Comme on pouvait s’y attendre, la proposition de transférer aux notaires l’enregistrement des divorces par consentement mutuel provoque une levée de boucliers chez les avocats, et pour cause : le divorce est l’une de leurs premières sources de revenus. Certains magistrats évoquent même en privé des réseaux de connivence entre certains juges aux affaires familiales à la déontologie flageolante et certains avocats véreux pour faire traîner les procédures sur le dos des familles. Sans aller jusque là, même un divorce le plus simple occasionne une dépense et des délais mal venus pour des couples déjà touchés financièrement par les conséquences du divorce.
A en juger par les articles parus dans la presse, l'opposition des avocats est massive. Selon quels arguments ? Malgré leurs dénégations appuyées, difficile d'y voir autre chose que la défense d'un privilège d'un autre âge. Les représentants des robes noires ne nous épargnent aucun poncif de mauvaise foi. Exemple lu sur le site du nouvel obs :
"Vous avez aimé le divorce devant notaire, demain vous aimerez le licenciement devant notaire et après-demain, vous aimerez les tutelles devant notaire", a ironisé mercredi Me Paul-Albert Iweins, le président de Conseil national des barreaux (CNB), l'organe représentatif des avocats, lors d'une conférence de presse à Paris.
Une rupture de ce contrat par consentement mutuel n’a rien de commun avec un licenciement, qui est une rupture unilatérale d’un contrat, ou une mise sous tutelle. Mettre en parallèle ces différents aléas de la vie pour dénigrer le « divorce notarié » est un procédé malhonnête.
Les professionnels estiment que "la déjudiciarisation du divorce serait néfaste à l'intérêt des justiciables qui y perdraient le nécessaire contrôle indépendant d'un juge".
Ah, c’est bien connu, le juge sait mieux que deux co-contractant volontaires quel est leur intérêt… bref, que les préjugés du magistrat soient heurtés et celui-ci peut remettre en cause un accord volontaire entre deux parties. Dans la pratique, nombre de divorcés constatent que les magistrats ne sont jamais totalement objectifs et tendent à prendre parti. Le juge n’est jamais indépendant de ses préjugés.
A ce compte là, pourquoi ne pas obliger TOUT contrat à être conclu sous la tutelle d'un juge ? Un juge aux affaires bancaires pour vérifier les clauses de votre prêt à taux variable ? Un juge des assurances pour s’assurer que vous avez un bon contrat d’assurance vie ? Un juge aux transports pour vos achats automobile ? Un juge aux affaires du sport professionnel ?
"Ce n'est pas une question de corporatisme", s'est défendu Me Iweins, …
NOOOOOON ? Sans blague ?
… mais "la porte ouverte à des abus considérables" puisque dans "chaque couple il y a toujours un dominant et un dominé".
L’argument dominant-dominé, prétexte donné à maintes interventions de l’état dans les contrats de droit privé, ne tient pas : un divorce conclu sous contrainte, comme tout autre contrat, doit pouvoir être dénoncé devant un tribunal et dans ce cas, on en revient à un divorce classique, avec en plus, pour le divorcé soupçonné d’abus de position dominante, le risque de voir cette faute reconnue par le tribunal, ce qui aggraverait son cas. De quoi dissuader de nombreux candidats au « faux divorce par consentement mutuel » forcé, non ?
Naturellement, le notaire, s’il constate d’évidentes manipulations, devra pouvoir refuser d’enregistrer le contrat de divorce proposé par les époux, comme un comptable peut refuser de certifier les comptes d’une société. Et on en reviendra à la case tribunal.
"En France, le mariage est une institution, pas un contrat de droit privé", a insisté mercredi matin, Me Hélène Poivey-Leclercq, une spécialiste du droit de la famille présente à la conférence de presse.
Quand bien même l’état en a fait « autre chose », en a « nationalisé » les clauses, le mariage civil est bien, par nature, un engagement mutuel de deux personnes, et donc, par nature toujours, un contrat, dont on ne voit pas bien pourquoi, en cas d’accord sur les modalités, il ne pourrait pas être rompu par les contractants eux-mêmes.
Ajoutons que l’état, en figeant dans les tables de la loi quelques formes de mariages « standard », a conduit à ce que la plupart des couples se marient sans avoir réfléchi ni aux clauses de cette union, ni à leurs conséquences. Que signifient les obligations mutuelles des conjoints rappelées par le maire ? Qui s'en soucie vraiment ? En outre, trop de couples ne préparent pas en amont la possibilité d'un échec en n’établissant aucun contrat de mariage, et encore ceux-ci sont ils rarement conçus en vue de faciliter d’éventuelles séparations. L’intervention de l’état dans le mariage se révèle donc, une fois encore, contre productive.
Aussi , tout retrait de l’état d’une affaire aussi privée que le mariage doit être encouragé.
Inutile de préciser que les avocats ne sont en général pas, mais alors pas du tout d'accord avec cette conception contractuelle du mariage. En témoigne, sur « village justice », cette succession de perles :
Le divorce par consentement mutuel ne peut être géré que par les avocats qui peuvent entériner un accord ou trouver un accord entre les époux, après vérification du consentement et de l’intérêt de chacun des deux époux. Les avocats se soucient également du sort des enfants notamment mineurs lors de la rupture de leurs parents.
C’est bien connu, les parents se soucient moins bien du sort de leurs enfants que les avocats. Et deux adultes décidés à s’entendre sont incapables de trouver un arrangement sans un avocat. De vrais enfants, ces français !
Les avocats se préoccupent également du sort de celui des époux qui aura consacré sa vie à sa famille au détriment de sa vie professionnelle et donc d’une autonomie pécuniaire.
Naturellement, l’époux en question est trop idiot pour y penser lui-même.
Les avocats, sous le contrôle du Tribunal, prévoient et font fixer une prestation compensatoire et en cas d’"omission", le Juge Aux Affaires Familiales ne manque jamais d’indiquer, notamment à l’épouse, cette possibilité offerte par la loi.
Admettons que la future loi puisse prévoir que la convention de divorce doive, pour être opposable, évoquer explicitement ce point, y compris en cas de renoncement, afin d’éviter les « omissions » involontaires. Pour le reste, arrêtons de prendre les gens pour des cruches, et gageons qu’en cas de désaccord, les candidats au divorce sauront bien revenir tous seuls à la case « avocat » et « juge aux affaires familiales ».
Par ailleurs, un divorce, consensuel ou conflictuel, ne peut être prononcé que sous le contrôle d’un Juge Aux Affaires Familiales qui veillera à ce que l’un des époux ne dicte pas sa loi au plus faible et qui veillera à ce les enfants mineurs soient protégés. Le Juge effectuera ce contrôle grâce au travail accompli par les avocats avant et durant l’audience.
En clair, le juge est chargé de justifier la note d’honoraires d’avocats ?
Enfin, en presque vingt ans de barreau, je n’ai quasiment jamais constaté d’accord à 100% tant sur le principe que surtout sur les modalités du divorce, à une exception près, selon laquelle les époux ont refait chacun leur vie, n’ont pas de biens immobiliers ni mobiliers en commun, n’ont pas de vie commune et n’ont aucun enfant mais c’est rarissime....
Dans ce cas, gageons que les époux sauront, si nécessaire, se faire assister d’un conseil juridique, voire même, d'un avocat, mais oui, pour arrondir les angles demeurés les plus vifs entre deux époux d’accord sur le principe du divorce, mais achoppant sur quelques détails.
Pour les couples qui se déchirent et où aucun accord ne pourra être trouvé, la procédure actuelle restera en vigueur. Il n’y a donc pas de dégradation du niveau de service à craindre pour les justiciables du fait de la réforme.
Rien n’empêchera donc un couple de se faire conseiller par un avocat avant ou pendant la rencontre avec le notaire, mais au lieu d’être un point de passage obligé, l’avocat devra seulement faire la preuve de son utilité. Ce changement de paradigme devrait considérablement améliorer, sur le long terme, la qualité des prestations fournies par ces professionnels, en contrepartie d’une moindre quantité d’interventions.
Admettons que la réforme réduise le chiffre d’affaire de la corporation des robes noires. Et alors, who cares ?
Des milliers de professionnels, chaque jour, font face à la nécessité de faire évoluer leur métier, voire d’en changer, à cause des évolutions de leur environnement professionnel : nouvelles technologies, évolution des goûts des consommateurs, changements législatifs, émergence de nouveaux concurrents… Pourquoi l’ordre des avocats devrait il être exclu, du fait de lois protectrices, de cette obligation perpétuelle d’adaptation ?
Visiblement, le mot d’ordre de grève des avocats est très suivi. Rarement le vocable de « profession libérale » n’aura été autant usurpé.
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