Les chercheurs Français sont en colère, les directeurs de laboratoire "démissionnent" (comprendre: ils gardent leurs salaires mais renoncent à leurs fonctions !), le gouvernement lâche la recherche et condamne les chercheurs Bac+8 à des salaires de misère, le gouvernement va faire prendre un retard considérable à la recherche Française, vous avez tous entendu cela à la radio, à la télévision, vous l'avez lu dans les colonnes de nos grands journaux, la cause est entendue, "Ce gouvernement préfère financer les buralistes et les restaurateurs", "il mène la guerre à l'intelligence", "il met en péril l'avenir", etc.., etc...
La vérité est un tout petit peu différente. Comme nous le rappelle Jacques Garello, de libres.org, la part des financements publics dans la recherche publique est peu ou prou la même que chez nos principaux concurrents du G8, à savoir environ 1% de notre PIB. Certes, il y a bien eu une légère baisse des crédits octroyés en 2004, mais il s'agit d'une baisse très légère, pas du tremblement de terre budgétaire décrit par certains de nos chercheurs geignards gavés à l'argent public.
Le problème de nos laboratoires, et surtout de ceux du CNRS, est qu'ils sont incapables d'attirer autant de capital privé que leurs homologues étrangers, tant aux USA qu'en Angleterre ou même en Allemagne.
Toute personne normalement constituée ne peut que se demander pourquoi. Certains chroniqueurs ont avancé le fait que les entreprises françaises, trop taxées, n'ont pas assez de ressources pour investir dans la recherche. Certes, mais aux USA, le taux d'imposition des bénéfices est plutôt élevé, et même si l'ensemble des charges pesant sur les entreprises US sont moins élevées que les nôtres, elles n'en sont pas moins conséquentes. Aussi l'explication paraît elle pertinente mais insuffisante. Pour ma part, je pense que le problème vient tout autant de la taxation excessive des particuliers à haut potentiel, qui rend le capital plus rare pour nos entreprises. Or une entreprise qui investit fortement dans la recherche, dont les retours sur investissement sont parfois tardifs par rapport à la période d'investissement initial, a de ce fait besoin de se constituer des ressources plus fournies en capitaux propres qu'en emprunts.
JF Revel, dans le Point, met également en avant l'incapacité du milieu universitaire français à tisser des relations de confiance avec celui de l'entreprise, essentiellement pour des causes idéologiques. Cela est exact. Lors de mes années estudiantines, je me souviens que lorsque des grandes écoles d'ingénieurs ou des collectivités organisaient des rencontres entre l'entreprise et l'université, la participation des étudiants et des entreprises était généralement forte, celle des professeurs et chercheurs faible voire anecdotique. Et ce triste état de fait m'a été confirmé par de nombreux autres témoignages.
Mais il y a une raison qui selon moi n'est pas suffisamment développée par nos médias et qui est pourtant essentielle pour comprendre le manque de co-investissement des entreprises privées dans des partenariats de recherche avec les laboratoires du CNRS : la gestion totalement inefficace du CNRS fait fuir les entreprises.
Une personne de mon entourage m'a décrit l'ambiance de travail qui régnait dans son labo quand elle s'y trouvait, et dans les autres unités de recherche de son école d'ingénieurs. Selon elle, 10% des chercheurs "ne faisaient rien" et venaient toucher leur salaire, 25% adoptaient un rythme de travail "pépère" qui les aurait conduit tout droit au licenciement dans une entreprise privée. Quant aux deux petits tiers restant, ils essayaient tant bien que mal de produire, bien que la reconnaissance qu'ils en retiraient ne les distinguât guère des fumistes qu'ils côtoyaient quotidiennement. Certains passionnés, et il faut leur rendre hommage, étaient même capables d'obtenir des résultats remarquables confinant au miracle malgré ce contexte démotivant.
Et ne parlons pas du rapport coût/prestations désastreux des fonctions logistiques dans ces laboratoires comme dans toute la fonction publique, soumise à l'absurdité de règles de gestion qui entre autres tares tendent à multiplier les besoins en effectifs comptables (pour une simple comptabilité d'enregistrement de factures) et qui obligent à maintenir des légions pléthoriques d'agents de bureau pour tenir à jour les dossiers personnels d'agents... Dont l'avancement se fait pourtant de façon quasi-automatique. Liste des dysfonctionnements non exhaustive.
Un tel tableau n'a rien d'étonnant, et n'est hélas pas le fait d'un labo
isolé. Il a été largement confirmé par l'inspection générale des finances dans un rapport sans concession critiquant la gestion du CNRS. Parce que, au contraire de
leurs homologues anglais, dont le renouvellement de contrat est examiné tous
les 4 ans, les chercheurs publics français sont invirables, que
l'avancement automatique garantit un avancement à tous y compris aux plus
médiocres, et que les chefs de labo n'ont aucune autonomie pour gratifier de
façon réellement motivante ceux qui se démènent, parce que les labos et
leurs instances de coordination sont paralysées par une bureaucratie
inefficace car non soumise à des impératifs de résultats, le CNRS est devenu
un monstre d'improductivité qui offre des salaires de misère aux jeunes
post-doctorants qui pourraient soulever des montagnes, parce qu'il faut bien
payer les salaires (ancienneté généralement élevée) des amortis, et dont les
installations et les matériels font parfois pâle figure par rapport à ceux
de nombreux homologues étrangers.
Les chefs d'entreprise savent ce que leur coûte leur capital, savent ce que leurs coûtent leurs emprunts, et connaissent le triste état du CNRS. Pourquoi iraient-ils massivement nouer des partenariats coûteux avec des entités aussi peu productives ? Bien entendu, il y a de brillantes exceptions, mais selon moi, il ne faut pas chercher ailleurs la principale raison de la paupérisation de notre recherche. Je serais d'ailleurs curieux de trouver des informations sur les investissements des entreprises françaises dans les laboratoires étrangers, je pense que nous aurions la (bonne) surprise de voir que nos entreprises ne sont pas si timides en matière de recherche, mais que là comme ailleurs, elles investissent là où les espoirs de gain sont les meilleurs.
Sachant cela, car ils ne le savent que trop bien, les directeurs de laboratoire "démissionnaires" (et uniquement ceux là. attention: il y a aussi des directeurs de laboratoire modernes qui ne suivent pas ce mouvement !) réclament-ils une réforme du fonctionnement du CNRS ? Un meilleur contrôle des doublons ou triplons de recherches identiques ? Une réduction des échelons bureaucratiques ? La possibilité de licencier les plus paresseux (selon moi, la menace suffirait à remettre au boulot une grande partie des agents concernés) pour pouvoir payer décemment les post-docs motivés ? Une sélection plus rigoureuse des projets de recherche à financer ? Une simplification administrative des partenariats public-privé ? Un alignement des normes comptables du CNRS sur celles du secteur privé ? Un paiement au mérite des chercheurs performants ?
Non, ils veulent seulement plus d'argent public. Des crédits ! Des postes ! Français, à vos poches, la recherche à besoin de vous ! Alors, avant que nos élus ne capitulent une fois de plus pour satisfaire ce lobby influent, il conviendrait de se demander pourquoi le contribuable devrait financer plus qu'actuellement des structures dans lequel les chefs d'entreprise n'ont pas envie d'investir le moindre kopeck. Pourquoi serait-il économiquement sain de sur-financer par l'impôt des laboratoires qu'il ne serait pas sain d'alimenter en argent privé ? La nature publique des crédits budgétaires leur conférerait-elle des vertus magiques ? Plus d'argent du contribuable pourrait-il guérir le CNRS de ses maladies ?
Non, messieurs les chercheurs publics, réformez-vous d'abord, alignez-vous sur les pratiques privées et étrangères les plus efficaces, et vous verrez affluer des financements de toutes origines sans avoir à les quémander au gouvernement, vous pourrez vous offrir de meilleurs salaires, des installations dernier cri, et garder nos meilleurs cervaux, parce qu'alors, vous les mériterez vraiment.
--- MAJ 21:52 ---
Libres.org en remet une couche sur le CNRS dans sa livraison de ce mercredi.
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