Nicolas Sarkozy a enfin trouvé la source de tous nos malheurs économiques, l'origine des délocalisations qui nous menacent, de la hausse excessive de l'Euro, voire même peut être des désastreuses conséquences de la canicule et de la défait à la coupe du monde. "Les Français épargnent trop et ne consomment pas assez". Ah les cons de français, tout est leur faute, ces abrutis ne réagissent pas comme des professionnels face aux difficultés, ils épargnent au lieu d'enrichir nos commerçants ! Avec un peuple aussi stupide, comment voulez vous redresser l'économie, mon bon monsieur ?
Depuis que je m'intéresse de plus ou moins loin à la politique, j'ai toujours entendu nos chers ministres, qu'ils soient premiers ou des finances, voire même certains présidents implorer les français de solder leur épargne et de se vautrer pendant qu'ils le peuvent encore dans les affres certes fort agréables de la consommation. Certains créèrent même des primes spéciales pour pousser les français à consommer dans tel ou tel secteur: les "balladurettes" et "jupettes" destinées à relancer les ventes d'automobiles sont restées célèbres.
Problème: au dela de l'intrusion toujours mal venue d'un politicien dans la vie quotidienne des ménages français induites par de telles déclarations et actions (Pourquoi un politicien devrait il se mêler de ce que je fais de l'argent que je gagne ?), la "relance de la consommation" prônée par Nicolas Sarkozy est elle la bonne réponse aux problèmes que nous rencontrons ?
Imaginez que (a) la providence (b) un travail acharné (c) mon cerveau exceptionnel <rayez la mention inutile> me permette de disposer d'une somme de 15.000 Euros, prête à dépenser. Je peux bien sûr m'offrir la tournée des grands ducs dans tous les trois étoiles michelin que compte notre beau pays, me goberger des mets les plus fins et me désaltérer des plus grands vins, sans oublier de changer le canapé du salon. Indiscutablement, j'aurais consommé, contribué à réinjecter du cash dans l'économie, qui permettra aux heureuses entreprises bénéficiaires de ma frénésie consumériste soudaine de créer de la valeur, rémunérer des salariés, etc...
Mais je pourrais aussi décider de créer, je ne sais pas, moi, une librairie libérale en ligne (c'est un exemple, pas un projet, inutile de vous emballer...), ou m'établir comme consultant indépendant, ou que sais-je encore. Naturellement, si je ne crois pas en mes capacités de devenir le nouveau nabab de l'édition, je puis me contenter de m'associer à un créateur que je juge talentueux en souscrivant à une augmentation de capital dans sa start up. Et si je n'ai pas la chance d'avoir rencontré le nouveau Bill Gates, je puis confier mes sous à un fonds d'investissement spécialisé, ou encore prêter cet argent à une entreprise sous forme d'obligations, ce qui me rapportera quelques intérêts.
Dans cette seconde hypothèse, l'impact de ma décision sur le volume de cash injecté dans l'économie sera le même: au lieu de donner mon argent à MM. Veyrat et Troisgros, "je" (comprendre:"moi, ou les gens à qui j'ai délégué mon investissement") le verserai à un hébergeur de site, un grossiste en livres, et quelques autres fournisseurs du même accabit, qui de la même façon créeront de la valeur et rémunèreront des salariés. Et ainsi de suite.
Mais il y a une différence fondamentale entre ces deux utilisations que je pourrais faire de mes quinze mille euros: dans le premier cas, une fois l'argent dépensé, il ne me resterait plus rien que des bons souvenirs et des kilos en trop que je pourrais étaler dans un canapé tout neuf en songeant à changer ma télévision. dans l'autre cas, il me resterait des actifs dont j'espèrerais bien arriver à tirer, grâce à (a) la providence (b) un travail acharné (c) mon instinct exceptionnel <rayez la mention inutile>, des revenus supplémentaires.
Ce faisant, et si je me révèle bon investisseur, je pourrais peut être, moi aussi, à terme, créer ou faire créer des emplois, augmenter mes revenus, consommer plus,... Mais de surcroît, si je réussis, c'est que mon investissement aura permis à des clients de trouver des produits ou des services qu'ils ne trouvaient pas, ou qu'ils trouvaient à de moins bonnes conditions, auparavant. J'aurais donc contribué à améliorer l'offre globale disponible à la population concernée par mes offres, soit en élargissant son choix, soit en diminuant ses coûts d'achat. J'aurais donc augmenté le pouvoir d'achat au sens le plus large, de mes clients. Donc favorisé la consommation.
Si toute l'épargne des français allait dans la seule consommation, alors ce processus vertueux, répété par des milliers d'individus, et source des incommensurables progrès de niveau de vie que la part capitaliste de l'humanité a connu ces deux derniers siècles, serait grandement ralenti.
De même, si les entreprises cessaient d'investir pour distribuer toute leur marge brute sous forme de pouvoir d'achat aux salariés et aux actionnaires (ce qui irait bien dans le sens de la "relance de la consommation" prôné par Nicolas Sarkozy), le même processus vertueux d'amélioration de l'offre et donc du pouvoir d'achat des consommateurs, serait fortement obéré.
Tout çà pour dire que l'épargne productive n'est pas l'ennemie de la croissance, bien au contraire, mais qu'elle en est le principal moteur.
Vous m'objecterez, parce que vous ne vous êtes pas encore endormis à ce stade de votre lecture, bravo, que si plus personne ne consomme et tout le monde cherche à investir, il ne restera plus beaucoup de revenus à messieurs Veyrat et Troisgros, ainsi qu'au gérant du magasin "home salons" de mon quartier, et que mon investissement risque de valoir bien peu de choses au bout du compte. C'est exact, un équilibre entre consommation et épargne est nécessaire, mais la nature humaine et le marché font assez bien les choses, si on ne cherche pas à entraver l'investissement, cet équilibre tend à s'établir assez naturellement. En un raccourci certes un peu facile, on peut dire que l'épargne, c'est ce qui reste quand nous estimons avoir satisfait nos besoins de consommateurs...
Revenons à notre point de départ. Si relancer la consommation n'est pas la bonne piste à suivre pour notre ministre des finances, cela signifie-t-il qu'il doit au contraire chercher à "relancer l'investissement productif" ?
Surtout pas, malheureux ! "relancer", cela signifie en général "aider" dans la bouche de nos technocrates, et pour "aider", il faut augmenter des impôts. La seule façon de permettre à l'équilibre entre la consommation et l'investissement de s'établir, consiste d'une part à ne pas obérer excessivement les capacités d'investissement des personnes à haut potentiel d'épargne en surtaxant les hauts revenus de façon dogmatique, et à ne pas décourager l'investissement en promettant à ceux qui réussissent l'enfer fiscal.
De surcroît, il conviendrait que l'état commence enfin à supprimer ses déficits pour pouvoir réduire sa dette, ce qui suppose une réduction plus que drastique de ses dépenses, bien au dela des quelques économies annoncées, bienvenues mais insuffisantes. Car les emprunts de l'état (et des collectivités) drainent aujourd'hui une part significative de l'épargne des français, le plus souvent par l'intermédiaire d'investisseurs dits "institutionnels". Cette épargne là ne favorise en rien l'investissement productif, et tend à augmenter les impôts, ce qui réduit d'autant la capacité d'investissement des individus, et donc contribue à réduire à terme la capacité de consommer du plus grand nombre. Toutes les épargnes ne se valent donc pas.
Un rythme soutenu d'investissements productifs, s'il sacrifie quelques points de consommation à jouissance immédiate, en les reportant sur la consommation de "biens et services d'investissement" (ce que les manuels scolaires appellent de façon réductrice les biens d'équipement), est la seule garantie d'une croissance régulière de nos revenus ultérieurs. Contrairement à ce qu'affirme M. sarkozy, "trop d'épargne" ne tue ni la croissance ni l'économie.
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Sur ce sujet, je ne puis que vous encourager à lire cette tribune de septembre 2003, écrite par Alain Madelin dans Le Monde, qui dit la même chose, mais en mieux, c'est pour çà qu'il est député et pas moi. Extrait:
Il s'agit, dit-on, de relancer la consommation pour favoriser la croissance. Le raisonnement a déjà servi en 2002 pour accompagner les baisses d'impôt. Sans résultat. Il serait d'ailleurs surprenant que le déplacement vers la consommation d'un millième du PIB puisse doper la croissance, d'autant qu'une baisse d'impôt de 1,7 milliard apparaît comme une bien faible ristourne par rapport aux quelque 60 milliards d'impôts différés que représentera le déficit 2004 et que cette baisse est au surplus fortement compensée par de multiples prélèvements, à l'instar de la hausse de 3 % sur le diesel.
Il y a un an, analysant la crise de la zone euro, je pronostiquais une croissance tendant vers zéro pour la France en 2003. Aujourd'hui, fort des prévisions de ceux qui entrevoient la sortie d'un tunnel dont ils n'avaient pas vu venir le début, le gouvernement table sur un retour de la croissance de 1,7 %. Souhaitons-le. Mais si la croissance revient, nous le devrons davantage à la croissance américaine qu'à la politique du gouvernement.
Il est temps de renoncer aux approches néokeynésiennes et aux recettes éculées (soutien artificiel à la consommation, augmentation de la prime pour l'emploi, allégements de charges pour compenser le surcoût des 35 heures et les augmentations du Smic...). Dans une économie ouverte sur le monde, comme l'économie française, ce n'est pas la demande qui fait défaut, mais l'offre compétitive.
L'objectif des baisses d'impôt n'est pas de relancer la consommation, mais de doper la croissance. Pour être efficaces, pour agir comme multiplicateur de croissance, les baisses d'impôt doivent s'inscrire dans le cadre d'une réforme fiscale d'ensemble audacieuse et s'accompagner d'un effort important d'économies budgétaires. Ce sont les conditions d'un sursaut et d'une modification des comportements favorable à la croissance.
CQFD
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