Le début du ramadan a été meurtrier à Bagdad, la ville ayant été le siège d'une vague d'attentats (lien) sans précédent depuis le début des opérations de destitution de Saddam Hussein. Cela constitue assurément une mauvaise nouvelle, qui vient assombrir le bilan jusqu'ici plutôt favorable de l'intervention alliée (lien).
Pour autant, comment interpréter cette série d'attentats ? Tout d'abord, notons qu'ils sont tous situés à Bagdad, et que la plupart des attentats commis depuis le mois d'avril l'ont été dans une zone de faible superficie comprise entre Bagdad et Tikrit (lien). Tout se passe comme si les terroristes visaient plus une forte exposition médiatique plutôt qu'un embrasement généralisé du pays.
De plus, l'armée alliée n'est pas l'unique cible. La croix rouge et la nouvelle police Irakienne ont été visées. Il ne s'agit donc pas seulement pour les tueurs de lutter contre l'armée "d'occupation" mais de sapper les organisations qui oeuvrent en faveur d'une stabilisation de la situation en Irak, espérant créer les conditions d'un désordre propice à un retour au pouvoir.
Que ces attentats soient l'oeuvre d'ex partisans de Saddam, ou de djihadis partis en croisade contre le grand satan capitaliste (deux hypothèses probables, et non exhaustives l'une de l'autre), ils sont le signe que ces deux mouvances estiment n'avoir aucune chance de (re)conquérir le coeur de leur concitoyens par un processus démocratique. Dans toutes les démocraties confrontées au terrorisme (Corse, Pays Basque, Irlande du Nord, Israël, etc...), les factions violentes ou leurs "branches politiques" sont systématiquement minoritaires (même si ce sont parfois de "fortes minorités") lors des élections libres. Dans tous ces pays, les plus extrêmistes des assassins redoublent de violence lorsqu'un espoir de paix, fut il ténu, se profile. S'ils avaient la moindre chance de triompher politiquement, ils n'auraient alors aucun intérêt à utiliser l'arme de la terreur aveugle.
L'on peut donc se demander si la recrudescence des meurtres de masse perpétrés à Bagdad, loin de constiuter la preuve de l'échec de la coalition à rétablir un ordre démocratique en Irak, ne montre pas que les mouvements extrêmistes voient leurs espoirs de conquérir le pouvoir sur tout ou partie de l'Irak en ralliant l'adhésion des masses s'effilocher. Malgré les attentats, le travail de fond pour reconstruire un Irak libre continue, et la volonté des Irakiens de s'engager dans une voie résolument moderne et démocratique semble chaque jour grandissante (lien). Dans un tel contexte, la stratégie des extrêmistes ne peut être que de deux ordres:
- Tout d'abord, influencer l'opinion américaine et mondiale en créant l'impression que les troupes alliées sont enlisées dans un "bourbier" de type vietnamien, et en profitant de l'apétence des médias du monde entier pour les mauvaises nouvelles, pour inciter le peuple américain à réclamer le départ des GI's, ce qui affaiblirait le conseil National Irakien, dont l'autorité repose essentiellement sur la force de frappe de l'autorité coalisée provisoire. Une telle hypothèse expliquerait assez bien la focalisation des attentats sur une zone réduite à Bagdad et dans les environs.
- tenter de faire croire à l'opinion publique intérieure que l'Irak n'est pas mûr pour une transition démocratique et que le peuple Irakien a pour intérêt de s'en remettre à des leaders autoritaires, qu'ils soient baassistes, théocratiques, ou de quelqu'autre obédience mal connue sous nos latitudes, pour que le pays retrouve "l'ordre". Par "ordre", il faut entendre une situation dans laquelle seuls les opposants trop voyants au pouvoir peuvent être oppimés, ceux qui restent neutres ne risquant rien... Accessoirement, ces attentats peuvent aussi avoir pour but de grossir les rangs de ceux qui réclament le départ de la coalition.
Dans ces conditions, que devrait faire la coalition ? Il est évident qu'un départ total des forces alliées, ou leur remplacement par une quelqconque force Onusienne dont les crises récentes du Rwanda, du Zaïre, ou de Bosnie ont montré l'inefficacité, reviendrait à donner une victoire inespérée aux assassins. Et cela en serait fini des efforts de reconstruction menés depuis quelques mois.
En revanche, une réduction rapide de la présence militaire alliée dans les rues des grandes villes, rendues rapidement à une police civile numériquement suffisante et en bon ordre de marche, montrerait de façon tangible aux irakiens que leur avenir repose sur leurs propres forces et réduirait à néant les tentatives de faire passer les troupes coalisées pour une force d'occupation hostile auprès des inévitables mécontents qu'engendrent des boulversements aussi rapides de la vie Irakienne. Dans un tel contexte, le cantonnement des forces alliées dans quelques bases militaires permettant de protéger les frontières, l'infrastructure énergétique du pays et de mener une chasse discrète mais efficace aux derniers appuis de Saddam serait suffisant pour assurer au CNI une sécurité correcte dans l'établissement du processus démocratique.
Ainsi, une conduite rapide du débat sur la future constitution Irakienne serait tout à fait réaliste, et pour tout dire souhaitable, car cela permettrait de rendre rapidement les rennes du pays aux Irakiens, tant que l'opinion pro-démocratie y est encore assez largement majoritaire. Les premiers gouvernements élus auraient sans doute intérêt à pérenniser une présence américaine dans ces quelques bases pour assurer leur protection extérieure (et assurer leurs arrières...), tout en se focalisant sur la restauration d'un état de droit sécurisé au plan intérieur. L'autorité provisoire coalisée aurait tout intérêt à hâter la transmission de la responsabilité des affaires intérieures au CNI, puis à un gouvernement issu d'élections libres.
Tout à fait accessoirement, une telle évolution, que semble souhaiter M. Chalabi (président du CNI), couperait l'herbe sous le pied de ceux qui, dans la péninsule arabique ou en Europe, tentent de sapper les efforts de la coalition sur la scène diplomatique.
Au contraire, un "raidissement sécuritaire" de la coalition et un ralentissement du processus de transmission du pouvoir aux Irakiens, que semble hélas privilégier Colin Powell, (lien) donnerait aux mouvements violents une raison de "légitimer" leur action auprès d'un peuple trop nouvellement exposé à la démocratie et à ses bienfaits pour être totalement à l'abri de tentations totalitaires. Souhaitons que les américians ne soient pas poussés vers à prendre une suite de mauvaises décisions sous la pression des poseurs de bombes.
---- mise à jour 30/10 ----
Johan Hari, chroniqueur du journal britannique the independant, partage les mêmes vues quant aux objectifs des terroristes:
The real danger confronting us in Iraq is not from freelance bombers. They can murder aid workers, but they cannot defeat us. The risk is, instead, that opinion back home will cave in to the tiny minority - mostly, it seems, non-Iraqis - who are attacking American troops. Brits and Americans are beginning to assume - in defiance of all the evidence from piles of opinion polls, conducted by companies who successfully predict election results across the world - that the coalition is not wanted by the Iraqi people.
(...)
A hasty withdrawal would give Islamic theocrats or recidivist Baathists a far better chance of seizing power than free elections.
(...)
Nobody wants the occupation to continue indefinitely. Iraqi democracy is getting closer every day. We must keep siding with the Iraqi people, not the bombers who want to drive away their doctors and peacekeepers.
Commentaires