Liberté d'expression : une liberté fondamentale
La liberté d'expression, qui inclut la liberté de s'exprimer, de publier, d'informer, de manifester, de débattre, est absolument fondamentale dans toute société prétendant protéger les droits de l'homme. Sans liberté d'expression, point de réelle liberté d'opinion - A quoi servent des opinions que l'on doit garder pour soi ? -, point de liberté de rechercher des personnes partageant les mêmes centres d'intérêts en vue d'association, point de liberté de proposer des choix politiques variés, de publier des informations, des résultats de recherche, des œuvres artistiques, point de liberté de faire valoir ses droits face à l'oppression... En ce sens, on peut affirmer que la liberté d'expression est l'un des piliers de toutes les libertés dont un individu peut disposer.
L'exception française à l'oeuvre
Pourtant, en France, prétendument pays des droits de l'homme, cette liberté d'expression a constamment fait l'objet de remises en causes dont certaines sont passées dans la loi. Ces limitations sont de deux ordres: celles destinées à empêcher l'expression d'opinions impopulaires, et celles destinées à protéger la nomenklatura aux commandes du pays des investigations de journalistes ou d'enquêteurs trop zélés quant à d'éventuelles turpitudes. Je traiterai ce second aspect un autre jour, me concentrant aujourd'hui sur le premier.
Ainsi, au motif d'interdire les expressions de haine raciale, diverses lois, dont les fameuses lois Gayssot de 1991, ont été promulguées. Ces lois ont pour objet d'interdire toute incitation à la haine raciale, et visaient plus particulièrement, lors de leur publication, à combattre les poussées "révisionnistes" de certains courants d'extrême droite visant à nier la Shoah (on se souvient de l'affaire Faurisson), où les "dérapages verbaux" de Jean Marie Le Pen, leader du principal parti d'extrême droite en France, et jugés particulièrement choquants (à juste titre) par une majorité de la population.
Détournement de "bonnes" intentions
Dans ce cas, des lois apparemment votées pour des motifs parfaitement honorables - Combien ne condamnent pas, moralement, l'apologie des camps de concentration ? - sont devenues des instruments d'oppression, au service d'intérêts particuliers contre celui de l'immense majorité des individus, voire même contre ceux que ces lois étaient censés protéger au départ.
Prenons les incitations à la haine raciale ou xénophobique. Hier, il s'agissait d'empêcher des expressions antisémites ou anti-maghrébines. En revanche, bouffer du curé, du belge, traiter le américains de gros cons obèses primaire et sous cultivés, n'a jamais été considéré comme répréhensible. De même faire l'apologie d'Hitler est criminalisé, mais se réclamer de la pensée et de "l'œuvre" de Léon Trotsky fait de vous quelqu'un de terriblement branché et romantique, peut être juste un peu irréaliste. Pourtant, aucun historien sérieux ne peut considérer aujourd'hui que l'action du second était moins criminogène que celle du premier cité, le peu de temps qu'il passa comme numéro 3 à la tête de l'union soviétique l'atteste amplement.
Plus curieusement, depuis que les expressions antisémites publiques sont devenues courantes chez certains courants intégristes musulmans, elles ne sont plus considérées comme criminalisables mais excusées par de nombreux intellectuels, "au nom des souffrances qu'endure le peuple palestinien", comme si ce conflit devait changer la perception de ce qui est bien ou mal sur le sol Français. Dans ce cas, les lois Gayssot semblent oubliées, et l'antisémitisme devient légalement acceptable. En revanche, si un juif ose émettre des critiques dures sur la communauté maghrébine, il devient criminel, au nom des mêmes lois Gayssot. Le champ d'application de la loi change donc au gré des choix du pouvoir et de la perception du politiquement correct du moment.
Un autre effets pervers de la loi Gayssot est qu'il est de droit et de fait interdit de faire des recherches statistiques incluant des données sur l'origine ethnique des individus sur des questions de société. Pourtant, qui peut nier que de connaître la proportion de telle ou telle population dans les banlieues et la corrélation avec tel phénomène insécuritaire ne soit pas une aide précieuse pour comprendre et trouver des solutions à des questions sociales majeures ?
Bref, les lois criminalisant certaines formes d'expression au détriment d'autres, loin de protéger les citoyens de la haine, favorisent certaines expression haineuses au détriment d'autres et soumettent les citoyens désireux d'exprimer une opinion au risque de l'arbitraire répressif.
Vision anglo saxonne
Les pays anglo saxons ont une vision beaucoup plus claire de la liberté d'expression: les lois américaines et anglaises puisent leur inspiration dans la tradition Voltairienne pour autoriser toutes les expressions, même les plus impopulaires. Le grand philosophe affirmait à un contradicteur qu'il se battrait jusqu'à la mort contre ses idées, mais qu'il était prêt à mourir pour qu'il puisse les exprimer. C'est cette philosophie qui sous tend le premier amendement de la constitution américaine: les dérives possibles si l'on empêche l'expression de certaines opinions ou certains sont trop attentatoires au droits des individus pour être acceptables.
Toutefois, même dans ces pays, et notamment aux USA, la tentation de réprimer certaines expressions a toujours titillé les politiques. La plutôt gauchiste American Civil Liberties Union (ACLU) rappelle que dès 1798 et encore souvent de nos jours, les gouvernements américains - locaux ou fédéral - trouvèrent de "bonnes" raisons de remettre en cause en partie le premier amendement (lien), et cette association considère que le combat pour la liberté d'expression doit faire l'objet d'une vigilance permanente, tant les menaces de la bien-pensance et du politiquement correcte sont constantes.
Cette attitude absolument sans concession de l'ACLU contre les atteintes à la liberté d'expression est illustrée par cette anecdote relativement célèbre, relatée ici par Steven den Beste (lien). A la fin des années 70, un groupuscule néo-nazi voulut tenir meeting dans une banlieue de Chicago, Skokie, où vivait une importante communauté juive. Choqués, les habitants obtinrent de la municipalité l'interdiction du meeting. Le groupuscule porta plainte contre cette décision et demanda à l'ACLU d'assurer sa défense. Bien que l'ACLU soit plutôt à gauche et farouchement opposée aux idées nazies, et malgré l'opposition de nombreux membres qui quittèrent alors l'association, celle ci choisit de défendre l'organisation nazie, au motif qu'interdire un meeting de cette nature portait atteinte à la liberté d'expression de tous. Fait à noter, ce fut un avocat juif qui défendit la cause du groupe nazi pour l'ACLU, et il gagna le procès.
De la défenses des discours très impopulaires
Pourquoi un tel acharnement à vouloir défendre la liberté d'expression des opinions les plus haineuses ? La réponse est simple: si la liberté d'expression ne s'applique qu'aux discours politiquement acceptables par une majorité, alors il n'y a plus aucune liberté possible pour les minorités, quelles qu'elles soient, et les autres libertés individuelles pourront alors être foulées au pied par les pouvoirs majoritaires, les minorités ne pouvant s'exprimer contre les violations de libertés dont elles font l'objet.
Et si la liberté d'expression d'un Jean Marie Le Pen, d'un Olivier Besancenot ou d'un Tariq ramadan est garantie, alors vous pouvez être certains que la votre l'est aussi. Et cela, c'est plutôt rassurant.
Certains trouveront fort de café que l'on puisse accepter que soient tenus des propos publics racistes, que l'on puisse brûler le drapeau français et siffler la marseillaise (mais brûler le drapeau américain ou israëlien leur paraîtra en revanche tout à fait acceptable), ou porter un foulard intégriste dans une école publique laïque. Mais garantir ces libertés là est la seule assurance pour chacun que les siennes le seront également le jour où il en aura besoin.
En revanche, rien ne devrait interdire à personne de porter un jugement moral public parfaitement négatif sur ces attitudes. Et donc rien ne devrait interdire de contre-argumenter férocement sur chacun de ces sujets, alors qu'aujourd'hui, si un prétendu intellectuel islamiste peut affirmer sans crainte que "la lapidation des femmes adultères, çà se discute", une critique trop vive de la religion et des textes "sacrés" qui autorisent de telles atrocités vous fait courir le risque de poursuites. Les idées impopulaires ne doivent être combattues que par les idées, à charge pour le citoyen, adulte, responsable, et raisonnablement formé à l'esprit critique, de faire le tri dans ce qu'il entend ou lit, sans qu'une quelconque autorité supérieure ne s'arroge le droit de lui dire ce qu'il a le droit de penser ou d'exprimer, ce qui revient à le prendre pour un enfant dénué de jugement, de raison, et de libre arbitre.
De surcroît, criminaliser certaines expressions haineuses (mais pas toutes, cela serait impossible) peut s'avérer contre-productif. Imaginez que l'ineffable Le Pen ait pu, sans craindre les poursuites judiciaires, nous gratifier de moult beauferies oiseuses sur les détails de l'histoire ou les fours crématoires dont il a le secret, mais qu'il sait devoir réfréner en l'état actuel de la législation. Nul doute qu'il ne s'en serait pas privé, rien ne le retenant de dévoiler son état d'esprit naturel. Pensez vous dans ce cas que 17% des Français auraient quand même voté pour lui en avril 2002, alors qu'il leur aurait été constamment rappelé à quel personnage ils ont affaire ? Le Pen aurait-il pu apparaître respectable à 17% de la population ? En contrepartie, se libérer de l'emprise du "légalement et politiquement correct" aurait permis aux autres partis de pouvoir évoquer certains faits de société sans en laisser le monopole au front national, ce qui aurait peut être permis de dénoncer plus tôt certaines dérives, voire d'y apporter des solutions plus tôt.
Quelles limites ?
Cela dit, la liberté d'expression peut elle être illimitée ? Certainement pas. Sans quoi, au nom de la liberté d'expression, des appels publics au meurtre ou la diffusion de pornographie pédophile pourraient être justifiables, ce qui n'est évidemment pas souhaitable.
Pour fixer des limites "libéralement acceptables" à la liberté d'expression, il faut revenir aux sources de la définition des droits individuels: tout individu reçoit à la naissance des droits inaliénables qui sont la vie, la liberté et la propriété. Ces droits étant inaliénables, il n'y a pas de hiérarchie entre eux, ils sont tous également sacrés. Par conséquent votre liberté d'expression s'arrête là où commencent les droits inaliénables d'un tiers.
Ainsi, un appel public explicite, fait par une personne en position de pouvoir persuader un auditoire, à commettre des meurtres, des vols, viols ou tabassages sur telle personne, ou telle catégorie de personne, ou à s'en prendre à leur biens, doit être poursuivable. Mais chaque mot est important. Si un gugusse affirme qu'il n'aime pas les français, les juifs où les arabes, c'est certes un gros connard (de mon point de vue), mais rien ne doit pouvoir être entrepris contre lui, car il n'y a pas explicitement appel à commettre des actes répréhensibles. En revanche, si cette personne prêche auprès d'une communauté le fait de prendre les armes contre une autre ou de brûler ses biens, elle doit être mise hors d'état de nuire rapidement.
De plus, si chacun devrait être parfaitement libre de rendre publiques ses opinions, nul ne pourrait être contraint à fournir une tribune à ces opinions. Ainsi, un leader politique ne pourrait il pas crier à la censure si tel propriétaire de chaîne de télévision lui refuse l'accès à ses plateaux (c'est un problème entre lui et son audience, pas celui de l'état), ou si un hébergeur de site web refuse d'héberger des sites nazis ou communistes. En contrepartie, un professionnel qui accepterait de laisser ces sites en ligne ne devrait pas pouvoir être poursuivi.
De même un propriétaire de magasin (ou son représentant) peut il parfaitement refuser qu'une personne s'installe au milieu de ses rayons et commence un meeting politique improvisé, ou que des clients rentrent dans son magasin en arborant des croix gammées ou le portrait de Che Guevara. C'est l'exercice de son droit de propriété, il est chez lui, à lui de voir comment il gère les clients qui lui posent un problème.
Vous voyez où je veux en venir ? mais oui, bien sûr, à ce putain de voile islamique.
Voilà le voile …
Comme beaucoup, cela me fait mal au cœur de voir des gamines être obligées d'arborer "librement", c'est à dire le plus souvent sous la contrainte d'un environnement familial et social coercitif, ce symbole d'un système religieux et moral que je juge oppressif et archaïque, et qui considère la femme comme un "sous produit" de l'humanité que l'homme doit asservir. Mais bien que le port du voile choque ma morale personnelle, dois-je me réjouir d'une loi qui en interdirait le port dans l'enceinte de l'école publique ? Certainement pas.
Dans une école privée, un tel interdit n'est en rien de choquant. Le propriétaire de l'école propose des conditions contractuelles d'accès pouvant préciser entre autres des interdits vestimentaires, que le parent d'élève est libre d'accepter ou pas.
Mais quid de l'école publique ? Après tout, même les intégristes résidant en France paient la TVA qui financent l'école publique. Deux lectures opposées sont possibles: l'une consiste à dire que les représentants de la majorité des électeurs sont fondés à déterminer les règles d'usage de la propriété de ce qui est payé par le contribuable. Le vote d'une loi nationale interdisant les signes religieux et politiques ostensibles pourrait donc être justifiable ainsi.
L'autre lecture consiste à dire que tous les contribuables sont propriétaires de l'école publique, puisqu'ils sont contraints de la payer, et que par conséquent, l'on ne peut interdire à des élèves soucieux de respecter le code vestimentaire qui leur est imposé par leur milieu (ou leur conscience) d'y accéder.
Toutefois, lorsque localement l'usage de cette liberté poserait problème, en ce sens qu'elle ne permettrait pas d'assurer les cours sereinement (affrontements intercommunautaires, prosélytismes divers…), ce serait aux parents d'élèves et aux enseignants de chaque établissement de se mettre d'accord sur ce qui est acceptable et sur ce qui ne l'est pas, étant entendu que dans ce cas, aucune carte scolaire ne devrait contraindre un parent à placer ses enfants dans un établissement dans lequel le règlement de copropriété adopté ne lui conviendrait pas.
La seconde option me paraît éminemment préférable, car la première constitue une restriction des libertés d'une minorité par la majorité "bien pensante" en fonction de ses préjugés du moment, ce qui me paraît tout à fait contraire à la défense des libertés individuelles. De surcroît, elle permettrait à des jeunes filles contraintes de porter le voile de rester en contact avec des personnes d'autres sensibilités, avec la société, ce qui permettrait, dans un contexte de liberté d'expression, de leur permettre de baigner dans un milieu favorable au développement de leur esprit critique et à leur émancipation, alors que la loi les poussera plus sûrement vers des écoles confessionnelles pronant l'intégrisme et le repli communautaire.
Oser la liberté
Vous l'aurez compris, je suis favorable à une liberté d'expression aussi large que possible, ce qui n'est hélas pas le cas en France. La liberté d'expression ne doit pas nous faire peur. Parce que certaines opinions haineuses ne font pas honneur à l'intelligence humaine, certains voudraient les interdire, pour que le regard et l'esprit de la majorité ne puisse être souillé de telles immondices, et par peur que certains esprits faibles puissent se laisser influencer par ces opinions. Mais c'est faire bien peu de cas de l'intelligence et du cœur d'une majorité d'êtres humains. Permettre à toutes les opinions de s'exprimer, c'est être certain que le débat autour des sujets les plus graves fera émerger la plus grande variété de points de vue, et que la sagesse et l'intelligence triompheront.
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