(1) Ceci
est le premier article d'une série (dont je ne sais pas
encore si elle
sera longue) sur "les déterminants cognitifs et émotionnels
du désir d'état".
L'orthodoxie libérale nous enseigne fort
justement que l'échange, lorsqu'il est totalement libre et
volontaire entre deux parties, est fructueux,
"gagnant-gagnant".
Sans quoi, une des deux parties prenantes de l'échange n'y
participerait pas. Cela est rigoureusement exact, mais...
... Mais souvent une des deux parties - et
parfois les deux
- bien qu'ayant consenti à l'échange, se sent plus ou moins
insatisfaite par ses termes. Le nouvel embauché se plaindra:
"J'ai
accepté cet emploi à 1000 Euros parce que je ne trouvais pas mieux,
mais franchement, j'aimerais mieux en gagner 1500...",
L'actionnaire-entrepreneur pensera que "les avantages sociaux versés
aux salariés coûtent bien cher, alors que c'est moi qui assume les
risques d'échec commercial de ma société", l'acheteur d'une voiture se
désolera: "J'ai négocié 1500
Euros de remise, alors que j'aurais pu en obtenir 2500",
alors que le
vendeur pensera que le rabais qu'il a dû consentir pour emporter la
vente lui coûtera quelques euros de primes en moins...
Certes,
le salarié insatisfait de sa paie pourra dépenser plus d'énergie à
augmenter ses qualifications et à apporter plus de valeur ajoutée son employeur, voire à en chercher un autre qui paiera mieux. L'employeur
vertueux pourra s'échiner à trouver le moyen d'accroitre la
valeur ajoutée de son activité, ce qui lui permettra d'accroître à la fois sa
rémunération et celle de ses employés. Et ainsi de suite.
Ces stratégies d'accroissement global de la richesse par l'effort et le
mérite ont pour intérêt d'augmenter le gain des deux parties. Mais
elles sont parfois exigeantes, fatigantes, et supposent de la patience,
alors que moult individus sont naturellement enclins à vouloir une
satisfaction immédiate de leurs désirs, de préférence en minimisant l'effort
consenti en vue de cette satisfaction.
Par conséquent, beaucoup chercheront des moyens de maximiser leur part de la valeur ajoutée liée à l'échange au détriment de l'autre partie,
et si possible sans effort. Si des contraintes législatives permettent
de limiter la liberté de négociation d'une des deux parties, l'autre, à
court terme, aura le sentiment d'y gagner. Le salarié exigera un salaire minimal, le
producteur demandera des prix garantis et des mesures protectionnistes,
le pharmacien se battra pour maintenir un numerus clausus limitant la
compétition, le gros industriel soutiendra des règlementations coûteuses qui gêneront l'éclosion de petites entreprises concurrentes, et ainsi de suite.
L'état est perçu par nombre de personnes comme l'instrument de réduction d'éventuelles frustrations qui peuvent naître de la nécessité d'obtenir un compromis acceptable pour concrétiser un échange. Qu'il sache vendre cette capacité, et il trouvera de nombreux supporters.
A long terme, cette stratégie est perdante pour la société: en
substituant, à l'obligation d'accroitre la valeur ajoutée globale du système pour s'enrichir, la possibilité d'en déplacer une partie au profit de certains groupes de
pression, les lois qui distordent la liberté des échanges réduisent
l'incitation à l'amélioration continue des processus de production des
biens et services, et donc altèrent le processus vertueux qui, année après année, augmente notre pouvoir d'achat. Cela n'est pas sans conséquence sur le moral des ménages, sur l'impression d'insatisfaction de certaines personnes, sur la perception de notre qualité de vie, etc...
En réduisant la frustration immédiate visible de quelques uns, l'action d'un état interventionniste contribue donc à augmenter, à terme, la somme des frustrations collectives. Ce qui, paradoxalement, contribuera à amplifier la demande politique pour de nouvelles interventions ! Sauf si des leaders charismatiques et éclairés provoquent une prise de conscience inverse au sein d'une large part du corps électoral. En France, ce n'est pas demain la veille !
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