James Gwartney, Commonsense Economics
Question : Un lecteur m'a écrit un jour en substance (je résume)
" Je comprends que vous souhaitiez que les entrepreneurs qui réussissent soient récompensés financièrement pour leur prise de risque, Mais tout de même, n'êtes vous pas choqué par certains hauts salaires comme celui des footballeurs-stars ? Est il normal pour un libéral qu'un individu soit payé jusqu'à 6 millions d'Euros annuels pour taper dans une baballe ? La loi ne devrait elle pas plafonner le salaire de ces personnes qui touchent 500 fois plus que le jardinier de leur club ? Le jardinier ne devrait il pas toucher plus et les stars moins ? Les scandales de dopage et autres ne prouvent-ils pas que l'argent pourrit le sport ? "
Réponse : Quelle charge ! Mais non, cher lecteur, désolé, je ne trouve rien de réellement anormal dans cette situation.
Loin de moi l'idée de présenter le milieu du sport comme un monde parfait, d'où la malhonnêteté serait absente. Mais le star system ne mérite pas l'opprobre dont certains le couvrent. Son fonctionnement répond à une logique cohérente, et il satisfait des besoins parfaitement honorables au sein des sociétés du monde entier. Etudions cela en détail.
Pourquoi les stars du sport sont elles aussi bien payées ?
Prenons
l'exemple d'un club de football professionnel, mais le raisonnement est
vrai pour une équipe de basket NBA, un producteur de cinéma, etc...
Chaque saison, le club affronte une compétition féroce, dont le public ne retient que les premiers.
Arriver en tête de son championnat lui assure une participation à la ligue des champions, génératrice de revenus élevés de la part des télévisions, et susceptible d'augmenter considérablement les ventes de billets et de produits dérivés. Que le club n'arrive que troisième, et il devra affronter un tour préliminaire risqué, qu'il termine la saison au pied du podium et il devra se contenter de la coupe de l'UEFA. Sans parler du désastre financier que représenterait une relégation en division inférieure.
Or, souvent, la différence entre les clubs classés en tête et en quatrième position est ténue. Certes, Lyon a dominé le championnat 2005-2006, mais les titres ne se gagnent pas toujours avec une marge aussi élevée.
Intéressons-nous à Bordeaux, Lille et Lens, arrivés respectivement en deuxième, troisième et quatrième position lors de cette même saison 2005-2006.
Bordeaux : 69 pts - 18 victoires 15 nuls 5 défaites - 43 buts marqués (1,18 par match), 25 encaissés.
Qualifié directement en Ligue des champions.Lille : 62 points - 16 victoires - 14 nuls - 8 défaites - 56 buts marqués, 31 encaissés.
Tour préliminaire.Lens : 60 points - 14 victoire - 18 nuls - 6 défaites - 48 buts marqués, 34 encaissés -
UEFA.
Notez l'importance du nombre de matchs nuls, et la faiblesse relative de l'écart entre les buts encaissés et les buts marqués. Cela signifie que la plupart des victoires de ces clubs sont acquises avec un but d'écart. Si la défense particulièrement solide de Bordeaux avait encaissé six buts supplémentaires (soit autant que celle de Lille) par la faute de joueurs « un peu moins bons », cela aurait transformé à peu près 3 victoires en matches nuls et 3 nuls en défaites. Soit 9 points de moins, ce qui aurait mis Bordeaux à égalité avec Lens.
Mais imaginons maintenant que le joueur-clé qui a solidifié la défense bordelaise ait joué... à Lens, et qu'il y ait eu une influence seulement moitié moindre de celle qu'il a eue à Bordeaux : le club nordiste aurait pu encaisser trois buts de moins, transformant une défaite en match nul, et un nul en victoire : il se serait donc retrouvé en seconde position, devant Lille, Bordeaux finissant quatrième.
Et on peut évidemment tenir les mêmes raisonnements en ce qui concerne la qualité offensive des équipes respectives.
la différence entre le paradis et le purgatoire
se joue à 5 ou 6 but près, et parfois moins.
On voit donc que la différence de classement entre un club qui peut jouer la Ligue des champions et un autre qui sera relégué en Coupe de l'UEFA, nettement moins rémunératrice, se joue à très peu de choses : Sur une saison de 38 matches, la différence entre le paradis et le purgatoire se joue à 5 ou 6 but près, et parfois moins.
L'expérience montre que les clubs qui se maintiennent durablement au sommet sont ceux qui, à chaque saison, attirent des joueurs fortement cotés sur la scène internationale. Certes, ce n'est pas une loi d'airain : un club riche peut connaître une saison noire, on se souvient de la débâcle du Racing de Paris, financé à grands frais par Jean-Luc Lagardère, qui fut relégué en seconde division.
De même, un club "formateur" peut réussir un "coup" et coiffer sur le poteau ses adversaires avec une équipe de jeunes talents. Mais l'histoire montre qu'il ne rééditera pas l'exploit par la suite et que ces situations-là sont l'exception. Sur la durée, Lyon et l'Olympique de Marseille gagnent plus de titres qu'Auxerre et Nantes, Arsenal et Manchester United ont gagné bien plus de trophées que les Blackburn Rovers.
La règle veut que, pour réussir durablement, un club doit se mettre en capacité de faire signer les joueurs qui permettront de marquer 5/6 buts de plus et d'encaisser 5/6 buts de moins que les concurrents les plus proches. Et voilà pourquoi une star comme Thierry Henry peut signer des contrats bien plus juteux que l'avant-centre pourtant valeureux d'un club de milieu de tableau de première ligue anglaise.
La différence de salaire entre les « stars » et les joueurs simplement « très bons » ne s'explique pas autrement : le club met en regard l'avantage spécifique (important) que le grand joueur peut potentiellement apporter, avec ce qu'il peut payer, et ce que ses concurrents sont prêts à payer pour ce joueur. Vaut il mieux payer le meilleur avant-centre du moment 6 millions d'Euros, ou un joueur capable de marquer 25% de buts en moins pour 1 Million d'Euros ? Selon les ambitions du club, la réponse sera différente, mais Arsenal, Chelsea et Manchester United n'hésitent pas et choisissent la première option.
il compare au prix l'avantage marginal qu' entraîne pour lui
chaque éventuel but supplémentaire,
et il aligne les zéros en conséquence
Ce choix illustre un des principes fondamentaux qui explique le choix des agents économiques tous domaines confondus : c'est naturellement en tenant compte des changements qu'entraînera ce choix concret - les économistes disent « à la marge » qu'ils prennent leurs décisions.
Dans l'exemple ci-dessus, Thierry Henry et ses 20-25 buts annuels en championnat coûtent beaucoup plus cher par but marqué que l'avant-centre d'une équipe de milieu de tableau, qui plafonne à 15, mais est payé à peu près 5 fois moins cher. Cependant, ce n'est pas le « coût par but marqué » qui intéresse le club acheteur : il compare au prix l'avantage concret qu'entraîne pour lui chaque éventuel but supplémentaire, et il aligne les zéros en conséquence.
Le même raisonnement s'applique pour expliquer la différence de salaire entre l'attaquant vedette et le jardinier (ou entre Julia Roberts et le projectionniste de son film) : la qualité de la pelouse influe somme toute assez peu sur les rentrées d'argent futures du club, la qualité de l'avant-centre, si.
Ok, tout ceci est assez rationnel, mais est-ce moral ? Revenons à une des questions de notre lecteur :
"les revenus des footballeurs professionnels, stars ou moyens, ne sont ils pas moralement excessifs, indépendamment des facteurs économiques rationnels qui expliquent la différence de revenus entre les stars et les autres ?"
Une activité sportive fait certes très bien vivre des stars, mais engendre également tout un écosystème qui permet de vivre à des dizaines de salariés « ordinaires », dans les clubs et chez leurs prestataires de service. Dans le cas où cet écosystème vit sans argent public, il n'y a rien de scandaleux. En Grande-Bretagne, les clubs ne touchent plus un centime de subventions publiques. Certains louent leurs stades aux villes, qui sont tenues d'équilibrer leurs coûts et ne font donc pas de cadeau, d'autre préfèrent acheter leurs installations, comme le club d'Arsenal, qui finance un nouveau stade par un emprunt obligataire de longue durée.
Dans ces conditions, l'argent qui paie les acteurs du système n'a été pris de force à personne, il ne vient que de contributions volontaires : spectateurs qui payent pour voir les matches, télévisions soucieuses de fidéliser des spectateurs en masse et sponsors qui trouvent leur intérêt à utiliser le spectacle du football comme vecteur de communication, prêteurs, milliardaires s'offrant une danseuse... Ces revenus seront d'autant plus élevés que le club parviendra à faire signer des stars. La boucle est bouclée.
les
salaires versés en France sont moralement plus discutables
que ceux
versés par les clubs anglais...
alors même qu'ils sont plus faibles.
En France, la séparation du sport professionnel et de l'argent public est moins claire, malgré un assainissement récent et relatif de la situation depuis les années 90. C'est pourquoi les salaires versés en France sont moralement plus discutables que ceux versés par les clubs anglais, ou les ligues professionnelles nord-américaines (Basket, Baseball, Hockey, US Football...), alors même qu'ils sont plus faibles.
"Le jardinier n'est-il pas exploité ? La loi ne devrait elle pas plafonner le salaire de ces personnes qui touchent 500 fois plus que le jardinier de leur club et forcer à mieux payer le jardinier ?"
Votre bon coeur vous honore, cher lecteur, mais ce faisant, il est probable que vous tueriez la poule aux oeufs d'or et une partie des emplois de jardiniers qui mangent une part de l'omelette.
Les entreprises de spectacle, sportif ou autre, satisfont chez le consommateur un besoin, à l'égal des vendeurs de voitures ou des supermarchés alimentaires. Ils vendent du rêve, de l'adrénaline, du plaisir visuel, et nous sommes prêts à payer pour ces articles-là, comme en témoignent les passions et les chiffres d'affaires générés par ces activités...
Coupez les gros salaires des stars et vous diminuez fortement l'incitation des joueurs à devenir des stars, à accumuler les dizaines d'heure d'entraînement nécessaires pour transformer leur talent brut en capacité à marquer 5 buts de plus que le concurrent. Les stars aussi prennent leur décisions à la marge ! Si vous réduisez l'incitation à l'excellence, vous réduirez l'excellence.
Vous réduirez ainsi l'envie pour les spectateurs de payer une somme assez élevée pour voir jouer Thierry Henry, si Thierry Henry n'a pas fait l'effort nécessaire pour se hisser au-dessus du niveau d'un joueur de ligue 2.
Par conséquent, il est à craindre que les recettes globales de l'écosystème du football ne soient fortement réduites si les stars n'ont pas suffisamment d'incitation à le devenir. Moins de stars, moins de rêve, moins d'adrénaline chez le spectateur... voilà pourquoi les stades français paraissent vides par rapport à leurs homologues allemands, britanniques, espagnols et transalpins : la volonté du législateur de réduire les inégalités par le biais d'une fiscalité marginale plus élevée que chez nos voisins fait fuir nos meilleurs joueurs à l'étranger et tarit la source de revenus des clubs. Et le résultat, c'est que seul un club star arrive à se maintenir régulièrement au niveau européen : l'Olympique de Marseille puis le Paris Saint Germain hier, l'Oympique Lyonnais plus récemment*.
Et le fait est que les clubs moyens emploient généralement moins de staff, moins bien payé, que les grands clubs. Ce sont donc non seulement quelques stars, mais aussi des techniciens, des agents d'entretien et de sécurité, des kinésithérapeutes, des vendeurs de maillots, des agents de billetterie, etc... qui verraient fondre le gâteau à se partager si d'aventure la loi réduisait la possibilité pour les uns de se distinguer des autres.
Vous pourriez me rétorquer que d'autres sports drainant moins d'argent possèdent des joueurs-stars tout aussi valeureux que Thierry Henry, et que par conséquent l'excellence peut se payer à des prix bien moindres que ceux pratiqués dans le football. Certes, mais un Jackson Richardson reste généralement bien mieux payé qu'un handballeur moins remarquable. Le star system sportif conduit à reproduire partout une échelle de revenus assez inégalitaire entre les quelques grandes stars et la moyenne des bons joueurs professionnels. Ce qui crée la différence entre le salaire de Thierry Henry et celui de Jackson Richardson n'est pas la nature plus égalitaire du Handball, mais le chiffre d'affaire global de leur secteur d'activité. Les stars du foot gagnent plus que les stars du Hand, et les « bons » joueurs de foot gagnent plus que les « bons » handballeurs, simplement parce qu'il y a beaucoup plus de gens qui sont prêts à payer, éventuellement plus cher, pour voir des matches de football.
"Mais l'argent omniprésent dans le sport n'y entretient-il pas la corruption et la tricherie ?"
La corruption et la tricherie ne sont pas l'apanage des sports professionnels riches. Le sport amateur connaît ses cas de dopage. Les anciens pays du pacte de Varsovie dopaient leurs sportifs pour le prestige que rapportait leurs victoires à leurs régimes dévoyés. Un père de tennisman a été convaincu d'avoir drogué les adversaires de sa progéniture pour lui permettre de gagner des tournois minimes ou cadets d'importance secondaire.
Les chefs de rayon de supermarché reçoivent parfois des gratifications en nature, au détriment de leur employeur. Les politiciens aiment parfois détourner de l'argent public à leurs fins propres. Certains grands patrons vendent leurs actions sans révéler aux marchés le mauvais état réel de leur entreprise. Certains salariés fraudent la prime à l'emploi... La tricherie et la malhonnêteté se rencontrent dans tous les milieux, à tous les niveaux de revenus, sans pour autant représenter l'attitude générale.
Souvent, l'incapacité de la justice, et de la justice sportive en particulier, à obliger les tricheurs de compenser le préjudice qu'ils causent à leurs adversaires honnêtes créée une incitation très forte à la malhonnêteté. La loi, en général, prévoit des peines de prison pour un Willy Voet (le soigneur, payé à peine 2 fois le smic) mais de simples sanctions sportives contre un Richard Virenque : ne nous étonnons donc pas que cela suscite des tentations de dopage chez les sportifs soumis à des rythmes de compétition plus que soutenus. Si la justice condamnait le sportif dopé à verser ses gains indûment perçus au premier sportif honnête du classement, voire l'obligeait à réparer les torts qu'il a causés, comme elle le fait pour tout préjudice dans d'autres domaines, nul doute que les vocations de tricheurs seraient moins nombreuses.
Conclusion
Les secteurs économiques soumis au star system, lorsqu'ils sont auto-financés, obéissent à la même structure d'incitations et d'inhibitions que n'importe quelle autre activité. Parce qu'ils sont très compétitifs, et qu'ils s'adressent à la part la moins rationnelle des émotions du consommateur, ils tendent à générer des échelles de revenus sans doute moins égalitaires que d'autres secteurs économiques.
Ils n'en restent pas moins de formidables cash machines qui créent de nombreux emplois, tout en répondant à une demande forte des populations pour des produits inducteurs de rêve, de plaisir, d'occasions de fête. Comme dans tout autre secteur d'activité, l'intervention de l'état simplement basée sur des considérations émotionnelles produirait plus d'effets pervers que de bienfaits pour les personnes que l'intervention serait censée aider.
Texte initialement publié en 2006 sur le site de l'institut Turgot et sur celui de l'institut Hayek - De temps en temps, j'insérerais des reprises de textes anciens, pendant cette période d'ajustements techniques dont je reconnais qu'ils entament ma créativité...
*Le hasard veut que cette note soit republiée juste après que l'OL ait pris une râclée à domicile en Ligue des champions. Cela ne retire rien aux mérites passés de l'OL...
Au vu de la quantité monstrueuse de pognon générée par l'activité économique "football", qui repose entièrement sur les joueurs, je trouverais extrêmement injuste que ceux-ci ne soient pas payés comme des stars.
Je trouve choquant qu'un artiste touche 1 euro par CD vendu. Sur un billet à 30 euro les joueurs touchent beaucoup plus, c'est normal, les gens ne vont pas au match pour regarder pousser la pelouse.
Il faut arrêter les réflexes gauchisants "il gagne trop c'est pas normal on va le taxer" => "trop tard il joue en irlande maintenant"
Rédigé par : Peufeu | samedi 06 octobre 2007 à 08h39
Enfin une vraie analyse sportive!
:D
Rédigé par : stan | lundi 08 octobre 2007 à 01h03