Depuis le mois de juillet, Nicolas Sarkozy a donné pour mission à François Fillon de réfléchir à une "réforme" de la taxe d'habitation, basée sur le principe de la réévaluation de la valeur locative du bien à chaque transaction (vente ou renouvèlement du bail).
Vous penseriez que tout individu épris de modernisation de l'action publique ne pourrait que se réjouir de la réforme d'un impôt qui au fil des ans est devenu un monstre archaïque doublé d'une usine à gaz technocratique. Il n'en est rien.
L'association des maires de France redoute quant à elle cette réforme, dont elle estime avec raison qu'elle sera impopulaire. C'est une raison plutôt superficielle de s'opposer à ce changement. Je vais en développer de biens plus substancielles. Mais auparavant, rappelons en quoi consiste le calcul de la taxe d'habitation, TH pour les intimes.
Une taxe... ubuesque
La taxe d'habitation est calculée à partir de 50% d'une « valeur locative » du bien occupé, déterminée par les services du fisc, à laquelle les collectivités appliquent un "taux", par exemple 22% pour la municipalité de Nantes, auxquels les nantais doivent ajouter un taux pour leur conseil général et un autre pour leur conseil régional. Mais ces bases locatives ont été mises à jour dans les années 70 et n'ont été qu'imparfaitement revalorisées depuis. Ces valeurs locatives n'ont que peu à voir avec les valeurs réelles.
Ajoutons que plus une maison est pimpante, bien équipée en éléments de confort (aux standards de 1970...), et plus elle sera taxée. Voilà pourquoi certains de nos villages de campagne ont l'air tellement miteux: lors de l'établissement des valeurs locatives initiales, les propriétaires ont souvent fait de gros efforts pour diminuer la valeur perceptible de leur bien... Ces réflexes ont encore cours parfois aujourd'hui chez les propriétaires les plus âgés.
Ajoutons que les communes et intercommunalités qui ont su attirer de gros employeurs perçoivent beaucoup de taxe professionnelle et peuvent donc réduire la TH, ce qui n'est pas le cas de communes pauvres. Il en résulte un effet pervers: la TH se révèle "régressive", c'est à dire qu'elle représente une plus grande part des revenus des ménages pauvres, souvent localisés dans des communes à faible potentiel fiscal, que des ménages riches, dont les communes, à l'exemple de Neuilly ou Puteaux, regorgent d'entreprises émargeant à la taxe professionnelle, et peuvent donc appliquer des taux faibles à leurs habitants.
En 2002, afin de corriger en partie cette anomalie, l'état a institué des plafonds de taxation, des exonérations pour les très bas revenus, ainsi que des planchers pour les ménages à haut revenu. La régressivité n'a pas été corrigée mais atténuée, et l'état a mis en place tout un système de compensation des impôts non perçus par les collectivités du fait de l'application de ces plafonds. Seuls des fiscalistes pointus comprennent encore le système qui en a résulté.
La TH mérite donc un bon coup de plumeau. Mais la formule choisie par le gouvernement est sans doute la moins intéressante qu'il puisse envisager.
La réforme proposée
Toute transaction immobilière fait l'objet d'un enregistrement auprès des services fiscaux. La réforme envisagée consiste donc à calculer, à chaque changement de propriétaire d'un bien, la valeur locative de ce bien qui découle de la transaction effectuée.
Il s'agirait donc, une fois de plus, non pas d'une réforme de rupture, mais d'un simple ajustement paramétrique d'un système dont on peut affirmer qu'il est structurellement mauvais. En effet, il ne règlera pas les problèmes de fond de la fiscalité locale actuelle, et il perpétuera l'injustice fondamentale que constitue la présence d'impôts dont le calcul est établi a partir de la valeur d'un capital, plutôt que d'un revenu.
Les impôts basés sur la valeur d'un capital sont immoraux
Il existe des impôts dont le calcul est effectué sur la base du revenu, d'autres sur la base du montant d'une transaction (TVA), d'autres enfin dont le montant est calculé à partir d'un certain patrimoine. Dans cette dernière famille, on peut citer l'ISF, les taxes foncières, ainsi que la taxe d'habitation, bien que celle ci puisse être payée non pas par le détenteur du capital, mais par un locataire.
Il est extrêmement difficile de manier le concept de "justice" en matière fiscale. Il existe sûrement beaucoup de définitions non concordantes de ce que doit être un impôt juste ou injuste. Toutefois, les impôts dont l'assiette de calcul est constituée d'un capital devraient heurter le bon sens et une certaine conception de la morale basée sur l'effort et la sagesse.
Premièrement, ces impôts ne prennent pas du tout en compte les revenus des possédants du capital. Celui ci a pu être acquis lors d'une période faste, mais le ménage concerné peut traverser une mauvaise passe: il est pénalisé pour "avoir été aisé", quand bien même il ne l'est plus.
Or, l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme de 1789 prévoit que "la contribution des citoyens à l'administration publique doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés". Le terme de faculté peut évidemment être apprécié de diverses façon, mais il est difficile d'y voir autre chose que "la capacité de payer". Et cette capacité est liée essentiellement aux revenus, et non à la possession de patrimoine immobilier, sauf à considérer qu'il est normal que quelqu'un qui traverse une mauvaise passe doive vendre son unique actif juste pour payer le fisc.
Ajoutons que les impôts sur le capital créent pour les ménages des incitations aux effets pervers : Nous avons vu que dans les campagnes, certains propriétaires étaient tentés de négliger l'apparence de leurs biens, ce qui ne peut guère être perçu comme un phénomène positif.
En outre, ces impôts récompensent les cigales, qui dépensent au fur et à mesure, au détriment des fourmis épargnantes. Loin de moi l'idée de stigmatiser les dépensiers, chaque individu étant libre de l'usage qu'il fait de ce qu'il gagne, mais au moins la fiscalité assise sur le revenu au moment où il est gagné est elle totalement neutre par rapport à l'usage que chacun fait de son argent, permettant aux ménages de prendre leurs décisions de consommation ou d'épargne en toute liberté d'esprit, en tenant compte seulement de leurs envies et de leurs opportunités d'investissements.
Les problèmes du système actuel ne seront pas réglés
Le système fiscal local actuel se caractérise par sa totale opacité: tout le monde constate que les impôts locaux augmentent, mais bien peu comprennent sur quelles bases. Une mairie comme celle de Nantes peut bien affirmer qu'elle n'augmente presque pas son taux de TH, elle n'en joue pas moins sur les bases imposables dans les limites de ce que permet la loi, et donc augmente inexorablement la fiscalité appliquée sur les ménages nantais (cf. ce calcul effectué pour AL Nantes). Presque toutes les communes sont dans ce cas de figure.
Ajoutons que l'impôt ainsi défini restera régressif. En effet, la valeur d'un bien immobilier occupé par des personnes est fonction du pourcentage de leurs revenus qu'ils y consacrent. Or, les ménages modestes consacrent en moyenne une part bien plus importante de leur revenu au logement que les ménages aisés. Par conséquent, un calcul basé sur une simple fraction de la seule "valeur locative" du logement occupé aboutira à faire payer aux ménages modestes un impôt plus élevé en pourcentage de leurs revenus. Ce travers sera accentué par le problème non résolu des communes dites "pauvres", qui devront appliquer à leurs contribuables des taux d'imposition plus élevés que les communes richement dotées en entreprises, puisqu'elles auront à la fois moins de potentiel fiscal et plus de problèmes sociaux à résoudre.
La revalorisation des assiettes foncières créera de mauvaises incitations
Lorsque les communes dépendant grandement de la TH pour boucler leur budget ont un choix de développement à faire, elles peuvent soit manier l'augmentation du taux d'imposition (elles ne s'en privent hélas pas, mais ne peuvent pas en abuser) soit tenter d'attirer de nouveaux habitants pour augmenter l'assiette taxable.
Toutefois, elles doivent veiller à ne pas augmenter excessivement leur population par rapport à la capacité de leurs services existants, afin de ne pas mécontenter les populations déjà établies. Elles doivent donc rechercher un compromis acceptable entre croissance et conservation.
La revalorisation des assiettes foncières lors des transactions leur donnera une troisième possibilité: durcir leur réglementation du sol, au grand bonheur des propriétaires existants qui verront leur bien augmenter bien plus vite que l'inflation (voir la relation "réglementation du sol <=> prix des logements" abondamment traitée dans ce blog), mais sans que cette augmentation soit prise en compte dans le calcul de leur impôt (tant qu'aucune transaction n'intervient). Cette augmentation fera au contraire le malheur des nouveaux entrants sur le marché du logement, et de ceux qui, de plus en plus nombreux, ne peuvent payer le "ticket d'entrée" de plus en plus élevé pour accéder aux logements même les plus modestes.
Les communes pourraient ainsi mécaniquement voir leur assiette taxable augmenter, sans que cela traduise la moindre amélioration de leur performance économique, et avec des conséquences sociales désastreuses.
Ajoutons que la menace de voir le coût de transaction servir de base à l'établissement d'un impôt récurrent devrait inciter les parties prenantes à avoir bien plus qu'à présent recours à la pratique du dessous de table en billets...
La réforme de la TH par la seule réforme du calcul de l'assiette taxable est donc certainement la pire des voies d'évolution envisageable pour ce prélèvement.
Que faudrait-il faire ?
J'ai au mois d'Août esquissé une réforme générale de la fiscalité qui prend en compte une transformation en profondeur de la fiscalité locale. Le principe en est simple: sachant que les transferts annuels de l'état aux collectivités représentent environ 63 G€ alors que l'impôt sur le revenu en rapporte 56 à l'état, pourquoi ne pas supprimer l'impôt sur le revenu d'état, lui même fort critiquable à force d'être bricolé de toutes parts, et le remplacer par un impôt local sur le revenu unique de type Flat Tax couvrant à la fois les transferts de l'état, ainsi que la TH et quelques autres ?
Une telle réforme aurait deux avantages majeurs : d'abord, elle redonnerait aux collectivités locales, au premier rang desquelles les communes (ou intercommunalités, à voir), une autonomie financière presque intégrale, ensuite, elle rapprocherait considérablement le décideur du taux d'impostion (principalement le maire) des contribuables, le tout dans un système particulièrement lisible car proportionnel. Il va sans dire que la pression des contribuables sur les décideurs de la fiscalité serait bien plus forte qu'aujourd'hui, où l'exécutif central, si loin du peuple qu'il pressure, fait passer à peu près n'importe quelle création de taxe (dernier exemple) à un parlement godillot, sous le regard hébété des masses anesthésiées par des décennies de perfusion d'argent public.
Mais au vu de l'état du débat politique Français, où la moindre mesurette est promue au rang de "rupture avec le passé" et donne lieu à un psychodrame social, il est hélas improbable qu'une telle réforme globale soit envisagée...
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.