La crise du crédit subprime, qui provoque une "très forte correction baissière" des marchés, que certains qualifient de krach, est elle une simple correction un peu brutale d’un épiphénomène spéculatif, ou va-t-elle déboucher sur une crise plus profonde et durable, affectant fortement l’économie mondiale ? Les banques centrales doivent elles voler au secours des marchés financiers en baissant leurs taux d’intérêts, au risque de recréer les conditions d’une nouvelle bulle, par excès de liquidités ? Ou doivent elles laisser les acteurs de ce marché boire le bouillon la gueule ouverte, pour qu’ils retiennent la leçon et ne répètent pas les mêmes erreurs ?
Je laisse à d’éminents spécialistes de la finance internationale le
soin de répondre à ces questions, si possible en se mettant d’accord,
ce qui n’est pas gagné. Les opinions sont diverses, mais les récents
avertissements lancés par MM. Paulson et Bernanke (photo) laissent craindre que
les scénarios pessimistes ne relèvent pas du domaine de l’impossible.
Certains analystes estiment que 1 à 3 millions de ménages US pourraient
perdre leur maison. Le haut de la fourchette est à mon avis
excessif : Aujourd’hui, il y a
1,25 millions de défauts de paiement constatés, mais chaque
constat de défaillance ne mène pas à la faillite de l’emprunteur. Dans
de nombreux états de l'union, les banques essaient de trouver des
solutions de rééchelonnement de prêts lorsqu’elles pensent que le
débiteur ne traverse qu’une difficulté passagère. Ceci dit, la situation est très sérieuse.
Haro sur les marchés !
Comme je
l’avais prévu récemment, les politiques de tout bord
incriminent pèle mêle l’absence
de sagesse des spéculateurs, le manque de transparence des
produits dérivés de l’ingénierie financière obligataire, les agences de
notation qui n’auraient pas fait leur travail, la BNP qui aurait envoyé
un signal de « panique » au marché, et autres
explications qui varient du certes plausible au totalement risible (la
BNP a bon dos
), mais ne s'interrogent en aucun cas sur les
conséquences des diverses interventions étatiques sur ce marché.
Une exception à cette apparente myopie. Quelques voix, dont celles de
Patrick Artus (directeur de la Recherche et des Études de Natixis) sur
BFM il y a quelques jours, s’élèvent pour remettre en cause la
politique de « stop and go » continuel menée par la
FED, la banque centrale du Japon et, dans une moindre mesure, les
banques centrales européennes. Ces institutions, en alternant des
périodes de crédit facile, favorisant l’accroissement rapide
(trop ?) des agrégats monétaires, créent les conditions du
mal-investissement financé par l’endettement. Mais lorsque les tensions
inflationnistes nées de cet accroissement de la masse monétaire se font
par trop sentir, elles tendent à resserrer drastiquement les taux
d’intérêt, ce qui provoque des faillites. Puis, sous la pression des
acteurs financiers étranglés par la soudaine contraction des
liquidités, elles relâchent la pression. Et ainsi de suite.
Selon P. Artus, peut être faudrait il enfin s’interroger sur le statut
de gourou prêté à Alan Greenspan, et sur ses collègues des banques
centrales. Ce stop and go a déjà provoqué plusieurs crises financières,
dont la crise des junk bonds de 1989, des saving and loans au début des
années 90, la bulle des dotcom à la fin du siècle dernier, et
maintenant la bulle immobilière. Et de plaider pour une gestion moins
conjoncturelle des taux d’intérêts.
Quelques voix vont plus loin et estiment que la répétition de ces
crises, dont celle-ci pourrait être "the big one" qui
entraînera l’économie mondiale dans une phase de récession, doit nous
pousser à revenir à des fondamentaux plus sains pour le système
monétaire international : moins de banques centrales, voire
un retour aux étalons métalliques (Or, argent). J’avoue
humblement que mes limites de compétences sont atteintes sur ces
questions, et ne me prononcerais pas sur leur caractère pertinent ou
non, me contentant de déplorer que les soutiens de ces réformes, qui
ont certes des arguments apparemment solides vus d'un semi-profane,
n’expliquent jamais pourquoi, dans le passé, certains ont jugé utile de
créer des banques centrales ou d’abandonner l’étalon or...
Est également montré du doigt, sans aucun doute avec raison, le "carry trade"
permis par les taux quasi nuls de la banque du Japon, incitant des
opérateurs à s’endetter à Tokyo pour spéculer sur des actifs aux USA ou
en Europe, au risque d’être étranglés par une remontée du Yen.
Le rôle des règlementations affectant le logement est sous estimé
Ces explications "côté monnaie" de la crise actuelle (argent trop bon
marché -> malinvestissements) sont sans aucun doute parfaitement
exactes, mais elles ne sont que partielles, et éludent le
second volet du problème, à savoir les fluctuations de prix qui
affectent les objets de la spéculation. En l’occurrence, les logements.
Or, les prix immobiliers, en montant dans la plupart des marchés
beaucoup plus vite que les revenus des ménages, ont adressé à tous les
acteurs de ce marché des signaux complètement distordus. Les
emprunteurs ont dû augmenter significativement les montants empruntés,
et par là même leur exposition au risque. Mais la perspective de voir
la valeur de leur bien immobilier monter indéfiniment les a conduit à
sous-estimer ce risque. Les banquiers, et plus encore ceux qui ont
racheté leurs créances, se sont illusionnés sur la valeur prospective
des actifs garantissant la dette (cf. ma
précédente note sur ce sujet)
De nombreuses recherches académiques ont mis en évidence de
façon indiscutable que la bulle sur les prix de l'immobilier ne s’est
formée que dans
les zones où la réglementation foncière a artificiellement limité la
capacité des constructeurs à répondre à la demande de
nouveaux logements, notamment par l’extension des villes à leur
immédiate périphérie.
Malheureusement, dans le monde Anglo-Saxon (USA, UK, Irlande,
Australie, Nouvelle Zélande, Canada), sur 159 aires urbaines de plus de
700.000 habitants, 117 sont affublées de telles réglementations
restrictives, dont toutes les plus importantes (source).
Quand bien même une quarantaine d’agglomérations, dont la moitié en
croissance économique et démographique forte, n’a pas connu la même
explosion des prix, malgré des conditions macro-économiques similaires
au reste du monde, la perception d’une hausse
« globale » de l’immobilier par les intervenants non
spécialisés dans les questions urbaines a été majoritaire. La France et
l’Espagne, qui possèdent des réglementations du sol également
contraignantes, ont également connu la même flambée des cours. Mais pas
l’Allemagne, ni la Belgique.
Les urbanistes sont rarement de grands économistes. L’inverse est hélas
encore plus vrai. De nombreux observateurs ont tenté de trouver des
explications d’origine purement monétaires à la hausse de
l’immobilier, sans se demander pourquoi leurs hypothèses n’expliquaient
pas les anomalies statistiques constituées par les villes au sol peu
réglementé de la mid-america et du Canada. Certaines explications que
j’ai vu fleurir ça et là relevaient sans doute plus du wishful
thinking que de la science. J’ai même lu quelque part que,
tenez vous bien, "les
acheteurs, conscients d’un risque élevé de défaut sur leurs
régimes de retraite par répartition, valorisent plus qu’auparavant la
possibilité d’avoir un toit à eux sur leur tête, par souci de sécuriser
leur avenir, aussi la hausse des prix actuels n’est pas une bulle mais
la correction d’une sous évaluation antérieure des biens immobiliers".
Les auteurs de telles inepties doivent se faire tous petits devant
l’actuelle débâcle.

Des "experts", il y a quelques mois:
"La hausse des prix actuelle n'est pas une bulle. Puisqu'on vous le dit !"
hat tip: freakonomics blog
Imaginons un instant que le monde entier ait eu un droit des sols
"houstonien" ou "allemand", où la possibilité de construire facilement
de nouvelles maisons sur un foncier périphérique abondant maintient les
prix du neuf et de l’ancien dans des limites basses, concurrence entre
offreurs de centre ville et de périphérie oblige. La hausse de la
demande immobilière y aurait de fait provoqué une hausse très
raisonnable des cours (10-15% sur 5 ans, liés essentiellement au manque
de main d’uvre qualifiée disponible lorsque la demande est très
soutenue), et non un plus que doublement des prix corrigés des revenus,
en moins de 10 ans. Il est clair que les acheteurs immobiliers, comme
leurs financiers, auraient supporté des risques de crédit bien plus
faibles, et que les décisions d’achat et de refinancement des créances
immobilières se seraient plus focalisées sur des critères rationnels
(emplacement, qualité de construction, etc
) que sur des espoirs de
gain financier qui se révèlent à la longue illusoires.
Sans doute le mal-investissement qui a gangréné le marché immobilier se
serait il reporté ailleurs, l’excès d’offre monétaire des banques
centrales restant le même. Mais au moins la crise actuelle n’aurait
elle pas eu pour funeste conséquence de jeter à la rue des dizaines de
milliers de propriétaires dont la maison se trouve saisie, le niveau
des dettes non honorées par les emprunteurs défaillants serait bien
plus faible qu’il ne l’est, et l’effet de contagion sur le système
bancaire aurait été par conséquent bien moindre.
N’ayons pas peur de l’affirmer : qu’il soit une simple crise
passagère ou le prélude à une crise systémique autrement plus grave, le grand merdier actuel
n’existerait tout simplement pas sans ces aberrantes réglementations de
l’usage des sols, qui se sont répandues comme la lèpre à
partir des années 50 dans le monde anglo-saxon puis dans le reste du
monde. Si le bon vieux droit de propriété, encadré par la
responsabilité individuelle, avait prévalu, les USA n'en seraient pas là. Et rappelons qu'en France, si nous ne risquons pas de crise du crédit, nous sommes aussi dans une phase spéculative immobilière qui pénalise gravement les ménages qui n'y ont pas accès, au crédit.
Or, je n’entends absolument nulle part dans la presse ni dans
le discours du moindre politicien, d’interrogation sur le rôle de ces
réglementations. Il n’est question que de renforcer les législations de
marché ou l'intervention des banques centrales, ce qui
conduira sans aucun doute à de nouvelles distorsions de signaux envoyés
aux intervenants, qui provoqueront au mieux de nouveaux effets pervers,
au pire de nouvelles catastrophes, d’ici quelques années. Cela n’aidera
pas les ménages à faire face à leurs dépenses de logement.
Une grande loi de libération foncière, telle que nous la
proposons avec l'institut Turgot, ne
résoudrait en rien les problèmes de fond qui affectent le système
financier international. Mais elle éviterait que ces turbulences ne se
propagent au secteur du logement, empoisonnant la vie de familles
souvent modestes qui ne devraient en aucun cas devenir les victimes collatérales de ces désordres.
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