je rajouterai qu'on te la met bien profond, si tu me permets d'abandonner quelques secondes le ton habituellement trop docte qui sied à ce blogue.
Ajoutons enfin que les retraites du secteur public (administration comme entreprises) ne sont pas correctement provisionnées dans les comptes des entités concernées. Les manipulations comptables effectuées par l'état pour masquer l'ampleur de la dette sociale qu'il contracte à chaque fois qu'il embauche un fonctionnaire sont de la même nature que les tripatouillages qui ont abouti à la faillite d'Enron ou celle (évitée grâce au con-et-tribuable) du crédit Lyonnais.
La réforme Fillon, quoiqu'elle aille en partie dans le bon sens en rapprochant (hélas sans égaliser) les régimes du public et du privé, ne constitue qu'un ajustement paramétrique de tout ce fatras: allongement de durées de cotisation, convergence des régimes privés et publics. Elle ne corrigera ni les effets Procuste ni les effets Mathieu. Voilà pourquoi MM. Madelin et Bichot proposent une réforme beaucoup plus profonde, basée sur l'extension à tous les Français d'un régime de base unique à base de points, en fait l'extension du système ARRCO à tous les français, comme première couche par répartition d'un système de retraites à trois piliers: le premier, obligatoire, par répartition, les deux autres par capitalisation et facultatifs. Dans un tel système, les personnes partent à la retraite à l'âge de leur choix : si elles partent tôt, elles accumulent moins de points et divisent leur retraite totale par un plus grand nombre d'années à vivre (calculées sur l'espérance de vie à l'age du départ, la loi des grands nombres assurant l'équilibre du système entre ceux qui meurent jeunes et les chanceux centenaires...), et vice versa si elles partent plus tard.
Je ne puis en une seule note résumer la réforme proposée par les auteurs. Mais en la lisant, vous serez sans doute comme moi surpris par son exceptionnelle simplicité et par l'équité qu'elle sous-tend.
Globalement, chaque Euro de cotisation rapporte des points, le même nombre, qui que vous soyez. Et au final, quand vous liquidez votre retraite, à l'age que vous souhaitez, vous touchez globalement la même retraite à nombre de points égal, pondérée par votre espérance de vie.
La proposition de réforme Madelin (appelons la ainsi) cumule tous les avantages :
- Tout d'abord, elle assure définitivement l'équilibre financier des régimes par répartition. Eh oui, qui a dit que les libéraux étaient des ayatollahs de la capitalisation ? Une fois de plus, les conservateurs de la gauche-privilèges (Hollande, lang...) vous mentent, mes amis. Pour Madelin et Bichot, le problème de la nature des systèmes de pension n'est d'ailleurs pas dans la question "capitalisation ou répartition" mais dans la question "prestation définies ou cotisation définies" (leur préférence va au second terme), ce point plus technique étant fort bien expliqué dans l'ouvrage.
- Ensuite, elle assure une équité totale entre les cotisants: le même nombre de points est acquis à cotisation égales et à âge de départ égal, ce même nombre de points procure la même retraite. Le nombre de points attribués pour récompenser ceux et celles qui élèvent des enfants en s'arrêtant de travailler (les enfants d'aujourd'hui paieront nos retraites demain, un tel effort doit être récompensé) serait le même que vous soyez cadre ou ouvrier, ou employé. Un "minimum vieillesse", constitué par l'attribution d'un nombre minimal de points à 60 ans, serait toujours en vigueur, mais ne serait plus volé sur l'héritage des "enfants de pauvres".
- Elle permet de calculer facilement la pension que l'on touchera en partant à un instant T, et permet de simuler avec une marge d'erreur faible sa retraite si l'on part quelques années plus tard. Ce n'est pas le cas actuellement.
- Elle permet à un individu de choisir le moment ou il part en retraite en mesurant parfaitement les conséquences financières de ses choix. Fini l'âge de la retraite normatif défini par des énarques, chaque personne est mise en position de responsabilité face à un choix libre et individuel.
- De surcroît, ce choix reste réversible. Un individu qui part en retraite à 60 ans, et à qui on propose une mission d'un an ou deux qui l'intéresse à 62 ans, peut très bien suspendre sa retraite, reprendre sa capitalisation de points, et resolder sa retraite à 64 ans, ou 70 si çà lui chante (ce dernier cas de figure serait moins rare qu'on ne le pense généralement, surtout chez les gens qui exercent un métier qui les passionne), en bénéficiant des points nouvellement accumulés, déduction faite des deux ans de retraite déjà touchés.
Et j'en oublie. C'est le projet le plus social (libéral social, dirais-je même, voir ma note précédente sur les différents libéralismes) qui m'ait été donné de lire depuis, ouh... que je m'intéresse à la politique.
Et comment ce dispositif serait-il financé ? Tout simplement en fixant une fois pour toutes et suite à un vrai débat public et démocratique, le taux de cotisation "retraites" auquel il serait à la fois juste, sans être économiquement destructeur, que les actifs cotisent pour remercier, en quelque sorte, les anciens d'avoir fourni un effort certain pour les élever. Il en résulterait un montant de cotisations total facile à déterminer. Le nombre de points à "servir" en pension serait lui aussi connu. L'organisme (à l'instar de ce que fait l'ARRCO aujourd'hui) gestionnaire de la retraite par répartition déduirait des frais de gestion aussi faibles que possible, (et sévèrement contrôlés par la société civile, soit dit en passant), les nécessaires et mesurées provisions pour "lisser les aléas conjoncturels", et aurait pour mission de redistribuer l'intégralité du reste. Un tel système, sauf cataclysme mondial, ne peut pas structurellement être en déficit.
Si les Français restent féconds, si l'économie française créée beaucoup d'emplois, et si les Français liquident leur retraite en moyenne plus tard qu'actuellement, la valeur du point sera élevée. Si nous faisons moins d'enfants, n'arrivons pas à les employer à l'âge adulte et choisissons majoritairement de nous la couler douce jeunes, alors nous devrons nous contenter de retraites moindres, on n e peut pas vivre au dessus de ses moyens. Mais en aucun cas ne risquons nous de promettre aux générations actives des prestations que nous ne pourrons pas servir le moment venu, de "faux droits à retraite", en quelque sorte.
Il est d'ailleurs prévisible que les Français s'aligneraient en quelque sorte sur un juste milieu, fonction de la loi de l'offre et de la demande: si la valeur du point était trop faible, ils tendraient à retarder leur départ, si elle montait grâce aux performances de l'économie, ils partiraient un peu plus tôt.
Les détracteurs les plus à gauche d'une telle réforme objecteront deux arguments aisément réfutables:
Tout d'abord, ils prétendront que définir une fois pour toute le taux de cotisation ne "va pas dans le sens de l'histoire" (qui sont ils pour dire où va l'histoire, soit dit en passant...) et que si la France consacrait 6% de son PIB aux retraites en 1950 et 13 % aujourd'hui, elle peut bien monter jusqu'à 20% en 2020. C'est de la pure fumisterie, cela voudrait dire mobiliser la moitié des prélèvements obligatoires pour les retraites, et comment paie-t-on la police, la justice, la défense, etc... ? Alors qu'il est patent que les taux de prélèvements obligatoires bas favorisent l'emploi, leur explosion pour financer des retraites trop généreuses serait économiquement suicidaire.
Ils ajouteront que les fonctionnaires laisseraient des plumes dans une telle réforme, tant leurs privilèges actuels sont importants. Ce serait bien sûr "un recul social inacceptable". Et, en bons démagogues, ils réclameront un alignement du privé sur le public, toujours en arguant que l'on peut financer les retraites par la TVA, l'IRPP, L'ISF et que sais-je encore.
Même réponse que précédemment. Et ajoutons que vu la nullité des retraites actuellement servies aux "petits cotisants" du secteur privé, un rééquilibrage des privilèges des uns, qui ont quand même bien profité de leurs avantages pendant les périodes de crise récentes, au profit des vrais défavorisés, des smicards, des précaires, ne serait que justice. Une telle réforme améliorerait à coup sûr le sort des 50% de cotisants les moins favorisés, si pour cela 25% de personnes actuellement très privilégiées doivent consentir à un sacrifice, et bien, va pour le sacrifice !
Ceux qui prétendent que l'on peut continuer à gagner sur tous les tableaux en augmentant les impôts sont de dangereux démagogues qui mèneront la France dans la même situation financière que l'Argentine dans 20 ans si on les laisse décider de ce que doit être l'avenir de notre pays.
Parce que nous vivons plus longtemps, que nous faisons moins d'enfants et que nous n'arrivons plus à les occuper autant qu'auparavant, notre système de retraites actuel va droit dans le mur. La proposition de réforme Madelin-Bichot, bien plus que la demi réforme Fillon, propose une voie simple et élégante pour sortir de l'impasse.
Quelques autres bonnes raisons de lire ce livre :
- C'est un ouvrage écrit de façon plaisante, parfois humoristique, ce qui était difficile sur un sujet aussi aride.
- Même ceux qui considèrent que tout ce qui peut être écrit par Alain Madelin est frappé ipso facto du sceau de l'infamie trouveront avantage à lire ce livre, car il découvriront d'une part que le système actuel ne peut en aucun cas être défendu au nom de la justice sociale, d'autre part que des principes libéraux appliqués au champ du social peuvent réellement améliorer le sort des plus démunis. Bref, contrairement à ce que les gardiens des privilèges établis veulent faire croire, le libéralisme bien compris n'est pas l'ennemi des plus faibles, bien au contraire.
Lire aussi : le dossier "retraites" des cercles libéraux
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