C'est "officiel". TF1 l'a claironné, le Monde a repris l'info sans aucun examen critique: l'intervention des troupes américaines et de leurs alliés en Irak a provoqué pas moins de 100.000 victimes civiles. 100.000 ! Une étude publiée par "The lancet"(enregistrement gratuit nécessaire, il y a aussi un PDF plus complet de 8 pages, idem), LA référence en matière médicale, l'atteste. Fermez le ban, la messe est dite. Dans les conversations de salon, les articles de presse, et demain sans doute nos livres d'histoire homologués, vous n'échapperez pas à ce chiffre hautement symbolique (100.000 ! pas 127.500 ou 87.000, non, cent mille, un compte bien rond, bien vendeur médiatiquement...), "ces enculés d'américains ont tué 100.000 civils irakiens pendant leur guerre de merde" (j'allais oublier: "pour voler le pétrole"). Et malheur à l'hérétique qui osera contester ce chiffre. Au pays de la pensée unique, les gardiens du temple politiquement correct s'empresseront de le ridiculiser, de brûler ses paroles, de lancer des fatwas contre l'impudent. Maintenant que c'est repris par Le Monde et le JT, mon bon monsieur, c'est "LA" vérité. Point barre.
Quel grand média hexagonal s'est demandé pourquoi une telle étude paraissait 5 jours avant l'élection américaine ? aucun.
Quelle télévision de notre beau pays a eu la perspicacité de noter que les précédentes estimations conduites par les activistes très anti-guerre d'Iraqbodycount situaient le nombre de vitimes civiles du conflit entre 14.000 et 16.000 ? Aucune à ma connaissance. Certes, 15.000 morts civiles sont déjà un chiffre conséquent. Certains pensent qu'il est légèrement sous évalué - je ne suis pas d'accord sur ce point, j'y reviendrai...
15.000 morts, ce n'est pas qu'un chiffre brut, ce sont 15.000 personnes que tout être censé aurait préféré ne pas voir mourrir pendant une guerre. Bien entendu, toutes les sensibilités par rapport à cette donnée sont envisageables. Certains diront que 15.000 morts, c'est beaucoup trop, d'autres diront que par rapport à d'autres conflits, c'est "peu" dans le cadre d'une guerre aboutissant à la libération d'un pays d'une dictature des plus brutales. D'autres rappelleront que l'alternative à ces 15.000 morts (en 18 mois) n'était pas une vie paisible pour le peuple Irakien mais un nombre annuel de morts au minimum équivalent, et sans doute supérieur en rythme moyen (toujours cette froideur des statistiques...) dues à la répression sans pitié menée par le régime de Saddam Hussein contre toute forme de dissidence, réelle ou seulement présupposée. Quelque soit l'option choisie par les USA et leurs alliés à l'aube de l'année 2003, une seule chose était certaine, c'est que le spectre de la mort violente ne disparaitrait pas du jour au lendemain du paysage irakien. Et jusqu'ici, donc, "on" estimait que 15.000 personnes civiles avaient trouvé la mort du fait du conflit.
15.000, ce n'était sans doute pas assez pour certains. Alors curieusement, à 5 jours des élections américaines, un gros pavé est lancé dans la médiasphère. 100.000 morts, pour la plupart imputées à la coalition. Dresde. Le Vietnam. Le Nicaragua... Nagasaki. La source choisie par les auteurs de l'étude pour diffuser leurs "travaux" ? The Lancet. Prestige. Rigueur. Inattaquable. Effet assuré. Manchettes. Gros titres au JT. Opinions marquées au fer rouge de l'anti-Bushisme-américanisme primaire. "Ce Bush, quel salaud. Ces américains, quels bouchers."
Seul problème: l'étude en question est scientifiquement totalement biaisée, et les auteurs n'ont accepté de la livrer au ''Lancet'' que si celui ci s'engageait à la publier juste avant les élections.
Affabulations d'un pro-intervention aigri ? Non. Plusieurs réfutations méthodologiques sont déjà publiées de sources diverses. Certes, la première, issue du groupe d'universitaires très libéral (au sens européen) et usuellement pro-bushiste sur la question de l'Irak (moins sur d'autres) des Chicago Boy'z, vous semblera de peu de poids, encore qu'elle soit rigoureusement valide d'un point de vue mathématique. De même ceux qui voient l'emprise des néo-conservateurs partout balaieront d'un simple revers de manche cet article du trop partisan "techcentralstation", bien que cette publication soit, à mon avis, un modèle de sérieux.
Mais lorsque le magazine non partisan en ligne "Slate", souvent critique vis à vis de G.W.Bush lorsqu'il l'estime nécessaire, publie une démolition parfaitement argumentée de l'étude, voila qui change la donne, surtout quand on sait que Fred Kaplan, son auteur, ne se prive pas de "casser du Bush" par ailleurs (exemple). Que cette démonstration soit approuvée par plusieurs blogueurs américains de gauche dont certains très populaires, comme le très anti-Bush journaliste Mark Cooper, qui a déjà couvert des conflits sanglants, cela exige examen. Que peut on repprocher à cette étude d'un point de vue scientifique ?
Pour ceux qui n'ont pas la patience de lire les trois articles sus-mentionnés, je résume rapidement:
- La méthodologie retenue, souvent utilisée dans le cadre de l'étude de phénomènes épidémiologique à distribution relativement homogène, ne l'est pas dans le cas de phénomènes à distribution très hétérogène comme les dommages de guerre menées selon l'approche moderne des frappes ciblées. Extrapoler sur tout le territoire des chiffres de mortalité issus de territoires fortement ciconscrits ne peut conduire qu'à des erreurs de magnitude élevée.
- Si on enlève la zone de Fallujah, où les combats furent violents, et où 52 des 73 morts violentes de l'étude ont été comptabilisées, seules 21 morts "attribuées à l'intervention" ont été relevées dans 14 des 32 autres clusters étudiés. Cela veut donc dire que l'on a relevé dans 18 clusters zéro morts violentes, dans la plupart des 14 autres clusters 1 (le plus souvent) ou 2 morts. Voila qui apporte de l'eau au moulin de la démonstration des universitaires de Chicago: on ne peut, sur des nombres aussi faibles, effectuer des extrapolations sur tout le territoire Irakien. Une erreur d'une seule unité dans un, voire plusieurs clusters, entraîne de facto une chute de fiabilité de toute l'enquête. La question est donc de savoir si le reporting des morts avant et après l'intervention est fondé. Or justement...
- ...Les morts recensées l'ont été sur des bases déclaratives , mais les vérifications semblent avoir été sommaires, non pas tant sur la réalité des décès cités (l'étude affirme que 81% des certificats de décès ont été présentés) que sur la cause réelle à laquelle la mort est imputée. Or, ...
- ...Sur chacune des 33 zones ("clusters") de l'enquête, 30 familles ont été interviewées, 988 ont répondu. Sachant qu'il existe dans certaines zones un "certain pourcentage" minoritaire selon les sondages, mais non négligeables, de familles opposées à l'intervention, il est tout à fait possible que les déclarations de certaines de ces familles aient exagéré le nombre de morts imputables à la violence, ou aient omis de signaler des morts antérieures à l'intervention (comment vérifier une mort non déclarée ?). Dans des zones ou seulement une, voire deux morts violentes ont été reportées après l'intervention, une telle incertitude sur la fiabilité des déclarations laisse songeur.
- Les auteurs de l'étude savent parfaitement que la fiabilité de leurs chiffres est douteuse, puisqu'ils affirment que "en excluant l'anomalie statistique que constitue Fallujah, le risque mortel a augmenté dans une proportion de 1.5 (1.1-2.3 CI95%), et que le nombre de décès supplémentaires par rapport à ce qu'auraient été ces décès sans intervention est de 98.000 (8.000-194.000 CI 95%)". Chaque mot est important. Cela veut dire que les chiffres obtenus permettent seulement d'affirmer que il y a 95% de certitudes (CI= intervalle de confiance) que le nombre de morts civiles occasionnées par le conflit se situe entre 8.000 et 194.000 soit un rapport de 1 à... 24 (!) entre les fourchettes basse et haute ! Ahem! Idem pour le risque de mortalité qui aurait selon l'étude augmenté de 10 à 130% (1.1 à 2.3, facteur d'incertitude de 1 à 13 !). L'étude se contente d'affirmer que la moyenne des extrêmes constitue une "supposition conservatrice", c'est à dire une fourchette basse, du nombre de morts réelles, hors Fallujah, mais ne donne rigoureusement aucune réponse sérieuse sur le choix de la moyenne comme valeur la plus probable au sein de l'intervalle de confiance. Un peu comme si un sondeur avait déclaré avant les dernières présidentielles françaises que le score de Jean Marie Le Pen se situerait entre 4 et 96% (1 à 24...) aux élections de 2002 avec 95% de certitude (belle prise de risque !), et en aurait déduit que son score le plus problable se situait à la moyenne de ces eux extrêmes, soit 50%. Quel commentateur aurait accordé du crédit à de telles "déductions" ? c'est pourtant un raisonnement rigoureusement similaire qui nous est servi ici. De qui se moque-t-on ?
- Une façon plus honnête d'énoncer de tels résultats eut été de dire que compte tenu de l'étendue des fourchettes relevées, et de l'importance des facteurs d'incertitudes trouvés, aucune conclusion fiable ne pouvait être tirée de l'étude. Mais les auteurs n'ont pas hésité à affirmer que le nombre de morts civiles imputables au conflit était de 100.000, et ont signalé de façon parfaitement accessoire et non intelligible pour une personne n'entendant rien aux statistiques (soit entre 92 et 99.5% de la population - CI 90%, selon mon pifomètre) que les chiffres obtenus étaient aussi précis que les comptes d'Enron. sachant que le médecin ayant supervisé l'étude (Dr Roberts, de John Hopkins) a été, selon plusieurs commentateurs, un activiste anti intervention particulièrement engagé, la parution de conclusions aussi légèrement étayées en des termes aussi péremptoires à 5 jours de l'élection américaine relève très probablement d'une opération de propagande que l'on pourrait qualifier de grotesque si le sujet n'en était pas aussi grave.
- Le biais pourrait encore être plus important. En effet, l'étude déduit de son enquête une mortalité "avant" et "après" intervention. Or, la mortalité infantile citée par l'étude avant intervention est très inférieure à celle calculée entre 1994 et 1999 par l'UNICEF (voir les conclusions de l'étude), fondée sur un échantillon 40 fois plus important (40.000 foyers) que celui de l'équipe Roberts. Si l'étude Roberts a, sciemment ou non, sous-estimé la mortalité avant intervention, alors elle a de facto surestimé la fourchette dans laquelle se situe l'augmentation du risque mortel (1.1-2.3) depuis le début de l'intervention. Il se pourrait même que la fourchette basse se situe à moins de 1, ce qui laisserait une probabilité non nulle que ce risque soit inférieur à ce qu'il était avant l'intervention.
- Encore une incohérence: sachant que les militaires estiment en général à 3 pour un la proportion de blessés par rapport à celles des tués dans des opérations de bombardement "aveugle", où sont donc les environ 300.000 blessés que les hopitaux auraient dû soigner suite aux opérations ayant soit-disant causé ces 100.000 morts ? comment se fait il qu'aucun de ces "grands médias" pourtant friand d'éléments à charge contre l'amérique honnie n'ait évoqué un raz de marée de blessés de guerre dans les hopitaux irakiens ?
Face à une telle accumulation d'incertitudes, une chercheuse de l'université de Yale, Mme Daponte, chargée par F.Kaplan, cité plus haut, d'évaluer l'étude, a déclaré "diplomatiquement" selon les termes de l'analyste, que:
"It attests to the difficulty of doing this sort of survey work during a war. … No one can come up with any credible estimates yet, at least not through the sorts of methods used here."
Mme Daponte ne peut être suspectée de sympathies Bushistes exagérées: c'est elle qui en 1991 avait révisé à la hausse les estimations selon elles trop basses qu'un certain Dick Cheney avait diffusées, à propos du nombre de vicitmes de la première guerre du Golfe.
Gageons que ni le Monde ni TF1 ni aucun des autres médias ne se fendront du moindre communiqué de rectification si cette nouvelle affaire de bidonnage venait à prendre de l'ampleur. Pas plus qu'ils ne s'étendent sur le "Rathergate", ou sur la corruption de plusieurs personnalités françaises proche du pouvoir dans le scandale "oil for food" initialement révélé par le quotidien Irakien Al Mada. Dormez tranquilles, chers lecteurs, ce ne sont pas les quelques blogs archi confidentiels qui osent remettre en doute la parole de nos médias soi disant "de référence" qui changeront quoi que ce soit à la croyance désormais ancrée dans l'esprit de la majorité. répétez tous en choeur, s'il vous plait: "l'intervention alliée, au bout de 18 mois, à causé au moins 100.000 morts".
Pour ma part, je m'en tiendrais au chiffre de l'IraqBodyCount (14-16.000), basé sur un recensement exhaustif des décès rapportés par les médias sur place. Concernant les terribles combats qui se sont déroulés en avril à Fallujah, l'IBC estime me nombre de morts civiles entre 572 et 616. Même si ce chiffre est élevé dans l'absolu, on ne voit pas comment, avec moins de 1000 décès civils survenus lors des combats les plus durs entre les forces alliées et les milices anti-démocratiques, il serait possible d'extrapoler 100.000 morts ou plus sur le territoire irakien alors que l'immense majorité de ce territoire est aujourd'hui revenu au calme, l'essentiel des heurts étant de plus faible intensité et se produisant dans quelques zones bien définies (triangle sunnite Bagdad-tikrit Fallujah, et najaf).
Certains estiment que le nombre de victimes réelles est sans doute un peu plus élevé, car certains décès peuvent avoir échappé au médias. Ils parlent d'une possibilité d'atteindre 20, voire 25.000, voire 30.000 morts maximo-maximorum, ce qui serait déjà un chiffre susceptible de choquer en lui même. La remarque est tout à fait valide.
Ceci dit, ces commentateurs oublient de préciser que souvent, dans ce type de conflit, le recomptage "à froid" des victimes effectué une fois le calme revenu et la liberté d'enquêter assurée, abaisse parfois le nombre de victimes réelles par rapport aux premières annonces médiatiques. Ainsi, Mark Cooper, encore lui, rappelle que l'intervention américaine (déjà) à Panama avait été estimée à 4.000 morts au moment du conflit, alors que le décompte réel final est ressorti à 500. On pourrait aussi se remémorer des exemples célèbres de Timisoara, ou de Jénine. Dans ce dernier cas, une intervention de l'armée Israélienne contre des terroristes retranchés dans un camp de réfugiés avait suscité des rapports parlant de plusieurs centaines de morts civiles. Un décompte de l'ONU a montré que le nombre de morts totales était de 52, pour la plupart des terroristes et leurs complices. On peut donc supposer qu'il existe une possibilité non négligeable que certains rapports médiatiques des violences en Iraq surestiment, volontairement ou non, le nombre réel de victimes. Dans quelle mesure cela affaectera-t-til à la baisse les chiffres de l'IBC ? Seule l'histoire le dira.
Certains diront qu'entre 15.000 et 100.000 morts, il n'y a guère de différence, (sauf pour les 85.000 qui ne sont pas morts !) et que cela discrédite de toute façon le bien fondé de l'opération. Libre à eux d'oublier que la mort violente administrée en masse était une composante essentielle de la tyrannie exercée par Saddam sur son peuple, et que si l'Irak démocratique parvient à stabiliser ses fondations, il existe un espoir réel de voir ce cycle mortifère s'achever, ce qui n'aurait pas été le cas si Saddam était resté en place. Il ne s'agit pas ici de tenir une simple comptabilité macabre, mais de tenter si possible de s'opposer à une énième tentative de désinformation anti-américaine qui ne pourra qu'affaiblir, si elle s'avère réussie, la seule puissance capable de mener une nécessaire lutte contre des organisations terroristes de plus en plus meurtrières et les gouvernements qui les soutiennent.
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<mise à jour>Trouvé encore une autre très intéressante déconstruction de "l'étude" du Lancet. Entre autres constats, le fait que des bombardements aveugles auraient tué à peu près autant d'hommes que de femmes, alors que l'essentiel des victimes relevées par l'étude sont des hommes en âge de combattre, pourrait signifier que l'enquête n'a pas su (ou voulu ?) faire de différence entre les morts civiles ("dommages collatéraux") et les morts de terroristes anti-démocratie, euh, pardon, de résistants à l'invasion impérialiste.</mise à jour >
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