texte repris par l'Institut Turgot et l'institut Hayek.
Le toujours excellent Yves de Kerdrel affirme dans les colonnes du Figaro que "Jean-Luc Mélenchon (...) et quelques autres tribuns de la Rue de Solférino ne veulent pas entendre parler de l'endettement public, expliquant avec nonchalance que de toute manière, l'état ne rembourse jamais ses dettes".
De tels raisonnement tenus par des gens qui prétendent occuper le pouvoir en 2007 font froid dans le dos.
Naturellement, l'"explication nonchalante" de Mélenchon constitue un contresens grave. Plusieurs fois par an, des emprunts d'état Français arrivent à échéance. Pour rembourser ces emprunts, l'état émet, dans les jours immédiatement précédents, de nouveaux emprunts (OAT, Obligations Assimilables du Trésor, ou BTAN, Bons du Trésor à intérêt annuel) d'un montant équivalent, qu'il émet par enchères négatives: les emprunts sont placés auprès des investisseurs qui demandent le taux d'intérêt le plus faible. En outre, ces emprunts destinés à couvrir l'amortissement de la dette "ancienne" sont complétés par de nouveaux emprunts eux mêmes destinés à financer les déficits publics accumulés depuis 1974. Voilà pourquoi la dette a été multipliée par 7 à monnaie constante depuis cette date, pour atteindre plus de 1100 Milliards d'Euros. Les intérêts de cette dette sont intégrés au budget de l'état, dont ils constituent le second poste de dépenses.
Parce que la dette Française est pour l'heure considérée comme totalement sûre par les intermédiaires financiers, ce qui veut dire que ceux ci n'ont aucune inquiétude sur la capacité de la France à respecter ses échéances, les émissions d'emprunts françaises sont souscrites à des taux relativement faibles (un peu moins de 4% pour des emprunts à 15 ans et au delà): à risque faible, taux raisonnable, à risque élevé, rémunération élevée.
C'est donc bien parce que l'état français met un point d'honneur à rembourser sa dette passée qu'il peut se permettre non seulement de ne pas en diminuer le montant total, mais aussi de l'augmenter sans fin, ce qui donne aux Mélenchons et autres politiciens économiquement incultes de ce pays l'illusion qu'il ne la rembourse pas.
Cette situation est elle immuable, comme certains le croient encore ? Rien n'est moins sûr.
En effet, il est faux de croire qu'un état, fut il occidental et moderne, est à l'abri de se retrouver en situation de banqueroute, c'est à dire dans l'incapacité d'honorer ses échéances. La Suède s'est retrouvée dans cette situation en 1993. A la suite d'une récession économique en 1990, les rentrées fiscales ont soudainement chuté alors que les dépenses de prestations sociales dues par l'état et les collectivités ont explosé, amenant le déficit public annuel à 12% du PIB ! Baisse brutale des recettes, hausse soudaine des dépenses: c'est ce que les spécialistes appellent un « effet ciseau » sur la trésorerie publique, phénomène particulièrement redoutable.
De fait, l'état suédois avait dû annoncer des difficultés de trésorerie importantes. Les créanciers de l'état suédois avaient alors pris peur et massivement soldé leurs titres de créances en couronne suédoise, provoquant une forte pression à la baisse de la devise locale, alors que les rares prêteurs encore disposés à apporter des fonds à un débiteur soudainement considéré comme peu fiable avaient exigé une rémunération de leurs prêts absolument prohibitive, à plus de 70% ! La banque centrale suédoise n'avait eu alors comme autre ressource que de dévaluer massivement la monnaie nationale de plus de 30%, et donc de réduire d'autant sa dette, spoliant de facto ses créanciers, et appauvrissant brutalement le peuple suédois, fortement importateur de produits de consommation courante soudainement renchéris d'autant. Pour stopper cette spirale infernale d'endettement-dévaluation, l'état suédois dut privatiser les postes, l'électricité, les chemins de fer, abolir la sécurité de l'emploi de la fonction publique et licencier plus d'un tiers de ses effectifs, suivi en cela par les collectivités locales, il instaura une variante du chèque éducation, obligeant les mauvaises écoles à se réformer ou à disparaître, et les mauvais enseignants à changer de métier. Pour un peuple habitué à vivre sous anesthésique social-démocrate, cette potion libérale aurait pu sembler amère: c'est pourtant un gouvernement social démocrate qui l'a en grande partie prescrite et administrée, parce qu'il n'avait pas le choix, en plein accord avec les syndicats, dont la base avait compris qu'elle ne pouvait plus acheter du faux progrès social indéfiniment à crédit. Ceci dit, si les gouvernements de gauche ont fait juste ce qu'il fallait pour remettre le pays sur le chemin d'une croissance molle mais saine, il n'a pas poussé jusqu'au bout la logique de libéralisation de la société de la tutelle étatique. Aussi les suédois ont récemment choisi d'accentuer leur virage libéral en élisant en septembre dernier une coalition de centre droit, dont l'objectif est clairement de diminuer le poids de l'état dans la société.
La France pourrait elle connaître l'explosion d'une "bulle sociale" à la suédoise ?
Philippe Jaffré et Philippe Riès, dans un excellent roman au titre provocateur que je vous recommande chaudement, imaginent cette situation en 2012, après 5 ans d'un gouvernement de coalition socialiste prisonnier d'une extrême gauche jusqu'au boutiste, accumulant les promesses démagogiques et les charges concomitantes, provoquant une récession grave et une explosion des dépenses d'aide sociale, et multipliant les manipulations budgétaires pour camoufler, comme un vulgaire comptable d'Enron, la gravité de la situation.
Le roman décrit en termes parfaitement réalistes les événements arrivant "le jour où la France à fait faillite": Suite à un avertissement lancé par les principales agences de cotation financières consécutif à un « effet ciseau » sur les comptes publics, la France se trouve dans l'incapacité d'emprunter l'argent lui permettant de rembourser ses anciens emprunts et de payer ses salariés et fournisseurs.
Résultat : Banques françaises incapables d'assurer la liquidité des échanges pour leurs clients, distributeurs de billets mis à sac, faillite de nombreuses entreprises liées aux commandes publiques, notamment dans le BTP, licenciement sec de nombreux fonctionnaires nationaux et locaux, diminution drastique du salaire des autres, fin de toutes les garanties exceptionnelles octroyées au agents publics, hausse brutale du chômage, menaces graves sur le maintien de l'ordre public, fin de l'assistance aux DOM TOM et indépendance de ceux ci, politique économique sous tutelle des pays créanciers du G8 et du FMI, PIB par habitant amputé de plus d'un tiers...
Le scénario exposé par Jaffré et Riès est il envisageable ? Oui, car il constitue une simple extrapolation des craintes exprimées par le Rapport « Pébereau » de 2005, rapport qui, rappelons le, avait été le premier à faire état publiquement d'une dette réelle supérieure à 2000 milliards d'Euros, en ajoutant à la dette financière négociable (les OAT) les engagements « non provisionnés » de l'état Français, principalement la retraite de ses agents. Tout au plus Jaffré et Riès reconnaissent-ils avoir poussé le bouchon un peu loin en situant la crise en 2012... 2020 serait plus réaliste. Ceci dit, personne n'imaginait la faillite suédoise de 1993 en 1990: nous aurions tort de croire qu'il n'est pas nécessaire d'agir dès à présent. Michel Pébereau estimait que la France devait dès 2005 ne renouveler qu'une fraction des fonctionnaires partant en retraite et stopper la hausse des dépenses publiques en volume: il n'a bien sûr pas été écouté par nos gouvernants, et plus le temps passe, plus les correctifs à mettre en oeuvre pour éviter d'entrer dans une spirale fatale seront drastiques.
Ceci dit, ne dramatisons pas, le pire n'est jamais sûr, ne stockez pas d'or dans vos caves dès demain ! Le roman ébauche un scénario "catastrophe" qui n'est qu'un scénario parmi un éventail d'évolutions possibles de notre situation. Il paraît plus plausible que, face aux conséquences financières d'une dégradation progressive de la cotation de sa dette par les agences de notation, un gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, soit obligé de ranger ses mélenchons au placard et d'entamer une politique drastique de redressement des comptes publics bien avant la banqueroute.
C'est exactement ce à quoi est confronté le gouvernement socialiste de Romano Prodi en Italie, faisant suite à deux mandats tout à fait médiocres de Silvio Berlusconi, incapable de transcrire dans les faits la moindre proposition significative de réforme. Face à une dégradation de la note de la dette à long terme de la péninsule, le gouvernement Prodi n'a d'autre option que de trouver plus de 40 milliards d'euros d'économies budgétaires, et sans doute d'accélérer certaines réformes libérales permettant aux entreprises italiennes de générer plus de croissance qu' actuellement. Si Prodi venait à échouer, les créanciers de l'Italie lui demanderaient des taux toujours plus élevés, pesant sur le budget de l'état et l'obligeant à emprunter toujours plus, jusqu'à ce que dans quelques années, faute de prêteurs, l'Italie ne connaisse le scénario de roman ci dessus décrit.
Mais un gouvernement socialiste Français, paralysé par son aile gauche et des alliés verts ou alter-économistes pourrait il entamer une telle évolution s'il se trouvait face à la même situation que le gouvernement transalpin ? Rien n'est moins sûr, si la barre est tenue par Mélenchon et consorts, et s'ils se mettent en tête d'appliquer ce qui leur sert de programme.
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Post scriptum : Le sénateur Jean Luc Mélenchon (PS, courant gauche de la gauche) avait déjà brillé lors de la campagne référendaire par son élégance raffinée et sa hauteur de vue stratosphérique, en apostrophant de la sorte un jeune militant de son parti :
"Les nouveaux entrants... qu'ils aillent se faire foutre. Les Lituaniens ?... T'en connais un, toi, de Lituanien ? Moi, j'en connais pas !"
Rions-en pendant qu'il ne gouverne pas encore !
Le discours serait plus crédible s'il n'était pas empreint d'autant d'idéologie que celui de Mélenchon.
Bref, dommage, l'article aurait pu être plus intéressant avec plus de recul et moins de polémique politicienne qui n'a pas sa place dans un réflexion sur la dette publique.
Je ne crois pas plus au tout Etat qu'au tout marché. Et je suis certains que c'est à cause de ceux qui croient à l'une de ces deux propositions que la dette publique est ce qu'elle est (trop de dépenses d'un côté, pas assez de recettes de l'autre).
Rédigé par : Damien | vendredi 05 octobre 2007 à 23h53