Sous le titre provocateur de "Boutin veut bouter les classes moyennes hors des HLM", le Canard Enchaîné de la semaine dernière (26 mars) brocarde le projet gouvernemental d'autoriser les offices HLM a mettre fin aux locations des ménages dont les revenus ont "trop" progressé par rapport au seuil d'admission, en imposant aux OPHLM la mise en place de surloyers vraiment dissuasifs.
Non sans un certain sens du paradoxe, l'hebdomadaire satirique, qui avait il y a quelques semaines dénoncé à juste titre la présence d'un Jean Paul Bolufer dans un logement "social" de 190m2 à prix massacré dans les plus beaux quartiers de Paris, dénonce maintenant une mesure qui risque d'exclure les classes moyennes du logement, battant en brèche le sacro-saint principe de Mixité sociale. Ceci dit, en fait de "classes moyennes", le couperet pourrait tomber sur des personnes gagnant à peine plus que le SMIC (lien). Ce qui en dit long sur la paupérisation des salariés dans le paradis socialiste français.
Mais là n'est pas le coeur de mon propos du jour.
Le projet gouvernemental peut au premier abord paraître sensé, mais ne réglera en aucun cas ni le problème de la pénurie de logements, ni celui du logement des plus pauvres, et risque d'augmenter la détresse d'une partie des classes "moyennes".
Rappelons en quelques mots les données du problème (plus de détails ici): même si toutes les admissions dans les appartements HLM étaient décidées honnêtement (sans piston, sans passe droit, sans dessous de table) --- ce qui n'est sans doute pas le cas, mais admettons --- les revenus des locataires augmentent, et ceux ci se retrouvent avec des revenus supérieurs au plafond nécessaire pour entrer dans un HLM.
Qu'à cela ne tienne, les gouvernements nécessaires ont prévu, pour éviter que des nouveaux locataires de HLM ne soient obligés de partir en moins de 12 mois, que le plafond légal pour un maintien dans les lieux sans surloyer soit supérieur de 40% au plafond d'admission.
Or, la France salariée se paupérise, et la courbe des revenus y devient chaque année un peu plus plate si on excepte le dernier quintile de revenus. Aujourd'hui, 60% des salariés gagnent moins de 1,6 SMIC. Par conséquent, alors que les plafonds pour entrer dans un logement HLM sont assez bas, ceux pour s'y maintenir sans surloyer, peu supérieurs en termes absolus, englobent pratiquement 75% de la population.
Accessoirement, même si un locataire se trouvait encore au dessus de cette limite, il n'aurait pas à s'en faire: les surloyers moyens, votés par les conseils d'administration où siègent des élus locaux généralement très sensibles à l'électorat moyen supérieur, sont souvent très inférieurs à la différence réelle de loyer entre le secteur subventionné et le secteur libre (cette différence est souvent de l'ordre de 150% dans Paris intramuros, et de 80 à 100% en province): selon MM. Amzallag et Taffin, universitaires, dans un ouvrage paru en 2003, le surloyer moyen était de 18%.
Par conséquent, ceux qui ont la chance d'occuper un HLM en dehors des cités pourries font tout pour s'y incruster. Fin 2005, dans Paris intra-muros, le taux de mobilité des locataires du parc social était tombé à... 4%, contre plus de 20% dans le privé. Le résultat est que en dehors des cités concentrationnaires bâties dans les années 70, le parc HLM de qualité est occupé en grande partie par des gens aux revenus aisés, alors qu'environ 1,4 millions de demandes de logement HLM sont en souffrance, dont plus des 4 cinquièmes parfaitement légitimes selon des critères de revenu, et que la prolifération endémique des bidonvilles et des villages de fortune constitués de vieilles caravanes sur les terrains vagues publics à la périphérie des agglomérations grandes et moyennes ne laisse d'inquiéter sur la dégradation ultra rapide du tissu social de notre pays.
C'est à cette situation anormale que le projet Boutin veut mettre fin, en supprimant le "gap" de 40% entre le seuil d'admission et le seuil de maintien en HLM, et en imposant des surloyers réellement dissuasifs. Le raisonnement sous-jacent est qu'en libérant les logements HLM des ménages à haut revenu qui les occupent indûment, une partie non négligeable des 1,4 millions de logements en souffrance pourra être satisfaite sans avoir à construire de nouveaux logements sociaux.
Malheureusement, cette logique se heurte à quelques réalités que le gouvernement aura bien du mal à contourner.
Tout d'abord, l'étude du bilan financier des organismes HLM montre que les locataires "à haut profil" sont indispensables pour équilibrer les bilans des offices. Sans ces locataires, la marge d'autofinancement des offices, qui n'a rien de pharamineux (9% en 2004), chuterait dramatiquement, ce qui obèrerait gravement leur capacité à financer de nouveaux programmes, voire même menacerait la santé financière des plus fragiles d'entre eux.
Lorsqu'il était président de l'union des sociétés d'HLM, Roger Quilliot, ex ministre du logement de François Mitterrand, avait fait savoir que toute mesure visant à exclure les "trop bons locataires" du parc conduirait nombre d'offices dans le mur, financièrement parlant. Le gouvernement espère pallier à cette difficulté en incitant les offices à privatiser une partie de leur parc, ce qui est certes intéressant sur le papier, mais impossible à mettre en oeuvre si on ne privatise pas massivement les immeubles par copropriétés entières: une copropriété où cohabite locataires sociaux et propriétaires privés est très difficilement gérable et freine les ardeurs des acheteurs potentiels.
Mais surtout, les locataires des classes moyennes auront recours à toute sorte de stratagème pour se maintenir dans les lieux coûte que coûte. En effet, une éviction d'un logement HLM peut leur valoir un doublement de leur loyer, voire plus: inutile de dire que s'il existe des "kits assedic" permettant d'ouvrir de faux dossiers d'indemnisation du chômage, les "Kits HLM" proposant fausses feuilles de paie et faux avis d'imposition ont un très bel avenir commercial.
Ajoutons que le système actuel, pour inéquitable qu'il soit, a au moins pour intérêt de ne pas ajouter de trappe à la pauvreté à notre écheveau actuel d'aides sociales plombées par de terrifiants effets de seuil qui incitent un nombre croissant de bénéficiaires de l'aide sociale à préférer des stratégies de pérennisation de l'assistanat(*). Si l'on crée une nouvelle trappe à la pauvreté via la réservation du logement social aux seules classes très modestes, alors le risque de blocage définitif de l'ascenseur social sera immense.
La mesure gouvernementale ne résout en rien le problème de pénurie croissante de logements à des prix soutenables par une classe moyenne aux revenus quasiment stagnants depuis le tournant du millénaire. Elle ne crée aucun logement nouveau, elle ne ferait, sous réserve qu'elle puisse être mise en oeuvre et ne pas être contournée, que déplacer la misère des très pauvres vers les classes moyennes-basses, lesquelles se trouveraient alors... en menace de paupérisation, l'absence d'accès à un logement décent étant une évidente caractéristique de pauvreté, quand bien même l'on jouit de revenus "moyens". On peut admettre que le logement social serve d'abord les plus démunis, que les abus d'occupation les plus criants soient combattus, et en ce sens, les projets du gouvernement ne sont pas critiquables, mais si l'aide aux pauvres ne peut se faire qu'au détriment des ménages juste un peu moins pauvres, alors le gain social parait ténu. Il faut changer de paradigme, abandonner une politique du logement "perdant-perdant" condamnée à déshabiller Saint Mathieu pour donner à l'abbé Pierre, et rentrer dans une logique "gagnant-gagnant".
Tant qu'il existera un secteur subventionné (en fait, de multiples secteurs: logements très sociaux, sociaux, intermédiaires, etc...) côtoyant un secteur libre dont les prix flambent hors de proportion avec les revenus des ménages, du fait de l'étranglement foncier opéré par nos politiques d'urbanisme anti sociales, une pénurie de logements sera inévitable. Le secteur subventionné sera toujours structurellement en pénurie d'offre: un loyer modéré artificiellement en dessous des prix de marché attirera toujours une demande très supérieure à celle exprimée à ces mêmes prix de marché, alors que les moindres revenus rapportés aux offreurs, que les subventions ne peuvent compenser, contracteront l'offre. Bref, le logement subventionné est structurellement en pénurie.
Le logement social, comme je l'ai écrit dans mon livre, n'est pas la solution au problème du logement, mais l'un des problèmes du logement, sans solution. Un nième rafistolage règlementaire des conditions d'attribution des logements n'y changera rien.
Voilà pourquoi il faut arrêter de parler de "logement social", privatiser rapidement et totalement le marché du logement, dans un cadre foncier législatif relâché, seul capable de ramener une certaine modération dans les prix de marché, et remplacer toute forme d'aide aux logeurs, "à la pierre", par une aide unique et dégressive aux familles pauvres et modestes, une sorte de "chèque logement", les aidant à faire face à leurs loyers mensuels, voire leur crédit.
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(*) Cette remarque me vaudra sûrement des critiques acerbes. Loin de moi l'idée de stigmatiser les "salauds de pauvres". D'abord parce que malgré ces trappes à la pauvreté, de nombreuses personnes en situation d'assistanat choisissent tout de même de quitter cette condition pour prendre un travail si une opportunité se présente, car ils espèrent que la perte immédiate sera compensée à la fois par une reconnaissance de soi supérieure, et une progression ultérieure de leurs revenus.
Cependant, lorsque ces espoirs de progression ne se concrétisent pas, à cause de la smicardisation du salariat observable en France, de guerre lasse, la part des personnes tentées de choisir la pérennisation de l'assistanat tend à augmenter.
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Vous soulignez un des énormes problèmes du système français: toute mesure libérale paraît vouée à l'échec, dès lors qu'elle est partielle. Dans l'océan de dirigisme environnant, les effets pervers immédiats d'une louche de libéralisme sont bien souvent dissuasifs.
Il faudrait pouvoir intervenir en même temps sur tous les leviers du système. Mais celui-ci est une telle usine à gaz, fédère une telle collection de corporatismes, que cela paraît impossible.
P.S. De plus en plus fort: quand je modifie ma signature ici, la case "conserver mes coordonnées" est toujours inopérante. Mais elle modifie ma signature sur les autres blogs Typepad sur lesquels j'interviens, m'obligeant à la re-modifier, alors que ces derniers l'enregistrent comme prévu!
Rédigé par : Robert Marchenoir | vendredi 04 avril 2008 à 13h40
Pour le problème technique, je sèche. Le paramétrage des commentaires sur le blog n'a rien de spécial.
pour le reste, d'accord: comme je l'écris dans le livre, il n'y a de solution que globale à la crise du logement, chaque mesure prise individuellement est insuffisante par elle même.
Rédigé par : vincent | vendredi 04 avril 2008 à 22h41
Eh bien merci quand même pour m'avoir répondu sur la technique. Je signerai peut-être RM à l'occasion, par flemme (selon les conséquences sur les autres blogs...).
Rédigé par : RM | samedi 05 avril 2008 à 00h35
Dommage que votre article comporte un biais qui le rend pour partie faux : le seuil de déclenchement du surloyer a été ramené par la loi "ENL" à 120% des plafonds et non pas 140, et ce déclenchement devient automatique. De plus, un décret à paraitre prévoit une montant de surloyer très fort, qui ramènerait le loyer payé au niveau du loyer de marché. De quoi amener les abus manifestes à faire le choix de quitter le parc social...
Rédigé par : Xenophon | lundi 07 avril 2008 à 09h26
@Xenophon
OK, des progrès, mais il ne s'agira que d'ajustements paramétriques d'un système mauvais…
Rédigé par : Mateo | lundi 07 avril 2008 à 12h08
@Xenophon
Je viens de parcourir la loi en question sur légifrance. les 112 articles, équivalent à 66 pages A4, 1686 paragraphes et 38 000 mots (plus de 248 000 signes. Soit deux fois plus qu'un livre de la collection "idées fausses, vraies réponses" de chez Lattès).
Et encore il ne s'agit que de la version "renvoyée", c'est à dire qu'elle se contente de citer les articles des autres lois modifiées, sans les recopier.
J'avoue donc, à ma grande honte, ne pas avoir remarqué la modification dont vous faites état ! J'ajoute que le moteur de recherche interne de mozilla ne détecte aucune occurrence des mots surloyer, sur loyer, sur-loyer. Ca n'aide pas.
Si vous pouviez me donner le "bon" article, merci.
A part ça, cela ne change pas grand chose sur le principe. On peut juste se demander si la référence constante au chiffre de 40% (cour des comptes, canard enchainé, etc...) ne traduit pas le fait que je ne sois pas seul a avoir raté cette évolution législative majeure. Le fait est que pendant des décennies, le mécanisme décrit était bien le bon.
"application automatique des surloyers": je voudrais bien voir ça ! Les OPHLM feront tout pour contourner la loi, avec la complicité des locataires. Tiens, ça fait longtemps que je n'ai pas lu un rapport MIILOS (faut dire que question fun, il y a mieux), je vais essayer de voir ça dans les prochains jours.
Rédigé par : vincent | lundi 07 avril 2008 à 23h30
Il s'agit de l'article 71 de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement et imposant le versement du SLS dès lors que les revenus des locataires dépassent d'au moins 20 % les plafonds de ressources pour l'attribution des logements dans le parc HLM. Le décret d'application est dans les tuyaux.
Rédigé par : Xenophon | mercredi 09 avril 2008 à 18h38
Je vois que vous avez une opinion très tranchée des organismes d'Hlm, qui ne forment pourtant pas un tout uniforme et qui, au quotidien, se trouvent confrontés à une réalité sociale que ne soupçonnent même pas les grands partisans d'une privatisation du système...
Et ce n'est pas l'expulsion des 1% de locataires qui sont un peu moins pauvres que les autres qui va changer la donne.
Rédigé par : Xenophon | mercredi 09 avril 2008 à 18h41
"le décret d'application est dans les tuyaux" : Donc, en plus, ce n'est pas encore applicable... Et vous auriez voulu que je le sache déjà ?
Et ce ne sera pas appliqué, de toute façon. Le contournement du système est inévitable.
Je débattais hier avec JP Cané, ancien président de l'association des directeurs des offices HLM de Paris, après avoir été directeur de l'OPHLM de Nantes et avant ça financeur d'offices HLM pour la caisse des dépots. A 60 ans, et une certaine expérience du domaine, vous en conviendrez, et bien vous savez quoi: il partage en grande partie mon diagnostic. "Le système HLM est en bout de course", "on a fabriqué des ghettos de pauvres", "on a cassé la progression vers le haut des parcours dans le logement", etc...
Et il pense qu'une privatisation est indispensable, même si lui pense qu'elle ne peut être que partielle et progressive, alors que je suis plus... Radical.
Bon, évidemment, d'autres directeurs d'OPHLM sont bcp plus... "dans votre ligne". C'est normal, je veux leur sucrer leur gagne pain, je n'en attendais pas moins.
pour les 1%, je suis d'accord. Et même si c'est 5%, ou 10%... le système HLM est structurellement vicié du point de vue de ses fondamentaux économiques et selon moi irréformable.
Rédigé par : vincent | jeudi 10 avril 2008 à 07h45
Que pensez-vous du système de logement subventionné HDB à Singapour ?
Rédigé par : julito | mardi 15 avril 2008 à 10h20
Il faudrait nuancer ce passage "Tout d'abord, l'étude du bilan financier des organismes HLM montre que les locataires "à haut profil" sont indispensables pour équilibrer les bilans des offices". En effet il ne s'agit pas de locataires à "haut profil" que les organismes sociaux souhaitent conserver mais les locataires "à profils pérennes" c'est à dire prioritairement les locataires issus de l'administration aux revenus garantis sur le long terme. Ainsi l'on ajoute pour les candidats issus du privé, au delà des risques de perte d'emplois le barrage (jamais énoncé)au logement social.
Second élément :
"une copropriété où cohabite locataires sociaux et propriétaires privés est très difficilement gérable et freine les ardeurs des acheteurs potentiels" oui mais la loi est aujourd'hui incontournable pour les promoteurs privés. Au titre la la loi SRU ils doivent rétrocéder (à des sous valeurs parfaitement artificielles imposées par les élus et les sociétés HLM )20% de leurs programmes. Ainsi pour honorer cette contrainte nouvelle la règle est de faire porter l'écart de coût au secteur privé augmentant mécaniquement le prix de sortie du logement privé par rapport au prix du logement social dans le même bâtiment.Ce qui se résume par faire subventionner par les accédents privés une partie du parc des logements sociaux ! Il importe de souligner que cette loi garanti aujourd'hui les société HLM d'un apport de 20% du parc construit sans effort de conception, de programmation ou du développement d'un parc locatif adapté et dédié.
Rédigé par : Bill.Immo | mardi 15 avril 2008 à 17h17