Une fois de plus, la diplomatie française a fait preuve de son incommensurable génie, d'un talent, d'une persévérence à toute épreuve, pour réussir, juste avant les régionales, à fléchir l'Allemagne qui refusait que la TVA payée par les restaurateurs français ne descende à 5,5% au lieu de 19,6%. Plus que quelques formalités administratives avec l'Union, et hop, début 2005 (ou 2006, on est jamais trop prudent...) nous paierons notre crème brûlée moins cher. Ah, quelle superbe victoire conquise de haute lutte, voyez les larmes d'émotion couler sur les joues des restaurateurs et la foule admirative se pâmer à l'évocation des milliers d'emplois créés dans nos auberges et gargottes... Oh, là, j'en vois déjà certains dont le sourcil se fronce.
"Comment, suppôt du grand satan libéral, dois-je comprendre à ton sarcasme que tu n'applaudis pas à deux mains une baisse d'impôts en France ? N'est-ce pas pourtant ton icône, que dis-je ton dieu, Ludwig von Mises, qui a dit que toute baisse d'impôts est bonne à prendre ?"
C'est que, honnorable lecteur sceptique, je n'aime pas être pris pour une truffe, et entre un véritable plan de réduction de la pression fiscale dans ce pays et une mesurette, dont je m'attacherai à démontrer le côté trompe-l'oeil plus loin, destinée à s'attacher les voix d'un lobby médiatique à 5 semaines d'une élection à haut risque, il y a un gouffre, que dis-je, une abîme, une fosse marine, un déficit d'entreprise publique !
Passons rapidement sur le psychodrame - sûrement subventionné par le ministère de la culture, vu sa médiocrité - joué par notre gouvernement, avec la bienveillante complicité d'un Gherhard Schröder toujours prêt à soutenir un ami président serviable dans une passe difficile. Pour concrétiser électoralement la baisse de TVA promise aux restaurateurs dans un moment d'égarement démagogique, l'UMP a besoin que cette baisse intervienne peu de temps avant les élections régionales de 2004. Problème, la revendication des restaurateurs est ancienne, et par la voix de leurs représentants, ils crient leur mécontentement depuis longtemps. La pression se fait lourde, Daguin menace de faire perdre l'UMP, l'heure est grave au chateau! Qu'à cela ne tienne, au nom du renforcement de l'axe Franco-Allemand au sein d'une union européenne de plus en plus bancale, l'Allemagne s'opposera publiquement à cet ajustement fiscal le temps nécessaire, permettant à nos chers gouvernants de crier à l'obstruction européenne, pour lever cette opposition au moment électoralement le plus favorable pour redorer le blason bien terni de notre couple exécutif. "Kolossale Finesse, ja !"
Venons en au fond du problème: la baisse annoncée est un trompe couillon pur et simple.
Tout d'abord, nous avons là un superbe exemple de clientélisme illustrant à merveille un de mes posts récents: selon divers journaux, la baisse promise représenterait un manque à percevoir de l'ordre de 2 à 3 milliards d'euros annuellement. La TVA rapportant environ 110 milliards d'Euros annuels (j'arrondis pour faire vite, ne venez pas me pinailler sur les virgules), la baisse annoncée équivaudrait à un retour du taux principal de 19.6% à 19.1 ou 19.2%, baisse qui aurait profité à tous. Le gouvernement a préféré rincer un lobby jugé électoralement sensible. Clientélisme, vous disais-je, dans un soupir désabusé...
"Mais", me diras tu, Ô lecteur critique, et c'est tout à ton honneur, "une telle baisse de TVA représente une baisse de 1.46 euros (presque 10 francs) sur un menu vendu 10 euros hors taxes, et donc, les nombreux clients de la restauration vont en profiter aussi, ce qui leur laissera plus d'argent à dépenser par ailleurs, ce qui pourra relancer l'économie! Et si les restaurateurs ne répercutent pas intégralement la baisse sur la carte, le surcroit de marge engendré pourra créer des dizaines de milliers d'emplois !". Si ils le disent au journal télévisé, çà doit sûrement être vrai, non ?
Hélas, si tout était aussi simple, la vie serait belle, mais... D'abord, tout le monde ne va pas au restaurant, et ceux qui y vont n'y vont pas à la même fréquence. On peut affirmer sans risque que la part du budget familial consacré à la fréquentation de nos charmants estaminets croit avec le revenu des personnes concernées. Aussi la baisse profitera-t-elle d'abord aux plus aisés, à condition qu'ils préfèrent la gastronomie à d'autres passe temps. Curieusement, le personnel politique est connu pour consacrer une large part de son temps libre à la découverte des saveurs exquises que l'art culinaire français excelle à diffuser. Simple coïncidence, sans doute.
Notez que je ne suis pas contre, sur le principe, une réduction du fardeau pesant sur les plus productifs et talentueux (pas la classe politique, donc...), qui subissent chez nous un matraquage excessif et destructeur d'emplois, au nom de la nécessaire "redistribution" des revenus au titre de la "solidarité". Mais quitte à alléger la ponction qui leur est imposée, la suppression de l'ISF, pour une même incidence budgétaire, aurait eu un tout autre impact en terme de bénéfices économiques, l'influence désastreuse de cet impôt sur la délocalisation des capitaux n'étant plus à démontrer.
Mais au fond, que l'on favorise le lobby des "grandes fortunes", des "restaurateurs", où que l'on baisse un impôt frappant tous les français, n'est certes pas neutre politiquement, mais ne constitue pas le principal écueil que suscite cette mesure.
La baisse promise est un trompe l'oeil car elle ne s'accompagne pas d'une annonce de baisse effective au moins équivalente des dépenses publiques. Par conséquent, le gouvernement ne pourra la financer que de l'une des façons suivantes:
- Soit par l'augmentation des déficits publics, donc de la dette de la Nation, ce qui augmentera la charge d'intérêts au sein de notre budget (jusqu'où irons nous ?), et qui nous éloignera encore plus de nos promesses européennes de retour à un déficit budgétaire acceptable. Mais que vaut encore une promesse du gouvernement Français, je vous le demande ?
- Soit par l'augmentation discrète, et de préférence après les élections, d'un autre impôt, celui là supporté par tous les français, comme la TIPP par exemple. Parions que début 2005, ni vu ni connu je t'embrouille, les joueurs de bonneteau qui nous gouvernent nous referont le coup de la hausse du gazole et de la taxe sur le tabac.
"Mais l'emploi, hein, ver-de-terre libéral, l'emploi, qu'en fais tu ? 40.000 emplois sur 18 mois, ce n'est pas rien ! es tu donc tellement insensible à la détresse de nos chômeurs ?"
Oh, que non, bien au contraire ! Mais là encore, l'argument est spécieux. A partir du moment où la baisse de la TVA sur la restauration sera immanquablement compensée par des hausses d'autres taxes, les emplois créés, qu'ils soient 40.000 comme le prétendent les associations de restaurateurs, ou 10.000 comme le pensent des instituts de conjoncture (lien) seront inévitablement compensés par des emplois perdus par la faute de ce prélèvement supplémentaire, que les français ne pourront pas utiliser pour leur bien personnel, en application du principe de "ce qui se voit et ce qui ne se voit pas" de Frédéric Bastiat. Et il est probable que dans le meilleur des cas les créations équilibreront tout juste les pertes. Et encore...
Car les restaurateurs, par ailleurs, se plaignent de ne pas arriver à pourvoir tous les postes vacants qu'ils ouvrent aux candidatures externes chaque année. Ce n'est pas la légère augmentation des salaires permise par l'accroissement des marges engendré par la baisse de la TVA qui suscitera un afflux massif de vocations pour des métiers jugés trop contraignants et mal rémunérés par de nombreux jeunes. On peut donc douter sérieusement de l'impact réel de cette mesure en terme d'emplois créés dans la restauration.
Comme je le disais récemment de façon plus brève au sujet de la pseudo-baisse de la taxe professionnelle, le seul moyen de réduire réellement les impôts, c'est à dire la pression fiscale supportée par l'ensemble des Français, en ces temps de croissance faible et de déficit impossible à creuser plus encore, est de réduire la dépense publique dans une proportion au moins égale. A défaut, toute baisse annoncée, quel que soit l'impôt concerné, ne correspondra en fait qu'à un changement de répartition de cette pression fiscale entre les contribuables. Et sauf cas très particulier, elle sera sans effet positif réel tant sur l'emploi total que sur le pouvoir d'achat réel des Français.
Mais bon, que ne ferait pas un gouvernement en difficulté pour quelques voix de plus...
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