Grâce à l'état de décomposition avancée du PS, qui l'empêche de constituer une force de gouvernement crédible, la droite parlementaire conserve une majorité confortable, mais très loin de la vague bleue prévisible après le premier tour.
Sursaut de la gauche ? Que Nenni. Celle ci ne doit ce résultat encore inespéré il y a huit jours qu'à une nouvelle prise de pieds dans le tapis d'une droite qui a justifié haut la main, une fois encore, son titre mondial incontesté de droite la plus affligeante du monde.
Naturellement, je comme la plupart des commentateurs ne manqueront pas de le faire, je me réfère à la lamentable valse hésitation que nos minsitres les plus éminents nous ont offert sur l'air de la TVA sociale. Résumé des épisodes précédents, pour ceux qui reviennent d'un séjour sur la planète Mars :
- Premier tour: la Droite totalise près de 45% des voix, comptabilise plus de 100 élus au premier tour, et parait partie pour emporter 400 sièges, voire plus, au second. Mais...
- ... Un grain de sable vient gripper la machine, sous la forme d'un dérapage incontrôlé de Jean Louis Borloo lors du débat électoral télévisé, le soir du premier tour. Mis en demeure par Laurent Fabius de s'expliquer sur la compensation des réductions d'impôts promises par le gouvernement avant le premier tour, celui ci, visiblement incapable d'articuler quelque chose de cohérent (abus d'alcool avant l'émission ?), met sur la table la création d'une TVA sociale, alors que rien ne l'y obligeait.
- En politicard intelligent, Fabius réussit à monter une mayonnaise sur cette question, et dès le lendemain, la droite est sur la défensive, obligée de ce justifier par voie de presse.
- Et là, patatras, François Fillon, qui, a défaut d'être brillant, se montre généralement plutôt professionnel, dérape à son tour sur une savonette, en évoquant très imprudemment la possibilité d'augmenter le taux de TVA jusqu'à 24,6%, avant de s'empêtrer dans une série de dénégations toutes aussi maladroites les unes que les autres. La gauche a beau jeu de crier "non" à cette droite qui veut porter un coup fatal au pouvoir d'achat des plus faibles. Et pour une fois, elle n'a pas tort, même si la TVA sociale faisait partie de ses propositions, avant la présidentielle. L'hypocrisie paie !
- F. Fillon et Nicolas Sarkozy, en plein aquaplanning sans ABS au milieu d'une épingle à cheveux, promettent que "la TVA sociale n'est qu'une idée parmi d'autres, mais qu'elle ne sera mise en oeuvre que si le gouvernement la certitude que cela ne provoquera pas une flambée des prix". Sans blague ! ils n'y ont pas réfléchi avant ?
Résultat de cette extraordinaire démonstration d'impréparation et d'amateurisme, totalement inespérée du point de vue de la gauche : non seulement des électeurs de gauche "tièdes" décident de vaincre leurs réticences et d'aller soutenir le PS au second tour, mais, comme en témoigne l'abstention constante, une partie de l'électorat de droite tiède prend la décision inverse, et reste chez lui. Ajoutez sans doute un revirement de quelques citoyens "flottants", et voila le PS (avec ses alliés divers gauche) sans doute avec 180-210 députés, lui qui n'en avait pas obtenu 150 lors du précédent scrutin, et n'en espérait pas 130 au soir du premier tour ! Alors que la gauche était pratiquement à la rue après les présidentielles, elle fait presque jeu égal avec l'UMP au second tour des législatives ! Alors que les instituts de sondage prévoyaient prudemment que le cafouillage sur la TVA sociale ferait perdre 30-35 sièges à l'UMP, la réalité est plus proche de 50 à 80...
Déjà, Renaud Dutreil et JP Raffarin montrent du doigt Jean Louis Borloo, dénonçant une erreur de communication majeure. Si leur analyse en reste là, alors il faut en conclure qu'il n'ont rien compris à ce qui s'était passé ce soir, et que ce n'est pas de gignols pareils que viendra le salut de cette droite décidément bien mal dotée intellectuellement.
L'erreur de Borloo n'est pas une simple erreur de comm'. Elle est le symptôme d'un mal bien plus grave: la droite a su conquérir le pouvoir mais ne sait pas quoi en faire, faute d'avoir fait sa révolution libérale, croyant que l'action de l'état est indispensable pour modifier le cours des choses, là où seul son retrait pur et simple permettrait de créer une dynamique nouvelle... Faute de cohérence économique et surtout idéologique, cette droite là navigue à vue, de proposition de mesurettes en réformettes, le tout présenté comme une "rupturette". Une idée passe, elle l'attrape, et elle attend de voir ce que ça donne. Elle veut replâtrer le financement de notre protection sociale, au lieu de s'attaquer clairement à ses maux profonds en changeant totalement de modèle: surtout, ne pas risquer de conflit avec les conservateurs de gauche, les conservateurs de droite n'en voudraient pas. Surtout, ne pas évoquer de choses qui fâchent, comme une réduction drastique, "irlandaise", des dépenses publiques.
Seul problème, la navigation à vue face au vent, un coup de barre libérale, un coup de safran étatiste, de demi-mesures en demi-réformes qui n'en sont pas, ne donnera au mieux que des demi-résultats, à l'instar de ce qu'avait réussi Lionel Jospin entre 1997 et 2002, avec les conséquences politiques que l'on connaît au bout de 5 ans.
Or, le résultat de ce soir montre, si besoin en était, que la victoire présidentielle de Nicolas Sarkozy, si elle prouve une indiscutable attente en terme de changements, n'en constitue pas pour autant un acte d'adhésion inconditionnel de l'électorat. Alors que les gouvernements précédents avaient pu bénéficier d'une centaine de jours d'état de grâce, qu'ils ont bien mal exploités, la carabistouille bourde de Borloo et le retournement électoral qui s'en est ensuivi ne laisseront même pas à Nicolas Sarkozy une telle fenêtre d'opportunités. Si ses ministres multipient les cafouillages du même ordre, et si le gouvernement ne montre pas une ligne directrice claire, alors sa chute dans les sondages de popularité pourrait battre tous les records de vitesse jamais enregistrés sous la Vème république. Et quoi qu'il arrive, la gauche, revigorée par son inattendu redressement, profitera de la fragilité du gouvernement dans l'opinion pour l'attaquer à la jugulaire dès la rentrée, en vue des échéances électorales de 2008. Dans le même temps, il est certain que les syndicats s'en donneront à coeur joie pour fomenter grèves et manifestations, quelle que soit l'audace ou au contraire la fadeur des réformes annoncées.
Si la droite espère se maintenir au pouvoir après 2012 - il faut voir loin -, elle ne peut pas y arriver sans obtenir des résultats incontestables en matière économique, sous l'angle du chômage comme sous celui du pouvoir d'achat, et de la réduction effective des situations de pauvreté. Elle ne sera pas reconduite sur le seul affichage de l'énergie de son leader, ou sur son charisme, dont les limites ont été clairement révélées ce soir. L'expérience de nos voisins montre que Nicolas Sarkozy, qui s'est montré si hésitant dans ses choix, doit impérativement profiter du départ de Juppé et de la position délicate de Borloo pour remanier son gouvernement, et oser afficher enfin une ligne politique clairement libérale, quand bien même il prendrait ainsi le risque de violer à la fois les conservateurs de sa majorité et une partie de son électorat.
Naturellement, l'annonce de mesures fortes en ce sens provoquera des remous sociaux à la rentrée. Mais ces remous sont de toute façon inévitables. Quitte à devoir accepter un affontement frontal avec les forces les plus réactionnaires que comptent la gauche et son aile extrême, autant que ce soit dans l'espoir d'aboutir à une transformation radicale du rôle de l'état dans la société française, un état recentré sur ses prérogatives régaliennes - défendre le droit de propriété et les libertés individuelles -, n'assurant qu'un filet social minimal, et laissant la société civile et le marché libre trouver les solutions aux problèmes des individus. A ces conditions, la croissance reviendra, et les français se surprendront à apprécier une société libérale qui mettra beaucoup de beurre dans leurs épinards, en fussent-ils surpris.
D'un demi-mal, il faut savoir tirer un bien. Si le bénéfice du résultat mitigé de ce soir se borne au désormais probable abandon certes réjouissant de la TVA sociale, mais se prolonge par une inhibition de toute volonté réformatrice majeure de la France et de son modèle social en voie de faillite, alors le passage de N. Sarkozy à l'Elysée restera dans l'histoire comme une simple occasion manquée de plus pour la France. Espérons que l'égo -parait-il démesuré- de notre nouveau président le poussera à tenter le pari d'un libéralisme sans concession, afin qu'il apparaisse comme celui qui, tel un Reagan ou une Mrs. Thatcher, aura redonné à la France bien plus que du bien être économique et de la confiance: sa fierté.
Alors que je m'apprête à publier ce billet, une petite voix me susurre: "doux rêveur" !
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