Les gesticulations du gouvernement français autour de l'hypothétique libération d'Ingrid Bétancourt, femme politique franco-colombienne sujette de toutes les attentions médiatiques, sont à la fois déplacées et potentiellement dangereuses pour tous les ressortissants français devant se déplacer dans des pays instables.
Coupable ingérence
Un pays démocratique, doté d'un gouvernement souverain, mène sans relâche une lutte contre un groupe terroriste impitoyable, les FARC, qui se revendique de l'héritage marxiste-léniniste, qui, depuis plus de 50 ans, perpètre toutes les atrocités possibles et imaginables: attentats à la bombonne de gaz, enlèvements, tortures, racket...
Depuis son élection, le président Alvaro Uribe a entrepris deux combats difficiles, qu'il mène avec fermeté : le redressement d'une économie mise à mal par des années de laxisme monétaire et de socialisme galopant, ainsi que la lutte contre les groupes armés, dont les FARC et les barons de la drogue, qui ont trop longtemps fait régner terreur et désolation sur le territoire colombien. Dans ces deux domaines, les succès sont réels, même si la route du redressement se révèle longue et escarpée. Sa posture indéfectiblement courageuse malgré les menaces dont il est l'objet lui valent une grande popularité auprès de la population colombienne, et, si ce n'est sûrement pas un enfant de choeur, il est de loin ce qui est arrivé de mieux à un pays dévasté par des années de guérilla, dont les institutions ont été lourdement gangrénées par des décennies de contrôle souterrain du pays par l'argent des cartels de la cocaïne.
Alvaro Uribe a dès le départ choisi de ne pas faire de concession politique aux FARC. Son intransigeance paie là encore: le nombre de "combattants", pour reprendre la terminologie accommodante de nos médias qui ne savent pas toujours appeler un terroriste par son nom, est passé d'environ 16 000 en 2001 à une fourchette de 6 à 8 000 aujourd'hui, alors même que les FARC sont connues pour ne faire aucun cadeaux à leurs "déserteurs". Le 4 février dernier, des manifestations de marche contre les Farc ont mobilisé plusieurs millions de personnes en Colombie et dans les communautés colombiennes du monde entier.
Il a également dénoncé dès son élection le soutien aux FARC de son voisin vénézuélien, le néo-communiste Hugo Chavez, qu'il souhaite aujourd'hui traîner devant les juridictions internationales en raison de l'aide financière très conséquente qu'il apporte à une organisation terroriste, dont les preuves viennent d'être retrouvées après l'opération menée contre Raul Reyes. (Plus de détails sur l'excellent "meilleur des mondes")
L'armée Colombienne vient en effet de réussir à supprimer le numéro 2 des FARC, et dans un tel contexte, la libération de tout nouvel otage semble compromise. Il n'en faut pas plus pour que tous les zozos d'extrême gauche que compte notre pays, relayés par une partie de la presse bien complaisante, accusent le président Uribe d'avoir fait échouer la possible libération des otages, et affirment haut et fort qu'il portera toute la responsabilité d'une "tragédie" si Ingrid Bétancourt venait à décéder (son état de santé est dégradé)...
Pire, les réactions officielles, tout en replaçant la responsabilité du sort d'Ingrid Betancourt au niveau des FARC, ce qui est la moindre des choses, n'en comportent pas moins des ambigüités pour le moins malvenues. Ainsi, Nicolas Sarkozy déclare, certes, que :" Si (Manuel marulanda FARC) il la laisse mourir, cela veut dire qu'il sera responsable d'un assassinat". Ouf. Mais un peu plus loin, à une question sur la présence des FARC sur la liste des organisations terroristes, il déclare, selon le nouvel obs':
A la question de savoir si une libération de l'otage franco-colombienne pourrait amener la France à faire sortir les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) de la liste des organisations terroristes sur laquelle elles figurent, le président français s'est contenté de répondre qu'une chose "est sûre, c'est que si Ingrid n'est pas libérée dans le cadre humanitaire, jamais les FARC n'en sortiront".
Il n'exclut donc pas catégoriquement de faire une concession politique importante à un groupe terroriste si l'otage venait à être libéré. D'autre part, il affirme encore que:
Nicolas Sarkozy a affirmé comprendre "parfaitement" le problème de sécurité "immense" que les Farc posent à Bogota, mais si important que puisse être ce problème, cela "ne doit pas se payer du prix de la mort d'Ingrid, parce qu'elle n'y est pour rien"
Cette position est un pur scandale: parce que le sort d'Ingrid Bétancourt est populaire en France, le président de la république française estime qu'il devrait infléchir les objectifs et la stratégie définis par le gouvernement colombien, et soutenus par son parlement, pour lutter contre une engeance responsable de milliers de morts. Je n'imagine pas que le gouvernement français reste sans réagir sèchement si un état tiers se permettait une telle ingérence dans la lutte que mène l'état contre les groupes armés corses, par exemple.
Le sort d'Ingrid Bétancourt suscite naturellement la compassion, et est évidemment fort peu enviable, mais celui des millions de colombiens qui vivent quotidiennement les attentats, les rackets et les menaces exercées par les FARC ne l'est pas moins. L'on ne voit pas pourquoi le gouvernement colombien devrait, pour complaire à la bien-pensance en vigueur dans un pays lointain situé à des milliers de kilomètres de chez lui, tenir compte du sort d'une seule otage pour infléchir la ligne dure qu'il s'est fixée envers un groupe qui terrorise des milliers de personnes.
Des français moins en sécurité
En tout état de cause, la détention d'Ingrid Bétancourt pose la question de l'attitude officielle que la France se doit d'observer lorsque ses ressortissants sont pris en otage par des terroristes, ou autres délinquants, ce qui arrive assez fréquemment: on se souvient des journalistes français, MM. Carton, Fontaine, Seurat, Kaufmann, prisonniers de groupes islamistes libanais dans les années 80, ou de la très médiatisée Florence Aubenas en Irak.
Pour ma part, et au risque de passer pour un monstre sans coeur, il est indispensable que la France affiche une ligne intransigeante dans ce type de situation: les otages doivent être considérés comme sacrifiables, et le gouvernement français doit rendre publique cette position de principe et s'y tenir. Quelle que soit l'émotion légitime suscitée par leur sort, céder aux demandes des terroristes, faire des concessions politiques, ou leur donner de l'argent, revient à préparer le terrain pour de futures actions d'autres terroristes. Naturellement, si une famille d'otage souhaite, de sa poche, payer pour la libération d'un proche, elle ne doit pas être empêchée de le faire. Mais au niveau de l'état, aucune aide ne doit être apportée à ce type de transaction, et pas la moindre concession ne doit être consentie.
La seule certitude que doivent avoir les preneurs d'otage est qu'ils seront poursuivis par voie judiciaire s'ils libèrent les otages (car un kidnapping reste un kidnapping), et par toute voie à disposition du gouvernement français, y compris par la manière forte, s'ils mettent leurs menaces sur la vie des otages à exécution. Ainsi, progressivement, les terroristes comprendront qu'ils n'ont aucun bénéfice à s'en prendre aux citoyens français. En contrepartie, les ronds de jambe des officiels français devant un dirigeant aussi détestable que Hugo Chavez, outre qu'ils perpétuent une image déplorable de la diplomatie française à l'étranger, donnent à croire que le gouvernement français est faible et qu'il sera prêt à s'aplatir devant tout groupe terroriste qui s'en prendra à nos ressortissants. La sécurité des français à l'étranger se trouve de fait gravement affaiblie.
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Pour conclure, je vous invite à lire cette lettre ouverte de plusieurs femmes colombiennes établies en France, au comité de soutien à Ingrid Bétancourt. Extrait:
(...)
1. Pourquoi depuis six ans avez-vous laissé entendre que le gouvernement colombien était responsable de la captivité d'Ingrid Betancourt et gardé un silence honteux sur les véritables auteurs, les FARC, sans aucune condamnation publique de ce groupe terroriste ni appel direct aux responsables de son enlèvement ?
2. Au vu de la délicate situation diplomatique entre la Colombie et le Vénézuela, aggravée par les déclarations offensantes et grossières de Monsieur Chavez envers notre Président, pourquoi votre insistance et celle de Mr Kouchner dans l'intervention du Président Bolivarien dans ce dossier ? Ce parti pris serait-il de mise vis-à-vis des affaires intérieures de la France ou de n'importe quel autre pays libre et souverain ?
(...)
4. Estimez-vous qu'un accord humanitaire doit forcément comporter une contrepartie aussi disproportionnée que l'abandon à un groupe terroriste de 800 km² de territoire et le destin de 110.000 personnes, tout cela à moins de 300 km de la 3ème ville la plus importante de notre pays ?
Que de bonnes questions, en effet...
Les politiques et les média français, comme l'opinion publique française manifestent un parti pris chauvin très déplacé dans cette affaire. Ingrid Betancourt est d'abord une personnalité politique colombienne, fille de l'ancien ministre de l'éducation colombienne Gabriel Betancourt. Rien à voir avec les Betancourt de France. Elle n'a acquis la nationalité française qu'à l'occasion d'un mariage avec Fabrice Delloye, en 1981, et qui s'est terminé par un divorce en 1990. Les français n'ont de considération que pour Ingrid. Le sort des autres otages est secondaire pour eux, comme parait secondaire la politique criminelle des Farc dans les domaines de la drogue, du rackett, de l'enlèvement crapuleux et de l'assassinat. En intervenant comme elle le fait, de façon spectaculaire, la France s'ingère dans une affaire colombienne particulièrement difficile et apporte une gêne au gouvernement colombien qui tente de ramener l'ordre dans le pays.
Rédigé par : michel | vendredi 07 mars 2008 à 08h12
L'attitude des médias français sur cette question est effectivement fort malsaine. Ils répercutent complaisamment la thèse selon laquelle ce serait le gouvernement colombien qui serait responsable de la captivité d'Ingrid Betancourt.
On reconnaît là l'habituel relativisme moral des gauchistes, qui leur permet de rejeter leurs propres responsabilités sur les autres. C'est Bush qui est responsable en fait du 11 septembre, etc.
Et Sarkozy qui en remet une couche, en disant qu'il ira la chercher lui-même s'il le faut... il n'ajoute pas "avec les dents" ni "jusque dans les chiottes", mais on l'entend très fort...
Rédigé par : Robert Marchenoir | vendredi 07 mars 2008 à 12h02
C'est assez extraordinaire de considerer que Ingrid Betantcourt est comme tout le monde.
A ce titre, pourquoi avoir fait un tel foin de Nelson Mandela , Gandhi, Kennedy ?
C'est vraiment ne pas reconnaitre qu'un seul homme ou une femme peut faire 200 x plus pour la paix de par le symbole qu'il represente que 1.000.000 de personnes qui defilent dans les rues.
Rédigé par : PAscal | mercredi 12 mars 2008 à 17h33
Je suis à peu près au courant de ce qu'on fait Mandela, Gandhi, Kennedy, mais pas du tout de ce qu'a fait Ingrid Betancourt d'aussi grand que les 3 hommes pré-cités pour lutter contre cette organisation terroriste. Peux-tu m'éclairer?
Rédigé par : Mateo | mercredi 12 mars 2008 à 18h59
Uribe, "pas un saint" ?
C'est un euphémisme.
Rédigé par : Pierre | jeudi 13 mars 2008 à 01h21
Deux critiques:
1 - Je cite :
« La seule certitude que doivent avoir les preneurs d'otage est qu'ils seront poursuivis par voie judiciaire s'ils libèrent les otages (car un kidnapping reste un kidnapping), (…) »
Oui
« (...) et par toute voie à disposition du gouvernement français, y compris par la manière forte, s'ils mettent leurs menaces sur la vie des otages à exécution. »
Non.
Je dirais plutôt: « y compris par la manière forte, s'ils (…) »
=> ne libèrent pas les otages sans délai !
2 - Je cite à nouveau :
« les otages doivent être considérés comme sacrifiables »
Si je suis entièrement d'accord avec vous sur le fond qui se cache derrière cette formulation, je crois sincèrement que défendre un tel discours est suffisamment difficile pour justifier l’emploi d’un maximum de précautions oratoires. L’emploi du mot « sacrifiable » me parait donc donner à votre discours un véritable handicap. Dans le cadre le plus privé, par oral et pour simplifier (auprès de personnes me connaissant déjà bien), je dis parfois qu’ils doivent être considéré comme « déjà mort dans le cadre des opérations organisées en vue de leur libération », en insistant bien sur le fait que l’objectif sous jacent est de maximiser l’efficacité en dépassionnant un combat qui aura pour objectif la libération des otages puis/et la mise hors d’état de nuire des criminels… mais j’avoue que ce n’est guère mieux, surtout extrait de son contexte.
La solution serait peut être de reprendre entièrement le raisonnement :
Pourquoi admettre que le risque soit « de passer pour un monstre sans cœur » ? Les sans cœurs sont ceux qui sous prétexte d’obtenir un résultat immédiat et facile, négligent le fait qu’ils sacrifient ainsi de futurs otages, et font monter les enchères pour les otages encore en captivité. Les véritables sans cœur sont parfois ceux qui n’écoutent plus QUE leurs cœurs justement. C'est cet aveuglement criminel qu'il faut attaquer plutôt que de tenter de se défendre avec plus ou moins de bonheur.
Merci tout de même pour ce post rafraîchissant au milieu d'un discours ambiant de plus en plus difficilement supportable, donnant le sentiment qu’il faudrait inventer une nouvelle version, collective et comme symétrique à celle des otages, du tristement célèbre "syndrome de Stockholm".
Bien cordialement
Rédigé par : La Fougère | vendredi 21 mars 2008 à 08h50