Ce petit traité sur l'art de créer des problèmes là où il serait dommage qu'il n' y en ait pas est dédié à quelques uns des
courageux qui affrontent le monopole de la sécurité sociale
autrement que par des mots: Gontrand
Cherrier, Edouard Fillias, Laure Allibert
Dans ce petit restaurant où vos activités professionnelles
vous conduisent à déjeuner le midi, une « formule du
jour » avec entrée et plat vous est facturée 10 euros. Pour
améliorer l'ordinaire, vous devez ajouter 6 euros pour un dessert, 16
euros pour une bouteille de vin, 20 euros pour du homard.
Au début, vous payez votre repas, seul. Vous vous contentez
généralement de la formule à 10 euros, et vous ne vous offrez que très
rarement un petit dessert, juste pour vous faire plaisir.
Vous ne prenez du vin que si un collègue vous accompagne et partage
l'addition. Le soir, vous préparez votre repas à domicile. Vous vous
offrez parfois un autre restaurant plus raffiné, ou plus exotique, le
choix ne manque pas. Vous aimez cela, mais en bon père de famille, vous
n'en abusez pas, car vous savez que votre budget n'est pas infiniment
extensible.
Mais certains trouvent qu'ils ne peuvent profiter de ces
plaisirs assez souvent. Ils en avisent les décideurs
politiques. Alors un beau jour, la loi, soucieuse de permettre l'accès
à une alimentation de qualité pour tous, oblige
chaque restaurant à additionner la note de tous ses convives
à chaque service, et à diviser équitablement la note entre tous. Dans
ce cas, le homard à 20 euros, partagé entre les 100 couverts
du restaurant, ne vous revient plus qu'à 20 centimes: vous ne vous en
privez pas, tout comme du vin... D'ailleurs, vous n'avez plus intérêt à
rester raisonnable. En effet, si les 99 autres convives consomment du
homard et pas vous, votre addition est tout de même augmentée de
quasiment 20 euros: Tant qu'à payer plus cher, autant en profiter !
Cependant, un nombre croissant de convives réclamant du homard, des
desserts et du vin, votre addition monte à 40 euros et plus, et vous
vous dites que vous feriez mieux de manger des sandwiches au bureau...
Une fracture alimentaire se produit entre ceux qui peuvent aller au
restaurant et ceux qui doivent se contenter de repas sur le pouce.
Inacceptable, selon certains partis politiques et associations.
L'état, soucieux de corriger cette inégalité devant le couvert,
oblige alors les restaurants non pas à vous facturer directement le
repas, mais à envoyer la note à une caisse centrale, qui, après l'avoir
augmentée de 5% de frais de gestion, en prélève une quote-part
proportionnelle à votre salaire sur votre feuille de paie, en la
camouflant sous les sobriquets de CAG - contribution alimentation
généralisée - et de charges patronales, vous laissant croire
que « c'est votre patron qui paie ». L'illusion de
gratuité étant totale, vous délaissez le sandwich et fréquentez deux
fois par jour les restaurants, rebaptisés « établissements
d'alimentation », l'ancien vocabulaire ayant une connotation
par trop... ancien régime. L'état profite de votre manque de vigilance
pour prélever aussi sur votre salaire une partie de la note des
retraités et d'autres inactifs, qui peuvent ainsi participer au festin
à vos frais, sans que vous ne vous en rendiez vraiment compte.
Cependant, les restaurateurs, submergés par la demande, sont obligés de
supprimer le homard et les autres raffinements de leur carte, faute de
pouvoir en fournir en quantité suffisante. Le menu de base devient
l'ordinaire de tous. Anciennement vendu 10 Euros au client, il est
désormais facturé à 20 euros à la caisse de compensation, puisque le
consommateur ne regarde plus à la dépense.
Vous remarquez que bien des gens qui autrefois déjeunaient chez eux
préfèrent désormais le restaurant « gratuit »,
n'hésitant pas parfois à y consommer trois ou quatre repas quotidiens.
La demande est telle que la pression à la hausse sur le prix des
aliments entrant dans la composition des repas est importante. L'état
décide donc d'en réglementer les prix. Les fraudes se multiplient, les
restaurants n'hésitant pas à facturer à la caisse des repas fictifs.
Comme il subsiste une certaine concurrence entre restaurants, on en
trouve encore qui pratiquent une restauration correcte, à condition
toutefois de pouvoir payer des suppléments, parfois légalement, parfois
en dessous de table. Par contre, les trois étoiles, autrefois fierté de
notre pays, ont disparu. Les plus riches vont déguster les mets les
plus fins aux tables des grands chefs de Suisse ou de New York qui ne
désemplissent pas. Les hauts "serviteurs" de l'état, fort heureusement
pour eux, échappent à la médiocité ambiante en se créant sur
mesure des tables spécifiques, comme "l'avale de grâce", cantine
militaire de haut luxe où notre président de la république aurait ses
habitudes. Notre président ne perd d'ailleurs pas une occasion de
rappeler l'excellence de notre système d'alimentation à chacun de ses
passages, sans se soucier des rabat-joie qui font remarquer par voie de
presse que la plupart des français n'ont pas accès au même
niveau de prestations.
Mais voilà, l'état ne peut augmenter indéfiniment le prélèvement sur
les feuilles de paie des individus pour financer l'augmentation de la
consommation de services de restauration, aussi la caisse de
compensation affiche-t-elle un déficit chronique. Afin de limiter la
hausse des prix, l'état décide de fixer arbitrairement le prix du menu
à 15 euros. Chaque année, la négociation du prix légal du
repas entre restaurateurs et état tourne à l'affrontement. Quant au
rationnement des tarifs, il freine les vocations de restaurateurs dans
les campagnes dépeuplées.
Les politiques, dans une nouvelle tentative d'en freiner l'emballement
financier, réforment encore le système en le rendant plus contraignant,
rationnant l'accès à l'alimentation, par le système du
« restaurant référent », restaurant auprès duquel
vous devez vous inscrire pour un an afin de bénéficier de l'intégralité
de la prise en charge du repas. Du fait de cette diminution
de la concurrence entre restaurants, la qualité des repas baisse
dramatiquement, les clients étant généralement
priés de manger en moins d'un quart d'heure. La qualité de service
devient déplorable.
Face à cette situation aberrante, certains plaident pour le retour au
système antérieur de restauration libre, dont les avantages s'effacent
progressivement des mémoires. Ils sont traités de sans-coeur, de
fossoyeurs des acquis sociaux et, naturellement, d'ultra-libéraux, ce
qui suffit à empêcher tout débat serein autour des avantages
et inconvénients de chaque système. Toute velléité de retour à une
restauration privée, nécessairement « à deux
vitesses », est farouchement combattue par les syndicats, qui,
il est vrai, utilisent la caisse de compensation des établissements
d'alimentation comme moyen de financer leurs activités, comme finissent
par le révéler quelques journalistes d'investigation.
Et votre bon sens vous taraude : « comment en sommes
nous arrivés là » ?
Naturellement, tout ceci n'est que pure fiction. Aucun gouvernement
sérieux ne s'autoriserait d'ingérence dans la gestion d'un secteur
d'activité selon des principes aussi stupides.
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