Ci dessous, un résumé de
la conférence "droit au logement, une idée dangereuse - les causes et
les véritables solutions de la crise du logement en France", organisée
par l'institut Turgot le 24 janvier à l'assemblée nationale.
Les causes de la crise du logement en France
Il y a en France une pénurie de 1,5 millions d'habitations
principales qui a entraîné une augmentation des coûts du logement
supérieure de 70% à celle des revenus sur ces 10 dernières années. Le
logement, dont le prix moyen a varié peu ou prou autour de
2,9 fois le revenu moyen des ménages de 1965 à 1995, a vu soudainement
ce multiple grimper jusqu'à 4,5 en 2005. Cette explosion des
prix immobiliers pénalise lourdement les familles modestes et les
classes moyennes, dont le taux d'effort budgétaire afin de se loger
devient parfois insupportable.
En conséquence, le fossé se creuse entre deux France. D'une part, il y
a une majorité qui voit ses conditions de logement s'améliorer
lentement mais sûrement, bien que notre proportion de propriétaires, la
surface et la qualité de nos logements figurent plutôt dans
le « bas de la fourchette » par rapport aux autres
pays européens. Pour ces familles qui ont accès au crédit, la baisse du
coût du cédit compense la hausse du prix du logement.
En contrepartie, les familles à revenu faible ou irrégulier, qui ne
bénéficient pas de l'accès au crédit, ont de plus en plus de mal à
faire face à leurs dépenses de logement, et le taux de propriétaires
parmi ces ménages chute depuis 20 années. (plus de précisions chiffrées dans cette ancienne note)
Les organes de presse attribuent généralement cette hausse des prix aux
facteurs influant sur une demande de logement plus
importante : augmentation du nombre de foyers à loger, report
du mal-investissement dans la soi-disant « nouvelle »
économie, et surtout la baisse des taux d'intérêt, divisés par deux et
plus entre 1995 et 2005.
Ces explications fondées exclusivement sur la vigueur de la demande
sont superficielles et manquent l'essentiel : alors que sur un
marché libre, lorsque les prix montent, les offreurs entrent dans la
compétition et font baisser les prix, il semble que dans le logement,
curieusement, ce phénomène ne se produise pas. L'offre a été étale
jusqu'en 2003 et commence à peine à décoller aujourd'hui, alors que la
hausse des prix est spectaculaire depuis 1995. Il faut donc
s'intéresser aux facteurs qui bloquent l'offre pour comprendre la crise
actuelle.
Bien qu'il n'ait existé jusqu'à présent aucune étude sérieuse
sur la question en France, le sujet a été abondamment défriché par les
économistes anglo-saxons. Une comparaison internationale
montre que les maux de la France ne sont guère différents de ceux qui
affectent les marchés immobiliers des pays anglo-saxons: si le logement
est devenu aussi cher, c'est essentiellement à cause des
réglementations de zonage mises en place dans les années 60 et
aggravées depuis, qui limitent artificiellement la constructibilité du
sol.
Les grandes agglomérations canadiennes et américaines qui ont eu la
sagesse de ne pas adopter ces réglementations sont soumises aux mêmes
facteurs macro-économiques et connaissent une croissance économique
parfois spectaculaire. Or, dans ces villes, il n'y a pas de hausse
importante des prix immobiliers. Même Paul Krugman,
économiste vedette de la gauche américaine, reconnaît lui-même que dans
les villes où l'espace est peu réglementé, l'emballement des
prix immobiliers ne peut pas se produire.
Ces agglomérations sont loin d'être les enfers urbains que dénoncent
les pourfendeurs de l'urbanisme fondé sur la liberté individuelle.
Houston, Dallas et Atlanta sont bien placées dans l'échelle mondiale
des cités à fort rayonnement économique et culturel. Un think
tank de centre gauche, la Brookings Institution, a montré qu'il y avait
plus de diplômés et moins de poches de pauvreté dans de telles cités
que dans les villes les plus réglementées.
Des économistes tels que Ed. Glaeser et J.Gyourko, de Harvard, ou
Randall O'Toole, du Thoreau Institute, ont déterminé que la
réglementation du sol imposait une « pénalité
réglementaire » perçue par les vendeurs au détriment des
nouveaux entrants sur le marché du logement.
Cette pénalité a été de 275 Milliards de dollars aux USA en 2005. En
appliquant un raisonnement similaire, et malgré la faiblesse des
statistiques françaises comparées à celles d'outre-Atlantique, notre
étude montre que cette pénalité a été d'environ 45 Milliards d'Euros en
2005. Soit plus de 55.000 Euros par transaction, 30% du prix moyen de
chaque logement. La rareté artificielle des terrains affecte
tout autant l'activité économique, même si nous ne sommes pas
en mesure d'évaluer la pénalité réglementaire supportée par les
entreprises.
En outre, les différences de prix entre terrains
suivant leur statut réglementaire augmentent les opportunités
de corruption des décideurs politiques en charge de l'urbanisme ou de
leurs conseillers. Selon certains professionnels de la lutte
contre la corruption, le phénomène est aujourd'hui
préoccupant.
Les phénomènes contre lesquels ces réglementations prétendent lutter,
comme l'étalement urbain et la congestion des périphéries urbaines,
sont en fait aggravés par la hausse des prix du foncier, les personnes
devant se loger de plus en plus loin des centres urbains
pourvoyeurs d'emplois.
Aux USA, la charge pour la collectivité de l'étalement urbain est au
minimum 6 fois moins élevée que la pénalité réglementaire
imposée aux ménages qui y entrent sur le marché du logement, et encore
ces calculs retiennent-ils les hypothèses les plus favorables aux
défenseurs des politiques anti-étalement. Malgré l'absence
d'étude sérieuse sur le sujet en France, rien ne permet d'imaginer que
les ordres de grandeur soient différents.
Le logement social ne
peut pas résoudre la crise
La pénurie de logement a été quasi permanente depuis 1914, à des degrés
divers. Depuis cette époque, toutes les interventions imaginées par
l'Etat et les collectivités aussi bien pour aménager l'espace que pour
résoudre ces pénuries les ont en fait aggravées.
Le logement social, outil majeur de l'intervention de l'état dans le
domaine du logement, aggrave la ségrégation entre catégories sociales,
tout en permettant à des personnes qui pourraient se loger sans aide de
jouir dans la durée de rentes de situation entretenues aux frais des
épargnants et des contribuables. Il engendre à ce titre un incroyable
gaspillage de ressources : aujourd'hui, plus de 50% des personnes
logées dans le parc subventionné ne devraient pas s'y trouver car leurs
revenus ont fortement augmenté depuis leur entrée dans un logement
social, alors qu'il y a 1,3 millions de demandes en
souffrance.
Parce qu'il fixe artificiellement, pour une partie du parc
locatif, un prix de référence inférieur de moitié à celui qui
résulterait de la confrontation de l'offre et de la demande,
le système du logement social engendre un surcroît de demande
par rapport à l'offre et entretient nécessairement une
pénurie endogène, et qui n'aura aucune raison de cesser si on en
construit 100.000 plutôt que 30.000 par an. En outre, ce maintien d'un
prix artificiellement bas dans le secteur
social tend à renforcer la hausse des prix de référence dans le secteur
privé, car la segmentation du marché en deux secteurs distincts réduit
la concurrence "par le bas" dans le parc non-social.
Il s'ensuit que, dans le logement social,
l'allocation de la ressource ne peut se faire que suivant un
processus politique. La sociologie propre aux différents acteurs du
logement social les pousse à préférer des locataires à « haut
profil » dans les résidences sociales modernes et bien
intégrées à des quartiers résidentiels de qualité, alors que les
familles très modestes et celles issues de l'immigration sont entassées
dans les barres soviétoïdes construites dans les années 50-60 et
aujourd'hui délabrées. Ce phénomène, mis en évidence par des contrôles
internes du Ministère du logement, a largement contribué aux émeutes de
novembre 2005.
Ces contrôles internes révèlent, en termes très châtiés mais parfaitement explicites, que la gestion du parc de logement
social par de nombreeux organismes HLM est au mieux calamiteuse et au
pire entachée d'irrégularités. De récents procès (Affaire
Schuller, HLM de Paris, etc.) ont montré à quel point l'argent du
logement social nourrit la corruption de notre système politique.
Le secteur du logement social, en France, immobilise au moins 500
milliards d'Euros (la valeur résiduelle des logements plus les 200Mds
d'épargne servant à les financer) qui pourraient être employés de façon
plus productive. Le logement social est le « capital
mort » de la société française, par analogie avec la
terminologie développée pour les pays en développement par
l'économiste péruvien Hernando de Soto.
Les interventions de
l'état dans le secteur privé n'ont guère été mieux inspirées.
Le contrôle des loyers, et autres formes de sur-protection légale du
locataire au mépris des Droits du propriétaire, éloignent de nombreux
épargnants de l'investissement locatif. Entre les deux
guerres, les réglementations de ce type étaient les leviers
d'action principaux de l'Etat sur le logement et au sortir de
la seconde guerre mondiale, la situation qu'elles avaient
engendrée était désastreuse. Cette situation, au lieu de
conduire les décideurs à reconnaître que l'intervention étatique était
à la source du problème, a inspiré la massification des politiques de
logement social précédemment évoquées.
Les subventions fiscales à la construction privée, par des dispositifs
tels que l'investissement « Besson »,
« Périssol », « Robien » ou
« Borloo », aggravent le gaspillage de ressources :
les épargnants, uniquement pour bénéficier de
l'exemption fiscale, y financent des logements inadaptés à la demande -
mal finis, mal situés, de taille inadaptée au marché. Dans certaines
villes moyennes du sud de la France, 30% des logements défiscalisés
demeurent vacants, alors que d'autres cités souffrent de pénurie.
Malgré toutes ces aides et niches fiscales, qui imposent une charge de
26Mds au budget de l'état, sans compter la contribution foncière des
collectivités locales, la construction de logements neufs accuse depuis
20 ans un déficit de 50 à 100.000 unités annuelles par rapport aux
besoins exprimés. La fondation abbé Pierre estime, avec une marge
d'erreur que nous estimons faible, qu'il y a plus de 3 millions de
personnes logées dans des conditions indignes, et environ 700.000
personnes « aux portes du logement », le nombre de
SDF approchant les 100.000 en 2001 et ayant encore augmenté depuis.
Le bilan d'un siècle d'interventions de l'Etat dans le secteur du
logement est donc très contestable pour les familles aisées, et
catastrophique pour les familles à faible revenus. Ces résultats
« anti-sociaux » des politiques étatistes
du logement doivent nous faire prendre conscience qu'en matière de logement,
l'intervention de l'Etat n'est pas la solution : elle est
le problème.
Il y a urgence : pour résorber la crise actuelle et éviter
que les évolutions démographiques de ces prochaines années ne
l'aggravent, le parc de logements aura besoin d'environ 500.000 unités
neuves supplémentaires chacune des 5 prochaines années. Or,
malgré la conjoncture financière plutôt favorable du fait des
taux d'intérêt très bas, la construction française n'arrive plus à
atteindre ces niveaux (430.000 en 2005), qu'elle avait pourtant
brièvement dépassés dans les années 70 (553.000 en 1973), alors que le
nombre de foyers à satisfaire était bien plus faible.
Nos propositions pour
sortir de la crise
Pour vaincre la pénurie persistante de logements et les conséquences
sociales désastreuses de la hausse actuelle des prix immobiliers, nous
devons totalement changer de modèle conceptuel en matière de politique
du logement, et replacer l'initiative privée au centre de cette
politique.
Tout d'abord, une grande loi de libération de la terre est nécessaire,
replaçant le propriétaire en position de principal décideur de
l'affectation de son terrain. Tout terrain doit être présumé
constructible. En outre, toute servitude née d'une nécessité
publique, imposée à une propriété, doit faire l'objet d'une
compensation. Une telle libération du sol provoquerait rapidement une
baisse des prix immobiliers d'au moins un tiers par rapport à
leur valeur actuelle, tout en rendant son sens au respect du
droit de propriété défini aux articles 2 et 17 de la Déclaration des
droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
Chaque cité doit pouvoir puiser dans une « boite à
outils » des instruments légaux de gestion du sol respectueux
du droit de propriété et les adapter à son besoin. Les expériences
internationales fourmillent d'exemples de telles gestions des sols
innovantes, du moins vues de France. Il faut en finir avec
les lois d'urbanisme dirigistes, malthusiennes et uniformes conçues par
des bureaucraties parisiennes censées s'appliquer tant aux grandes
villes qu'aux communes rurales.
Afin d'en finir avec la ségrégation par le quartier et de réinjecter
dans l'économie des actifs actuellement peu productifs, il convient de
privatiser le parc de logements HLM en transférant la dette des
OPHLM aux locataires actuels, afin que ceux ci puissent
entrer en pleine propriété de leur logement pour un coût équivalent à
celui de leur loyer présent.
A toutes les aides actuelles, qu'elles soient destinées au secteur
privé ou au secteur social, il est préférable de substituer un
chèque-logement unique, dégressif pour éviter tout effet de
seuil, calculé en fonction des revenus privés de chaque foyer, et du
nombre de personnes qui le composent. Les ménages allocataires seraient
libres d'utiliser cette aide pour financer un loyer ou un crédit sur
l'unique marché privé.
Afin d'inciter les épargnants à investir dans le logement locatif,
ceux-ci doivent recouvrer une liberté contractuelle pour fixer les
loyers et plus de souplesse pour rompre un bail, souplesse également
offerte au locataire. Dans un contexte d'abondance foncière
restaurée, les propriétaires ne pourront pas se permettre d'augmenter
abusivement leurs prix, l'abondance de l'offre constituant la meilleure
protection du locataire contre un excès d'appétit des bailleurs.
Afin de permettre aux entreprises du bâtiment de répondre à la demande,
il faut ouvrir largement les portes de l'immigration aux professionnels
du bâtiment issus des pays nouvellement entrés dans la communauté
européenne.
Dans un marché immobilier fonctionnant selon de tels principes,
l'ancien jouerait envers les classes défavorisées le rôle que
joue l'occasion sur le marché des automobiles : un moyen pour
les plus modestes d'accéder aux innovations réservées aux plus fortunés
quelques années auparavant.
Les "solutions" -prônées par certaines associations et reprises par la
gauche la plus extrême, ce qui peut se comprendre, mais aussi par un gouvernement dit "de droite", ce qui se comprend nettement moins - comme
l'inscription d'un "droit au logement opposable"
dans la loi, et sans doute demain la réquisition des logements vacants, auront des conséquences catastrophiques, en faisant
définitivement fuir les derniers investisseurs présents dans le secteur
du logement locatif. Elles seront en outre le prélude à la mise en
place d'une gestion autoritaire du logement par l'Etat et constitueront
de fait des menaces graves contre les libertés individuelles et la
démocratie.
Pour mettre en oeuvre un tel programme politique, il faudra avoir le
courage de s'opposer à des Lobbies publics, parapublics et privés très puissamment organisés.
Lorsqu'Albin Chalandon, ministre du logement, avait voulu
mettre en oeuvre la liberté d'usage des sols en 1967, il subit une
fronde des bureaucraties et des élus locaux telles qu'il dut renoncer à
son projet au bout de 18 mois, alors que le chef de l'état
s'appelait Charles De Gaulle. Pourtant, les mal logés ont désespérément
besoin qu'en leur nom, un gouvernement courageux ose faire plier ces
corporations qui, sous couvert d'aider les pauvres, s'en moquent éperdument et ont intérêt à prolonger un dispositif législatif et
institutionnel qui leur garantit de juteuses rentes de situation.
A ces conditions, un siècle de crises du logement pourraient être
résorbées en dix années et les fondamentaux d'un tel marché seraient
suffisamment sains pour espérer éviter toute crise majeure par la
suite.
autres lectures recommandées sur la crise du logement
- Econoclaste
- Héritage et progrès
Tous ces aspects sont développés dans mon livre, aux éditions Romillat :
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