France, ton industrie souffre, ton industrie se meurt, mais rassure toi, l’état va y remédier. Puisque tout le monde, de droite et de gauche, semble admettre que l’innovation est la clé du maintien de capacités industrielles en France, l’état va aider l’innovation. Et en plus, les régions peuvent en rajouter une couche. Elle n’est pas belle, la vie ?
Entre autres dispositifs, l’état a mis en uvre un statut de la jeune entreprise innovante (JEI), visant à permettre diverses déductions fiscales pour les entreprises remplissant un certain nombre de critères. Vous pouvez voir à la fin de cette ancienne note ce qu’un vrai professionnel de l’innovation en pense.
Pour ne pas être en reste, certaines régions ont mis en uvre des dispositifs complémentaires dont un exemple peut être lu ici. Mais ces dispositifs sont peu de choses par rapport à la "grande politique industrielle" que semblent nous concocter nos dirigeants, censée détecter et promouvoir les projets champions de l'innovation technologique de demain...
Je ne reviendrai pas sur le caractère extrêmement pervers de toute aide sectorielle. J’en ai déjà suffisamment parlé sur ce blog (exemples : ici, ici, là), et pour ceux qui découvrent, je me bornerai à rappeler qu’à une aide sectorielle, correspond un impôt prélevé sur d’autres pour la financer, que déshabiller Pierre pour habiller Paul ne crée pas de valeur mais ne fait que la déplacer, constitue une distorsion de concurrence, et qu’il vaudrait mieux diminuer toutes les charges pesant sur toutes les entreprises, fut-ce faiblement, que de créer une aide accessible à seulement une minorité d’entre elles, financée sur le dos des autres.
Non, ce qui me préoccupe, c’est l’existence, dans l’esprit de nos équipes dirigeantes, d’une frontière entre les entreprises "innovantes", et les autres, dont on peut supposer par opposition qu’elles ne le sont pas. Et que l’on veuille sur ce critère financer certaines entreprises au détriment des autres.
C’est un grave contresens.
Car l’innovation, ce n’est pas seulement inventer les produits et procédés de fabrication de demain, ceux qui font rêver l’énarque et le chaland dans les émissions spécialisées ou dans la rubrique high-tech du JT. C’est aussi adapter constamment les services et produits (et leurs moyens de production) actuels aux goûts de la clientèle, et aux progrès de la concurrence. C’est utiliser au mieux les innovations produites par d’autres dans son activité pour améliorer son offre et séduire de nouveaux clients. Même des entreprises très traditionnelles, anciennes, établies dans des secteurs aussi peu nouveaux que la distribution, la restauration, le textile ou l’agro-alimentaire, liste non exhaustive, innovent régulièrement, ou disparaissent.
Prenons un exemple parmi des millions: l’entreprise qui a mis au point la première carte à puce aurait sûrement été considérée en son temps comme innovante sur la base des critères bureaucratiques énoncés dans le statut de JEI. En revanche, celle qui aurait la première mise en place des terminaux de paiement adaptés à ses caisses pour permettre aux clients un meilleur service ne l’aurait pas été. Pourtant, n’a-t-elle pas innové elle aussi ? L’impact de l’invention de la carte à puce aurait il été le même s’il ne s’était trouvé des industries et services classiques pour croire au potentiel de cette invention ? Auchan, la BNP et leurs confrères ont-t-ils été en l’occurrence moins innovateurs que Gemplus ?
L’innovation n’est pas cantonnée à quelques entreprises visiblement inventives. Elle est inscrite dans les gênes de toutes les entreprises qui survivent et se développent, même si elle revêt des aspects souvent moins spectaculaires que ceux qui retiennent l’attention de nos bureaucrates et des médias de masse.
Aux USA, pendant la décennie 90, marquée par l’explosion des innovations dans le domaine des technologies de l’information, il s’est créé beaucoup plus d’emplois dans les services traditionnels que dans les entreprises dites de pointe. Les entreprises dites classiques ont su elles aussi utiliser les innovations des autres pour se développer, et le climat économique favorable ainsi engendré a rejailli sur toute l’économie, la « nouvelle » comme la traditionnelle.
"Ne faut il pas aider les entreprises qui innovent ", vous demanderez vous tout de même ? Et vous aurez raison, car après tout, l’innovation est effectivement le moteur de l’accroissement de notre richesse depuis la nuit des temps.
Mais favoriser ne signifie pas nécessairement aider avec l'argent des contribuables. Innover coûte cher, en études et en investissements productifs. Aussi le meilleur moyen d’aider toutes les entreprises à innover, est de réduire drastiquement tous les prélèvements effectués sur la valeur ajoutée qu’elles produisent, tant en charges sur les salaires qu’en impôts et taxes divers. Et pour cela, il faut réduire fortement le périmètre des dépenses publiques, et donc des interventions étatiques, dans la vie économique du pays. On en revient toujours au même problème fondamental.
Mais allez donc expliquer cela à nos chers politiciens
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