Dans la séquence de commentaires qui a suivi mon article sur la réglementation foncière sur Agoravox, une intervenante opposée à mon argumentaire résume en une phrase toute l'iniquité des lois de zonage :
"la règlementation urbaine a un rôle déterminant de la protection de la valeur des biens (immobiliers) sur le long terme et cette protection est aussi un objectif légitime. Ce que l’article de Vincent Benard semble négliger totalement."
Tout est là, en une seule phrase: les propriétaires existants, par le biais des réglementations et l'intermédiaire de leurs élus, veulent éviter que des constructions tierces puissent réduire là valeur de leur bien, voire, si la rareté créée par la loi est suffisante, augmenter la valeur de leur bien, sans effort. Notre interlocutrice nous dit que "c'est un objectif légitime". Cet argument est souvent distillé par les défenseurs du zonage sous d'autres formes, au nom de "la préservation du cadre de vie".
Il faut absolument démonter ce type de raisonnement.
Comment s'enrichir en dormant grâce à la loi...
Revenons aux bases économiques de la réglementation foncière: plus il est difficile d'obtenir un permis de construire les logements qui répondent à la demande, plus les prix du logement flambent. Quoiqu'il se trouvent pas mal d'observateurs pour considérer ce constat avec méfiance, les recherches académiques et les observations empiriques accréditent largement cette thèse.
Dans les communes où la réglementation est dure et la demande forte, cela se traduit par une différence de valeur entre un terrain agricole loin de toute urbanisation, et un terrain immédiatement constructible, de 1 à plus de 500. Les terrains non constructibles mais proches des zones déjà urbanisées font quant à eux l'objet de cotations "spéculatives" intermédiaires en fonction de leur probabilité de devenir constructibles lors de la prochaine révision de PLU.
Mais si tous les terrains étaient constructibles par défaut, sachant que trouver du terrain techniquement prêt à être viabilisé est assez facile, la différence de valeur entre un terrain nu et un terrain desservi par des réseaux ne serait guère supérieure au prix de tirage de ces réseaux, plus une faible marge : tout vendeur de terrain trop gourmand serait immédiatement concurrencé à la baisse par un autre vendeur.
Par conséquent, plus les propriétaires établis réussissent à durcir l'accès au permis de construire pour ceux qui arrivent après eux, plus ils augmentent la valeur de leur bien, celle ci intégrant alors un prix de la rareté. Pour peu que la demande soit importante du fait de conditions macro-économiques porteuses, alors, pour eux, c'est le jackpot.
Le zonage organise une redistribution financière anti-sociale
Un économiste du CATO institute, Randall O'Toole, a chiffré, à l'échelle des USA, ce prix de la rareté, qu'il appelle également "pénalité réglementaire". Pour l'année 2005, celui ci s'est élevé à environ 75 000$ par transaction aux USA. La maison médiane s'y vend 225 000$, elle pourrait être vendue à peine au dessus de 150 000$ si les réglementations du sol américaines ne créaient pas parfois de la rareté.
Ce chiffre de 75 000$ cache de larges disparités: là ou la réglementation des sols est souple, ou, plus rarement, dans des villes en fort déclin (comme Cleveland ou Buffalo), le prix de la rareté est faible même dans des communes démographiquement ultra-dynamiques, et le prix des maisons se rapproche de leurs coûts de construction plus une petite marge. En fait, seuls 12 états US, mais parmi les plus peuplés, dont la Californie, connaissent une telle bulle, et la pénalité réglementaire moyenne dans ces états est supérieure à 100 000$.
Ainsi, la transaction immobilière "médiane" s'établissait en 2005 à environ 160 000$ à Houston (Tx), mais à 300 000$ à Portland (Or), et plus de 900 000$ à San Francisco (Ca) ! Et ce pour des biens relativement similaires, encore que les surfaces tendent à être supérieures au texas.
En reprenant la méthode de calcul de R.O'Toole, et à partir d'hypothèses conservatrices, j'estime moi même en France, en 2005, ce prix de la rareté à 56 000 Euros par transaction (tous les détails dans mon livre, "Logement, crise publique, remèdes privés").
Sachant qu'il y a eu environ 800 000 transactions en France cette année là, ce sont donc à peu près 45 Milliards d'Euros qui ont été versés au titre de la "pénalité réglementaire" par les acheteurs de logement aux vendeurs en 2005, du fait de la difficulté pour les acheteurs à trouver un logement convenant à leurs besoins. Et encore cette estimation est très prudente, puisqu'elle part de l'hypothèse arbitraire que ce prix de la rareté était nul en 1995.
A qui profitent ces 45 Milliards ? Celui qui vend son logement unique pour en acheter un autre ne gagne a priori rien. Il supporte même des frais et taxes de transactions proportionnelles à leur prix plus élevés que si les prix n'avaient pas augmenté.
Par contre, celui qui possède plusieurs logements, et qui peut donc déstocker pendant que les prix sont au plus haut, où celui dont le terrain est passé du statut agricole à celui de constructible, pouvant ainsi construire un ou plusieurs logements neufs, gagnent le gros lot.
A contrario, ceux qui entrent pour la première fois sur le marché du logement, ou ceux qui, suite à un divorce, vendent un logement pour en acheter deux, ils sont évidemment très lourdement pénalisés par la chèreté actuelle du logement.
Or, ceux qui profitent, les multipropriétaires et les gagnants de la loterie foncière, ont déjà un patrimoine, alors que les nouveaux entrants sur le marché, ou les familles monoparentales, sont en général nettement moins fortunées.
La pénalité réglementaire opère donc un transfert de richesse de gens sans grand patrimoine vers ceux qui en ont un, et parfois coquet. Les lois de zonage organisent une véritable razzia des propriétaires établis à l'encontre des propriétaires en devenir. Elles sont l'exemple type de réglementation à la fois planificatrice et anti-sociale.
Quelle légitimité ?
Revenons au postulat de notre contradictrice du début de cet article.
"la règlementation urbaine a un rôle déterminant de la protection de la valeur des biens (immobiliers) sur le long terme et cette protection est aussi un objectif légitime"
Il existe deux façons de protéger la valeur de son bien: premièrement, en l'entretenant, en l'embellissant, en investissant dans sa modernisation. Secondement, en attendant que les prix montent de façon déconnectée du revenu des ménages, ce qui n'est possible que si la réglementation est dure, et les terrains appartenant à d'autres interdits à la construction. On se rend compte que si l'objectif de conservation de valeur du bien est légitime, les moyens envisagés pour y parvenir peuvent ne pas l'être.
Si la conservation de la valeur des biens des propriétaires établis est acquise AU DETRIMENT d'autres personnes (celles dont le terrain reste agricole, ceux qui doivent payer un logement 60 000 euros de plus que si les prix avaient juste suivi l'inflation depuis 10 ans,...), cette conservation n'est en rien légitime.
Les lois de zonage bafouent les droits de l'homme
L'iniquité des lois de zonage actuelles peut encore s'illustrer par deux aspects. le premier est l'évidente violation de l'égalité en droit que ces lois constituent au regard de la déclaration des droits de l'homme de 1789. Il y est dit, comme vous le savez, que:
Art 1 - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. (...)
Art. 2. - (...) . Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression.
Les hommes sont donc égaux devant le droit de propriété. Or, les règles de zonage permettent à ceux qui ont bénéficié d'un droit de propriété intégral d'empêcher autrui de jouir d'un droit comparable.
Le droit de propriété, dans son acception originelle, permettrait à des personnes qui veulent empêcher une construction qui les gêne de négocier avec le propriétaire du terrain concerné une compensation: "tu ne construis pas, mais en contrepartie, on te verse une compensation qui te dédommage pour cette limitation de ton droit à construire". Ce que la déclaration de 1789 a traduit, dans son article 17, de la façon suivante, pour les servitudes ayant une utilité collective :
"La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité"
Or, et c'est là le second aspect absolument inique de nos lois de zonage, celles ci prévoient (code de l'urbanisme, article L160-5) que les "servitudes d'urbanisme", c'est à dire les interdictions d'utiliser librement des terrains situés en dehors de certaines zones, ne donnent lieu à indemnisation que dans des cas exceptionnels, interprétés de façon restrictive par les tribunaux. Et encore, les montants déterminés par ceux-ci sont ils généralement faibles.
Qui a volé le droit de propriété ?
Cet article L160-5 dérive en fait d'un décret loi du gouvernement de... Vichy, en 1943, gouvernement dont chacun sait combien la défense de la propriété était sa préoccupation essentielle. Ce qui est curieux, c'est que presque personne* n'ait jugé bon de s'étonner, depuis, que ces "expropriations réglementaires" ne constituaient pas une violation du droit de propriété, et donc, malgré l'article 17 de l'acte juridique fondateur de la république française, qu'elles n'étaient que rarement indemnisables**.
Les lois françaises de zonage permettent donc aux propriétaires installés, qui sont généralement les principales forces d'opposition à l'extension de la constructibilité dans leur ville ( ce que l'on constate lors des discussions autour des PLU...), de s'arroger le droit de propriété d'autres propriétaires fonciers, sans avoir à payer le prix de cette appropriation. En clair, le zonage sans indemnisation des servitudes, c'est du vol pur et simple organisé par ceux qui sont en mesure d'établir la loi.
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notes de fin :
* J'ai bien dit "Presque". Des députés atypiques comme M. Mesmin (Paris) ou M. Moyne-Bressand (Isère) ont tenté d'inscrire une réforme de ces lois dans l'agenda parlementaire, mais sans succès, l'immense majorité de la classe politique soutenant un statu quo.
** Si vous vous estimez floués par une décision de déclassement d'un terrain par une commune, surtout si, par la suite, la commune souhaite vous exproprier au prix déclassé, consultez tout de même un bon avocat. On ne sait jamais, chaque cas est particulier.
"la règlementation urbaine a un rôle déterminant de la protection de la valeur des biens (immobiliers) sur le long terme et cette protection est aussi un objectif légitime. Ce que l’article de Vincent Benard semble négliger totalement."
Pour ceux (nombreux)qui ne comprennent pas la l'immense difference qu'il y a entre concervateur et liberaux, vous avez là la reponse ...
Rédigé par : Allllllllll | mercredi 12 décembre 2007 à 10h56
bonjour
j'ai lu votre article ci dessus, je recontre le même problême avec une maison qui a été mise en vente en juin 2006. la mairie a crée une zac et a choisi un amenageur privé. Cet amenageur est venu nous voir, nous a fait une proposition qui ne nous convient pas, inferieur au prix des domaines, nous avons refuséet nous sommes bloqués. Nous ne pouvons vendre à personne d'autre et le projet sera mis en place et fini que 3 ou 4 ans si tout
va bien.
Le maire a qui nous avons soumis notre problême, nous repond qu'il ne peut pas intervenir car c'est un projet privé (bien que ce soit la mairie qui est mis ce projet de reamenagement en route).
Les autres propriétaires ne veulent pas vendre leur maison mais nous nous sommes obligés de la vendre car il s'agit d'une succession avec 3 heritiers et je suis la seule a supportée les frais d'entretien de cette maison, je ne pourrais pas faire face encore pendant 3 ou 4 ans.
Vous qui semblez bien connaitre les lois, que pouvons nous faire ? connaissez vous des sites ou je puisse me renseigner car prendre un avocat, je ne peux pas financièrement.
Je vous remercie par avance pour votre réponse.
J.F.
Rédigé par : frontigny | vendredi 20 juin 2008 à 11h45
Je vous ai répondu par mel. J'espère que vous l'avez reçu ?
Rédigé par : vincent | lundi 23 juin 2008 à 00h34