L'institut Hayek publie une très intéressante contribution d'un de ses collaborateurs scientifiques, Charles Desmet, spécialiste de gestion des systèmes financier, qui a été notamment consultant auprès de banques centrales des pays de l'Est après leur libération du joug communiste.
Le principal intérêt de cet exposé, d'une grande clarté didactique, est de montrer que le libéralisme, loin d'être réduit à sa caricature de "renard libre dans un poulailler libre" popularisée par Jaurès jeune, et abondamment véhiculée par les interventionnistes, est l'inévitable corolaire de l'état de droit. Il propose, selon cette grille de lecture, un certain nombre d'évolutions législatives qui, si elles ne sont pas aussi radicales que celles que j'ai pu esquisser voici quelques jours, s'inscrivent dans le champ d'évolutions sinon faciles à vendre politiquement, du moins facilement adaptables aux structures du système financier mondial actuel, dont les bases, selon lui, ne sont pas à jeter.
Son discours évite les outrances libertariennes (qu'il égratigne au passage), tout en posant les bases d'un changement de paradigme réglementaire "soutenable" dans le contexte actuel. Extraits:
Les adversaires du libéralisme qui n'ont d'autres arguments que de prétendre que la liberté, c'est l'abolition de toutes les règles, feraient mieux de relire - ou de lire enfin - Hayek, qui a toujours écrit exactement le contraire: la liberté ne peut s'épanouir que dans un état de droit.
Mais l'état de droit, ce sont des règles connues d'avance, c'est-à-dire exactement le contraire des interventions ad hoc des gouvernements auxquelles nous sommes confrontés dans la crise actuelle. Ce sont précisément ces actions au cas par cas qui détruisent l'état de droit, et font craindre une nouvelle progression de la tyrannie de l'état.
(...)
En fait, il faut partir du postulat que toute institution, qu'elle soit administration publique, entreprise privée ou simple individu, cherche à maximiser ses avantages et ses profits, même si cette maximisation se fait au détriment d'autres agents économiques. Dans ce combat, l'information est souvent utilisée comme une arme par ceux qui la détiennent, la dissimulent, ou la tronquent. Les libertariens prétendent que seule l'entreprise privée est honnête, ce qui est faux; les collectivistes donnent à l'état toutes les vertus, ce qui est tout aussi faux. A moins d'admettre ces deux évidences, il est impossible, à mon sens, d'ébaucher un système dans lequel les deux protagonistes puissent se contrôler mutuellement.
(...)
C'est desservir la cause du libéralisme que de prétendre que celui-ci n'a besoin ni de règles ni d'institutions pour limiter ses excès et éviter le chaos. C'est dans un environnement où la place de l'Etat est réduite à l'essentiel, c'est à dire la construction d'un édifice institutionnel et légal solide, prévisible, et absolument impartial, que l'individu et l'entreprise peuvent réaliser le maximum de leur potentiel. C'est au vu de cette position, défendue par Hayek dans "The Constitution of Liberty", déjà cité, qu'il nous faut juger des mérites, mais surtout des périls, des interventions des états dans la crise actuelle.
Naturellement, chacun peut trouver à redire sur le détail de telle ou telle proposition. Mais dans une situation où, au delà du sauvetage des meubles à court terme, il convient de réfléchir à une amélioration sensible des mécanismes assurant l'équilibre des systèmes financiers internationaux, les propositions de M. Desmet ont le mérite immense de lancer des idées qui, espérons le, permettront d'élever les débats au dessus des poncifs anti marchés qui servent d'ersatz d'intelligence à bien des commentateurs de la crise actuelle.
"Les libertariens se font les avocats de l'abolition des banques centrales, et de l'émission de monnaie par des banques privées.[...] je suis fermement convaincu que, s'il y a des raisons de se défier de banques centrales "publiques", il y a tout autant de raisons de se défier d'émetteurs privés de monnaie."
Remplacez "émetteurs privés de monnaie" par n'importe quel biens ou services, et vous aurez un argument typique du gauchiste, appliqué à tous les domaines de l'économie; Les acteurs privés ne sont motivés que par le profit, seul l'Etat est au service du peuple blabla.
Pour quelle raison ce monsieur en oublie tout ses fondamentaux économiques dès qu'il s'agit de production de monnaie? Quelle magie fait qu'alors que les émetteurs privés de n'importe quel bien ou service sont soumis à la main invisible de marché, les émetteurs privés de monnaie pourrait s'en passer?
Est-ce la volonté de se démarquer d'une frange "d'extrémisme du libéralisme" qui pousse à de tels platitudes? Ou la peur de franchir un trop grand fossé intellectuel? Anyway c'est bien dommage, surtout sur le site d'un institut portant le nom d'un grand personnage de l'école autrichienne.
Rédigé par : Naufrage | dimanche 05 octobre 2008 à 01h02
Pour ma part, je crois que publier des propositions de réformes à l'intention des décideurs politiques est peine perdue. L'Etat a ses propres incentives, et ce ne sont pas l'intérêt général si tant est qu'on puisse le définir.
Il vaut mieux se contenter d'expliquer tout le mal que fait l'Etat par ses interventions et son existence, à l'intention des simples citoyens. Le résultat sera peut-être plus long à venir, mais ce sera autre chose que deux trois réformes pseudo-libérales à l'existence sans cesse menacée par l'existence de l'Etat.
Naufragé, un de ces tarés de libertariens
Rédigé par : Naufragé | dimanche 05 octobre 2008 à 01h03
Oui, Vincent, le droit est essentiel à la société. Il faut un droit clair, solide, stable. Ce n'est évidemment pas le cas du fatras juridique qui nous submerge et qui offre des dizaines de milliers de niches à effets pervers. Il faut enseigner les principes du droit à l'école. Il faudrait qu'on puisse dire à nouveau "nemo censetur igorare legem", principe malheureusement devenu caduc.
Le droit ne peut être efficace qu'accompagné d'une bonne justice. La aussi, nous connaissons des dérives consternantes (voir mes commentaires sur l'affaire du mariage et de la virginité).
Le liberalisme me parait le système le plus pertinent en démocratie. J'en viens même à me demander si libéralisme et démocratie ne sont pas synonymes tant ils sont liés l'un à l'autre. L'étatisme n'est pas la démocratie, car c'est le despotisme des administrations et des technocrates.
Mais bien entendu, s'il faut moins d'état que celui qu'on endure aujord'hui, il n'en reste pas moins qu'on ne peut se passer de pouvoirs publics.
Le rôle de l'Etat est d'autant plus efficace qu'il sait se concentrer sur son coeur de métier: l'ordre public et la qualité du droit. C'est dans ce cadre que les agents économiques privés peuvent s'exprimer le mieux et en toute sécurité.
L'Etat et le Droit doivent être l'expression de la volonté des individus d'une organisation sociale qui leur assure les meilleures marges de liberté et qui offre cette liberté également à tout le monde.
Cela dit, la notion d'état ne doit pas être confondu avec celle de pouvoir centralisé. La répartition des compétences entre autorités différentes et démocratiquement constituées est à considérer. Décentralisation, subsidiarité, séparation des pouvoirs assurent de meilleurs équilibres et une proximité des réalités que n'offre pas le centralisme.
Mais je constate une chose: la liberté, la démocratie (et donc le libéralisme) ne peuvent s'épanouir qu'au sein de peuples éduqués. Il a fallu quatre vingt ans d'apprentissage à la France, après la Révolution, pour être capable d'instituer une république durable. Mais notre peuple n'est pas encore assez instruit pour exercer la démocratie et pratiquer le libéralisme. Il bénéficie d'une assez bonne formation professionnelle, il emmagasine beaucoup de connaissances, mais il est trop inculte en droit, en économie, en organisation sociale, son esprit critique est mal exercé. C'est donc une proie facile pour la manipulation et la désinformation que les gouvernants actuels utilisent, faute de pouvoir recourir à la dictature.
Rédigé par : michel | dimanche 05 octobre 2008 à 06h02
Bonjour Vincent
Les recommandations sont effectivement intéressantes sur le fond : mais reste, bien sûr, les détails de leur application. Dividendes contre stocks option, pourquoi pas, mais à quelle hauteur ? et pendant combien de temps ? Et votés par qui ? Toujours les mêmes comités de rémunération ? J'ai l'impression que même si l'idée est bonne on peut tout autant la pervertir que les autres. Il me parait plus sage de s'en remettre au vote des actionnaires qui sont le mieux à même d'apprécier la performance de leurs dirigeants. D'autant que les entreprises naissantes ont réellement besoin des stocks option pour attirer des compétences qu'elles seraient bien incapables de rémunérer, ni en salaires à leur prix de marché, ni en dividendes puisqu'elles n'en distribuent pas les premières années pour réinvestir. En tout cas, on est d'accord, on ne peut pas rémunérer un risque qui n'existe pas, ce que font les parachutes dorés : la rémunération du risque doit rester à celui qui le prend, c'est à dire l'actionnaire.
Rédigé par : lolik | dimanche 05 octobre 2008 à 14h19
Charles Desmet a tort, il connaît mal le libertarianisme et fait un gros contre-sens: jamais les libertariens n'ont prétendu que "seule l'entreprise privée est honnête". Au contraire, ils ont intégré la nature de l'Homme, avec ses qualités et ses défauts.
Ce que disent les libertariens, c'est que les erreurs des privés n'impactent qu'eux-même alors que les erreurs du public impactent tout le monde. La conclusion est qu'il est préférable de faire appel au privé.
Desmet, comme beaucoup de libéraux classiques interprètent cette conclusion de travers.
Rédigé par : Rocou | lundi 06 octobre 2008 à 15h17