L'adoption du plan Paulson par les deux chambres du congrès américain démontre si besoin en était que la démocratie américaine est gravement malade. Je ne fais pas ici la critique du contenu du plan (déjà vu), mais de la façon dont il a été finalement adopté.
Comment Hank Paulson s'y est il pris pour réussir à passer lors d'un deuxième vote ? Simple. Il a en quelque sorte acheté le vote de quelques représentants récalcitrants en ajoutant 340 pages d'exemptions fiscales dirigées vers des intérêts particuliers particulièrement actifs auprès de ces congressmen à la morale particulièrement élastique. Mieux encore, pour pouvoir insérer le texte dans l'agenda du congrès après le refus initial, le congrès a rattaché la loi de sauvetage à... Un texte sur les maladies mentales initialement programmé pour la même session !
Randall O'toole, du Cato Institute, résume ainsi les manoeuvres qui ont précédé le vote:
Some people think the bail out bill passed by the Senate on Wednesday was unconstitutional, as only the House of Representatives is allowed to initiate tax legislation. The vote was scheduled for Wednesday because Senate leaders expected the House to pass the bill on Monday. When the House failed to do so, the Senate merely attached the bailout bill to another bill (dealing with mental health) that had already passed the House. With flexibility like that, who needs a Constitution?
To make the bill even more politically attractive, the Senate added nearly 300 pages of tax breaks and other special-interest legislation costing $150 billion (partly offset by $40 billion in spending cuts or tax increases elsewhere in the bill). The tax breaks go to such vital sectors of the economy as Puerto Rican rum makers, auto race tracks, bicycle commuters, restaurant remodelers, and makers of “wooden arrows designed for use by children.”
Il n'y a que les tailleurs de pipes de Saint Claude qui n'ont rien eu cette fois ci. Il y avait pourtant 150 milliards de billets verts à se partager.
Last week, Oregon Representative Greg Walden could only get a handful of his colleagues to support a restoration of federal payments to national forest counties (most of which will go to Oregon counties). Not to worry: the county payments have been added to the Senate bill. If the House gets stampeded into approving the bill without amendment, Oregon counties will be flush again.
The original Paulson plan was 3 pages long. The bill rejected by the House was 110. The bill approved by the Senate was 451 (52 pages of which were in the original bill on mental health).
Tant les économistes autrichiens que l'école des choix publics, et bien d'autres avant, dont notre Frédéric Bastiat, avaient prévenu que les groupes de pression bien organisés pouvaient dénaturer gravement la vie démocratique, donnant l'illusion que l'état ferait vivre tout le monde au dépens de otut le monde. Mais qui écoute les économistes de nos jours ?
Follow the bucks !
Pire encore, alors que de nombreuses voix de la société civile se sont élevées pour critiquer le texte de Hank Paulson, Barack Obama et John McCain l'ont soutenu. Faut il s'en étonner ? Voici un extrait de la liste des "super-donateurs" des deux candidats, fourni par le site des partisans de Ron Paul :
Barack Obama: Goldman Sachs $739,521 |
John McCain: Merrill Lynch $349,170 |
Sur ce coup là, McCain ne vaut pas mieux que son concurrent. La vie politique peut-elle prétendre représenter l'expression de l'intérêt général s'il existe un tel degré de suspicion sur l'indépendance des candidats par rapport aux lobbies financiers ?
Comment assainir le financement de la vie politique ?
D'une façon générale, je suis favorable aux donations privées aux campagnes, sans limitation de montant, à condition qu'elles soient le fait d'individus, et non de sociétés. L'argent d'une société appartient à ses actionnaires. Que ceux ci veuillent utiliser individuellement leurs dividendes à financer un candidat qui leur plait, soit. C'est leur argent, ils en font ce qu'ils veulent. Par contre, que des actionnaires soient obligés de subventionner les choix politiques de leurs managers, constitue clairement une violation de leur droit de propriété, en plus d'être déontologiquement douteux.
Vous me direz que si le PDG de Merill donne à titre individuel 300 000 dollars à un des candidats, cela revient au même que si c'est sa boite qui le fait ? Et bien Non.
D'une part, à titre personnel, le PDG de Merill n'a sûrement pas 300 000 dollars à perdre, quand bien même il gagne annuellement 100 fois plus : il est sûrement plus soucieux du bon usage de ses propres deniers que de ceux de ses actionnaires. Ensuite, il va de soit que toute donation qui ferait l'objet d'une transaction avec le politicien en question une fois élu serait considérée comme une corruption manifeste si elle venait à être mise au jour, avec le traitement pénal afférent. Peut être difficile à prouver, mais tout de même dissuasif, non ?
Enfin, la plupart de ces grands groupes n'ayant pas de gros actionnaires individuels de référence, rares seraient les actionnaires individuels, quand bien même leur part se chiffrerait en millions, qui seraient prêts à donner seuls de l'argent à un candidat pour financer un lobbying qui profiterait à tous les autres: le financeur assumerait une trop grande part du coût du lobbying pour une part des bénéfices somme toute faible.
On peut donc supposer qu'autoriser les seuls dons individuels, sans argent public et sans dons des entreprises, favoriserait des dons "de conviction", même en provenance de gros donateurs. Les sommes récoltées par les candidats seraient moindres, obligeant les candidats à plus de retenue dans leurs dépenses. Et les suspicions de trafic d'influence seraient grandement levées.
En France, un tel système devrait également être adopté, se substituant à l'actuel financement des partis par l'argent public et des dons individuels très plafonnés, ce qui constitue une véritable muraille protectionniste en faveur des partis établis. Après tout, si un parti suscite l'investissement de gros donateurs, qu'y a-t-il de mal à cela, à condition que ce soit leur argent, honnêtement gagné, et sans transaction occulte ?
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"Il n'y a que les tailleurs de pipes de Saint Claude n'ont rien eu cette fois ci."
Hahaha! Très très bon. Je vois que les élus américains savent faire à l'occasion aussi bien que les nôtres, et je suppose qu'il s'agit là d'une allusion à l'exemption fiscale spécifique bénéficiant jadis aux tailleurs de..., etc, sachant l'extrême pénibilité du travail de tailleur de..., etc.
J'aimais beaucoup, également, un autre des petits métiers qui bénéficiait lui aussi, il n'y a pas si longtemps, d'une indulgence fiscale particulière: les limeurs de cadres de bicyclette de la Haute-Loire.
Je suppose que le jour où cette pittoresque faveur fiscale a disparu, le dernier limeur de cadres de bicyclette de la Haute-Loire était passé de vie à trépas depuis une bonne trentaine d'années.
Quant à ceux qui chercheraient un point commun suspect entre les tailleurs, etc, et les limeurs, etc, ils ne comprennent rien à la science fiscale à la française.
Rédigé par : Robert Marchenoir | mercredi 08 octobre 2008 à 00h29
Excellent article, comme toujours. Et j'avoue ne pas avoir cherché plus loin pourquoi le plan avait finalement été adopté, bien que très surpris qu'il puisse l'être après un "Non" de la Chambre. Mais ça n'est pas très surprenant quand on regarde l'évolution du pouvoir fédéral US depuis plusieurs années.
Une remarque sur McCain toutefois: je suis globalement d'accord avec toi sur le financement politique et sur les soupçons qu'on peut avoir quand on regarde le financement d'une campagne présidentielle, mais ton tableau montre quand même qu'Obama (le sauveur des faibles et des opprimés contre le Grand Kapital) est encore plus acoquiné avec la haute finance que McCain (dans un rapport de 1 à 2 quand même). Ce dernier n'est pas exempt de reproches, mais de là à les mettre sur le même plan?
Rédigé par : ylyad | mercredi 08 octobre 2008 à 09h06
Une précision sur vos derniers paragraphes sur les dons privés individuels et d'entreprise : aux Etats-Unis les sociétés privées n'ont pas le droit de verser des dons directs aux campagnes des hommes politiques. Ils peuvent éventuellement le faire via des PAC (Political Action Comitee). Mais dans les chiffres que vous citez pour les plus gros contributeurs de McCain et Obama, il s'agit de chiffres aggrégés des dons individuels des employés de ces sociétés et de PAC.
Ainsi pour McCain :
http://www.opensecrets.org/politicians/contrib.php?cycle=2008&cid=N00006424
Le site précise bien :
"This table lists the top donors to this candidate in the 2007 - 2008 election cycle. The organizations themselves did not donate , rather the money came from the organization's PAC, its individual members or employees or owners, and those individuals' immediate families. Organization totals include subsidiaries and affiliates."
Et en effet si on regarde le détail pour Merrill Lynch par exemple :
http://www.opensecrets.org/orgs/summary.php?id=D000000108
On voit vite que l'essentiel des dons sont le fait d'individus affiliés à Merrill Lynch (employés, etc ...) et non de dons via des PACs.
Il faut néanmoins savoir qu'il existe de vrais tradition dans ce type de sociétés de demander aux employés (cadres supérieurs notamment, mais ils sont tres nombreux dans ce genre d'organisation) de verser des contributions comme ceci ou comme cela.
Et celà ne fait que se rajouter au Lobbying direct via des cabinets spécialisés qui savent très bien prendre soin des élus en place pour s'obtenir leurs faveurs. Là aussi des lois assez strictes existent, mais ce n'est pas moi qui vous apprendrait que la multiplication des législations ne fait qu'augmenter les efforts pour contourner les règles, dès lors qu'on préfère s'appuyer sur le respect des lois dans ses formes et non dans son esprit : ainsi lors des deux conventions Républicaines et Démocrates, les lobby redoublaient d'effort pour arroser les élus sans violer la loi. Comme il est interdit d'offrir un repas à un élus, mais que les collations sont autorisées, des soirées exubérantes avec des buffets pantagrueliques étaient offertes, avec cahier des charges très précis aux traiteurs pour que chaque élément du buffet, chaque bouchée, ne dépasse pas le x cm prévu par la loi pour séparer la petite collation du repas en bonne et due forme.
La vrais solution à la corruption se trouve ailleurs : si les élus n'ont pas le pouvoir de dépenser l'argent du contribuable au profit de tel ou tel intéret privé, s'ils n'ont pas le pouvoir de tout régir ou tout réglementer en faveur de tel ou tel, l'intéret de les corrompre tend vers zéro. Comme vous l'avez vous même rappelé sur ce blog : quand on donne au législateur le pouvoir de réglementer ce qui s'achete et se vend, la premiere chose a acheter est le législateur. Le respect d'une constitution imposant un gouvernement à pouvoir limité est la vrais solution. Vrais, mais pas facile : les Etats Unis ont essayé avec une lucidité peu commune en 1776. Force est de constater qu'en deux siècles, les efforts de leurs fondateurs semblent ne pas avoir servi à grand chose.
ST.
Rédigé par : ST | mercredi 08 octobre 2008 à 09h11
Pour ylyad :
Si Obama aparait avoir recu plus en volume d'argent des institutions financières que McCain, c'est surtout parce qu'il a levé plus d'argent tout court (notamment pendant les primaires, nettement plus disputés chez les démocrates que chez les républicains). Les républicains sont considérés perdant depuis le début des élections, et les gens préfèrent arrosé le vainqueur présumé que dépenser de l'argent dans une cause considérée comme perdue d'avance.
Force est de constater que McCain a voté et appelé à voter pour le plan Paulson. Pire : lorsqu'il a a appelé les membres de la chambre des représentants à voter le premier texte, il a fait un discours précis indiquant qu'il fallait voter, car c'etait 700 milliards dépensés utilement, et non du saupoudrage d'argent envers des pets projects de tel ou tel, des dépenses à tout va d'argent public vers des intérets privés. Il a même dit que si c'était le cas, il appelerait à voter contre, se faisant le champion depuis le début de la campagne de la lutte contre le "pork barrel", les dépenses injustifiée pour satisfaire tel ou tel. 48h après, il votait personnellement le second plan paulson au Senat, soit le meme texte où l'on avait ajouter plusieurs centaines de milliards de dollars de "pork barrel".
Cette video d'un échange sur CNN entre Wolf Blitzer et Glenn Beck est très explicite, ce dernier affirmant même que McCain venait de perdre la campagne sur ce seul vote :
http://www.youtube.com/watch?v=_2srLxcsqXg
Notons également que ces dépenses complémentaires ajoutées au projet initial pour acheter le vote des représentant ont été révélées dans la presse qu'après le vote. Le projet définitif de 451 pages n'a été d'ailleurs rendu public et notamment donnés aux Sénateurs qu'il l'ont voté que quelques heures à peine avant le vote. Aucun d'entre eux ne l'a lu.
Rajoutons également que moins d'une semaine apres, personne ne parle plus de ce plan de sauvetage qu'on nous vendait comme "indispensable". Les analystes de JP Morgan publient des papiers indiquant que le plan, insuffisant, sera sans effet majeur sur la crise (exactement ce que disaient ses opposants). Et la Réserve Fédéral s'arroge sans autorisation, le droit non prévu dans sa charge de racheter des crédits commerciaux, à hauteur de centaines de milliards de dollars, sans rendre de compte à personne (autant dire : ils ont compris que 700 milliards serait tres insuffisant pour impacter quoi que ce soit, et pour cause, et ils décident d'étendre la chose sans repasser par la case Congrès sachant qu'ils n'auraient auucne crédibilité à revenir 3 jours apres redemander deja une rallonge de centaines de milliards à un plan de sauvetage promis comme miraculeux).
La démocratie est morte aux Etats Unis. Quelques personnes décident ce qui leur semble bon (pour eux) et ne prennent même plus le temps de faire semblant de consulter le peuple.
Rédigé par : ST | mercredi 08 octobre 2008 à 09h28
@ST: vous confirmez ce que je pense, merci. Ma remarque portait juste sur le tableau: je trouve que mettre les deux candidats sur le même plan, les soupçonner de collusion avec la haute finance uniquement avec des chiffres de dons très différents entre eux, c'est un peu léger. Et comme je le dis, McCain est reprochable. Mais Obama a dans son équipe des anciens responsables de Fanny Mae et Freddie Mac, a travaillé à ce que le CRA soit durement appliqué, etc.
Rédigé par : ylyad | mercredi 08 octobre 2008 à 10h08
"Après tout, si un parti suscite l'investissement de gros donateurs, qu'y a-t-il de mal à cela, à condition que ce soit leur argent, honnêtement gagné, et sans transaction occulte ?"
Le mal, c'est que cela fait marcher la Loi de Bitur-Camember, quel que soit le mode de financement: tant qu'il y a un moyen d'acheter du pouvoir, il y aura inévitablement du gaspillage à hauteur des dépenses publiques engagées par l'état, qui annulera tout effet bénéfique potentiel de ces dépenses.
La seule solution pour rétablir un fonctionnement démocratique sain est l'introduction du consentement libre (et de préférence informé) du peuple. En Suisse, ils ont un embryone de cela sous la forme des votations et du fédéralisme des cantons, mais il faudrait tellement plus... Notre pays monolithique crève de manque de subsidiarité, et le citoyen moyen ignore jusqu'au sens de ce mot, qui est pourtant l'un des piliers indispensables pour que le peuple conduise lui-même ses affaires.
Rédigé par : Jesrad | mercredi 08 octobre 2008 à 18h14
@ ST: merci pour ces importantes précisions. Elles affaiblissent quelque peu mon second argument. Ca m'apprendra à baisser la garde en matière de vérification d'infos. Ceci dit, comme vous le décrivez fort bien, la pratiques des "PAC" d'entreprise n'en est pas moins tout à fait douteuse.
sur le pouvoir donné aux élus, vous avez 100% raison, mais le post ne prétendait pas faire le tour complet de la question (écrit un peu tard, il faut dire...)
Sinon, votre intervention illustre la faiblesse de la loi normative comme outil de régulation. Le coup des dimensions des bouchées coktail définies par cahier des charges, ça me laisse... Bouche-bée.
Enfin, nous partageons le même pessimisme quant au délitement des institutions de ce pays pourtant si admirable par tant de côtés.
@ Ylyad: collusion, pas nécessairement, mais complaisance, surement. Et j'ai bien dit "sur ce coup là", pour McCain vis à vis d'Obama. Je n'oublie pas tout ce que j'ai pu écrire par ailleurs...
Rédigé par : vincent | mercredi 08 octobre 2008 à 18h18
@ jesrad: +1 ;
Je suis en train de plancher sur les questions de subsidiarité. Sujet pas facile, et trop de préoccupations simultanées, mais j'espère produire des choses sur la question avant la fin de l'année.
Rédigé par : vincent | mercredi 08 octobre 2008 à 18h21
Le consentement libre du peuple n'est rien de plus que le pouvoir de dire "non" à son gouvernement. Ce simple pouvoir est inexistant en France: en théorie le Parlement, représentant le peuple, devrait en faire usage régulièrement pour dire "stop" aux dépenses et aux mesures, mais il s'est rallié au gouvernement pour partager les profits faciles de la coercition.
C'est pour cela que je parle de subsidiarité: ce pouvoir de dire "non" doit être accessible du plus bas niveau du pays au plus haut, de l'individu jusqu'au Parlement. Je dois pouvoir dire "non" aux mesures et ne pas être affectées par elles individuellement, ou en tant que résident d'une commune si nous sommes globalement contre à ce niveau, ou en tant que membre d'une région donnée si celle-ci s'exprime contre, etc.
Rédigé par : Jesrad | mercredi 08 octobre 2008 à 18h22
Salut,c'est pas forcément l'endroit,mais y a t'il des tee shirt alternative libéral ?
Si oui,comment s'en procurer ?
Merci.
Rédigé par : Spinoza | mercredi 08 octobre 2008 à 21h28
@ Spinoza: contacte Jean Paul Oury via son Blog
http://jean-paul-oury.neufblog.com/about.html
Tu veux pas des tee shirts du PLD ?
http://www.lepartiliberal.fr/
Rédigé par : vincent | mercredi 08 octobre 2008 à 22h09
Merci,mais ca ne m'envois pas directement sur une boutique ou serait présenté le(s) produit(s) disponible,et je ne la trouve pas via les liens que vous m'avez envoyé.
Vous pouriez ?
Merci.
Rédigé par : Spinoza | mercredi 08 octobre 2008 à 22h51
"Il n'y a que les tailleurs de pipes de Saint Claude n'ont rien eu cette fois ci."
Elle m'a fait bien rire celle-là.
Merci pour les chiffres au sujet du financement de la campagne. Au moins on sait à présent que le prochain président américain ne sera pas ingrat.
Rédigé par : AsTeR | mercredi 08 octobre 2008 à 23h40