L'institut Montaigne vient de se livrer à une opération de salut public : estimer le coût réel de l'ISF pour la France, en tentant de savoir si cet impôt rapporte plus qu'il ne coûte, où l'inverse.
Pour ce faire, l'institut a examiné les valeurs du patrimoine déclarées à l'ISF en 1997, deux années après le déplafonnement de cet impôt décidé par Alain Juppé, et, à partir des évolutions des indices de valeurs boursières, immobilières, obligataires sur cette période, en a déduit ce que cette valeur aurait été si tous les contribuables présents en 1997 et 2006 étaient restés. En comparant cette valeur avec les capitaux réellement soumis à l'ISF en 2006, ils en déduisent une valeur 2006 du capital expatrié entre 1997 et 2006.
Puis il a ajouté une estimation de la valeur 2006 des patrimoines exilés avant 1997, pour arriver à un capital expatrié de 200 milliards d'euros. Une paille.
Il a ensuite chiffré le manque à gagner de cette expatriation du capital, d'une part en impôts non payés par les sortants (impôt sur le revenu, TVA, etc...), d'autre part en capital non investi dans des entreprises françaises.
Il est à noter que les hypothèses retenues sont extrêmement conservatrices, c'est à dire qu'elles sous estiment les manques à gagner identifiés (à mon avis trop largement, et c'est là la seule faiblesse de l'étude - Mais la prudence des auteurs face à certaines données lacunaires est parfaitement excusable).
Malgré cette réserve, les chiffres sont éloquents. extrait:
(...) Tentons ici une synthèse : les 200 milliards d’euros qui ont quitté le territoire génèrent des revenus qui sont eux même imposés : on peut estimer de manière prudente un revenu fiscal associé autour de 2 milliards d’euros (sous forme d’imposition des plus-values, des dividendes…). Les foyers qui ont quitté la France auraient également payé leur impôt sur le revenu, des charges sociales sur leurs salaires, ou encore la TVA sur leur consommation, soit un manque à gagner fiscal total estimé à 6,6 milliards d’euros.
Soit au total 8,4 Mds d'euros de manque à gagner direct, pour un impôt qui en rapporte 3,6 au budget de l'état, ce n'est pas très glorieux... Mais ce n'est pas tout:
Supposons en outre que 10 % de ces sorties de capitaux (estimation conservatrice) (nd VB. Beaucoup trop conservatrice ! cf. plus loin) ne trouveront pas de substitut, et constituent donc une perte sèche de capital pour l’économie française. Étant donné le capital des entreprises privées (dette et fonds propres) utilisé pour les emplois dans le secteur privé, ces sorties de capitaux non remplaçables correspondent à plus de 200 000 emplois perdus. Si l’on suppose que ces travailleurs auraient gagné le salaire moyen, la perte pour l’État en cotisations sociales, impôt sur le revenu et TVA s’élève à 6,5 milliards d’euros. Avec une rentabilité estimée de 15 %, la perte en impôt sur les sociétés est de 1 milliard d’euros. Enfin, le PIB serait d’environ 1 % supérieur en l’absence de ces sorties de capitaux. Diagnostic bien sombre… et cependant plus optimiste que celui de l’économiste Patrick Artus, pour qui l’ISF "coûterait deux fois pour la seule TVA non perçue ce qu’il rapporte"
Donc, 8,4 + 6,5 + 1 = 15,9 Mds Euros. Le schéma ci dessous résume mieux que les discours le désastreux bilan fiscal de l'ISF:
L'ISF coûte 12 milliards de plus qu'il ne rapporte
Le graphe est hélas parlant: avec les seules hypothèses ultra conservatrices de l'institut Montaigne, l'ISF coûte au budget de l'état environ 12,3 Milliards d'Euros de plus qu'il ne lui en rapporte.
Or, l'état doit, sinon équilibrer son budget, du moins limiter son déficit, en fonction de ses abyssales dépenses. Par conséquent, les 12,3 Milliards qui ne rentrent pas parce que ceux qui auraient pu créer cette richesse sont soit au chômage, soit à l'étranger, doivent être payés par ceux qui restent et ne sont pas assujettis à l'ISF. Les taux d'autres impôts sont donc augmentés d'autant. 12,3 Milliards, c'est 50% de la taxe professionnelle, 1/4 de l'impôt sur les sociétés, presque 1/4 de l'impôt sur le revenu, ou encore un taux de TVA plus élevé de 1,6 points.
On en arrive à cette situation tout à fait paradoxale : l'ISF est d'abord un impôt qui frappe les personnes "non riches", modestes ou moyennes, en obligeant l'état à augmenter la pression fiscale sur les contribuables ordinaires ! Ceci toutefois n'étonnera pas les lecteurs réguliers de ce blog, qui savent déjà que des impositions marginales moindres de la richesse augmentent la contribution de ces mêmes riches au produit fiscal d'une nation.
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Et encore ce chiffre de 15,9 milliard, comme nous l'avons déjà dit, est sans doute inférieur à la réalité. Tout d'abord, l'estimation d'un point de PIB perdu est visiblement insuffisante.
En effet, 1% de PIB représentent 18 milliards d'Euros (en 2006). Sachant que la pression fiscale représente environ 44% du PIB, le manque à gagner fiscal total serait plutôt de 8 Milliards et non de 12,3 si le chiffre de 1% était exact. Toutefois, les calculs ayant abouti aux 15,9 milliards étant plus que conservateurs, on peut estimer que la perte réelle de PIB induite par l'ISF est supérieure à 12,3/0,44 Mds€, soit 28 Mds€, soit 1,6% du PIB.
Le rapport de l'institut Montaigne liste les approximations qui conduisent à sous estimer les manques à gagner dûs à l'ISF, mais n'est pas en mesure d'évaluer le montant de ces approximations, d'où leur légitime prudence.
Citons en vrac :
- Les revenus réellement perçus de l'ISF en 2006 incluent de nouvelles fortunes. Par conséquent, le montant des capitaux ayant fui entre 1997 et 2006 est sous estimé.
- Des français devenus riches à l'étranger, ou des étranger qui auraient pu choisir la France comme lieu de résidence, ou des français ayant cotisé à des retraites par capitalisation étrangères, ne s'installent pas en France à cause de la taxation de leur capital.
- Ceux qui partent n'emportent pas que leur argent, mais aussi leur capital humain, leur expérience et leur carnet d'adresses. Autant de savoirs qui manquent presque autant à nos jeunes entrepreneurs que les fonds propres.
- Par conséquent, nombre de jeunes à très haut potentiel vont chercher ces capitaux et ces savoirs là où ils sont plus abondants: ailleurs.
- L'ISF pousse certains entrepreneurs à conserver plus de 25% des parts de leur entreprise (seuil permettant l'exonération du dirigeant) au risque de limiter la croissance future de l'entreprise par refus d'apport de capitaux en provenance d'investisseurs extérieurs.
- Une partie des emplois non créés coûtent en chômage et prestations sociales d'assistance, que le rapport n'inclut pas dans les coûts cachés de l'ISF.
- Les fortunes expatriées minorent le produit de l'impôt successoral.
- L'estimation de 10% du capital expatrié comme manque à gagner pour l'investissement dans les entreprises françaises est sans doute beaucoup trop prudente. Les éléments donnés par l'étude permettent de supposer qu'une valeur comprise entre 20 et 30% serait plus proche de la réalité, quoiqu'encore sans doute un peu pessimiste.
En supposant que ce dernier taux soit réévalué à 25%, le produit fiscal supplémentaire ainsi engendré serait de 18,8 Mds€ au lieu de 7,5 Mds, portant le manque à gagner total à 24 Milliards pour les caisses de l'état ou des collectivités, soit la moitié de l'IS, l'équivalent de la taxe professionnelle, presque la moitié de l'Impôt sur le Revenu, ou encore la somme de la taxe d'habitation et des taxes foncières. Le PIB perdu du seul fait de l'ISF serait alors de l'ordre de 3,2% du PIB, et le nombre d'emplois non créés de l'ordre de 500 000...
La conclusion est on ne peut plus claire : même un socialiste devrait exiger, au nom de l'équité sociale, l'abolition immédiate de l'ISF, afin d'alléger le fardeau des classes moyennes et modestes, comme l'ont fait les socialistes suédois, et comme s'apprête à le faire le socialiste espagnol JL Zapatero. En France, les socialistes sont vent debout contre "les allègements fiscaux pour les riches" et la droite est tellement couarde qu'elle a choisi une stratégie de contournement de l'ISF par une usine à gaz fiscale qui ne résout pas grand chose.
Il faut en finir avec les pudeurs idéologiques actuelles de notre classe politique sur l'ISF, Arrêter de répéter qu'une réduction de l'ISF est un cadeau fait exclusivement aux riches, et ne plus tergiverser en tentant de vider l'impôt de son contenu sans le dire: la seule solution intelligente aux problèmes posés par l'ISF est sa suppression pure et simple !
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Lire: Le rapport de l'institut Montaigne ;
Egalement: transformer la France en Paradis Fiscal, oui, c'est possible !
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