L'idée de TVA sociale, déjà combattue dans ces colonnes,
n'en fait pas moins son chemin chez nos dirigeants, et ce ne sont ni
les avertissements de quelques blogueurs isolés (execllent exemple: Jean Dubois), ni même
les doutes de quelques célébrités du monde para-politique (B.Brunhes) ou
économistes (H.Sterdyniak)
qui semblent en mesure d'infléchir le consensus qui transcende les
clivages habituels entre Gauche et Droite. De Fillon à Arthuis, en
passant par le PS dont la critique actuelle masque mal le fait que ''le
changement d'assiette du financement de la protection sociale'' faisait
bel et bien partie du ''programme'' de S.Royal, tous estiment qu'il est
temps de changer le mode de prélèvement finançant la Sécu.
Rappelons brièvement les critiques que l'on peut faire des
raisonnements des sophismes, plutôt des partisans d'une telle
mesure, avant d'étudier en détail ce qu'il conviendrait de faire.
Idées reçues et réalités :
Mythe
n° 1 : ''La TVA sociale permettra de créer du travail en abaissant son
coût''
Réalité: je
citerai Bernard Brunhes qui résume mieux que je ne saurais le faire ma
pensée:
''La
valeur
ajoutée d’une entreprise, c’est-à-dire la différence entre ce qu’elle
produit et ce qu’elle consomme, se compose grosso modo de deux éléments
: la rémunération du travail (salaires et charges sociales) et celle du
capital (amortissements et résultat). Si, à contribution totale
inchangée, on étend les bases des cotisations à l’ensemble de la valeur
ajoutée, le coût du travail sera allégé et le coût du capital aggravé.
Ce changement des coûts relatifs amènera les entreprises à choisir des
modes de production plus riches en main d’uvre et moins en capital et
conduira les investisseurs à se tourner vers les secteurs dits de main
d’uvre''.
Nd. Ob'Lib'
J'ajouterai que les secteurs à forte intensité
capitalistique, souvent très innovants, sont généralement plus
exportateurs que les gros consommateurs de main d'oeuvre, dont les gros
bataillons sont constitués d'entreprises de services à caractère local.
Revenons à B. Brunhes:
''Divers
rapports ont analysé les conséquences de ces mouvements sur les
entreprises, et ainsi à en mesurer les répercussions économiques. Des
économistes comme Edmond Malinvaud, auteur d’une des études les plus
incontestables sur le sujet, concluent de leurs travaux que ce
changement des coûts relatifs se traduit par une perte globale pour
l’économie française, qui pénalise les secteurs exportateurs et les
innovations technologiques. Gilbert Cette et Elisabeth Kremp, pour la
Banque de France, ont simulé les effets de la mesure sur un échantillon
de 113 000 entreprises, afin d’identifier les entreprises qui,
arithmétiquement, gagneraient au change et celles qui y perdraient. Le
tableau est clair : le résultat est dévastateur pour la croissance.
Dans les secteurs les plus importants pour l’innovation et pour
l’exportation, les coûts augmentent ; dans les secteurs classiques,
l’agro-alimentaire, le commerce de détail, la chaussure ou le textile,
on y gagne. ''
Mythe
n°2 : ''La TVA sociale taxera les importations, et sera indolore pour
les exportateurs''
Réalité: Ce
ne sont pas les ''importations'' qui paient la TVA, mais
les consommateurs. A revenu égal, une hausse de la TVA diminuera notre
pouvoir d'achat, sauf si les vendeurs compriment leurs marges, et donc
d'une part renforcent leurs achats en provenance des pays à bas
salaires, et d'autre part limitent dans la durée les hausses de
salaires. Où est le gain ? En outre, moins d'importations, donc moins
de ventes pour nos fournisseurs, signifie moins de capacité pour eux d'acheter nos productions. Plusieurs études (
Krugman-Feldstein
notamment) ont montré que l'effet réel d'une hausse de la TVA sur les
produits très échangeables allait plutôt dans le sens d'une diminution
des exportations.
Mythe
n°3 : ''La TVA sociale permettra de sauver notre modèle de protection
sociale''
Réalité: Le
modèle français de protection sociale est entièrement fondé
sur un financement par répartition non seulement de la retraite, mais
aussi, on le sait moins, de la santé (cf. plus loin). Compte tenu de la
dégradation
croissante du rapport entre cotisants et bénéficiaires à titre quasi
gratuit, quel que soit le mode de financement du modèle,
celui ci est voué à la faillite.
En outre,
le caractère faussement gratuit
du système pousse l'ensemble de ses acteurs (producteurs et consommateurs) à l'irresponsabilité
dépensière. De
fait, à intervention identique, un acte hospitalier effectué par
l'hôpital public coûte en moyenne deux à trois fois plus cher à
l'assurance maladie que le même acte réalisé dans un établissement
privé. Et les français sont de loin les premiers consommateurs de
médicaments au monde, sans que cette surconsommation ait le moindre
avantage thérapeutique observable.
Or, changer le mode de financement déjà opaque mais encore analysable
(par le biais du coût total employeur qui figure sur votre fiche de
paie) de cette protection, en l'incluant partiellement dans le grand
trou noir fiscal du budget de l'état, c'est en rendre le coût encore
plus invisible aux consommateurs et aux producteurs de soins: cela
renforcera leur propension à la dépense aveugle, et favorisera une
nouvelle dégradation des comptes de la santé publique, tout en masquant un peu plus à la population les bonnes raisons de réformer ce système devenu fou.
Que faudrait-il faire ?
Pour que les politiques puissent apporter des réponses saines au
problème du financement de la protection sociale, il faudrait qu'ils le
comprennent ! Faisons oeuvre de pédagogie, quand bien même il est peu
probable que François Fillon passe par ces pages.
Le
problème : la répartition est vouée à la faillite
Comme vous le savez, les retraites sont payées par les actifs,
majoritairement les individus actifs de 24 à 59 ans. De fait,
l'allongement de la durée de vie, l'abaissement de l'âge de la retraite
et l'augmentation de l'âge moyen d'entrée dans la vie active dégradent
le rapport entre nombre d'actifs et nombre de retraités, et rend
inévitable une révision à la baisse du mode de calcul des retraites
d'ici 2020 en l'absence de réforme de fond.
Ce que l'on ne vous dit pas, c'est qu'il en va de même de la santé. Le
tableau ci dessous montre les dépenses de santé par tranche
d'âge, toutes dépenses incluses.
Source:
CNAM
Chiffres
2001
S'il on tient compte du fait que la part privée des dépenses (mutuelles
et paiements directs) est bien plus faible chez les séniors que chez
les actifs, et que le financement de la part publique de ces dépenses
est en grande majorité prélevée sur le travail des 25-59 ans (la CSG
sur le capital et sur les pensions sont très minoritaires
dans le
financement de l'AM), alors on se rend compte que la santé est elle
aussi grandement financée par le principe de répartition. En 2001, les
transferts de cotisations d'assurance maladie des actifs vers les
retraités étaient estimés par l'économiste
Jacques
Bichot à 33 milliards d'Euros, soit pratiquement
20% des pensions, et 1/3 des cotisations de santé. Voilà
pourquoi (entre autres raisons) Amariz et IHI arrivent à vous proposer
des assurances complètes au
premier euro
pour bien moins cher que vos cotisations de sécurité sociale. Si notre
système de protection sociale pratiquait la vérité des coûts, il
faudrait ajouter ces 33 milliards (2001) aux 175 milliards des pensions
(même année), verser l'ensemble aux retraités, et ainsi leur
imputer l'ensemble des coûts de leur assurance maladie.
Quoiqu'il en soit, le problème posé est le même que pour les
retraites: L'augmentation du nombre de seniors et de leur
âge moyen rendra intenable dans le
futur l'actuel financement par les actifs de leur
santé, ou d'une retraite augmentée pour faire face au coût de leur
santé.
Comment
payer la santé des seniors ?
Certains proposent de donner
l'intégralité du coût total employeur au salarié (
salaire complet), à charge pour lui de
sélectionner une assurance maladie privée de son choix, au premier
euro, et une caisse de retraite itou. L'idée est bonne sur le principe
pour la maladie, moyennant quelques règles de non sélection des risques
interdisant aux assureurs le refus de vente (maladies génétiques,
malformations, etc...), car un assureur privé peut consentir des
réductions de primes aux assurés qui acceptent de ne s'adresser qu'aux
prestataires de santé les plus performants, selon des protocoles
évitant les dépenses redondantes: en réduisant leurs primes, les
assurés verront leur pouvoir d'achat augmenter.
Mais si elle est mise en place à partir des rémunérations actuelles,
les retraités, dont la pension n'est pas toujours fameuse (1300 Euros
mensuels en moyenne en 2001) auraient bien des difficultés à payer 250
Euros mensuels d'AM (60-74 ans) voire 450 Euros (75 et +), alors qu'aujourd'hui
leur CSG leur coûte en moyenne moins de 100 Euros. Il faut donc, avant
d'envisager la mise en place du salaire complet, assurer un minimum de
redistribution des actuelles cotisations vers les retraités, au moins
pour ceux qui touchent des pensions faibles ou moyennes.
''
Ah, mais ne serait-ce
donc pas à la
solidarité nationale, donc à l'impôt, donc par exemple - à
la
TVA sociale, de financer une redistribution permettant aux retraités de
payer leur prime d'assurance maladie chez l'assureur de leur choix ?'',
vous demanderez vous, puisque Jean Arthuis le dit...
Pour toutes les raisons précédemment évoquées, une autre solution est
éminemment préférable, car elle rétablit auprès de tous les assurés
sociaux la vérité des prix sur ce que leur AM leur coûte réellement :
- Transférer la part des cotisations maladie actuelles
finançant les soins aux personnes âgées (#1/3) vers
les caisses de retraite
- Augmenter grâce à cela la retraite des 60-74 ans de 150
euros environ (calcul à affiner),
afin qu'ils financement l'achet de leur AM privée sur leur propre
budget.
- Agrémenter celle des plus de 75 ans des mêmes 150 Euros de
cash
et d'un chèque santé de 200 euros mensuels (ordre de grandeur), dans le
même but, à titre provisoire, le temps qu'un véritable système de
compte épargne santé soit mis en oeuvre (A propos de ces
compte-épargne: cf. L'étude du Pr. Migué pour
l'institut Turgot)
- Et verser au salarié l'intégralité du reste (cotisations
salariales et patronales de Maladie, 1% transport et Logement, CAF,
etc...) aux salariés, qui pourront faire jouer la concurrence
entre assureurs, lesquels devront pouvoir répercuter cette pression
concurrentielle sur les prestataires de soins.
Naturellement,
d'autres mesures devraient être prises pour accompagner celles qui
précèdent:
(a) Fin de tout financement budgétaire de l'état aux hôpitaux publics,
sauf dans le cadre du financement de quelques activités non rentables
pour le secteur privé, comme la recherche sur les maladies rares. Les
différents établissements de soin seraient chargés en outre de fixer le
niveau de prélèvement sur leurs ressources chargés de financer la
formation initiale des professionnels de santé. En outre, les
prix de la santé doivent être déréglementés, les numerus clausus
supprimés, la publicité, et notamment la publicité sur les prix, doit
être autorisée, etc...
De cette façon, l'argent irait aux établissements présentant les
meilleurs rapport qualité/ prix. En outre, la recherche médicale se
préoccuperait plus qu'actuellement de proposer des avancées médicales
au meilleur coût, et les hopitaux cesseraient de prescrire à tort et à
travers des examens hors de prix pour des pathologies bénignes.
(b) Le système de retraites devrait lui même évoluer en deux temps:
(b.1) tout d'abord, le
système actuel
de retraite par répartition et à prestations définies (X% de
la
moyenne de vos Y derniers salaires), non financé à
terme, devrait
être remplacé par un système toujours par répartition, mais à
cotisations définies (Le taux de prélèvement sur le salaire total est
défini une fois pour toutes à X%, et les retraités se partagent ce qui
rentre) et par points, sur le modèle de ce que les cadres connaissent à
travers l'AGIRCC, mais dès le premier euro de pension.
Un tel système est
structurellement quasi impossible à mettre en déficit,
et rend les retraités solidaires de la santé générale de l'économie:
quand la croissance est là, les cotisations rentrent bien, les
retraites versées augmentent vite. Dans le cas contraire, les vaches
sont plus maigres. Naturellement, plus de régimes spéciaux: tous les
salariés devraient être alignés sur le même régime.
Un tel système, couplé à un calcul actuariel simple, en fonction de
l'âge du départ en retraite, permettrait aux personnes de partir en
retraite non pas à l'âge voulu par le législateur, mais à l'âge qu'ils
choisiraient, sans subir de décote abusive en cas de départ précoce, ni
de plafonnement tout aussi honteux en cas de départ tardif. Un
système de ce type existe notamment en suède depuis la fin des années
90 et a sans doute sauvé l'état suédois de la faillite irrémédiable.
Le sujet étant quelque peu
aride, je le développerai dans un autre article. j'en avais déjà parlé ici en 2003.
(b.2) Dans le même temps, les salariés les plus jeunes pourraient
substituer une part croissante de leurs achats de points au régime
général (par répartition) par une cotisation à un ou plusieurs fonds de
pensions, dont la gestion obéirait à des règles prudentielles simples
(''pas tous les oeufs dans le même panier, pas de cotisation
obligatoire à des fonds d'entreprise'') afin d'éviter des dérives de
type Enron ou Robert Maxwell.
Là
encore, la justification de la rentabilité très supérieure de la
capitalisation par rapport à la répartition sera abordée dans un
article futur, pour garder celui ci dans des proportions raisonnables.
(c) Sur le même principe, le financement du chèque santé versé aux
personnes très âgées proposé plus haut devrait progressivement être
remplacé par la mise en place de comptes épargne santés, économiquement
plus efficaces.
Résultats
attendus d'une telle réforme
La rupture ainsi proposée produirait les effets bénéfiques
suivants:
- Meilleure maîtrise des coûts de santé par le jeu de la
pression
concurrentielle entre offreurs de soins, via les assureurs, et
incitation des assurés à adopter des comportements responsables vis à
vis de leur capital santé naturel pour limiter leurs primes.
- Transformation en 20-25 ans, sans heurts, d'une protection
sociale par répartition en un système mixte avec une part importante de
capitalisation, plus rentable pour les assurés, non structurellement
déficitaire, et permettant un meilleur financement de l'économie, les
sommes thésaurisées devant s'investir efficacement.
- Augmentation du pouvoir d'achat, les rabais obtenus sur les
primes d'assurance grâce à l'élimination des mauvais prestataires de
soin du marché permettant aux assurés de réemployer les économies ainsi
faites ailleurs.
- Aujourd'hui considérée d'abord comme un centre de
coûts, la santé ainsi très fortement privatisée
deviendrait une source de création de valeur et de richesses
tout à fait essentielle. La médecine dite "de confort" (esthétique,
notamment), aujourd'hui un luxe pour classes supérieures, deviendrait
rapidement un produit "mainstream" par le jeu de la baisse des coûts du
progrès technologique.
Comme vous pouvez le voir, nous sommes bien loin d'un simple
rafistolage du financement de la vieille sécu par un simple jeu de
chaises musicales entre impôts ! Mais qui, dans ce gouvernement somme
doute ultra-conservateur, est capable d'imaginer et de porter une telle
révolution ? Au vu des propositions actuellement évoquées, personne !
J'ai bien peur que l'avenir proche ne nous réserve une hausse de la TVA
devenue "sociale" pour l'occasion, et plaquée sur des structures d'assurances publiques inchangées. Pourvu que les rares voix de bon sens contre ce non-sens infléchissent la conviction du nouveau président dans la bonne direction...
Soupir de lassitude...
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