Je viens d'achever la lecture du livre de Philippe Bloch, "bienheureux les fêlés", sous-titré "tout le monde peut créer son entreprise" (ed.Robert Laffont). Rarement, à la lecture d'un ouvrage, son sous titre n'aura paru si trompeur, à moins que ce ne soit de l'ironie de la part de l'auteur. Ne vous méprenez pas, ce début de note critique n'enlève rien au plaisir que j'ai pris à lire cette narration de l'épopée de deux créateurs d'entreprise en notre bel énarchie.
Mais bon, si "tout le monde peut créer son entreprise", tout le monde peut il la réussir, et surtout en France ? En lisant les aventures de "columbus café", la start up de P. Bloch et R. Hababou, deux stars du consulting des années 80, l'on ne peut qu'être sceptique.
Columbus Cafe, créée en 1994, est la transposition française du concept qui a fait de Starbucks une des plus belles réussites récentes aux USA, à savoir la création de cafés ou on ne sert que... du café (et aussi du thé et des petits gateaux, tout de même), à consommer sur place ou à emporter, avec un choix entre plusieurs variétés servies par des gens capable de conseiller "avec enthousiasme et compétence" le client. il s'agit donc d'améliorer l'expérience-client de celui qui aime boire tranquillement un café, en lui proposant un lieu agréable, propre, non fumeur, et ou on ne risque pas de croiser le pochetron du coin qui avale son troisième calva à 10 heures du matin, ou le joueur de flipper qui tilte convulsivement son gottlieb à côté de votre table. bref, un concept tout à fait novateur propre à combler le vide que laisse dernière elle la fermeture de nombreux bistrots traditionnels, qui n'ont pas su adapter leur prestation à des clientèles changeantes.
Donc, prenez deux créateurs qui ont un excellent concept (de mon point de vue) déjà éprouvé à l'étranger , qui ont déjà créé une première entreprise avec succès - ce sont des consultants reconnus spécialisés dans l'amélioration du service à la clientèle -, donc pas des débutants, qui ont du capital, un oncle avec du cash (on l'apprend dans le livre) qui les sauvera du dépôt de bilan à un moment critique de la vie de l'entreprise, et, au bout de 8 ans, vous obtenez une simple PME de 150 personnes, qui a failli boire la tasse à plusieurs reprises, et qui commence seulement à sortir la tête de l'eau, là où les USA ont engendré starbucks et plusieurs concurrents du même accabit, à défaut d'avoir la même notoriété. Ahem. C'est un résultat parfaitement respectable, mais çà pose tout de même quelques questions.
Certes, l' auteur reconnait quelques erreurs que lui et son associé auraient peut être pu éviter avec une plus grande expérience du commerce de détail. Mais tout de même, la lecture de son ouvrage montre à quel point le contexte "offert" aux créateurs d'entreprises en France est d'une insondable difficulté, par rapport à celui de nos principaux partenaires et concurrents.
Le secteur public n'est pas seul en cause, les banquiers aussi en prennent pour leur grade, non à cause de leur relative frilosité (mais le risque n'est pas leur métier, après tout), mais à cause de leur propension bien française à ne pas respecter leurs engagements. En France, un contrat... N'est pas toujours un contrat, semble-t-il.
Mais que dire de ce fisc castrateur qui semble vouloir priver les entreprises des ressources qui leur permettraient de grandir et leurs promoteurs du fruit des risques qu'ils ont pris ?
Et surtout que dire du comportement de certains "serviteurs de l'état" (et non serviteur des contribuables, là est toute la nuance...), et notamment de l'inspection du travail ou de la magistrature, face à cette entreprise pourtant manifestement désireuse de respecter les lois en vigueur, et notamment les 35 heures, malgré les difficultés qu'elles posent ? Je ne résiste pas au plaisir masochiste de vous infliger des extraits de la plaidoirie d'une procureur visiblement adhérente du syndicat rouge vif de la magistrature bolchévique, p.140-141, lors d'un procès intenté à l'entreprise par l'inspection du travail au motif que la fiche de temps de travail d'un employé (sur une centaine !!) comportait des imprécisions laissant penser que le dit employé aurait travaillé plus que les 35 heures réglementaires (! en correctionnelle pour çà, s'il vous plait...). A noter que l'employé en question, loin de s'estimer lésé par son entreprise, a témoigné en sa faveur, les anomalies constatées relevant de l'erreur bénigne. Parole à Mme le procureur Ejov (*), sûrement en robe rouge pour l'occasion :
"- Comprenez M. Bloch, (...) il est vrai que vos collaborateurs ne semblent pas malheureux, mais il ne suffit pas d'être copain avec ses salariés pour être au dessus des lois. Et vouloir faire américain n'arrange rien ! Vos "managers", que vous feriez mieux d'appeler "responsables", vos gadgets de type "birthday off" (Nd VB: une pratique sociale consistant à accorder à un employé un jour de congé pour son anniversaire), comme s'il n'existait pas de traduction française, votre soi-disant "culture d'entreprise", tout ceci est de la poudre aux yeux masquant un inadmissible système d'exploitation ! vous vivez dans un grand pays , et nous avons un droit social qu'il convient de respecter !
(réponse de M. Bloch) - Mais je ne fais que çà depuis que j'ai créé ma première entreprise en 1987
(procureur Béria (*)) - En payant vos "managers" 1700 euros par mois !
(M. Bloch) - C'est 600 de plus que ce que mon associé et moi nous octroyons (NDVB... compte tenu des difficultés financières de l'entreprise...)
(Procureur NKVD (*)) - N'essayez pas de nous faire pleurer ! (...) Les entreprises se croient tout permis en France !.. "
Etc... etc...
ce type de comportement anti entreprises n'est hélas pas rare dans l'administration. Certes, il ne s'agit pas de tout pardonner aux créateurs d'entreprise, lorsqu'ils commettent de vraies fautes. Mais transformer ses préjugés anti capitalisme, anti entreprise et anti-américains en motif de plaidoirie accusatoire est tout simplement scandaleux, et un tel procureur, requerrant si manifestement en dehors du droit, devrait être lourdement sanctionné. (Notons qu'en cas de condamnation lourde, celle ci eu été sûrement cassée par une cour de cassation normalement éveillée, mais sait-on jamais...)
A tout le moins, cette Savonarole d'opérette devrait se souvenir que c'est la valeur ajoutée créée par toutes les entreprises créées par tous les M. Bloch de France - qui risquent en général LEUR argent dans l'aventure, de surcroît, alors que cette jean-foutre ne risque que la retraite après 40 années au lieu de 37.5... - qui paie son salaire confortable, et accessoirement aussi le mien, ce dont je ne saurais pour ma part jamias assez leur être reconnaissant.
Bref, pour en revenir au livre, il est tout à fait instructif, et écrit dans un style remarquablement plaisant, et qui montre comment garder un moral et une résolution de fer pour triompher de tous les obstacles qui se dressent ssur la route de l'entrepreneur. Le secret de "l'entrepreneurship attitude" en quelque sorte. Si vous envisagez de créer votre propre business, c'est une lecture très fortement recommandée. Sinon, c'est un bon livre aussi !
pour en savoir plus, les bonnes feuilles se dégustent sur le site du livre.
* Ejov fut le procureur en chef de la grande purge du parti communiste soviétique de 1936 et après, qui avait pour but de liquider l'arrière garde des vieux léninistes qui s'obstinaient à ne pas mourir pour laisser la place aux protégés de J. Staline. La grande purge fut surnommée "Ejovchtchina" par les russes eux mêmes. Mal en prit à Ejov: il fut lui même "purgé" car le doux Joseph n'aimait pas qu'un de ses subordonnés puisse prendre trop d'importance, et en plus, le gentil Lavrenti Beria voulait sa place, qu'il obtint. Ah que la vie était riante au bon vieux temps de Joseph Staline... En savoir plus.
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