L'histoire édifiante qui suit est hélas bien réelle, elle m'a été rapportée par un témoin direct totalement digne de confiance. J'ai volontairement éliminé de sa narration tout ce qui permettrait d'en identifier les protagonistes, même les initiales des communes sont fausses.
Le maire de la petite commune de X., environ 500 habitants quelque part en France d'en bas, et son conseil municipal, avaient (et ont toujours, mais je ne vais pas vous raconter la fin maintenant !) un petit problème: un des employés de la municipalité faisait preuve de la fainéantise la plus absolue. De surcroît, lors de ses rares présences sur son lieu de travail, il avait le mauvais goût de se montrer plus souvent que nécessaire désagréable tant avec ses quelques collègues qu'avec les membres du conseil municipal que le hasard lui faisait parfois rencontrer. Bref, cet employé représentait un poids mort et une force d'inertie dont la commune de X., dotée d'un budget très resserré, aurait souhaité se séparer.
Las, l'impétrant est protégé par le sacro-saint statut de la fonction publique territoriale. Tous les efforts du maire et de son conseil pour se défaire de ce fauteur de troubles avaient été jusqu'alors vains. Eh oui, en France, quand une mairie emploie un fainéant belliqueux, impossible de s'en défaire, à moins qu'il n'ait tué père et mère. En désespoir de cause, le maire décida d'utiliser le seul pouvoir en sa possession, bien faible au demeurant, et attribua à ce parasite la note annuelle de 5 sur vingt. Il faut savoir que dans la fonction publique, ce type de note est rarissime (nb. Une réforme est en cours dans certains ministères), la norme exigeant que l'augmentation de la plupart des fonctionnaires de catégorie B ou C soit automatiquement augmentée, à partir d'un plancher fixé à
15/20. Cette note de 5, infligée à un fonctionnaire au bas de l'échelle hiérarchique, n'aurait eu qu'une incidence symbolique sur sa rémunération, mais le maire espérait provoquer chez l'individu une réaction d'orgueil, que la personne se ressaisisse. Il voulait aussi éviter qu'une absence totale de sanction d'un comportement déviant ne déteigne sur les autres employés communaux.
Pour ce qui est de provoquer une réaction, M. le maire a été servi. L'employé, retrouvant subitement son énergie en apprenant la note qui lui était infligée, prit un fusil de chasse, le chargea, et non sans avoir préalablement rempli ses poches de munitions, se rua illico vers la mairie avec la ferme intention d'occire le conseil municipal, sans doute inspiré par les exploits de Richard Durn, le bourreau de la mairie de Nanterre.
Fort heureusement pour ledit conseil municipal, l'individu était non seulement fainéant, mais également très, mais alors très très très con. Il se trompa de jour, et lorsqu'il débarqua la bave aux lèvres, éructant sa haine contre le maire et ses co-élus, prêt à larguer ses chevrotines, il s'aperçut que l'assemblée qui se tenait là était en fait une réunion de bureau du club de foot local. L'individu , après avoir hurlé à l'assistance que le maire et son conseil ne perdaient rien pour attendre, repartit chez lui la queue entre les jambes. Malgré l'aspect dramatique du contexte, on pourrait arrêter là l'histoire et rire de la bêtise de ce fonctionnaire mal noté. Hélas, la suite prête beaucoup moins à la franche poilade.
Bien entendu, la mairie porta plainte et engagea une procédure pour révoquer (=virer, en langage fonctionnaire, mot tabou à n'employer qu'avec précautions
) l'aspirant fusillier, les gendarmes interrogèrent les témoins de l'incident qui confirmèrent tous l'attitude et les propos menaçants du foldingue à la carabine, ces mêmes gendarmes confisquèrent le fusil en question chez lui, même ses proches confirmèrent que l'individu tenait des propos obsessionnels sur le maire qu'il voulait refroidir.
Que fit le procureur de la république en présence de tels éléments ? Fit il arrêter l'individu ? Le mit-il en examen pour "menaces d'homicide et commencement de passage à l'acte", ou quelque chose d'approchant en jargon juridiquement correct ?
Que Nenni. M. Le procureur de la bonne ville de P., chef lieu dont la commune de X. dépend, classa l'affaire, estimant sans doute que tant qu'il n'y avait pas mort d'homme, point n'était besoin d'encombrer l'ordre du jour du tribunal avec de telles broutilles. (NB. Je n'ai pas eu en ma possession les attendus de la décision de classement. J'extrapole un peu, sur la foi du témoignage recueilli
)
Quant à la commune de X., aucune charge n'étant retenue par la justice contre l'homme au fusil, elle est en difficulté pour étayer un dossier solide en vue de licencier (pardon, révoquer) le bonhomme en question. Aussi a-t-elle ordonné que ce fou furieux ne vienne plus travailler (il paraît que personne ne voit de différence, notez bien
) mais est elle obligée de le maintenir dans son emploi avec maintien intégral de son traitement. Les contribuables de X., paraît il, apprécient modérément. Quant au conseil municipal, certains de ses membres dormiraient moins bien à la perspective de voir X. devenir aussi célèbre que Nanterre pour de très mauvaises raisons. Qui prétendra encore que les gens sont prêts à tout pour figurer à la une du journal télévisé ?
Ma première réaction devant un tel renoncement judiciaire: P... D. B.... D. M....! Ce pays part vraiment en C... ! [traduisez comme vous voulez, c'est bien ce que j'ai voulu dire]
Plus calmement, voici encore un exemple de cet état de non droit que je dénonçais il y a un an dans ces mêmes colonnes, et dans lequel la France semble se vautrer comme un cochon dans sa fange, sans autre réaction que voter contre le gouvernement en place aux différentes échéances électorales.
Là est à mon avis le problème numéro un du pays, au même rang que ses finances publiques malades: lorsque le droit n'est plus appliqué que de façon erratique et aléatoire, lorsque même les affaires importantes sont classées et lorsque les condamnés ne purgent pas leur peine faute de place dans nos geôles, alors l'investisseur se fait frileux et regarde ailleurs, l'homme honnête se replie sur lui même, le bandit s'enhardit, et les inhibitions qui freinent nos pulsions violentes s'évanouissent. Quand le règne de la loi s'éteint, la société s'appauvrit, les rues sont moins sûres, la liberté des gens honnêtes se meurt.
La justice française doit être remise sur de bons rails, non seulement en modernisant sa gestion, mais aussi en supprimant les milliers de textes inutiles dont l'application mange des ressources considérables, et en recentrant son action sur les valeurs de la déclaration des droits de l'homme 1789, plaçant les atteintes et les menaces directes contre la vie, la liberté et la propriété d'autrui au rang des affaires à traiter en toute priorité.
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vous pouvez aussi relire ce témoignage rapporté par libres.org sur l'ambiance dans les tribunaux de nos grandes villes
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