La semaine dernière a été marquée par une grève des inspecteurs du permis de conduire. En cause, une possible volonté du gouvernement de privatiser l'examen, ce dont les inspecteurs, fonctionnaires, ne veulent évidemment pas entendre parler. Naturellement, le gouvernement a reculé, mais ce n'est pas le sujet du jour. Cette grève a mis en exergue le véritable scandale du permis de conduire aujourd'hui: des coûts croissants de l'apprentissage hors de tout contrôle, des délais d'attente pour s'inscrire à l'examen tout à fait inacceptables, surtout après un premier échec...
Or, on peut se demander si l'examen en vue d'obtenir le permis à la moindre utilité. Edouard Fillias, ancien aspirant libéral à la candidature présidentielle, interviewé par libération en 2007, rapportait qu'en tant qu'expatrié au Colorado, il avait eu son là bas son permis en 7 heures de leçons de conduite, et que l'examen en vue de son obtention n'avait été qu'une formalité. "C'était comme si le pays me disait: on te fait confiance". Revenu en France, il a raté l'examen 3 fois !
J'ai moi même raté mon examen (il y a bien longtemps...) après 20 heures de conduite, pour un calage à un stop et une hésitation à un carrefour que je ne connaissais pas, et réussi le même examen à 30 heures, comme quoi... Quelques semaines de conduite du véhicule parental, pendant les vacances, puis j'ai passé un an sans auto, et j'ai eu mon premier et unique accident matériel responsable (qui aurait pu être plus grave) 6 semaines après avoir acheté mon premier véhicule. Rétrospectivement, je pense avoir commis à dans les deux années suivantes quelques erreurs de conduite graves heureusement sans conséquence: dépassements "limite", perte de contrôle sous la pluie... Fautes que je n'ai quasiment plus commises dès ma deuxième ou troisième année de conducteur. Bref, ce ne sont pas mes 20 ou trente premières leçons de conduite qui ont fait de moi un conducteur plutôt sûr en conditions normales de circulation, je pense (bonus maxi, 12 points intacts : je touche du bois), mais mes 30 000 premiers kilomètres, dans toutes les conditions de circulation possibles et imaginables.
Si l'examinateur m'avait donné ma feuille rose après 20 heures de conduite, aurais-je été plus dangereux pour autant ? Peut être pendant mes 10 premières heures sur la route ! Puis, l'expérience aidant, je serais petit à petit devenu le conducteur "normal" que je suis. Mon expérience ne saurait être représentative de l'ensemble de la population, mais nous avons tous le sentiment que notre conduite s'améliore graduellement avec nos heures passées derrière un volant, et les chiffres corroborent largement cette impression. On peut donc se demander si les freins artificiellement posés à l'obtention du permis n'entravent pas pour les jeunes la possibilité d'effectuer cet apprentissage, dont le législateur a d'ailleurs reconnu le bien fondé en instaurant la conduite accompagnée.
En effet, tous les professionnels de la sécurité routière le disent: la mortalité des 18-24 ans à toujours été supérieure d'environ 60% à celle des autres tranches d'âge sur la route. La courbe de mortalité routière des jeunes poursuit une baisse parallèle à celle de la mortalité générale sur la route, avec une différence quantitative constante. Ni le récent renforcement des examens, ni les campagnes de prévention, ni même la conduite accompagnée n'y ont changé quoi que ce soit: les jeunes (hommes, surtout) sont moins expérimentés et "déconnent" plus facilement au volant. Ce sont d'ailleurs rarement les jeunes avec quelques heures de permis qui sont les plus dangereux, mais ceux qui, au bout de quelques semaines, croient que leur maîtrise d'un véhicule est plus élevée qu'elle ne l'est en réalité.
Autre élément tendant à incriminer une différence comportementale entre différentes catégories de population, toutes tranches d'âge confondues, il meurt 3 à 4 fois plus d'hommes que de femmes sur la route, et la proportion augmente encore lorsqu'on ne compare que les morts en tant que conducteurs. Les hommes roulent un peu plus que les femmes et meurent beaucoup plus sur la route. Selon des chercheurs de l'INRETS, les déterminants sexués du comportement sont essentiels pour comprendre la mortalité routière. L'homme a un rapport à la voiture différent, qui le pousse plus souvent que nos compagnes à adopter des comportements à risques. De tels déterminismes plaident pour une faible influence de la sévérité de l'examen de conduite sur la qualité de la conduite des plus jeunes : l'inexpérience et la masculinité sont bien plus fondamentaux.
Quant à la baisse générale de l'accidentologie, il faut d'abord en attribuer le mérite à l'amélioration conjointe des réseaux routiers (notamment l'accroissement des portions à 2X2 voies et l'expansion des carrefours giratoires, dont les bilans en terme de sécurité sont remarquables) et de la sécurité active et passive des automobiles, ainsi qu'à l'augmentation des trafics sur des réseaux par nature peu extensibles. Des travaux d'ingénieurs du conseil général des ponts et chaussée ont en effet montré que les densités de population croissantes tendaient à faire baisser l'accidentologie, les vitesses pratiquées sur des routes plus chargées étant moins élevées. La répression a elle aussi joué un rôle, notamment dans le palier très important de baisse que la France a connu en 2003 et 2004 (de 7200 à 5200 tués), années de mise en place des radars automatiques, mais la communication officielle tend à surestimer l'impact de ces mesures répressives et à minimiser l'action des constructeurs et des professionnels de la route.
Ajoutons que la situation actuelle force un nombre croissant de jeunes et de moins jeunes à conduire sans permis, malgré le risque que cela représente : sans permis, votre assurance ne vous couvre pas. Malgré cette augmentation des conducteurs sans permis sur nos routes, le nombre d'accidents n'a jamais été aussi faible... Alors, essentiel, le permis ?
Confier le permis au bon soin des assureurs ?
Pourquoi ne pas laisser aux compagnies d'assurance, qui ont un intérêt certain à ce que l'accidentologie diminue, régler le problème en délivrant automatiquement le premier permis à tout détenteur d'un premier contrat d'assurance, les compagnies fixant librement des primes décroissantes en fonction du nombre d'heures effectuées par les jeunes conducteurs en auto-écoles (code et conduite, les factures faisant foi) ou en conduite accompagnée, et pondérées par la qualité de l'auto-école ? Cette qualité serait elle même mesurée en fonction de l'accidentologie des jeunes issus de cette auto-école dans les 5 années suivant l'obtention de leur permis.
Dans un tel système, les auto-écoles auraient intérêt à être bien notées par les compagnies d'assurance, et donc à développer des pédagogies efficaces. L'obtention du permis ne serait plus soumise à l'arbitraire étatique, et ne connaîtrait plus d'épisode de pénurie. Plus d'inspecteurs, plus d'hypothèque à l'emploi pour les jeunes recalés, et un coût qui résulterait de l'équilibre entre le désir des compagnies de se battre pour obtenir la clientèle des jeunes, pondéré par celui de limiter leurs débours liés aux sinistres. Ajoutons que le conducteur pourrait volontairement parfaire sa formation après l'obtention du permis, pourvu qu'il soit incité à le faire par un contrat d'assurance plus avantageux à la sortie !
Gageons que, comme au Colorado, les compagnies comprendraient vite qu'elles ont intérêt à faire relativement confiance aux jeunes, et non à les traiter comme des délinquants routiers en puissance, comme le fait notre état en truffant l'actuel examen de chausse-trappes. En contrepartie, les compagnies qui le souhaiteraient pourraient inclure des clauses limitant le rapport poids/puissance des véhicules accessibles aux conducteurs inexpérimentés.
Une telle démarche, basée sur la responsabilisation des uns et des autres, ferait sauter un des bouchons à la mobilité automobile des plus jeunes, dont on sait qu'elle est un élément important de l'insertion dans la vie active, et pourrait avoir ainsi une influence positive sur la sécurité routière en accélérant la prise d'expérience des jeunes conducteurs.
de toute facon il sera bientot interdit de rouler (réchauffement), trop chère de rouler (essence à 4 euro because réchauffement), sans parler des différents obstacles à la circulation (réduction de bande, casse vitesse, rétrecissement etc...), bref tous le monde en bus!!! vive les transports collectifs comme le bon vieux rêve stalino-léniniste de nos chères écolos!!!
Rédigé par : mica | mercredi 05 mars 2008 à 10h32
Intéressante réflexion. Intéressante comme les thèses anarcho-libérales: intellectuellement.
Pratiquement, le permis de conduire est indispensable: on ne peut pas laisser les gens se balader avec un fusil chargé dans les mains sans s'assurer qu'ils savent au moins viser.
La remarque d'Edouard Fillias était à mon avis beaucoup plus opérationnelle. La différence entre les deux pays est une question de mentalité. C'est la confiance. Il y a bien un permis de conduire aux Etats-Unis.
Rédigé par : Robert Marchenoir | mercredi 05 mars 2008 à 14h38
@Robert
Il ne s'agit pas de "supprimer le permis" mais de transformer son obtention en simple formalité, liée à la détention d'un premier contrat d'assurance, fournie par une assureur auto. Lesquels, par un raisonnement probabiliste, pourront délivrer le sésame en fonction des critères explicités dans l'article.
Rédigé par : vincent | mercredi 05 mars 2008 à 21h39