Précautions de lecture (paragraphe ennuyeux avant de rentrer dans le vif du sujet, désolé)
Quand vient le moment de comparer les performances économiques et sociales de deux pays comme les USA et la France, il convient de prendre un certain nombre de précautions.
- La première est de choisir un cours de conversion Euro-Dollar qui soit un bon indicateur des parités de pouvoir d'achat entre les deux pays. En effet, depuis son introduction sur le marché des changes en 1999, le cours d'échange entre Euro et dollar a varié entre 0.83$/1euro (dollar fort) à 1,29 $/1Euro (dollar faible). A ce jour, le cours est de l'ordre de 1.20 $ pour 1 Euro. Bien entendu, les pouvoirs d'achats relatifs des deux pays ne varient pas dans de telles proportions ! De même, si on convertit le PIB/h de la France en dollars, le chiffre obtenu en 2001 sera très désavantageux (dollar fort) alors que celui de 2004 sera fort avantageux (cours moyen toujours supérieur à 1.20$)
Selon l'économiste Philippe Nataf, la parité de pouvoir d'achat entre les deux monnaies est aujourd'hui voisine de 1 (i.e. avec 1$ aux USA, on achète à peu près autant de biens qu'avec 1 euro en Europe de l'ouest). Selon ce grand spécialiste des monnaies, lorsqu'une parité de pouvoir d'achat entre deux monnaies est stable, des variations conjoncturelles de 15 à 20% autour du point d'équilibre sont tout à fait fréquentes.
D'autres auteurs avancent le chiffre de 1.05$ pour 1 euro, moins favorable aux USA lorsque l'on vient à comparer des productions internes. Pour ma part, afin d'être lavé de tout soupçon de favoritisme pro-libéral, je retiendrai comme cours de référence en terme de parité de pouvoir d'achat (PPA) (.83+1.29)/2= 1.06 arrondi à 1.10$ pour 1 Euro. Ce choix totalement arbitraire ne sera d'alleurs pas totalement sans conséquence dans la suite de cette note.
- seconde précaution: je me baserai au maximum soit sur des sources officielles (insee en France, Census Bureau ou Bureau of labor statistics aux USA), soit sur des études menées par des organismes tiers basées sur ces chiffres, soit, lorsque ces sources ne me donneront pas satisfaction (c'est rare), sur des chiffres cités par des auteurs ou des organismes réputés neutres, ou anti-libéraux, ou libéraux "tièdes" (comme Jacques Marseille). Les analyses d'auteurs ou think tanks libéraux (Fraser Institute, CATO, Heritage Foundation…) ne seront citées que si elles se basent sur des chiffres officiels.
De plus, comparer des revenus ou des agrégats économiques en France et aux USA n'est pas toujours facile, le Census Bureau et l'Insee ayant souvent des pratiques méthodologiques différentes à la marge. J'ai donc fait mon possible pour m'assurer que les grandeurs comparées sont comparables, à une marge d'erreur infime près. Lorsque certains biais méthodologiques seront opposables, je les évoquerai, à chacun de juger.
Nb. Il y a toujours des esprits chagrins pour estimer que "les statistiques officielles sont truquées ou malhonnêtes". Si l'arrive parfois à l'Insee ou au Census de pêcher par imprécision ou par omission, la plupart des observateurs neutres des deux pays considèrent que le travail de ces deux organismes, à défaut de perfection, est empreint d'une bonne objectivité et d'une rigueur méthodologique satisfaisante. Je les considère donc pour ma part comme relativement fiables.
France USA: similitudes et différences
Pourquoi les USA sont-ils considérés comme plus libres économiquement que la France ? Si l'on en revient à "l'échelle de Fraser" de la liberté économique, qui accorde une note globale sur 10 à chaque pays en fonction de son degré estimé de liberté, la France obtient une note de 6,8 (44ème place) et les USA 8,2 (3ème). L'institut utilise 5 grandes familles de critères (avec une foule de sous-critères que je ne détaillerai pas) pour arriver à ce classement. Voyons comment la France et les USA se comparent en fonction de ces différents éléments (données 2002):
France | USA | |
Note globale /10 (plus élevée=plus | 6.8 | 8.2 |
Poids de l'état dans l'économie (pression | 2.8 | 7.4 |
Règne de l'état de droit et respect des | 7.4 | 8.2 |
Stabilité, qualité monétaire | 9.6 | 9.8 |
(absence de) protectionnisme et barrières | 8.1 | 7.8 |
(simplicité des) règlementations des | 6.2 | 7.7 |
Ce tableau montre clairement que si la France, Europe oblige, est jugée très légèrement moins protectionniste que les USA (c'était avant que l'OMC n'oblige l'administration Bush à supprimer ses protections sur l'acier et divers articles manufacturés), si les stabilités monétaires se valent, si l'état de droit Français score correctement bien qu'en retrait de celui des USA, c'est dans le domaine des réglementations de l'entreprise que la France connaît une première note assez médiocre (6.2), qui sanctionne notamment un code du travail rendant difficile les ajustements de la force de travail aux carnets de commandes (les procédures de licenciement sont très longue chez nous) et dans le domaine du poids de l'état où la France obtient une catastrophique 122ème place mondiale avec une note de 2.8/10, contre 7,4/10 aux USA, ce qui est correct sans plus.
Un chiffre illustre mieux que tout autre les conceptions différentes du rôle de l'état entre France et USA: alors que là bas, la pression fiscale exercée par l'ensemble des pouvoirs publics (fédéraux et locaux) est de l'ordre de 29%, elle est de 44,5 à 45% en France. La différence s'est creusée dans les années 75 et postérieures. Face à la crise économique issue du choc pétrolier de 1973, les deux pays, comme tous les autres, ont choisi deux optiques différentes pour enrayer le chômage de masse naissant.
Deux philosophies différentes
Les Français ont choisi de renforcer la protection légale des employés contre le licenciement, et d'augmenter les aides sociales aux personnes touchées par le chômage, ou autres aléas de la vie ("traitement social" des difficultés). La pression fiscale, contenue en dessous de 35% au début des années 70, a explosé, aussi bien sous les présidences de Giscard (droite Colbertiste et interventionniste), que de François Mitterrand (PS version "programme commun"), que de Jacques Chirac. Les USA, d'abord empêtrés dans l'excroissance mal contrôlée de leur welfare state sous l'administration Carter, ont résolument choisi une optique plus libérale sous Ronald Reagan, les américains estimant que c'est en libérant les acteurs économiques des contraintes fiscales et bureaucratiques qui pèsent sur eux que les emplois nécessaires pour surmonter la crise se créent. Aux Usa, la pression fiscale a donc légèrement diminué depuis la fin des années 70, et les réglementations ont été globalement allégées (sous Ronald Reagan, mais aussi, et on le sait moins, sous Bill Clinton, sous l'impulsion du VP Al Gore).
Tout ceci est bien beau, mais quels ont été les résultats de ces choix divergents ?
Production de richesses:
L'économiste Jacques Marseille a comparé l'évolution des PIB des USA et de la France en dollars internationaux de 1990 (permettant une comparaison significative des chiffres des uns et des autres) depuis 1973, dans son ouvrage "la guerre des deux France". Il apparaît que depuis 1980, ce qui correspond au virage socialiste français et au changement de cap libéral de Reagan, le PIB par habitant a suivi l'évolution suivante:
PIB/H en $1990 | 1980 | 1990 | 2001 | écart 2001/1980, % |
France | 15100 | 18100 | 21100 | +40% |
USA | 18580 | 23200 | 27950 | +50% |
écart, % | 23% | 28% | 32,5% |
Il apparaît donc que l'écart, déjà conséquent en 1980, s'est encore creusé, même si la progression de la richesse par habitants chez nous (40%) n'est pas négligeable. Nous ne sommes pas ridicules, loin de là, mais chaque année, un habitant moyen des USA a produit 23 à 32% de richesse en plus. Et à la longue, en terme de formation de capital, çà finit par compter...
Cette progression supérieure américaine est d'autant plus notable que l'augmentation de population a été beaucoup plus forte aux Usa pendant cette période. En effet, il y avait 4.1 fois plus d'habitants aux Usa en 1980 (226 millions contre 55.0), il y en a 4,7 fois plus aujourd'hui (290 contre 61.8). Entre autres causes, une immigration beaucoup plus importante aux USA, de 23.8 Millions de personnes depuis 1980, soit 10.5% de la population en début de période, contre 1.2 à 1.5 millions en France (estimation, l'Insee ne donne pas le chiffre mais donne les soldes migratoire des années multiples de 5.), soit seulement 2.7%. L'immigration est donc 4 fois plus importante aux USA à population égale. Voilà qui savonne agréablement la planche de ceux qui prétendent que "tous nos problèmes viennent de l'immigration trop importante en France". L'exemple américain démontre amplement, si besoin en était, que l'immigration bien comprise est une richesse, pas une menace.
Les choix américains (moins de réglementations et de pression fiscale) semblent donc avoir permis à ces derniers de créer beaucoup plus de richesses que nous sur ces 20 dernières années, ce qui leur a permis d'accueillir et d'intégrer une population immigrée bien plus importante que la notre, et ce sans problèmes "d'explosion multiculturelle" notable.
"Certes", me direz vous, "mais tout ceci ne s'est il pas fait au détriment du social ?"
Programmes sociaux aux USA: revue express.
Les entités publiques américaines ne prélèvent que 29% du PIB, contre 45% à la France, et les fonctions régaliennes des USA (défense, justice, police, diplomatie) sont réputées absorber un budget élevé, et ce à juste titre. Cela ne tendrait-il pas à indiquer que les USA négligent la dépense à caractère social ?
En fait, si l'on reprend le PIB/h en dollars de 90 (tableau précédent), on constate que 29% de 27950 USD font 8105 USD de pression fiscale par habitant, alors qu'en France, 45% de 21100 USD font 9495 USD. L'écart de prélèvement n'est donc que de 17% par habitant, en "faveur" (ahem...) de la France.
Et de fait, les dispositifs d'assistance sociale mis en place aux USA, s'ils n'atteignent ni l'universalité ni les coûts des nôtres, sont loin d'être négligeables:
I- Medicare et Medicaid, deux assurances maladies qui, au lieu d'être universelles comme notre sécu version CMU (évolution récente), ciblent les personnes à faible revenu et les personnes âgées. En contrepartie, les revenus plus élevés doivent faire leur marché dans le secteur privé. Comme en France, les coûts de Medicare et Medicaid explosent, ce qui imposera sans doute des réformes draconiennes.
II- Social security: ce vocable désigne ici le premier étage de la retraite, par répartition (eh oui, par répartition...) qui représente à peu près 40% des retraites versées.
III- Assurance chômage: prise en charge par les états fédérés, elle dépasse rarement 6 mois et 50% du derneir salaire.
IV- Impôt négatif: l'EITC est une version "large size" de notre "prime pour l'emploi", chargée de revaloriser les bas revenus, existe depuis 1975, s'applique aux revenus inférieurs à 11.000$ pour les personnes seules (ce qui est faible), et inférieurs à 34.000$ (envrion 31000 Euros PPA) dès que le ménage comporte un enfant. Malheureusement, son calcul est assez complexe, une sacrée construction bureaucratique visiblement. Environ 20 millions de ménages bénéficiaires, pour 30 milliards de dollars au budget fédéral. Ah oui, tout de même...
V- TANF : Programme réformé en 1996, prodigant une allocation spécifique aux familles avec enfants (essentiellemnt monoparentales) dont le chef de famille accepte un emploi mal rémunéré ou s'engage dans une démarche active pour retrouver un emploi. Avant 1996, le programme précédent, appelé ADFC, permettait de "toucher " sans travailler. La transformation de l'ADFC en TANF a permis de réduire considérablement les taux de pauvreté dans les familles monoparentales, essentiellement noires ou hispaniques. Cette évolution du welfare en workfare est une réussite à mettre au crédit de l'administration Clinton.
VI- La plupart des états on mis en œuvre des programmes de food stamps (bons de nourriture) pour les familles pauvres.
VII- Les structures publiques ou privées disposent à travers le pays de plus de 600.000 places d'accueil pour les sans abris, et de nombreux programmes de logement transitionnel existent.
En tout, ce sont 70 programmes sociaux qui existent aux USA, financés à 72% par l'état fédéral. Hors social security et éducation, cela représentera plus de 400 milliards de dollars en 2004. La croissance de ces coûts, très rapide sous l'administration Bush, fait subir à celle ci des accusations de laisser filer les déficits et de "socialisme rampant" par l'aile libérale (au sens européen) du parti républicain.
Contrairement à bien des idées reçues, l'enseignement public, financé à la fois par les états que par Washington (mais sous maîtrise d'ouvrage locale exclusivement), scolarise une majorité d'élèves: 47 millions d'élèves dans 91500 écoles pour le primaire et le secondaire. Cela représente plus de 90% des élèves du primaire et du secondaire aux USA ! 17 Millions d'élèves fréquentent l'université, mais là, le taux de financement public n'est que de 39%, le congrès américain estimant injuste de faire financer par la collectivité les études supérieures de ceux qui toucheront par la suite les meilleurs salaires. Les études supérieures, pension incluse, coûtent entre 6000 et 32000 USD/an (1999). Les élèves défavorisés, pourvu que leurs aptitudes scolaires soient suffisantes, bénéficient de bourses mises en places soit par les états, soit par les universités elles mêmes (les étudiants riches paient pour les pauvres), soit de priorités d'accès aux jobs offerts sur les campus.
La parité homme-femmes: en France, l'Insee estime qu'à travail égal, le revenu moyen des femmes est égal à 80% de celui des hommes. Aux Usa, le chiffre est de 77%. C'est légèrement moins bien, mais pas de quoi en déduire que les USA sont un antre d'oppression masculine.
Ce panorama ne serait pas complet sans insister sur l'extraordinaire vigueur du réseau caritatif privé américain, beaucoup plus riche que son homologue Français, et sur l'importance des programmes sociaux de l'armée pour donner des possibilités de formation des jeunes des milieux défavorisés.
Bref, les américains bénéficient d'un système social sans doute moins exhaustif que le nôtre mais tout à fait conséquent. Son origine remonte pour l'essentiel à la présidence de Lyndon Johnson qui déclara la "guerre à la pauvreté", car à l'époque, le taux de pauvreté américain atteignait 20%.
Les USA ne sont donc pas l'enfer anti social dénoncé par l'intelligentsia Française.
Ce ne sont pas non plus un exemple d'achèvement libéral. On peut même dire que lorsque les vrais libéraux sont sommés de citer leur modèle par leur contempteurs, ils sont souvent contraints de citer les USA "faute de mieux". Les atteintes aux préceptes libéraux sont assez nombreuses dans ce pays. Certes, la liberté d'expression, d'entreprendre, etc… sont importantes là bas (plus que chez nous, où elles sont pourtant correctes). Toutefois, de nombreuses lois (souvent locales) prétendent encadrer les comportements individuels selon des standards moraux issus de préconceptions religieuses, la répression du commerce des drogues atteint un niveau d'une absurdité sans précédent qui pousse 0,6% de la population (!!!) derrière les barreaux. L'explosion des dépenses sociales sous l'administration Bush n'a rien de très libérale, et la plupart des programmes sociaux cités précédemment connaissent leurs propres dysfonctionnements. Le droit des sols (local et non national aux USA) varie du très libre (ex. Houston) à l'hyper tatillon (ex. San Francisco) et réducteur des droits de propriétés, au point de faire passer notre code de l'urbanisme pour un modèle de simplicité (il faut tout de même le faire !). L'impôt sur le revenu (IRS) est tellement complexe que notre IRPP paraît enfantin en comparaison, et son taux marginal, sans atteindre les 57% français CSG incluse, n'en atteint pas moins environ 40% si on ajoute l'impôt local. Et j'en oublie. Bref, les USA sont indiscutablement plus libéraux que la France, ils n'en restent pas moins libéralement parlant très perfectibles.
Chômage: l'exception Française !
Que ne l'avez vous lu sur tous les écrans de télévision ? le taux de chômage Français se traîne au dessus de 9% depuis 1980 (actuellement 9.8, après avoir connu des pointes à 12), alors que le taux de chômage américain, qui était supérieur à 10% à la fin de l'ère Carter, est durablement resté sous la barre des 7% depuis la fin des années 80. Depuis 1995, ce taux est toujours resté sous les 6%, après avoir passé la barre des 4% brièvement en 2000, il est remonté courant 2003 à 6.4% sous le double effet de la récession liée à l'éclatement de la bulle boursière de la fin des années 90 et des attentats du 11/9, et est redescendu à 5.5 % en juillet 2004.
Plus ennuyeux pour la France, les modes de calcul du chômage des deux pays montrent que les statistiques américaines sont sûrement moins trompeuses. Alors que les chiffres français ignorent plusieurs catégories de demandeurs d'emploi (en savoir plus: ifrap.org), et ne se basent que sur les données liées à l'inscription au chômage, le Bls américain complète les chiffres de l'indemnisation par des enquêtes statistiques mensuelles pour identifier les chômeurs "découragés" ou sortis du système indemnitaire. L'Ifrap estime que de cette façon, le taux de chômage Français est sous-estimé de 2% au minimum.
De même, la durée moyenne du chômage est nettement plus élevée en France. Selon l'OCDE, en 1995 (pas trouvé de chiffre plus récent, désolé), 17% de chômeurs américains l'étaient depuis plus de 6 mois, contre... 69% en France. Ca calme ! En fait, le marché de l'emploi fonctionne très différemment aux USA et en France. Sur le seul mois de juin 2004, 4.1 millions de salariés américains ont quitté leur emploi (la plupart du temps de plein gré, minoritairement suite à un licenciement), et 4.3 millions en ont pris un nouveau (création ou reprise d'un job vacant). Souvent, la reprise d'un nouvel emploi est une occasion d'augmenter son salaire. L'ajustement de la main d'œuvre aux carnets de commande est constant aux USA, et un salarié est plus à même qu'en France de connaître une période de chômage courte. En contrepartie, il est beaucoup moins à même de subir une longue période sans emploi.
Rappelons une fois de plus, au risque de se répéter, que ces performances sont acquises dans un pays ou l'immigration est 4 fois plus élevée qu'en France, et ou 60% de cette immigration se fait à un niveau inférieur au second cycle d'études secondaires, ce qui dans n'importe quel autre pays, serait vécu comme une menace pour l'emploi. La bas, l'intégration des étrangers dans la société par le travail est une réalité.
Alors, lequel des deux stress est le plus difficile à gérer ? celui de devoir se préparer à changer souvent d'emploi, en étant quasiment sûr d'en trouver un rapidement, ou bien une possibilité plus restreinte de se retrouver sans emploi, mais avec un risque fort d'y rester plus longtemps ?
Revenus des ménages
Pour répondre à l'épineuse question qui précède, comparons les revenus moyens des ménages Français et US. Pour éviter tout de suite les pinaillages, notons que les USA recensent 111 millions de ménages, soit 2,58 personnes par ménage, contre 24,5 millions en France, soit 2.49 personnes/ménage. Les éventuelles différences de revenus entre ménages Français et US ne proviennent donc pas d'une différence flagrante dans le nombre de membres composant les foyers.
Tant l'Insee que le census bureau fournissent des statistiques de revenu disponible par ménage après impôts et transferts sociaux. La structure des taxes et des transferts n'étant pas la même, on pourra objecter que les chiffres ne sont pas strictement comparables, et de fait, ils ne le sont pas tout à fait, mais pas de façon déterminante.
La répartition des revenus par groupes de ménages est la suivante:
Revenus par décile | France, Euros | USA, US dollars | France, $ ajusté PPA | écart |
p3 | chiffre non communiqué | 5000 | NC | NC |
p10 | 10410 | 10800 * | 11450 | Fr, +6% |
p20 | 13320 | 17970 | 14652 | USA, +22% |
p40 | 19270 | 33314 | 21197 | USA, +57% |
p50 (médian) | 22620 | 42229 | 24882 | USA +70% |
p60 | 26300 | 53000 | 28930 | USA +83% |
p80 | 36260 | 83500 | 39900 | USA +109% |
P90 | 45880 | NC | 50300 | NC |
p95 | 56440 | 150500 | 62080 | USA +142% |
Pour lire ce tableau : la cote p40 signifie que 40% des ménages Français gagnent moins de 19270 Euros, ou encore 21197 dollars en appliquant mon coefficient de PPA arbitraire de 1.1, alors que 40% des ménages américains gagnent moins de 33 314$ (chiffres 2001).
L'Insee ne donne aucun chiffre permettant de connaître les revenus des tranches inférieures à p10. Le Census Bureau ne donne pas les valeurs p10 mais fournit dans unautre tableau les pourcentages de revenus inférieurs à 5, à 10 et 15 000 US$, soit p3.2, p9.0 et p16, ce qui me permet d'extrapoler un p10 relativement fiable à 10.800 $. Il est vraiment dommage que l'Insee ne fournisse pas p5, la comparaison des valeurs des revenus des gens en situation de grande pauvreté aurait été intéressante.
Toujours est il que, et ce uniquement parce que j'ai arbitrairement multiplié les revenus en Euros par 1.1, ce que d'aucuns trouveront surévalué, seul le seuil des revenus correspondant aux 10% de ménages les plus pauvres est plus élevé en France qu'aux USA, et encore, d'un faible 6%. En revanche, dès la tranche P20, le revenu moyen des ménages US est supérieur, de 22%, et l'écart va croissant pour atteindre un surprenant +70% au niveau du revenu médian, et je ne parlerai pas des tranches supérieures, c'est trop douloureux. Tenez, c'est encore plus parlant avec un graphique fait maison:
En fait, le revenu américain semble passer au dessus du revenu Français "corrigé en PPA par mes soins" vers la zone P11-P12, ce qui veut dire en clair qu'il semblerait que les 11% de ménages français les plus pauvres gagnent plutôt plus que les 11% de ménages les plus pauvres américains, encore que l'on ne puisse en être sûrs vu l'absence de données fournies par l'Insee à ce niveau (mais plausible, minima sociaux obligent), et qu'au dessus, les ménages américains soient plus riches. Et puisqu'on en est à recenser les biais méthodologiques, tous les ménages sont recensés par le Census, alors que l'Insee exclut les ménages dont la personne référente est étudiante, allez savoir pourquoi. (Cela abaisserait sans doute les niveaux des tranches basses, les étudiants étant traditionnellement désargentés).
"certes", me direz vous, "mais pour ce prix, les américains ne sont pas assurés sociaux, ne peuvent pas payer l'école de leurs enfants, etc…". C'est en tout cas l'image que nos mass médias essaient de donner. Là encore, impression trompeuse !
Cela est en fait faux pour les revenus les plus bas. Medicare et Medicaid couvrent à peu près 30% des ménages, à bas revenus. Nous avons vu plus haut que l'école publique scolarisait une large part des enfants, ceux qui envoient leur progéniture dans le privé le font par choix. Sur tous les salaires sont perçus une Payroll Tax finançant un premier étage de retraite par répartition. Et le fait que le choix de l'assurance médicale soit libre pour les revenus moyens et supérieurs permet de choisir des assurances au rapport qualité prix différent, et éventuellement de réorienter les économies réalisées sur ce chapitre vers des postes de dépense jugés plus intéressants. Même en déduisant les coûts d'assurance pour les ménages qui doivent l'acquitter, les revenus (en parité de pouvoir d'achat) d'une immense majorité des américains sont très supérieurs aux nôtres.
Petite digression personnelle: Je vous avoue que quand j'ai vu les chiffres de l'INSEE, j'ai dû me frotter les yeux plusieurs fois pour m'assurer que je ne me trompais pas, tant leur faiblesse m'a, disons, "scotché". Je suppose que les hauts revenus non-salariés sous-déclarent un peu, ce qui abaisse le chiffre produit par l'Insee, basé sur les déclarations de revenus des citoyens...
Vous me direz qu'il est visible, en voyant la courbe, que la société américaine est plus inégalitaire que la nôtre. Inutile de nier, c'est vrai. Je vous répondrais que l'objection serait valable si le revenu des Français pauvres était significativement plus élevé que celui des Américains pauvres, mais visiblement çà n'est pas le cas. Que m'importe l'inégalité si à tous les stades de la population, le revenu est supérieur ? L'inégalité, quelle importance si c'est dans l'opulence ?
Et quand bien même le sort des 12% de pauvres américains serait il moins enviable que celui des 11% de pauvres de l'hexagone (est-ce si sûr ? Il faudra attendre la prochaine note pour le savoir), une société qui procure à 88% de ses membres un pouvoir d'achat supérieur ne remplit elle pas la condition n°1 du progrès social ?
Le lecteur contestataire qui n'aura pas décroché en arrivant ici (bravo, je sais que ça a été dur, servez vous une bonne bière pour récupérer!) me dira que tout ce qui précède est bien joli, mais que "la pauvreté aux USA, c'est atroce, si, si, c'est écrit dans le "Monde Diplo" et "Marianne", les pauvres américains dorment dans les rues dans des abris de carton, la faim, la maladie, maintiennent en état de sous développement des pans entiers de la population, et notamment les noirs, victimes d'une société raciste, etc. Ces clichés que des gens très propres sur eux et fort éduqués propagent dans les soirées mondaines sont ils moindrement fondés ? Et comment la situation des pauvres d'outre atlantique peut elle se comparer à celle de nos pauvre à nous ?
Si la lecture de cette note ne vous a pas gavés au point de virer rageusement ce modeste blog de vos favoris, alors vous le saurez en lisant la prochaine note de la série "libéralisme et progrès social", une terrifiante plongée au coeur de la pauvreté des deux côtés de l'Atlantique. Brrr...
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