L'augmentation spectaculaire des prix agricoles depuis le début du millénaire (140% depuis 2002, dont 75% depuis septembre 2006, selon la banque mondiale), et les émeutes de la faim qui en ont résulté dans un grand nombre de grandes agglomérations des pays émergents, de Yaoundé au Caire, amènent, comme cela était prévisible, leur lot de commentaires imbéciles généralement issus du prêt à penser anti-libéral et malthusien qui tient lieu à nombre de dirigeants et analystes de mauvais substitut à l’intelligence.
La chasse aux boucs émissaires va bon train
Tout d’abord, des sécheresses ayant affecté l’Australie et l’Ukraine permettent à certains d’incriminer incidemment le « réchauffement climatique » pour les désordres actuels. De tels arguments relèvent de la tromperie pure et simple. La production mondiale de Blé a augmenté de 3% et celle de Maïs de 10% en 2007 par rapport à 2006. Il y a chaque année, dans la multitude de bassins de production du monde, quelques uns où la récolte est moins bonne par la faute d’un aléa météorologique. Cela n’empêche pas que les rendements globaux soient en constante augmentation. Les prévisions pour 2008 font état d’une nouvelle hausse des productions de 6%. La production agricole augmente plus vite que la population mondiale depuis que le FAO tient ce genre de statistiques (années 60), et ce sans discontinuer.
Mais où est passé le marché
libre ?
la sainte ONU
ne viennent réguler davantage ces marchés ?Mais il n'est pas inutile de rappeler que ce sont principalement les interventions des états sur les marchés qui sont à l'origine des drames que nous vivons. Ces interventions sont très difficiles à dénombrer, mais leur omniprésence interdit de parler de « marché libre » concernant l'agriculture. Citons en quelques unes:
- Tout d'abord, la mode des biocarburants, lourdement
subventionnés au nom
de chimères environnementales, a détourné au moins 7% des surfaces
allouées aux
cultures céréalières européennes (avec un objectif de 10% à terme) et
20% aux
USA vers les biocarburants, sans parler des pays émergents.
Ainsi, la
production globale a augmenté, mais la part dédiée à l’alimentation de
certaines productions a diminué, résultant dans une consommation
mondiale
légèrement supérieure à la production alimentaire, réduisant les stocks
et
suffisante pour provoquer une envolée des cours mondiaux. Même certains
leaders d’opinion d’extrême gauche commencent enfin à
reprendre à leur
compte la dénonciation, depuis longtemps faite par les libéraux, de
l’usage des
sols pour nourrir les moteurs plutôt que les humains, parlant même de
« crime contre l’humanité ».
- Les masses
considérables de subventions versées par les USA et l'Europe
à leurs agriculteurs,
ainsi que les barrières douanières à l'entrée de leurs marchés
domestiques
imposées par ces deux géants politiques, ont lourdement altéré les
capacités
des agricultures émergentes de s'adapter, car leurs productions doivent
faire
face à la compétition de produits subventionnés, donc vendus en dessous
de leur
prix de revient normal.
- Ces
mêmes pays émergents ne sont pas dégagés de toute
responsabilité:
Ils imposent souvent à leur agriculture des réglementations, des
quotas, des
droits d'exploitation qui empêchent leurs agriculteurs de développer
les
produits qui leur permettraient d'accroître leur richesse.
- Ce même reproche peut être fait à des pays riches comme la
France, dont
l'agriculture est soumise aux diktats d'organismes parasitaires tels
que les
SAFER,
les directions départementales de l'agriculture, les chambres
d'agriculture, etc...
Essayez donc de vous établir agriculteur sans passer
par les fourches caudines de ces bureaucraties para-agricoles: vous
aurez les
pires difficultés à pouvoir acheter des terrains, ou à obtenir
l'autorisation
de les exploiter. Certaines productions, soumises à des quotas, ont été
de
facto interdites d'expansion... Or les investissements agricoles sont
longs à
produire leurs effets: les rythmes de pousse et de croissance du bétail
sont
peu compressibles ! Les non-investissements induits par nos rigidités
passées
et actuelles se paient au prix très fort quelques années plus tard.
- Les gouvernements de nombreux pays où se tiennent des
émeutes sont
non démocratiques, et ordinairement très dirigistes en matière
économique. Le pire exemple est sans doute aujourd'hui celui
du Zimbabwe,
autrefois exportateur agricole, aujourd'hui dans une situation critique
parce
que les fermiers blancs qui connaissaient le travail de fermier ont été
chassés
--- voire tués --- par les séides du pouvoir en place, qui se sont vus
attribuer des terres dont ils étaient incapables d’extraire quelque
production
que ce soit, faute de compétence suffisante.
- La
France, rejointe par une partie de l'Europe, semble
hélas faire des
émules chez certains pays africains. Des associations écologistes
extrémistes semblent
être en mesure de convaincre plusieurs états pauvres, tels que la
Zambie, de ne
pas autoriser l'implantation de cultures OGM sur leur sol, voire de
limiter le
recours aux engrais les plus modernes. Pour Norman
Borlaug,
père
de la première révolution verte, ceux qui
agissent ainsi ne sont que « des utopistes des beaux quartiers
qui
viennent dans le tiers monde pour y causer des
ravages. »
- Les barrières au commerce inter-africain
sont
souvent pires que celles imposées par l'Europe ou les USA au commerce
avec
l'Afrique. Lois douanières ineptes, douanes corrompues, infrastructures
médiocre et peu sécurisées, empêchent la création de vastes aires de
libre
échange inter-africaines.
Cette impossibilité
d’échanger abondamment avec leurs voisins immédiats interdit
aux
producteurs africains de se spécialiser là où ils peuvent être les
meilleurs.
- Toutes ces barrières au développement d'une agriculture plus performante et surtout capable de s'adapter à l'évolution de la demande mondiale n'ont rien à voir avec le commerce libre, avec un marché libre.
Les
spéculateurs, bourgeons
de l’incurie étatique
Il est logique que des spéculateurs, aujourd'hui bouc-émissaires faciles de la presse mondiale, puissent prospérer sur un marché où les étranglements de l'offre sont aussi nombreux, provoquant une volatilité des prix importante à la moindre tension entre demande et offre. Mais les spéculateurs ne font jamais qu’investir leur argent là où les conditions économiques générales engendrent des signaux de variation importante des prix. Ils ne font que suivre les conséquences des distorsions opérées sur les marchés, quitte à les amplifier parfois, il est vrai, mais ils ne peuvent, sur des secteurs aussi atomisés, en être à l’origine. Dans des marchés véritablement libres, leurs marges d’action seraient bien plus faibles, car les adaptations naturelles des offreurs à leurs demandes seraient plus rapides et limiteraient en amplitude et en durée les goulots d’étranglement que nous observons aujourd’hui.
Il est difficile de dire quel est le volume de blé, de riz, de soja, ou de lait supplémentaire qui pourrait être produit aujourd'hui et demain si l'ensemble des barrières à l'adaptation des agriculteurs à leurs marchés étaient levées. Gageons que le potentiel inexploité à cause de tous les interventionnismes publics mondiaux est d’ores et déjà très important.
Danger protectionniste
Malheureusement, les principaux dirigeants du monde prennent le chemin
opposé à
celui qu'ils devraient prendre. Le congrès américain, de quel
bord qu'il
soit, s'est
toujours opposé aux initiatives d’un G.W. Bush pour une fois
bien inspiré,
visant à réduire les subventions aux fermiers du midwest.
La France a toujours été, et restera, selon les
propos de son actuel ministre de l'agriculture, à la pointe
du combat pour
« rénover » la politique agricole commune, c'est à
dire, surtout, ne
pas l'abolir, et maintenir un protectionnisme élevé. De nombreux pays producteurs ont
promulgué des lois pour
empêcher l'exportation des productions agricoles de leurs paysans, leur
barrant
l’accès aux revenus permettant de moderniser leurs
exploitations.
Pire encore : les candidats démocrates à la présidence des USA, dont les chances d'élection sont réelles, sont tous les deux des protectionnistes acharnés. Quant à l’Europe, elle recherche des prétextes environnementaux, basés sur ces fichues émissions de CO2, pour instaurer un protectionnisme déguisé vis à vis de pays dont les installations productives ont un rendement plus faible que les nôtres. Voilà qui n’aidera sûrement pas les pays du tiers monde à améliorer leur situation économique.
La nocivité du concept « d’>auto-suffisance »
Les politiciens et experts des pays riches nous ressortent les vieilles antiennes selon lesquelles les pays émergents devraient rechercher l'auto-suffisance alimentaire. C’est une pure fumisterie. Cela a autant de sens que d'affirmer que l'Europe devrait viser l'autosuffisance pétrolière ou informatique ! Le Ghana importe les trois quarts du riz qu'il consomme, et pour cause, son territoire n'est pas très propice à l'implantation de rizières. Faudrait-il qu'il devienne auto-suffisant demain ? Ou faut il qu'il soit capable d'exporter ce qui lui permettra d'importer le riz dont les ghanéens ont besoin ?
C'est en produisant dans de bonnes
conditions ce pour quoi
ils sont les meilleurs puis en échangeant cette production sur les
marchés les
plus vastes qui soient, que les pays les plus modestes se sortiront de
leur
condition. Au lendemain de la guerre, des pays aujourd’hui aisés comme
la
Malaisie, Taiwan, la Corée, étaient aussi pauvres que le Mozambique ou
la Somalie. Aujourd'hui
, ces pays sont loin de l'autosuffisance alimentaire, mais leur capacité d'insertion dans le commerce mondial leur permet d'acheter ce qu'ils ne produisent pas à ceux qui savent le faire, et la hausse des prix alimentaires, si dramatique dans les pays pauvres, n'est pour eux qu'une difficulté mineure.Utiliser les programmes de l'ONU, du FMI et autres institutions mondiales pour promouvoir cette aberration que constitue le concept d’ « autosuffisance alimentaire » auprès des pays les plus pauvres revient à les pousser à rester dans un état de sous développement agricole incompatible avec les besoins croissants de leurs populations. En outre, cela conduira à y développer des mentalités peu enclines à favoriser leur ouverture au commerce mondial. Encore un crime contre l’humanité pauvre commise par des politiciens riches…
La libéralisation mondiale des échanges agricoles, seule solution durable à la crise alimentaire
La crise actuelle demande sans doute quelques réponses de court terme, telle qu’une aide numéraire permettant de solvabiliser provisoirement les populations les plus touchées par la hausse des prix, leur permettant de s’approvisionner dans la phase délicate que nous traversons. Encore faut il que cette aide puisse aboutir dans les portefeuilles de ceux qui en ont réellement besoin, sans au passage subir une ponction vers les comptes off shore de dirigeants corrompus. Plus facile à dire qu’à faire !
Mais ces mesures très immédiates ne resteront que de simples expédients qui ne résoudront en rien les problèmes structurels des marchés agricoles mondiaux si nous ne nous attaquons pas enfin aux effets pervers des interventions publiques qui en diminuent l’efficacité.
Les négociations au sein de l’OMC en vue de libéraliser le commerce agricole doivent reprendre au plus vite, et les principaux blocs agricoles (Europe, USA, groupe de Cairns, BRIC) doivent s’entendre rapidement sur un agenda rapide d’abolition de toutes les barrières aux transactions internationales de matières agricoles : fin des subventions internes ou à l’exportation, levée des tarifs douaniers, fin de toute politique d’encouragement des biocarburants, abolition des barrières internes à l’établissement d’exploitations agricoles, campagnes d’information et fin des moratoires étatiques sur les cultures d’OGM ayant satisfait aux tests d’innocuité imposés par les principales législations sanitaires, et encouragement des pays émergeants à la création ou au renforcement d’espaces de libre échange intérieurs permettant d’améliorer la spécialisation et la compétitivité des agricultures émergeantes.
A ces conditions, le marché agricole retrouvera rapidement l’efficacité nécessaire pour permettre à la demande mondiale croissante de produits alimentaires de trouver face à elle une offre capable d’y répondre.
Tout simplement bravo pour ce billet! Que cela fait du bien au milieu du tissu d'inepties que l'on entend tous les jours autour de soi.
Et puis cela fait bien longtemps que les libéraux mettent en garde des dangers de toutes ces politiques aberrantes. Et aujourd'hui qu'entend-t-on? "C'est la faute de l'ultra-néo-libéralisme!" C'est vraiment pathétique, désespérant, démoralisant… Surtout que les masses le croient. Je l’ai encore entendu pas plus tard qu'avant hier: “c’est à cause des spéculateurs. Il faut les mettre en prison! Ce sont des criminels.” Véridique! Je précise que je n’ai pas entendu ça au bistro du coin, mais de la bouche d’un cadre d’une grande entreprise…
Rédigé par : Mateo | vendredi 18 avril 2008 à 08h00
Bravo pour cette article qui fait le tour du probleme de maniere remarquable ...
Rédigé par : aLLLLL | vendredi 18 avril 2008 à 10h15
J'oubliais: il me semble Vincent que tu as omis un point qui me paraît être très important: une partie de la hausse des prix des denrées alimentaires est, il me semble, due à l'inflation du dollar, provoquée directement (excès de dépenses publiques) ou indirectement (système de banques centrales) par la force publique américaine (et d'ailleurs…).
Rédigé par : Mateo | vendredi 18 avril 2008 à 10h48
effectivement cela fait du bien de lire un billet comme celui ci! avec tout ce que l'on nous vomit comme bétises aux infos...
pour les courageux qui ont encore la force de regarder les questions aux gouvernement le mercredi, ils ont pu entendre le ministre Barnier affirmer (à quelque mots près...) : "et oui mesdames mesieurs les députés, j'ai beau être un libéral, je n'en suis pas moins convaincu que le marché doit être accompagné..."
Barnier, encore un qui s'est cru libéral?
Mike.
ps: VB après un "hommage appuyé" de M6 à votre livre concernant le logement social, c'était le tour d'envoyé spécial, jeudi soir, avec la lapidation de la loi Robien... (avec l'annonce que Mme Boutin travaille sur une loi pour corriger les effets pervers de la loi Robien)
Rédigé par : Mike | vendredi 18 avril 2008 à 16h48
Une loi visant à corriger une loi qui elle-même était sensé corriger une autre loi… On commence à avoir l'habitude.
Mesdames et messieurs les politiques, ne serait-il pas plus simple, moins coûteux et surtout plus efficace d'abroger toutes ces lois qui créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent?
Rédigé par : Mateo | vendredi 18 avril 2008 à 17h38
@ Mateo : nos ronds de cuir des cabinets ministériels et du parlement semblent être payés aux nombres de textes qu'ils pondent!
Rédigé par : Mike | vendredi 18 avril 2008 à 18h51