En 1996, le gouvernement suédois augmenta les prix du tabac dans des proportions comparables à celles qui sont en train de se produire chez nous. Encore n’eut-il pas l’hypocrisie d’affirmer qu’il s’agissait de lutter contre la consommation de Tabac. Il afficha clairement la couleur : il s’agissait de renflouer des caisses mal en point. Les effets pervers de ces augmentations ne se firent pas attendre : de véritables mafias (essentiellement originaires des pays de l’est) prirent plus de 20% du marché en très peu de temps, cette nouvelle prospérité servant à alimenter d’autres filières de délinquance. Quant aux rentrées fiscales attendues, elles chutèrent. Au début du nouveau millénaire, le gouvernement suédois, face à ce désastre, prit la seule décision rationnelle possible : il baissa les taxes de 22%, ce qui améliora la situation sur le front de la contrebande, sans totalement la supprimer toutefois.
Le Canada a connu un mouvement similaire dans les années 90, et est revenu à un niveau de taxation plus sage parce que la police avait autre chose à faire que de lutter contre des trafiquants de cigarettes.
En France, les effets de l’hypertaxation du tabac se font dé jà sentir : si les médias ont un temps pointé leurs projecteurs sur l’augmentation du nombre de braquage de bureaux de tabac, ils relaient aujourd’hui bien complaisament la communication gouvernementale prétendant que la consommation aurait subi une chute de 16%.
De source buraliste, la réalité semble différente. Les vols de containers de tabac se multiplieraient dans certains terminaux portuaires de déchargement, et certaines marques produites en Espagne sont actuellement en rupture d’approvisionnement en France, les containers produits « n’arrivant pas à leurs destinataires », sans que les buralistes ne soient informés s’il s’agit de braquages ou de détournements organisés par des employés de la filière tabac. Quant aux braquages, il se poursuivent malgré le lancement d’un plan de 140 millions d’Euros promis par Sarkozy (1 milliard de francs pour ceux qui auraient des difficultés avec les petits chiffres…) pour transformer les points de vente en forteresses.
Quoique... Certains buralistes seront plus égaux que d’autres. L’aide promise ne s’appliquera qu’aux bureaux de tabac eux-mêmes, pas au logement du buraliste si celui ci est attenant au bureau de vente, ce qui n’est pas rare notamment en milieu rural. Ceux là devront, à leur frais, "bunkeriser" aussi leur logement...
Quant à la baisse de la consommation, les mêmes buralistes estiment qu'elle est moins forte que ce qui est clamé par les sources officielles, car les clients dont ils constatent la perte, pour une grande part, fument encore. Et les cigarettes volées doivent bien se retrouver quelque part. Quant à la vente sur internet depuis des pays à plus faible taxation, elle devrait connaître un fort développement.
Nous faisons donc face à une décision gouvernementale qui va faire le bonheur des organisations mafieuses, réduira les recettes fiscales, transformera une profession (buraliste) en métier à haut risque, obligera à mobiliser des moyens financiers et policiers considérables qui ne seront pas disponibles pour lutter contre d’autres formes de délinquances bien plus graves, et ne réduira que marginalement la consommation réelle de tabac.
Ajoutons que les précédents suédois, canadiens et sans doute d’autres pays rendaient ces phénomènes parfaitement prévisibles. Le gouvernement acceptera-t-il de reconnaître qu’il s’est trompé et fera-t-il marche arrière ? On n’en prend pas le chemin. Le même buraliste m’a appris que les personnels du ministère des finances libérés par les gains de productivité au niveau des trésoreries seraient redéployés au sein de l’administration des douanes pour traquer, dans les centres de tri, les achats transfrontaliers de tabac. Les paquets ainsi repérés seront livrés par le fonctionnaire ad’hoc chez celui qui a effectué la commande, qui recevra du même coup un procès verbal. Bref, on traitera comme des délinquants des gens seulement soucieux de fumer une cigarette au meilleur prix, et on consacrera des moyens considérables à leur persécution, tout en relâchant le voleur de sacs à mains parce qu’il n’y a plus assez de place en prison. Le citoyen honnête sera un peu plus opprimé par l’état et un peu plus sous la menace de l’oppression des mafias, sans que le bien-être de qui que ce soit y gagne. Pompiers pyromanes embarqués dans une fuite en avant qu'il ne contrôlent plus, nos dirigeants ne voient plus qu'ils marchent sur la tête.
Au motif que la consommation de tabac dérange la bien-pensance de nos élites (qui toutefois consomment autant que d’autres cigares et cigarettes, me semble-t-il), que le fumeur est sans doute un être profondément abject qui doit être financièrement persécuté pour ses méfaits, et que cela fournit un argument bien pratique pour dissimuler le racket de certains contribuables derrière des bons sentiments – ah, la lutte contre le cancer, mon bon monsieur …-, on construit une monstrueuse aberration qui nous rapprochera un peu plus de l’idéal orwellien dont rêvent secrètement nos énarques ineptes, d’une société où le moindre de nos comportements comportements sera codifié par une nomenklatura, et où les déviants, ces dhimmis qui refusent l'allégeance à la religion officielle, seront d'abord surtaxés, puis verbalisés par la police des moeurs et des rentrées fiscales, puis, si cela ne suffit pas, promis à la paille humide de nos geôles, sans aucun doute.
Bien que viscéralement non fumeur, je trouve scandaleux qu’une partie de la population puisse ainsi être ostracisée au motif que certains lobbys se préoccupent de leur santé. Tant qu'ils ne me fument pas à la figure, de quel droit puis-je les empêcher de s'adonner à leur petit pêché si cela ne me nuit en rien ? Messieurs et mesdames nos dirigeants, cessez de vouloir faire notre bonheur malgré nous, laissez les fumeurs attraper leur cancer, transformez l'assurance santé en assurance privée fondée sur la responsabilisation des individus pour que leur vice ne nous coûte rien, et cessez de puiser dans les poches de ces fumeurs et de tous les contribuables pour régler, par la prolifération de l'appareil répressif, des problèmes dont la seule source est votre volonté d'imposer à tous vos codes moraux.
Cessez de transformer lentement mais sûrement notre pays en camp de rééducation pour grands enfants immatures et récalcitrants.
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