Le romancier poète roumain Virgil Gheorghiu explique, dans un de ses nombreux écrits, pourquoi l'art religieux roumain s'est distingué par la production de petites et magnifiques icônes, mais n'a guère produit comparativement à d'autres nations de grands édifices dédiés à la foi, ou de l'art statuaire de grande taille. En effet, la Roumanie fut envahie à de nombreuses reprises par des puissances étrangères, et fut notamment victime d'une occupation longue par l'empire Ottoman, jusqu'au XVIIIème siècle. Ces occupations furent marquées par moult pillages et par l'exode de nombreuses populations. Aussi les Roumains, sachant que la jouissance de leur terre ne leur était aucunement garantie, développèrent un art religieux "transportable" et facile à cacher, au détriment d'investissements immobiliers plus massifs.
Plus près de nous, l'économiste péruvien Hernando de Soto a constaté, dans "le mystère du capital", que les myriades de petits artisans qui constituent l'ossature entrepreneuriale des quartiers les plus pauvres des pays en développement ne pouvaient guère investir dans la modernisation et l'agrandissement de leurs petites affaires, car celles ci ne sont pas bâties sur un droit stable et protecteur de la propriété individuelle. Aussi ces entreprises restent-elles de taille limitée et peu productives, leur potentiel de croissance n'est pas valorisé.
Ces deux exemples parmi des dizaines d'autres possibles, montrent que lorsque les droits de propriété ne sont pas garantis, les individus limitent leurs investissements et leur prise de risque, par peur que des prédateurs ne les privent du produit de leur effort.
Quel rapport avec l'affaire Yukos, me direz vous ?
Petit rappel: le gouvernement de Vladimir Poutine a procédé à l'arrestation de un homme d'affaires fort riche, Michaïl Khodorovski, qui soutenait des partis d'opposition (SPS et "yabloko", "la pomme" en Russe), et surtout, sans procès, a fait confisquer par l'état russe les 44% des actions qu'il détient le goupe pétrolier YuKos.
A ce stade, l'information superficielle -comme de coutume- délivrée par nos médias ne permet pas de savoir si certains des chefs d'accusation contre Khodorovski pourraient être fondés. Mais la nationalisation-spoliation arbitraire sans jugement des biens d'un entrepreneur emblématique du nouveau capitalisme russe accrédite la thèse d'un règlement de compte politique, basé sur des accusations au mieux exagérées, au pire fabriquées, comme au bon vieux temps des purges staliniennes.
Le signal funeste envoyé aux investisseurs potentiels, Russes ou étrangers, est hélas clair : "malgré le cadre fiscal et réglementaire apparamment favorable à l'entreprise mis en place par le gouvernement de V. Poutine, vous n'êtes pas assuré de pouvoir conserver le fruit de votre effort, le produit des risques que vous avez pris. Si vous déplaisez à l'état, alors ce que vous avez réalisé, l'état vous le volera". Voilà qui réduira l'incitation à entreprendre pour les russes, et qui n'incitera pas ceux qui se lanceront à promouvoir de grands projets modernes et exigeants en capital... ils préfèreront plus sûrement en majorité lancer des petites affaires "champignon" peu risquées mais par nature peu productives, faciles à relancer en cas de "coup dur" d'origine étatique.
L'affaire Yukos, si elle en restait là, pourrait donner un coup d'arrêt extrêmement brutal à la dynamique économique que V. Poutine avait réussi à initier par des mesures audacieuses d'inspiration libérale. Mais comme d'autres, Poutine semble vouloir ignorer qu'il ne suffit pas de baisser les impôts pour créer une spirale vertueuse de l'investissement productif. Le libéralisme suppose, pour produire les bienfaits escomptés, un respect absolu des libertés et des droits de propriété d'autrui. Si ces deux conditions ne sont pas scrupuleusement remplies, le pseudo-capitalisme soviétisé corseté par l'état ainsi engendré ne sera pas en mesure de produire les richesses dont la Russie à désespérément besoin pour triompher de ses difficultés.
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A lire, une excellente brève du JDNET sur cet événement, qui pose de façon concise les bonnes questions.
--- MAJ 1er novembre ----
L'arrestation de khodorovski est loin de faire l'unanimité au sein du gouvernement russe, puisque Mikhail Kassianov, premier ministre de V. Poutine, a publiquement pris position contre cette arrestation, et ce après que le secrétaire général du gouvernement, A.Voloshine, ait démissionné en signe de protestation. Imaginez JP Raffarin prenant publiquement position contre Jacques Chirac... Il faudrait que l'affaire soit très grave, non ?
Les milieux d'affaires semblent partager les mêmes craintes: la bourse de Moscou à plongé (lien), et la presse économique prend ouvertement position contre l'arrestation de khodorovski (dépêche Reuters)
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