"Comment réformer l'état "? Telle est une des questions récurrentes qui alimente notre débat politique, et en réponse à laquelle Jean françois Copé, ministre en charge de ladite réforme, vient d'annoncer un énième train de mesure(tte)s.
Tout observateur objectif de la société française, qu'il soit libéral ou non, ne peut que constater la perte d'efficience et l'impotence croissante de l'état français, qui augmente les dépenses sociales sans résoudre aucun problème "social", qui est de plus en plus incapable de faire respecter les lois fondamentales, celles qui protègent la vie et la propriété des gens honnêtes contre les prédateurs de tous ordres, et dont les comptes, après trente années de déficits, sont tellement dégradés que le seul impôt sur le revenu ne sert qu'à payer les intérêts d'une dette dont l'augmentation incontrôlable laisse craindre à certains experts qu'elle ne devienne à haut risque sous peu.
L'opinion la plus couramment répandue dans les cercles dirigeants est que l'état doit être réformé dans son fonctionnement pour le rendre plus efficace, c'est à dire simultanément réduire les coûts de gestion internes des services proposés tout en augmentant l'impact de ces services. Et l'une des pistes consensuelles évoquées par les gouvernements successifs pour atteindre cet objectif est de promouvoir un meilleur usage des "nouvelles" technologies de l'information (NTI) par l'administration afin d'améliorer le rapport qualité prix de ses prestations à l'usager. Les annonces de JF Copé vont en ce sens.
Certes, on ne pourra pas nier que de tels progrès puissent avoir des effets positifs. Mais la foi dans le progrès technologique comme solution aux problèmes de l'état malade est au minimum exagérée, au pire pernicieuse. Sans réformes politiques bien plus profondes que celles nécessaires à la mise en oeuvre d'une e-administration performante, l'e-état ne sera pas plus bénéfique demain pour le citoyen que l'état ne l'est aujourd'hui.
Selon certains optimistes, les gains de productivité rendus possibles par l'e-administration dans les 20 prochaines années pourraient reléguer nos déficits récurrents au rang de vieux souvenirs tout justes bons à provoquer de franches rigolades dans les dîners mondains de notre Jet Set politique. L'exemple de certains pays comme le Canada, où l'e-administration avance vite, est fréquemment invoqué pour justifier cette prédiction, en faisant fi des réformes politiques menées conjointement par ce pays pour assainir ses finances.
Cette croyance n'est hélas pas corroborée par notre passé. Nul ne peut nier que les progrès technologiques que l'administration française a connus depuis 1900 n'aient été exceptionnels: révolution automobile, électrification, télécommunications, ordinateurs individuels, et j'en passe, toutes ces inventions qui portent la marque du XX-ème siècle ont transformé en profondeur le fonctionnement administratif. Pourtant, je doute que l'administration d'aujourd'hui soit considérée comme plus performante qu'elle ne l'était par nos aïeux au début du siècle dernier. Et les déficits publics étaient inconnus en ces temps. Si l'intégration de nouvelles technologies pouvait à elle seule rendre l'administration plus désirable et plus à même de résoudre les problèmes des individus, cela se serait remarqué. Ce n'est visiblement pas le cas.
Les déficits publics et le rapport coût/prestations défavorables de l'état Français ne sont pas essentiellement liés à une appropriation médiocre des technologies modernes. Cette cause n'est que très secondaire. Ils résultent à la fois de choix politiques opérés par des politiciens rarement bien inspirés et dont la propension à rechercher l'effet d'annonce démagogique est avérée, et de la sociologie interne au service public français dont les membres sont surprotégés de toute forme de pression concurrentielle. Plaquer la lettre "e" sur le dinosaure étatique dans son état actuel n'en fera pas un cheval de course.
Paraphrasant Ronald Reagan, l'on peut affirmer que "l'e-administration n'a pas la solution à nos problèmes, l'administration est le problème !"
Quelques exemples: L'e-administration est supposée économiser du temps aux administrés en terme de déplacement. Nous pouvons déclarer nos impôts en ligne, les payer en ligne, recevoir de façon automatisée nos contraventions pour excès de vitesse (quant il s'agit de nous ponctionner, l'e-administration avance très vite !) et demain nous pourrons consulter en ligne tous les règlements d'urbanisme relatifs à une parcelle donnée ou déposer en ligne un permis de construire. Naturellement, nous pourrons demander en ligne toutes sortes d'aides et de subventions, et des systèmes experts nous aideront à définir la procédure qui est adaptée à notre cas en nous posant des questions en bon Français, pour savoir si telle somme est déductible, si tel revenu doit être pris en compte... Lorsque la question à traiter sera trop ardue pour le système expert en ligne, un simple clic nous permettra d'être en ligne avec un télé conseiller expert via vidéo-chat et de renseigner les derniers points obscurs de notre demande administrative. En outre, tout justificatif délivré par une administration pourra alimenter notre "banque personnelle de justificatifs numériques certifiés" en attestations de bon paiement des impôts, de domicile, etc..., attestations que nous pourrons d'un simple clic faire connaître à toute administration ou organisme privé tiers qui en ferait la demande.
Aucun des points évoqués ci dessus ne relève de la science fiction dans un avenir proche d'un point de vue technologique. Les obstacles sociologiques à lever pour faire collaborer les diverses chapelles administratives sont autrement plus lourds, mais admettons qu'ils soient surmontables. Indiscutablement, le citoyen maîtrisant l'usage des procédures en ligne y trouvera un certain confort.
Et alors ? La vie du citoyen dans notre pays merveilleux sera-elle plus désirable ? Les systèmes experts capables de traiter les 30.000 pages du code général des impôts (à supposer qu'ils le fassent sans erreur...) pourront ils vous faire oublier la lourdeur et la perversité des réglementations sous-jacentes et le niveau marginal de votre pression fiscale, alors qu'un nombres croissant de pays se seront convertis à la Flat Tax, supprimant tout recours à quelque système expert que ce soit ? Votre télé-conseiller fiscal sera-t-il plus amène si sa culture d'entreprise (façon de parler !) le pousse à vous considérer comme un "assujetti" ? Aurez vous confiance en lui si vos questions déclenchent dans son esprit procédurier une irrésistible envie de déclencher un contrôle fiscal ?
Etes vous satisfaits qu'un semblant de justice expéditive vous permette de payer vos contraventions pour excès de vitesse avec... célérité, quand la justice ordinaire ne fait même pas exécuter leurs peines à plus d'un tiers des "petits" délinquants qui pourrissent votre vie quotidienne, et encore, on ne parle que de ceux qu'elle arrive à traduire en jugement après des années de procédures ?
Votre permis de construire déposé et suivi en ligne sera-t-il instruit de façon moins tatillonne par vos mairies, cela empêchera-t-il que l'on vous réponde que "vous ne pouvez pas créer un plancher dans votre grange pour la transformer en habitation car vous êtes en zone agricole et l'extension de votre bâtiment représente plus de 30% de sa SHOB, -à moins qu'il ne s'agisse de sa SHON, ce qui change tout !- et vous dépassez le COS admis sur le territoire communal, et compte tenu des périmètres de protection des monuments historiques dans lesquels vous vous situez, votre bâti n'a pas les caractéristiques requises par l'architecte des bâtiments de France pour être accepté en tant qu'habitation" ? Le marché immobilier aujourd'hui tellement renchéri par toutes les réglementations absurdes qui le contraignent sera-t-il rendu plus accessible aux ménages modestes ? Votre charge de remboursement d'emprunt sur 25 ou 30 ans sera-t-elle plus supportable ?
Les subventions que vous demanderez et obtiendrez si facilement en ligne auront-elles le moindre effet bénéfique global sur l'économie, alors que les impôts chargés de les financer ne seront que plus lourds ? Quand tout le monde sera subventionné aux dépens de tout le monde, serez vous plus riches ?
Y-aura-t-il demain moins de chômage grâce à l'administration électronique ?
Rêves de technocrates que tout cela. Sans réforme politique de fond, l'e-administration n'est qu'un cautère sur une prothèse de la jambe.
Au contraire, la possibilité d'inclure de nouvelles règles dans des procédures électroniques prétendument simples pourra inciter les décideurs publics à empiler de nouvelles couches d'interventions plus ineptes les unes que les autres. "Comment ça, notre dispositif est complexe ? Mais monsieur, il est accessible en ligne, et le système expert vous mâche le travail !".
Il y a pire. Le fonctionnement d'une telle entité suppose que de très nombreuses bases de données administratives vous concernant soient inter connectées. Ce qui signifie que des institutions aussi démocratiquement discutables que les renseignements généraux ou toute résurgence des cellules d'écoute élyséennes chères à un ancien président puissent d'un simple clic, et en dehors de toute procédure judiciaire, accéder aux moindres détails de votre vie. Dans un état aussi démocratiquement déficitaire que le notre, où le contrôle fiscal est utilisé comme une arme de dissuasion absolue contre de simples citoyens au seul motif qu'ils militent contre l'application aveugle de l'ISF dans l'île de Ré ou enquêtent sur le vrai train de vie et celui des maîtresses de tel ou tel homme politique, où des associations libérales sont placées sous la surveillance des RG pour des motifs qui restent à élucider, et où les hommes politiques se votent des lois sur mesure pour empêcher la justice de démêler l'écheveau de leurs vols et turpitudes, veut on réellement que l'administration dispose d'une telle puissance technologique, qu'elle pourrait utiliser d'abord pour nuire aux libertés essentielles des citoyens ? Qui peut croire sans pouffer qu'il suffira "d'associer la CNIL aux réflexions sur la mise en oeuvre de l'e-administration" pour empêcher de telles dérives ?
Non, décidément, dans la France d'aujourd'hui, l'e-administration est tout sauf une panacée. Il conviendrait que cette évolution technologique inéluctable s'accompagne d'une profonde évolution politique si l'on veut que la saveur de ses fruits ne soit par trop amère.
Tout d'abord, il est urgent de redonner à la France des institutions capables d'obliger les puissants, c'est à dire l'état et les entrepreneurs qui se servent de lui pour s'arroger des protections indues, à rendre des comptes à tout citoyen dont il aurait violé les droits fondamentaux. Cela signifie une justice plus rapide et appliquant moins de lois dont le principe serait compréhensible par tout un chacun. Cela suppose que de vrais moyens de contrôle sur l'état soient donnés à la société civile, qu'une vraie obligation de transparence publique assortie de sanctions effectives en cas de non respect soit mise en oeuvre. Cela suppose qu'aucune voie de fait publique ne puisse être imposée, par le simple fait du prince ou de ses zélotes, à un citoyen en dehors d'une procédure judiciaire motivée par de sérieux soupçons. Sans quoi, le rêve d'administration « sans douleur » de certains tournera au cauchemar Orwellien.
Cela suppose en outre que les organismes chargés de prodiguer des services aujourd'hui en position de quasi monopole public (éducation, santé, assurance vieillesse, pour ne parler que de ceux là) soient placés en situation de concurrence, si possible au niveau mondial, et ne tirent leurs ressources que de leur capacité à séduire des clients et non à soumettre des assujettis, et soient donc de facto privatisés, quitte à ce que les foyers aux revenus les plus faibles touchent un complément de revenu pour financer les plus indispensables d'entre eux, sous forme de chèque éducation, de bons d'assurance divers. Les grandes bureaucraties gestionnaires de ces services publics pourront être démantelées au profit d'entités privées de taille raisonnable, dotées d'une forte capacité d'adaptation pour survivre dans un environnement concurrentiel, et étant donc fortement incitées à utiliser les capacités des technologies de l'information pour proposer de nouveaux services réellement novateurs et souhaités par les clients.
Il convient que les droits de propriété des personnes soient renforcés par la loi au détriment de ceux accordés à l'état, et que ce droit soit étendu aux données personnelles, qui doivent être intégralement placées sous le contrôle de chaque personne, qui doit être totalement libre d'en autoriser ou non l'accès. Il convient que le seul rôle assigné à l'état, sous le contrôle de tous les instants de la société civile, soit de garantir ces droits de propriété, et qu'on ne lui demande pas en plus de faire notre bonheur tel que ses représentants l'ont imaginé pour nous. Il est urgent que tout notre système juridico-légal soit repensé avec le souci d'éviter au maximum tout besoin d'interférence entre l'individu respectueux des lois et l'état, et donc tout besoin de procédure consommant de façon indue le temps libre dont dispose l'individu au profit du secteur public.
Ce n'est qu'à toutes ces conditions, totalement incompatibles avec les institutions de l'actuelle Vème république, que les bienfaits de la réforme de l'état seront perceptibles par le plus grand nombre.
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