Le problème affectant les productions de céréales sont-ils, comme l'affirme avec certitude notre ministre de l'agriculture, liés aux excès de "l'ultra libéralisme et de la mondialisation" ?
M. Barnier devrait y réfléchir à deux fois avant de proférer d'aussi ridicules affirmations. En tant que personne bien informée -- à son poste, il faut l'espérer -- il devrait savoir que ce ne sont pas de prétendus excès du libéralisme, mais plutôt l'insuffisante liberté affectant les producteurs et distributeurs de matières premières agricoles qui les empêchent d'offrir aux populations les récoltes nécessaires à la satisfaction de tous les estomacs.
Prenons le cas du commerce du riz. Selon le New York Times :
The damage that trade restrictions cause is probably most evident in the case of rice. Although rice is the major foodstuff for about half of the world, it is highly protected and regulated. Only about 5 to 7 percent of the world’s rice production is traded across borders; that’s unusually low for an agricultural commodity.
So when the price goes up — indeed, many varieties of rice have roughly doubled in price since 2007 — this highly segmented market means that the trade in rice doesn’t flow to the places of highest demand.
(...)
This lack of support for trade reflects a broader and disturbing trend. An increasing percentage of the world’s production, including that for agriculture, comes from poor countries. Over all, that’s good for rich countries, which can focus on creating other goods and services, and for the poor countries, which are producing more wealth. But it can slow the speed of adjustment to changing global conditions.
For example, if demand for rice rises, Vietnamese farmers — who remain shackled by many longstanding regulations of communism — aren’t always able to respond quickly. They don’t even have complete freedom to ship and trade rice within their own country.
Poorer countries also tend to be the most protectionist. To make matters worse, about half of the global rice trade is run by politicized state trading boards.
The reality is that many of today’s commodity shortages, including that for oil, occur because ever more production and trade take place in relatively inefficient and inflexible countries. We’re accustomed to the response times of Silicon Valley, but when it comes to commodities production, many of the relevant institutions abroad have only one foot in the modern age. In other words, the world’s commodities table is very far from flat.
Il a bon dos, le libéralisme !
Des géants loin de réaliser leur potentiel agricole
Parmi les pays dont l'agriculture souffre de maux étatiques endémiques, les deux géants démographiques d'Asie figurent en bonne place.
Le cas de l'Inde est particulièrement frappant : alors qu'une relative libéralisation avait permis à l'Inde de s'inscrire dans ce que l'on a appelé la « révolution verte », le jeu politique affectant nombre d'états (l'Inde est une fédération où les pouvoirs centraux sont assez limités) a conduit nombre d'entre eux à subventionner largement l'agriculture, notamment deux éléments essentiels, l'eau et l'électricité. Résultat, la collectivisation de ces deux composantes a rendu ces ressources plus rares, et a empêché les agriculteurs de moderniser leurs exploitations.
Plus grave, la plupart des « marchés » agricoles intérieurs à l'Inde n'en sont pas vraiment: ils sont très fortement réglementés par les états locaux et la fédération. Le résultat est que, faute d'indications fiables du système de prix agricoles, les paysans tendent à retarder les adaptations nécessaires à leurs exploitations. Des prix garantis, des subventions au volume, des circuits de distribution contrôlés par les états... Tout cela incite à produire, mal, non pas ce dont les gens ont besoin, mais ce qui rapporte des subventions, sans se préoccuper du stockage, de la distribution, du packaging, et des évolutions de la demande des consommateurs. Alors, la crise alimentaire de l'Inde ne peut en aucun cas être attribuée à une "défaillance des marchés":
India's current food price problem isn't a market failure. Rather, it's a government failure to allow markets to work. The only sustainable solution is to pull back the subsidies and protections. But sustainability is the last thing on the minds of politicians competing to win the next election with ever-higher subsidies.
China blues
Il est souvent affirmé que l'explosion des besoins de consommation alimentaire de la Chine peut être la source des « déséquilibres » mondiaux que nous observons.
Mais l'agriculture chinoise elle même est très loin d'avoir réalisé l'ensemble de son potentiel. En cause, l'absence de droits de propriété fiables accordés aux paysans sur leurs domaines ruraux, permettant encore trop facilement des expropriations au profit d'intérêts défendus par le parti avec des compensations faibles. Certes, les progrès depuis l'époque communiste "pure et dure" sont indiscutables, mais encore très insuffisants. En conséquence, les paysans chinois :
- Ne dont pas incités à investir dans des infrastructures lourdes (stockage, arrosage, stabulations), puisqu'ils ne sont pas assurés de voir leur investissement remboursé en cas d'expropriation.
- Quand bien même ils voudraient le faire, ils ne peuvent pas accéder au crédit dans des proportions suffisantes, car leur principal actif, leur terre, n'est pas suffisamment sécurisée pour être apportée en gage d'un emprunt. Seulement 14,7% des investissements ruraux sont financés par le biais d'un crédit.
- Bien sûr, l'insuffisance du droit de la propriété rurale rend difficile les associations privées de paysans afin de renforcer l'efficacité de leurs méthodes d'exploitation.
Le gouvernement Chinois, conscient de cette difficulté, a instauré de nouvelles lois renforçant la propriété privée rurale en 2007. Mais des pouvoirs locaux corrompus, ainsi que de mauvaises habitudes tenaces, rendent ardue l'application effective de ces textes, qui devront de toute façon être améliorés.
---
Manque de liberté du commerce, subventions mal à propos des états (et je ne vous reparle pas des subventions euro-américaines, sujet rebattu dans ces colonnes...), intrusion excessive dans le fonctionnement des marchés, et insuffisance des droits de propriété: telles sont les plaies des agricultures mondiales, notamment dans les pays émergents, plaies dont la cicatrisation permettrait, à n'en pas douter, de produire et de distribuer largement les ressources qui manquent aux plus pauvres aujourd'hui. Libérez les paysans du monde de leurs états !
-
Bonjour,
Et encore, je trouve que vous auriez du insister encore plus sur l'effet pervers des subventions dans nos pays civilisés qui éloignent encore plus les procducteurs des besoins et des attentes de leurs clients...
D'autre part, ayant un niveau d'Anglais économique plutôt moyen, pourriez vous indiquer une adresse d'un site avec un lexique français anglais des principaux termes de cette science?
Vous remerciant par avance,
Nicolas
Rédigé par : Nico127 | mardi 06 mai 2008 à 22h30
Excellent !
A noter que face à la crise alimentaire mondiale, deux pays ont décidés de retirer leur production du marché pour "préserver" leurs populations, ce sont l'Inde et le Vietnam.
Ce faisant ils vont bien entendu faire augmenter les cours du marché.
Les fameux "spéculateurs" ne sont donc pas ceux qu'on croit.
C'est bien la rareté qui est la cause première de la montée des prix et non la spéculation qui provoque la rareté comme on vient parfois à l'entendre.
Rédigé par : alcodu | vendredi 09 mai 2008 à 13h03