Plusieurs candidats à la présidentielle, reprenant une proposition de Jacques Chirac lors de ses voeux de 2006 à la presse, estiment qu'il faut modifier le mode de calcul des cotisations sociales. Selon eux, il faut aller vers une assiette de cotisations patronales qui ne prenne pas seulement en compte les salaires mais l'ensemble de la valeur ajoutée.
Certains économistes affirment que la mesure pourrait créer
200.000 emplois. Les syndicats trouvent l'idée intéressante. Seules voix majeures
discordantes, celles d'Alain
Madelin, et de Laurence Parizot, CEO du
MEDEF, qui a estimé la mesure « simpliste » lorsqu'elle fut évoquée par
le Président.
Effectivement, une telle mesure est non seulement simpliste, mais
encore porteuse de dangers insidieux contre une éventuelle réforme
structurelle de notre protection sociale.
Pour comprendre pourquoi, intéressons nous à la valeur ajoutée et à ce
qu'elle devient une fois créée par l'entreprise.
Vous reprendrez bien une nouvelle assiette ?
La valeur ajoutée (V.A.) est la différence entre la valeur de ce qu'une
entreprise arrive à vendre et les achats de matières premières, de
composants, d'énergie et de consommables qu'elle doit faire à
l'extérieur de l'entreprise pour pouvoir produire. C'est parce que
Renault arrive à transformer de l'acier, des sous ensembles, des
plastiques, etc..., qui n'ont pas de valeur d'usage pour le client
final pris individuellement, en voitures séduisantes, qu'elle peut
vendre ses voitures bien plus cher que la somme des achats qu'elle a du
consentir pour les fabriquer.
L'état taxe déjà la valeur ajoutée brute créée par les entreprises, au
taux de 19.6% pour environ 80% des produits achetés par les Français,
d'autres produits et services étant taxés différemment. Le reste (V.A.
Nette) va irriguer quatre grands postes de dépenses (aux subtilités
comptables près), quatre flux monétaires financés par la capacité de
l'entreprise à ajouter, à créer de la valeur :
Flux n°2: Les charges financières, intérêts à payer aux emprunteurs de l'entreprise et provisions pour coups durs anticipés.
Flux n°3: Des taxes diverses, essentiellement la taxe professionnelle, dont le produit pèse près de la moitié de celui de l'impôt sur les sociétés.
Comme on le voit, non content de taxer la valeur ajoutée brute en amont, l'état -au sens large- est omniprésent dans le partage de la valeur ajoutée nette, et ceci sans compter les prélèvements auxquels sont encore soumis les sommes versées aux salariés et actionnaires une fois l'argent sorti de l'entreprise (impôts sur le revenu). On peut donc en déduire que quelques soit le flux sur lequel un prélèvement est effectué, il s'agit en définitive DEJA d'un prélèvement effectué sur la valeur ajoutée créée par l'entreprise, ou plus précisément d'un prélèvement rendu possible grâce à la valeur ajoutée créée par l'entreprise.
Changer l'assiette des cotisations sociales actuelles (prélevées sur le flux n°1 « masse salariale », en aval de la création de VA) pour taxer en remplacement l'ensemble de la valeur ajoutée (somme des flux 1 à 4 en amont) revient à élargir l'assiette des cotisations en taxant tout l'argent entré dans l'entreprise, pour y appliquer un taux de prélèvement plus faible, qui s'ajouterait à la TVA. Mais cela ne change pas fondamentalement le fait qu'il s'agisse toujours d'un prélèvement opéré sur la valeur ajoutée, à un autre moment de sa circulation en flux dans l'entreprise.
Economiquement, cette « TVA bis » aurait un effet négligeable: certes, elle permettrait de réduire l'affichage du coût de la main d'oeuvre en pourcentage du salaire net versé, mais la part attribuable à cette même main d'oeuvre, ainsi qu'aux investissements, serait réduite du montant de la « TVA bis »: Que l'on vous prélève une part du gâteau sur celle que l'on vous sert, ou que l'on taxe le gâteau global avant de vous en couper une part importe finalement très peu. Ce qui importe, c'est le montant global du prélèvement ! Comme l'expliquent très bien des économistes tels qu'Elie Cohen, le problème français est lié au montant excessif des charges globales pesant sur les entreprises, pas à telle ou telle modalité de calcul.
Par conséquent, croire qu'un simple changement de calcul de la façon dont l'état taxe la VA va permettre la création d'emplois est un leurre.
Mais il y a pire. La TVA sociale rendra le système quasiment irréformable.
Tout d'abord, afficher un taux de prélèvement plus faible qu'actuellement grâce à l'assiette élargie redonnera du mou pour justifier des augmentations ultérieures que les lézardes du système actuel rendent inévitables.
Enfin et surtout, notre système de protection sociale, basé sur le monopole de l'inefficace et archaïque sécurité sociale, est certes plein de défauts, mais le mode de calcul actuel de son financement permet d'établir une certaine « vérité des prix » pour le salarié, même si ceux ci sont peu nombreux à se rendre compte des coûts réels du système. Sur sa feuille de paie, celui ci peut, s'il est curieux, faire la différence entre le « coût total employeur » et le « salaire net » qu'il perçoit, et en déduire un coût très fiable de sa protection sociale. Certes, les allègements de charge sur les bas salaires, dits « allègements Fillon », faussent un peu le calcul, tout comme le prélèvement d'une partie de la CSG sur les revenus du capital, mais celui ci reste en gros pertinent. Pour verser 1800 Euros nets à un salarié (pas très loin du salaire moyen), un employeur privé doit, selon sa branche, verser entre 3300 et 3400 Euros au total. Chaque mois, 1500 Euros de charges « salariales » et « patronales » (la distinction est purement artificielle) sont payées par l'employeur mais le salarié n'en voit pas la couleur.
Cette situation permet aux libéraux d'argumenter en faveur de la privatisation des assurances sociales : si la totalité du coût total employeur était versée aux salariés, à charge pour celui ci de financer sur ce coût ses assurances maladie, chômage et vieillesse, celui ci pourrait espérer choisir des assureurs privés au rapport qualité prix meilleur que les monopoles publics actuels, et donc améliorer son pouvoir d'achat.
Concentrons nous ici sur la seule assurance maladie, la retraite méritant un autre article spécifique (pour plus tard). Dans un système où les ménages paieraient consciemment les services d'un assureur santé, ils deviendraient plus regardants sur ce qu'ils achètent, et ne se comporteraient plus en consommateurs passifs de médecine : il tendraient à agir pour améliorer le rapport qualité prix de l'offre de santé en mettant, par le biais de leurs assureurs, les prestataires de soin en situation de concurrence accrue. Les coûts moyens des prestations de santé, par acte médical, tendraient enfin à baisser.
Naturellement, bien que ce ne soit pas le sujet du jour, il conviendrait, dans un tel système, de conserver un volet de financement public d'un "chèque santé" dégressif en fonction des autres revenus, permettant aux personnes démunies, surtout si elles sont âgées, de s'offrir tout de même une assurance maladie complète. Ce chèque ne couterait qu'une fraction de l'actuelle sécurité sociale et n'obèrerait pas la concurrence entre offreurs de couverture sociale. La plupart des libéraux actuels, contrairement à ce qu'en disent certains, ne sont pas favorables à ce que des gens soient privés de couverture maladie parce qu'ils seraient insolvables, pour d'évidentes raisons morales. fin de la parenthèse.
Transférer une partie du coût de la protection sociale sur une « TVA bis » perçue bien à tort comme indolore par ceux qui la paient, revient à en fondre le financement dans un grand « melting pot fiscal » qui rendra encore plus illisible son vrai coût pour les assurés sociaux, les rendra encore moins regardants quant aux rapport qualité prix des dépenses de santé, et renforcera les effets pervers du système. Or, depuis l'instauration d'un objectif "planifié" d'évolution de dépenses de santé depuis 1997 (ONDAM en jargon administratif), celui ci a toujours été nettement supérieur à l'inflation ( un peu moins de 2% par an), sauf la première année. Rendre encore plus "indolore" le financement de l'assurance maladie ne peut qu'accentuer cette tendance.
Source: CNAM
Cette évolution très rapide de l'ONDAM ne l'a pas empêché d'être chaque année dépassé de plusisuers milliards d'Euros, montrant si besoin en était qu'une approche purement comptable de la maîtrise des dépenses de santé est un leurre.
Source: Institut Molinari d'après Eco-Santé
La faillite, nous voilà !
Il résulte de cet emballement des coûts de la santé
que, selon les propres projections de la CNAM, si rien n'est fait, les
déficits des années à venir vont exploser:
Source: CNAM
Un tel emballement évoque ouvertement la formation d'une "bulle sociale", qui, cumulée aux déficits récurrent des caisses de retraites et à l'envolée de la dette publique,
href="http://www.objectifliberte.fr/2006/10/mlenchon-et-la-.html">ne peut que nous conduire vers une banqueroute. Par conséquent, une réforme de fond des principes de l'assurance maladie est absolument indispensable, et vite.
Or, réduire les cotisations patronales au détriment de la TVA rendrait
moins attractive une éventuelle proposition de restituer ces
cotisations aux salariés en vue de privatiser les assurances sociales.
Cela porterait un coup très dur contre les espoirs d'une réforme
libérale de ces assurances, qui seraient pourtant les seules à pouvoir
nous sortir du cercle vicieux des déficits récurrents, et des
augmentations de cotisations ou diminution de prestations décidées
autoritairement par l'état.
Voilà sans doute pourquoi les syndicats sont tellement favorables à
cette réforme. Ils s'étaient il y a environ vingt ans opposés à ce que
les employeurs soient autorisés à faire figurer le « coût total
employeur » sur la feuille de paie. Ils sont aujourd'hui favorables à
une mesure qui rendrait opaque le coût réel de la protection sociale
pour les salariés, ce qui éloignerait le spectre d'une privatisation de
cette protection.
Compte tenu du nombre de salariés des administrations et organismes
sociaux publics qui sont en fait des permanents syndicaux à temps
plein, ce qui est une source de financement
« invisible » indispensable à leur survie, on
comprend pourquoi les syndicats se félicitent d'une mesure
qui rendrait plus difficile le démantèlement de ces monopoles publics !
Le financement de notre protection sociale collective par une hausse de la TVA signifierait de facto la continuité du système actuel, sans que ses principes ne soient modifiés. Ce choix serait celui de la marche vers une faillite inévitable, qu'aucune politique de l'autruche ne pourra éviter. Voilà pourquoi il faut dire « non » à la TVA sociale, et agir pour une réforme plus structurelle redonnant à chaque citoyen le pouvoir d'agir sur sa protection sociale.
Article repris par agoravox. Commentaires plutôt défavorables, contradicteurs pugnaces mais corrects, excellent pour jauger la perception de nos idées. N'hésitez pas à mettre votre grain de sel !
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