Article initialement publié
dans la revue
"Etudes Foncières"Les manifestations de sans-logis le
long du canal Saint-Martin début 2007 ont constitué le point d’orgue médiatique
d’un nouvel épisode de crise du logement, qui trouve son origine dans
une hausse des prix du logement supérieure de 75% à celle des revenus
depuis 1998. De 1965 à la fin du précédent millénaire, les prix
médians du logement en France ont varié autour de 2,9 fois le revenu
médian de la zone considérée, à plus ou moins 10% près. certains
professionnels de l’immobilier avaient fini par intégrer ce ratio comme
une donnée immuable du marché.
Ce ne peut pas être "que" la demande
Nombre d'analyses attribuent ce phénomène
à une hausse inhabituelle de la demande : augmentation du nombre de
ménages (de 19 millions en 1980 à 26 millions en 2005), baisse des
droits de mutation, hausse des incitations fiscales à la construction –
Besson, Robien, Borloo… – et surtout, division par deux des taux
d’intérêt à long terme entre 1995 et 2005, qui a permis aux ménages, à
mensualité égale, d’emprunter 50 à 70% de plus qu’il y a dix ans. La
hausse des prix de l’immobilier a donc accompagné l’augmentation de la
solvabilité des ménages ayant accès au crédit.
Seul problème :
si le paradigme « logement cher, crédit bon marché » représente une
opération en apparence blanche pour les ménages qui peuvent accéder
au crédit, il est absolument dramatique pour les ménages aux revenus
trop modestes ou trop irréguliers pour faire de même. La presse
résonne d’échos de personnes à faible revenu, mais aussi des classes
moyennes, qui ne peuvent ni convaincre un banquier de financer un
achat devenu trop onéreux, ni convaincre un bailleur de louer un
logement devenu très cher, fautes de pouvoir présenter des garanties
suffisantes.
Face à cette situation, les solutions prônées par
les politiques de tout bord sont relativement uniformes et tentent,
par des interventions sociales ou légales sur le marché du logement,
de corriger les effets d’une hausse qu'ils jugent inévitable. Or, ces
interventions témoignent d’une mauvaise compréhension des mécanismes
en cause. En effet, expliquer par la seule demande une hausse durable
des prix est insuffisant : sur un marché qui fonctionne, lorsque la
demande commence à augmenter, cela stimule l'offre : l'augmentation des
prix qui en résulte accroît la rentabilité pour les offreurs, et
l’accroissement des quantités offertes qui en résulte tend à atténuer
la hausse des prix.
Or, le marché immobilier français semble
ne pas posséder ce mécanisme compensateur : alors que la hausse des
prix est entamée depuis 1997, la construction de logements neufs est
restée à des niveaux historiquement bas jusqu’en 2003. Quant à
l’augmentation récente, elle n’a rien d’exceptionnel : le nombre de
430.000 logements mis en chantier en 2005 reste très éloigné des maxima
historiques atteints en France entre 1970 et 1975, à plus de 500.000
unités annuelles, avec un prix de marché alors au plus bas.
Il
faut donc, pour expliquer la crise actuelle, essayer de comprendre les
facteurs qui empêchent l’offre de retrouver son niveau des années 70.
Nous pourrons alors espérer traiter la crise du logement à sa racine.
A la recherche du coupable…
Procédons
par élimination : il n’y a aucun problème de manipulation des prix du
logement par des grandes entreprises ou par des cartels nationaux : le
marché du logement est au contraire l'un des plus atomisés qui soit.
Les
coûts de construction, qui avaient augmenté nettement moins vite que
l’inflation entre 1965 et 2000, ont connu ces cinq dernières années un
rattrapage pouvant expliquer environ 15% de la hausse du prix du
logement corrigée des revenus. En cause, l’augmentation des contraintes
réglementaires pesant sur les constructeurs et le manque de
flexibilité de notre marché du travail, qui pousse les artisans du
bâtiment à limiter l’embauche en prévision d’un possible retournement
de conjoncture, préférant augmenter leurs marges à se lancer dans une
course à l’accroissement des volumes.
Il reste que 15% de
hausse du coût de la construction (hors effet revenu) et 10% de
fluctuations « naturelles » ne sauraient expliquer une hausse générale
de 75%. Si la construction n’explique pas la situation actuelle, il
convient de se demander si la disponibilité foncière ne serait pas le
facteur d’étranglement de l’offre que nous recherchons.
Un
observateur candide de la France, ou d’autres pays touchés par la même
hausse des prix, estimerait que cela ne devrait pas être le cas : dans
ces pays, le terrain vierge, et non bâti, est très abondant. 92% de
la surface du territoire français est libre de toute construction.
Cette proportion est à peine inférieure en Grande Bretagne, et très
supérieure au Canada, en Australie et aux USA, qui sont touchés par la
même explosion immobilière. La limitation de l’offre par la
disponibilité de l'espace foncier, si elle existe, n’est donc pas un
phénomène naturel. Se pourrait-il alors qu’il s’agisse d’une
conséquence de réglementations affectant l’usage du sol ?
La réglementation foncière, facteur de crise
Pour
vérifier cette hypothèse, un analyste voudrait comparer les
comportements de marché dans les zones très réglementées et celles qui
le sont moins, toutes autres caractéristiques égales par ailleurs.
Cependant, la France ne se prête guère à ce genre de comparaisons,
puisque la réglementation applicable du droit des sols y est
relativement uniforme, le code de l’urbanisme ne laissant que peu de
marges de manœuvre aux collectivités locales pour adapter les règles
nationales.
En revanche, aux USA et le Canada, les
réglementations de l’urbanisme et de la construction sont d’initiative
locale. Dans certaines agglomérations, souvent localisées au cœur de la
« middle America », ces règles sont minimales : dans d’autres,
notamment sur les deux côtes, elles sont plus contraignantes que les
nôtres, notamment du fait de l'adoption de « Smart growth policies »,
politiques d'expansion planifiée visant surtout à contenir l'étalement
urbain, voire de « Housing caps », interdisant de dépasser un quota
annuel de nouveaux logements.
Combinée à la richesse des
banques de données immobilières disponibles dans ces pays, cette
diversité réglementaire a permis à plusieurs chercheurs d’établir assez
finement le rôle des réglementations dans la formation des prix
immobiliers.
Et le résultat est sans appel : la bulle immobilière actuelle est très sélective aux USA et au Canada. Wendell Cox et Hugh Pavletich éditent un rapport annuel
sur la cherté du logement dans les 150 plus grandes agglomérations des
pays suivants : USA, Canada, Australie, Grande Bretagne, Nouvelle
Zélande et Irlande.
Ils constatent que le ratio entre prix
médian et revenu médian des ménages varie en 2006 entre 2.2 (logement
très bon marché) et… 11.2 (logement particulièrement cher). Il y a
donc des marchés abordables (42 marchés sur 150, tous situés aux USA
ou au Canada) malgré la période économiquement faste et les taux
d’intérêts bas.
Ils
établissent que la bulle immobilière ne s’est formée que dans les
agglomérations ayant mis en place des réglementations sévères d’accès à
la terre (cf. figure 1), et qu’en 1995, la plupart des marchés
aujourd’hui considérées comme inabordables ne l’étaient pas encore
(figure 2). Il y a donc bien corrélation entre sévérité de la
réglementation du sol et hausse des prix déconnectée des revenus des
ménages.
A ce stade, corrélation n’est pas causalité. La
hausse des prix pourrait être liée à d’autres facteurs, comme la
croissance économique ou démographique des bassins concernés. Serait-il
possible que les villes peu réglementées soient moins attractives, et
de ce fait connaissent un déclin relatif expliquant l’absence de
formation de bulle immobilière ?
Or, c’est le phénomène
inverse que l’on tend à observer. Sur les 6 cités américaines
connaissant les plus fortes croissances démographiques depuis 15 ans,
quatre – Houston, Austin, Atlanta, Dallas – sont des cités à « sol
facilement constructible » et sont restées bon marché malgré des
croissances économiques et démographiques soutenues. A l’inverse, la
Californie a perdu des habitants depuis 1998. Nous nous garderons bien
toutefois de lier développement et liberté du sol, puisque des régions
en forte croissance (Phoenix, Las Vegas, et New York) connaissent une
hausse des prix immobiliers tout aussi forte. Cependant, l’existence
de communes qui sont restées bon marché malgré des conditions
macro-économiques identiques au reste du monde et des facteurs locaux
favorables au développement, tendent à montrer que la conjonction «
forte demande – logement bon marché » n’est pas contradictoire.
Ces résultats purement empiriques de Cox et Pavletich ont été amplement confirmés par The Impact of Zoning on Housing Affordability, recherche plus approfondie dirigée par les économistes Edward Glaeser et Joseph Gyourko (Harvard University press, 2002 - Un "digest" en Français est lisible ici).
Ces
deux chercheurs ont étudié, sur plusieurs dizaines de grandes
agglomérations américaines, les milliers de transactions qui y ont été
conclues, et ont soustrait de leur coût la composante de la
construction, en appréciant pour chaque bâtiment la surface, le degré
de vétusté, etc. A partir des coûts des composantes foncières des
transactions ainsi obtenues, ils ont cherché à obtenir la valeur que
les acheteurs accordaient à une unité de surface supplémentaire. Si une
personne est prête à dépenser X dollars pour 1 m2 supplémentaire de
terrain d’agrément, ce prix est appelé « prix hédonique », ou prix de
la satisfaction que l’acquéreur retire de la possession du m2
supplémentaire. Ce prix hédonique varie généralement en fonction de la
qualité de l’emplacement recherché : vue, ensoleillement, voisinage,
etc… Et tend à décroître au delà d’une certaine limite avec la surface
de la parcelle.
Cependant, Glaeser et Gyourko constatent que
dans de nombreuses agglomérations, le prix réel payé par les
consommateurs par unité de surface est supérieur, voire très supérieur,
au prix hédonique ainsi calculé. Autrement dit, la courbe des prix
constatés en fonction de la surface ne passe pas par zéro pour un
terrain « théorique » de 0m2. Il y a donc une sorte de ticket d’entrée
payé par les acheteurs de logement, et ce ticket varie très fortement
d’une commune à une autre, de moins de 30.000 Dollars à Houston à
150.000 dollars à Portland, et plus de 500.000 dollars à San Francisco
(valeurs de 2003).
Les deux chercheurs ont tenté d’identifier
des corrélations entre ce ticket d’entrée et divers facteurs. Celui-ci
ne varie ni avec la densité des zones considérées, ni avec la
croissance démographique ou économique. Le seul indicateur qui lui
soit fortement corrélé est la sévérité de la réglementation locale du
sol, et notamment le temps qu’il faut à un développeur pour transformer
des terrains de bonne taille en terrains constructibles.
Glaeser
et Gyourko en déduisent que la réglementation du sol dans les cités les
plus chères induit une « pénalité réglementaire » extorquée aux
nouveaux entrants sur le marché du logement par ceux qui peuvent
déstocker des actifs ou qui ont pu rendre constructible leur terrain à
l’issue d’un processus administratif ou politique.
Point
besoin d’être chercheur à Harvard pour constater ce phénomène : les
élus locaux des communes françaises observent fréquemment que les prix
au m2 des parcelles mises en vente dans les lotissements neufs sont
généralement plus élevés pour les parcelles les plus petites, ce qui
conduit les lotisseurs à tenter de réduire la taille moyenne des lots
proposés à la vente, afin de maximiser les marges.
Pénalité réglementaire, pénalité sociale
Randal O’Toole,
chercheur au Cato Institute, a estimé l’impact économique de cette
pénalité réglementaire sur le budget des acheteurs de logement en 2005,
à 275 milliards de dollars, soit plus de 70.000 dollars en moyenne par
transaction, avec une très forte variabilité géographique : dans 13
états, cette pénalité est quasi-nulle.
70.000 dollars, c’est
une barrière qui exclut de l’accession à la propriété toute une frange
de population modeste et moyenne. C’est autant d’exposition au risque
de banqueroute hypothécaire en cas de retournement du marché. C’est
moins de capacité d’épargne pour faire face à un accident de la vie, un
divorce, ou payer une assurance maladie.
Selon les données du
Weingart Institute, think tank dédié à l’étude des populations de SDF
aux USA, celles-ci sont bien plus nombreuses dans les villes chères
(parfois jusqu’à 1% des ménages en Californie) que dans les autres. La Brookings
institution, autre think tank de centre gauche, constate que quels que
les villes texanes concentrent moins de poches de pauvreté que les
autres, et que les parents y ont bien moins de difficultés à y financer
des études coûteuses pour leurs enfants.
La pénalité rend le foncier plus cher aussi pour les entreprises. Une étude récente du gouvernement britannique vient de confirmer ce qu’une équipe supervisée pour MacKinsey par Robert Solow, prix Nobel l'économie pour 1987, avait identifié en 1998 : la limitation artificielle de la constructibilité du sol au titre de la lutte contre l’étalement urbain est un des principaux facteurs pénalisant la croissance économique au Royaume Uni.
Paul Krugman, économiste
proche du Parti Démocrate a, dans le New York Times du 8 août 2005,
admis le rôle de la réglementation excessive du foncier dans la
formation des bulles immobilières.
Cox et Pavletich citent une
liste impressionnante d’études américaines, mais aussi britanniques ou
australiennes, montrant l’impact des limitations politiques de la
constructibilité du foncier sur la hausse récente des prix immobiliers.
Malgré les dénégations des défenseurs certes encore nombreux
des Smart growth policies, un véritable consensus entre économistes
s’est établi sur la responsabilité des réglementations foncières dans
la crise immobilière actuelle, et les conséquences sociales néfastes
qui y sont liées.
Et en France ?
Indiscutablement, oui. Toutes les communes de France voient leur droit des sols régi par le code de l’urbanisme, traduit localement par un document opposable aux développeurs de terrain, le PLU, ex POS. Ces PLU se sont vus progressivement assigner l’obligation de respecter un nombre croissant de réglementations sociales et environnementales nationales ou européennes, ce qui rend difficile l’ouverture de grandes quantités de terrain à la construction.
Glaeser et Gyourko estiment que la « pénalité réglementaire » est liée au temps nécessaire pour libérer un terrain à la construction, et que lorsque ce temps dépasse 7 à 12 mois, la formation de bulles devient possible. Or, en France, une simple modification limitée de PLU demande au minimum 6 mois, et une révision complète, seul moyen de libérer à la construction une quantité significative de terrain, 2 ans. Et encore, ces durées sont des minima, tant les opposants à la croissance urbaine disposent aujourd’hui de moyens légaux pour freiner le processus. Il n’est pas rare de voir des communes batailler 5 ans et plus pour faire approuver un nouveau PLU.
Une
fois ce document révisé, les difficultés ne s’arrêtent pas. Toute
opération urbaine complexe ne peut en général se définir que dans le
cadre d’une ZAC, procédure longue et coûteuse soumise à enquête
publique. Même un lotissement simple risque de requérir plusieurs mois
de procédure pour sortir de terre. Deux ans est un strict minimum pour
permettre à une opération de croissance urbaine majeure de voir le
jour.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que
l’offre de logements ne puisse pas s’aligner aisément sur la demande.
Les acteurs privés, dans un tel contexte, tendent à limiter l’offre de
logements par rapport à ce que le marché pourrait absorber. Une étude
Britannique - Evans et Hartwich, pour l’institut Policy exchange - a
montré, tout comme chez nous, une faible élasticité de l’offre de
logement par rapport aux prix. En effet, les développeurs savent que
plusieurs années s’écouleront entre leurs premières démarches et la
mise en service des logements, sur un marché qui entre temps aura pu se
retourner. En outre, les frais financiers qu’ils vont supporter du fait
de ces délais viendront encore alourdir la facture des clients, et donc
réduire la solvabilité de la demande. Ils vont donc, pour limiter leur
risque de voir un grand nombre de logements trop chers arriver à
contre-temps sur le marché, restreindre l’ambition de leurs projets.
Enfin,
la différence de valeur entre un terrain agricole et un terrain
constructible est devenue telle à la périphérie des grandes
agglomérations (un rapport de 1 à 500, au minimum) que certains grands
promoteurs ont intérêt à effectuer un lobbying actif auprès des élus
pour rendre constructibles, à la prochaine révision de PLU, des
terrains pour lesquels ils auront négocié préalablement un partage de
la plus-value avec les propriétaires actuels, tout en limitant
l’accession à la constructibilité de terrains concurrents, afin de
maximiser leur part de la « rente foncière » ainsi créée par la
réglementation. La captation de la pénalité réglementaire est devenue
un enjeu économique majeur qui n’est pas sans risquer de pervertir,
parfois, la vie politique locale.
En appliquant au marché
français de l’immobilier sur l’année 2005 un raisonnement comparable à
celui de R. O’Toole, on peut estimer à 30% du montant moyen des
transactions la pénalité réglementaire supportée par les acheteurs de
logement en 2005, soit environ 55.000 Euros par transaction, 45
milliards au total (calcul basé sur un prix passé d’un indice 100 en
1995 à 175 en 2006, dont 50 à 55 points imputables à l’étranglement
foncier). Les lois de réglementation foncière organisent donc un
gigantesque transfert de richesse en faveur des gros vendeurs de
logements et autres propriétaires fonciers en place. L’on peine à
déceler la moindre trace d’équité sociale dans cette redistribution.
Bien
des aspects politiques et sociaux militent pour que la réglementation
du sol évolue d’un outil de restriction malthusienne de l’usage de
l’espace à des outils dont l’objectif premier serait d’assurer
constamment un excès d’offre de terrain administrativement
constructible, les forces du marché s'assurant alors que l'offre de
foncier viabilisé colle peu ou prou à la demande de nouveaux logements.
Or,
à ce stade, il ne manquera pas de belles âmes pour nous garantir un
cataclysme environnemental. « L’étalement urbain est une calamité »,
nous disent-ils, et la nécessité à la fois de préserver certains
espaces à forte valeur ajoutée, et de prévoir les infrastructures
(routières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires) nécessaires à
une croissance urbaine harmonieuse imposent un urbanisme restrictif,
sans quoi « n’importe qui, livré aux seules forces du marché,
construirait n’importe quoi n’importe où ».
C’est oublier que,
dans un environnement d’abondance foncière fortement concurrentiel, les
constructeurs ne seront plus assurés, comme ils le sont aujourd’hui,
d’écouler n’importe quelle « cochonnerie » sur le marché, du fait de la
rareté relative des biens en circulation. Les offreurs devront au
contraire tenir compte de ce qui aura été fait ailleurs, et de la
valeur intrinsèque des paysages, pour y construire des ensembles à la
fois adaptés aux vœux de la clientèle et de bon rapport qualité prix.
Des erreurs d’appréciation pourront être faites, car nul n’est
infaillible, mais gageons que jamais les erreurs du secteur privé
n’atteindront en magnitude les horreurs perpétrées par les aménageurs
publics créateurs des ZUP et des villes nouvelles, dont nous traînons
encore comme un boulet les tares de naissance.
D'ailleurs, les
villes fondées sur un droit des sols libéral ne sont en rien des
repoussoirs urbains. Austin est régulièrement cité comme un des
endroits les plus agréables où vivre aux USA. La prééminence des forces
du marché libre sur les décisions politiques oblige les développeurs à
se préoccuper du bien être de leur clientèle s’ils veulent vendre leur
production.
S’il est normal que la puissance publique se
préoccupe de constituer des réserves foncières pour prévoir ses
infrastructures futures et protéger certains paysages ou biotopes
particulièrement sensibles, rien ne justifie que le plus commun des
sols soit également soumis aux mêmes restrictions.
L’extension
urbaine par la périphérie a toujours constitué le mode de développement
naturel des cités au fur et à mesure de l’accroissement de la
population, et les politiques anti-étalement, en augmentant
artificiellement les prix des centres-villes, poussent les ménages à
aller rechercher du foncier accessible à des distances croissantes des
agglomérations. Cela provoque un « hyper-étalement urbain », source de
congestion routière croissante aux portes des grands bassins d’emploi,
que nulle politique de développement du transport en commun ne peut
résoudre à un coût économique acceptable, et cela transforme
progressivement les bourgs de campagne en cités « lotissement dortoir »
où des constructions très standardisées de mauvaise qualité,
conséquence du foncier trop cher, prolifèrent.
Libérer le sol pour en finir avec les bulles immobilières
La
réglementation actuelle de nos sols engendre la formation de bulles
immobilières qui plongent des milliers de familles modestes en
situation de grand désarroi. Il convient donc de revenir à un cadre
réglementaire garantissant un excédent de foncier constructible par
rapport à la demande.
La constructibilité d’un terrain devrait
redevenir la situation par défaut, et la protection, la servitude ou la
réservation foncière l’exception.
Pour permettre aux collectivités
locales d’atteindre cet objectif, il convient de rétablir l’obligation
de compenser les servitudes d’origine publique pesant sur l’usage des
sols, ce qui suppose d’abolir l’article L160-5 du code de l’urbanisme,
hérité de Vichy. Les communes n’auront d’autre ressource que de
limiter les zones asservies, afin de limiter le différentiel de valeur
entre terrain constructible et inconstructible, et donc le montant des
compensations versées.
Il convient en outre, dans ce cadre
général respectueux du droit de propriété, de les laisser choisir les
outils les plus adaptés à la gestion de leur sol, et d’en finir avec
ces grands codes nationaux censés appliquer les mêmes recettes à Paris
ou Romorantin. Certaines pourront choisir de laisser totalement à
l’initiative privée les choix de développement significatifs de
l’espace, leur rôle se limitant à vérifier la bonne connexion des
nouveaux pôles avec les voies de communications principales, et le bon
respect de l’environnement. D’autres pourront tenter d’orienter plus
fortement les choix des décideurs en utilisant des outils de gestion
des sols plus ou moins innovants.
Ainsi replacés au centre de
la décision d’aménagement, les développeurs privés pourront rencontrer
bien plus facilement toutes les demandes, y compris celles des classes
les plus modestes : dans les cités canadiennes et américaines qui
fonctionnent ainsi, les personnes dont le niveau de vie augmente
n’hésitent pas à faire construire de nouvelles maisons plus au goût de
l’époque lorsque le parc existant ne les satisfait plus, ce qui permet
de déprécier les valeurs du parc ancien, même de bonne qualité. Ainsi,
une cité comme Houston regorge d’offres de maisons tout à fait
correctes à moins de 100.000 Euros. Ces biens « d'occasion » servent de
parc social de fait sans qu’il soit fait appel au contribuable.
La libération foncière ou l’impasse financière
En
France, les réponses qui ont été imaginées face à la crise se situent
en aval de la question foncière : face à l’augmentation des prix,
l'Etat tente de développer une offre sociale ou intermédiaire
subventionnée dont le prix artificiellement fixé par la puissance
publique n’est pas toujours inférieur à ce qu’il serait sur un marché
privé libre d’entraves. De surcroît, le législateur, en promulguant
le droit au logement opposable, fait courir à la collectivité le
risque de faire face à des coûts de traitement social du mal-logement
insoutenables si le foncier reste hors de prix.
La loi doit
d'urgence libérer le foncier, afin de recréer les fondamentaux d’un
marché du logement satisfaisant par lui-même la quasi-totalité de la
demande et limitant le besoin d’intervention sociale à quelques aides
individuelles ciblées sur les seules populations en situation
d’indigence chronique.
-----
Article initialement publié par la revue "études foncières" n°126 en avril 2007
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.