Dans une précédente note, j'ai affirmé que l'état aurait tout intérêt à
ne pas chercher à passer le cap de la crise qui s'annonce pour les
entreprises en subventionnant ou forçant l'octroi d'un surplus de
crédit, mais au contraire devrait s'attacher à ce que les mécanismes de l'économie favorisent la collecte et la formation
de capital. Il est temps de passer à la démonstration.
Voyons
d'abord pourquoi la perception du bon niveau d'équilibre entre capital
et
crédit est aujourd'hui dangereusement distordue, une fois de plus, par
des dispositions étatiques de diverse nature. Cela va nous obliger à un
petit détour, aussi simple que possible, par un sujet un peu ardu, la
comptabilité des entreprises.
Les bases du bilan d'une
entreprise
Pour ceux qui n'ont jamais fait de comptabilité -- les bienheureux --
voici une présentation ultra-simplifiée d'un bilan d'entreprise. Le
bilan est le document comptable qui indique, à un instant T, quelle est
la situation du patrimoine de l'entreprise. Cette situation se
caractérise par d'un côté des ressources financières (généralement appelées
"passif", mais je m'en tiendrai au terme de
ressources financières,
plus intuitif), de l'autre côté des usages qui en sont faits, appelés "actif" (terme retenu pour la suite) ou
"emplois".
Si les ressources financières sont inférieures aux
actifs,
alors la différence est ajoutée aux ressources : c'est le bénéfice. Le bénéfice traduit le fait qu'avec un certain niveau de ressources financières au départ, vous avez créé un actif de valeur supérieure.
Mais si les ressources financières sont supérieures à l'actif, cela veut dire
qu'elles ont été mal employées par l'entreprise, qui est alors
déficitaire: un déficit égal à la différence est inscrit à l'actif de
l'entreprise. Il résulte de cette convention que les ressources financières d'une
entreprise + son bénéfice (ou moins son déficit) sont
toujours égales à la valeur des actifs à un instant T.
La question qui se pose est donc de savoir si l'entreprise, pour financer son activité, a intérêt à se reposer uniquement sur du capital, ou au contraire à compléter ses ressources par du crédit, et jusqu'à quelle proportion.
Or, le crédit et le capital sont deux ressources financières de nature différente.
Différences de nature et de rémunération entre crédit et capital
Ces deux ressources nécessitent une rémunération: le crédit est rémunéré sous forme d'un intérêt, fixé par contrat, exprimé en pourcentage annuel de la somme empruntée. Le capital sera rémunéré sous forme de dividendes, que l'entreprise versera en fonction de ce qu'elle aura gagné. Les mauvaises années, le dividende peut être nul. Les bonnes années, il augmentera plus vite.
Surtout, le crédit est remboursable, alors que, dans le cas général, le capital ne l'est pas. Cela veut dire que le prêteur (celui qui fournit le crédit) est à peu près sûr de revoir son argent si l'entreprise ne fait pas faillite, alors que l'investisseur peut voir, si l'entreprise fait de mauvaises affaires, le cours de ses actions chuter, voire perdre son capital.
En contrepartie, l'actionnaire peut espérer revendre ses parts avec une
plus value élevée si l'entreprise se montre capable de créer beaucoup
de valeur. En outre, il est propriétaire de l'entreprise et associé aux
risques qu'elle prend: il peut donc participer aux décisions
stratégiques qui rythment la vie de l'entreprise, alors que le
créancier, sauf faillite, ne le peut pas.
L'actionnaire court plus de risques: il attend donc une rémunération
plus élevée de son capital. Cette rémunération est à la fois constituée
du dividende et de la plus value latente de son investissement,
plus value qui deviendra réelle lorsque il aura revendu ses titres, s'il y parvient.
Au contraire, le prêteur court un risque moins élevé. Il réclamera donc une rémunération de son argent plus faible. Cette rémunération sera égale à celle qu'il aurait réclamé au plus sûr de tous les emprunteurs, augmentée d'une prime de risque, souvent appelée un "premium", surcroît de taux d'intérêt correspondant à la couverture du risque de faillite de l'entreprise.
Pour des raisons diverses, ce sont les états les plus riches, c'est à dire ceux qui sont capables de générer les plus gros flux financiers par l'impôt, qui sont -- jusqu'ici, mais ce n'est pas immuable ...-- considérés comme les emprunteurs les plus sûrs, du moins tant que la gestion financière de leur trésor public est sérieuse. Si votre entreprise est considérée comme très sûre, les prêteurs réclameront une prime de risque assez faible par rapport au taux qu'ils exigent de l'état. Par contre, si vous êtes une PME en phase de démarrage, les prêteurs se baseront sur leur expérience du taux de défaillance d'entreprises telles que la votre et exigeront un premium plus élevé, à partir d'un calcul de la probabilité du risque que vous représentez. Naturellement, si le prêteur, une banque ou une assurance, se trompe dans l'estimation des risques, il proposera un taux trop faible, et se retrouvera lui même en grande difficultés si les premiums encaissés ne couvrent pas la totalité des défaillances enregistrées.
Quel effet de levier ?
La capacité d'une entreprise à gagner de l'argent est directement liée à la quantité et la qualité de ses actifs: quantité et qualité des usines, des marques et des savoir-faire, des brevets... Accumuler ces actifs demande donc de fortes ressources. Donc, plus vous augmentez vos ressources, plus vous augmentez votre capacité de gagner de l'argent plus tard.
Naturellement, vous pouvez augmenter vos ressources de trois manières: en thésaurisant une partie de vos bénéfices, qui sont alors incorporés aux capitaux propres les années suivantes, ou en ouvrant votre capital à de nouveaux investisseurs, ce qui signifie diluer votre propre part, ou enfin, aller l'emprunter, en général à votre banque.
Plus vous aurez recours au crédit, et plus vous aurez la possibilité d'augmenter vos ressources, et donc votre capacité à créer des actifs de valeur. Or, la rémunération du crédit est moins élevée que celle du capital: il est donc tentant de croire que les entreprises ont intérêt à privilégier le crédit sur le capital. En poussant la logique jusqu'au bout, une entreprise opérant avec quelques pour cent de fond propres et plus de 80% de fonds empruntés aurait une rentabilité de ses fonds propres maximale. De tels chiffres se rencontrent parfois... Dans la banque !
Fort heureusement, les entreprises non financières ont des ratios de dettes sur fonds propres beaucoup plus raisonnables ! Généralement, les fonds propres d'une entreprise saine représentent plus de 50% de ses ressources.
On lit donc souvent que le crédit opère un "effet de levier" permettant de démultiplier la rentabilité du capital. Nous verrons que cette affirmation doit être fortement nuancée. Mais patience...
Pourquoi est il si important d'avoir des fonds propres suffisants ?
Revenons à notre bilan d'entreprise (rappel: "passif" = "ressources financières").
Le capital n'est pas remboursable, la dette l'est: lorsqu'une partie de votre dette arrive à échéance, vous devez donc la rembourser: vos ressources (le passif) diminuent. Si vous parvenez à remplacer cette ressource par une autre, d'un montant équivalent, pas de problème, vous ne devez pas prélever sur vos actifs pour y parvenir. Et si vous gérez bien, que le contexte économique est bon, que vous n'avez pas connu d'incident de paiement et que votre activité est profitable, il y a fort à parier que ceux qui vous prêtent de l'argent vous renouvèleront leur confiance, et vous prêteront à nouveau la somme nécessaire. Et plus cette somme est faible, plus ce sera facile.
Mais si, pour quelque raison que ce soit, vous ne pouvez pas réemprunter, alors vous devrez taper dans vos actifs pour payer vos dettes, ou augmenter votre capital pour pouvoir maintenir vos ressources en activité. Bref, vous l'avez compris: si votre endettement est plus élevé, vous courrez un risque plus grand soit :
- de vous trouver à court de trésorerie : vous risquez la clé sous la porte, vos actionnaires perdent leur argent, et votre prêteur perd une grande partie de l'argent que vous lui deviez.
- de devoir revendre des actifs de valeur, ce qui obère votre capacité ultérieure à gagner de l'argent, et donc réduit la valeur de votre capital et appauvrit vos actionnaires.
- de devoir appeler au secours de nouveaux investisseurs, qui, évidemment, pour vous sauver, exigeront que les actionnaires actuels leur laissent une grande part du capital, ce qui réduira donc la valeur des parts de vos premiers actionnaires.
Bref, vous l'avez compris: plus vous avez de dettes, plus les risques de défaut à échéance augmentent, et plus vous faites courir de risques à la fois à vos prêteurs, et à vos actionnaires. les prêteurs réclameront donc une rémunération plus élevée et du crédit, dont le taux d'intérêt exigé augmentera, ce qui, du coup, réduira la part distribuable des actionnaires, alors que ceux ci courront un risque plus élevé ! En conséquence, les actionnaires risquent de réclamer plus de dividendes et moins de réinvestissement des profits pour compenser le risque pris --il est moins risqué de toucher l'argent immédiatement--, ce qui diminuera la capacité ultérieure de financement de l'entreprise... Au détriment de la croissance à long terme de la valeur des actions !
Bref, si, vu du côté de ceux qui amènent des ressources, l'investissement en capital est plus risqué que l'investissement en crédit, la relation au risque est inverse vu du chef d'entreprise: celui ci augmente son risque lorsqu'il augmente sa dette.
Tout l'art du manager consiste donc à déterminer le bon niveau d'effet de levier: quel est le bon niveau d'emprunt pour augmenter la rentabilité du capital, et quel est le niveau d'endettement à ne pas dépasser pour ne pas se retrouver en cessation de paiement ?
Or, malheureusement, une fois de plus, le calcul est influencé par l'état, et ce dans pratiquement tous les pays du monde, et de deux façons. La première distorsion, permanente, est la structure fiscale appliquée aux gains des entreprises. La seconde, plus conjoncturelle, est liée à certaines politiques de certaines banques centrales, à certains moments. Cet article s'en tiendra aux questions fiscales, les questions liées aux banques centrales, bien qu' importantes, seront approfondies dans des publications ultérieures.
Dans un monde sans taxes, le recours au levier n'aurait aucun... intérêt !
Alors que la finance d'entreprise avait largement intégré les logiques d'effet de levier, il y a environ 50 ans, deux économistes ont brillamment démontré que dans un marché sans distorsion fiscale ou réglementaire (je simplifie un peu, pour des raisons pédagogiques), il n'y avait strictement aucun intérêt à recourir à l'effet de levier par le crédit pour augmenter la valeur de l'entreprise pour l'actionnaire.
Franco Modigliani et Merton Miller obtinrent chacun un prix Nobel d'économie pour cette démonstration qui paraît de prime abord contre-intuitive. Je vous passe les calculs (voir Wikipedia), mais en voici le principe, qui découle de ce qui précède:
Lorsque, pour un montant de ressources donné, vous augmentez votre ratio Dette/Fonds Propres (D/F), alors, initialement, vous augmentez votre capacité à rémunérer vos fonds propres (la qualité de vos actifs ne dépend pas de votre structure de financement), puisque vous servez une moindre rémunération à la dette.
En contrepartie, nous l'avons vu plus haut, comme vous augmentez les risques courus et par vos prêteurs, et par vos actionnaires, le taux exigé par vos créditeurs va augmenter, et la rémunération immédiate du capital exigée par vos actionnaires va augmenter aussi. Il en résulte que le coût de vos ressources augmente globalement: Miller et Modigliani ont montré que dans un marché des capitaux "parfait", c'est à dire sans taxes, sans lois influant sur les choix des uns et des autres, et en toute transparence d'information entre prêteur et débiteur, alors la hausse de la prime de risque annulait les bénéfices de l'effet de levier.
Par conséquent, dans un tel marché parfait, il n'y aurait aucun intérêt, sans jeu de mot, à avoir recours au crédit pour augmenter la valeur de son capital investi.
Dans le monde réel, les distorsions opérées par l'état avantagent le crédit !
Mais alors, pourquoi est il à ce point fait appel au crédit par les entreprises, et plus encore par les banques ? Parce que le marché n'est jamais parfait, pour sûr. Mais qu'est-ce qui conduit à son imperfection ?
Certes, l'une des réponses pourrait être que les investisseurs prêts à prendre des risques en capital n' ont pas les poches infiniment profondes, et qu'au delà d'un certain niveau d'investissement, l'entrepreneur ne trouvera plus en face de lui que des gens préférant les rendements plus faibles du crédit, à l'insécurité du placement en capital. C'est exact.
L'on pourrait aussi envisager que le crédit est un moyen pour l'entrepreneur d'augmenter ses ressources sans partager le pouvoir avec d'autres actionnaires : cela peut jouer en faveur du crédit, indiscutablement.
Les impôts faussent le calcul économique, (1)
Mais la principale conclusion dérivant des travaux de Modigliani et Miller est que la structure de la fiscalité appliquée aux entreprises est le principal facteur d'encouragement à l'effet de levier.
En effet, dans pratiquement tous les pays du monde, l'impôt sur les société est prélevé sur un résultat brut, qui résulte de la valeur ajoutée créée par l'entreprise (ce qu'elle a vendu moins ses achats) à laquelle il faut enlever la dépréciation de ses actifs (les usines, les machines, et les brevets, en vieillissant, perdent de la valeur...), les coûts salariaux, certaines taxes autres que l'impôt sur les sociétés (en France, l'énorme Taxe Professionnelle...) et surtout, les intérêts versés aux divers créanciers.
Nous nous trouvons donc, comptablement parlant, face à la situation suivante:
- Les ressources financières des entreprises se composent du capital et de la dette, ces deux ressources exigent rémunération
- La rémunération du créancier est déduite de la base de calcul de l'impôt sur les sociétés
- La rémunération de l'actionnaire, qu'il s'agisse de la part des bénéfices réinvestis dans l'entreprise, ou des dividendes versés aux actionnaires, ne l'est pas.
- Il devient hautement rentable d'utiliser un effet de levier pour augmenter la rémunération du capital !
Ruben D. Cohen, économiste spécialiste des questions de structure de financement de l'entreprise au sein de la banque Citigroup, analyse dans ce très court papier pédagogique l'incidence de cette disposition. Sa conclusion est sans appel :
- En l'absence de taxes, il n'y a aucun bénéfice en terme de création de valeur, à augmenter l'effet de levier,
- En présence de taxes, l'exclusion des intérêts de la base taxable des entreprises permet de créer de tels bénéfices, dès que l'on introduit ou que l'on augmente l'effet de levier.
Selon plusieurs exemples simples calculés par R. Cohen, l'effet du "bouclier fiscal" offert aux créanciers permet d'accroître le retour sur fonds propres. L'impôt sur les sociétés est donc, tel qu'il est conçu, une subvention aux créanciers payée par les actionnaires ! De là à dire que nos impôts sur les sociétés ont été conçus comme une subvention à l'activité de crédit des banques...
Il en résulte que la fiscalité des entreprises tend à favoriser l'augmentation du ratio Dettes/Fonds propres, donc des structures de financement plus risquées. Cela rend nos entreprises plus vulnérables aux aléas conjoncturels influant sur la disponibilité et le prix du crédit.
Et aujourd'hui, alors que les banques doivent limiter leur crédit pour éponger des pertes, cette vulnérabilité peut se payer très cher en terme d'emplois.
Les impôts faussent le calcul économique, (2)
Cette perception faussée par les taxes est encore agravée par les taux pratiqués dans certains pays, au premier rang desquels la France et les USA. Dans ces deux pays, l'impôt sur les sociétés atteint respectivement 33,3% et 38%. Certes, le calcul de la base imposable n'est pas identique, mais dans les deux cas, un tel taux renforce de façon importante la distorsion fiscale entre intérêts et capital.
En France, la taxation après sortie de l'entreprise des capitaux subit encore des distorsions importantes: si vous possédez des contrats d'assurance vie, ils sont en partie détaxés, alors que ces fonds vont en priorité se reporter sur le financement de crédit plutôt que sur l'investissement en capital, d'une part parce que l'assurance vie est un placement où l'on recherche plutôt la sécurité, d'autre part parce que les règles légales appliquées aux assurances obligent ces dernières à appliquer un ratio de 0,7 seulement aux actions qu'elles achèteraient pour composer leur portefeuille de couverture (Source, C.Bebear, "ils vont tuer le capitalisme", chiffres 2002).
Certes, les PEA bénéficient aussi d'exonérations. Mais l'investissement dans un PEA ne concerne guère les PME, ce qui revient à dire que l'investissement dans les PME subit une forte distorsion négative de la part de l'état.
De plus, la possession de capital vous impose à l'ISF dès que vous êtes simplement aisé. Et si vous êtes entrepreneur, vous avez intérêt à ne pas accepter de nouveaux investisseurs qui feraient passer votre part du capital de l'entreprise en dessous de 25%: votre participation est imposable à l'ISF uniquement en dessous de ce seuil !
Bref, tant la structure de nos impôts, que celle de nos niches fiscales, et les lois encadrant les investisseurs institutionnels, tendent à favoriser artificiellement les structures de bilan comportant un fort pourcentage de dettes, donc à taux de levier plus élevé, donc à risque plus fort.
Les conséquences anti-sociales de notre structure fiscale
Nous avons vu qu'une augmentation du ratio D/F augmentait le risque de défaillances d'entreprises, entraînant une hausse des taux demandés par les prêteurs, et une hausse du rendement des fonds propres demandés par les actionnaires. Cette dernière exigence est souvent dépeinte par les adversaires du marché libre comme une contrainte anti-sociale forte pesant sur les salariés.
Loin de moi l'idée de dénier aux actionnaires le droit de mettre la pression sur le managerat de l'entreprise pour augmenter l'efficacité du capital investi. Mais il va de soi que plus l'exigence de rendement est élevée, plus les managers sont contraints de rechercher rapidement les coûts les plus bas, et plus brutales sont les adaptations, ce qui met plus de gens en difficulté que des transitions plus douces. La contrainte fiscale pesant sur les entreprises pousse donc les emplois existants vers plus d'instabilité. Si l'on considère que la recherche de l'efficacité économique ne doit pas se faire en plongeant sans filet les plus malchanceux dans des torrents de difficultés dont ils peineront à se sortir, alors force est de reconnaître que la fiscalité appliquée sur les entreprises, prétendument instrument de "justice sociale", se révèle là encore socialement parlant contre-productive.
Ce serait peu grave si en contrepartie, le contexte fiscal français rendait facile et désirable la création d'emplois nouveaux venant compenser le déclin de certaines entreprises existantes, ce qui suppose que rien ne vienne freiner la prise de risque de nouveaux entrepreneurs, ou d'investisseurs prêts à leur apporter leur concours.
Malheureusement, la plupart des français qui prennent la peine de s'informer savent que cela n'est pas le cas. Tout d'abord, ceux dont les revenus seraient suffisants pour former du capital disponible pour l'investissement direct dans des entreprises, et notamment dans des entreprises naissantes, se voient taxer une part importante de leurs revenus à cause d'impositions marginales élevées: ce qu'ils peuvent investir est réduit d'autant. En outre, malgré les récentes avancées liées aux modalités du bouclier fiscal, lequel prévoit qu'une part de l'ISF puisse être déduite de l'impôt si elle est investie dans les PME, l'ISF reste un repoussoir pour de nombreuses décisions d'investissement ou d'ouverture des capitaux des entreprises. D'ailleurs, en 2007, seuls 15066 contribuables (source: contribuables associés ) sur 527 000 redevables de l'ISF ont bénéficié du bouclier fiscal, preuve du caractère très marginal de ce bouclier...
Autrement dit, notre structure fiscale actuelle accroît la pression économique sur les emplois existants et rend plus difficile la création d'emplois nouveaux. Nous faisons toujours tout à l'envers...
Que faire ?
Résumer les nécessaires changements de politique économique à des modifications de notre structure fiscale serait bien sûr abusif. Mais il n'en reste pas moins que la façon dont nous taxons le capital de nos jours en France est contre productive, en ce sens qu'elle tend à réduire la formation de capital, donc notre richesse à terme.
En ce qui concerne les entreprises non financières, j'ai déjà par le passé esquissé ce que pourraient être les grands principes d'une réforme fiscale majeure, en France tout du moins.
L'impôt sur les sociétés représentait en 2007 environ 52 Mds€, et la taxe professionnelle 24 Mds€, soit 76 Mds au total. En contrepartie, les "aides aux entreprises" représentaient 65 Mds. Certes, ce montant additionne joyeusement des subventions et des carottes fiscales, des aides aux entreprises publiques et des aides au privé. Mais si l'on admet qu'une part raisonnable de ces aides puisse être supprimée (par exemple, la moitié) sans autre difficulté que des réactions de mécontentement de certains lobbies, alors il serait possible de changer l'équation actuelle -- 76Mds d'impôt, 65 Mds d'aides -- en environ 45 Mds d'impôts et 33 Mds d'aides, ce qui permettrait de réduire l'IS tout en supprimant cette plaie que constitue la taxe professionnelle. Naturellement, un courage politique encore plus grand pourrait encore réduire la charge sur les entreprises.
Vous me direz que c'est juste un transfert comptable, la baisse du taux d'imposition étant compensée par celle des aides. Il faut bien se rendre compte que les bénéficiaires d'aides sont rarement des entreprises petites et très petites, que le coût de la chasse aux aides divertit des ressources importantes des vraies finalités de l'entreprise, que de nombreuses aides constituent des effets d'aubaine et sont en fait improductives. Bref, à solde égal, il est nettement préférable de privilégier des impôts faibles et des aides nulles, que des impôts élevés vaguement compensés par de nombreuses carottes pour les lobbies les mieux organisés. L'impôt élevé inhibe beaucoup plus l'investissement que l'espoir d'une aide n'y incite.
En outre, ré-inclure les intérêts versés aux créanciers dans la base taxable des entreprises, ce qui élargirait fortement son assiette, permettrait de faire baisser considérablement le taux d'imposition sur les sociétés, tout en rétablissant une certaine neutralité fiscale (ou du moins, une moins grande distorsion fiscale) entre entreprises fortement capitalisées et entreprises plus endettées. Ainsi, le choix des entrepreneurs entre capital et dette se rééquilibrerait-il en faveur de plus de capital... Sous réserve que la fiscalité en aval de l'entreprise n'amène pas d'autres distorsions, telles que celles produites par l'ISF. La réintégration des intérêts dans la base taxable de l'entreprise est défendue entre autres par Robert Hall et Alvin Rabushka, les premiers défenseurs des flat tax modernes.
Pour cela, il conviendrait que tant le capital que les intérêts, taxés à la source dans l'entreprise, ne fasse l'objet d'aucune nouvelle taxation, ni d'aucune niche fiscale, en sortie. A défaut, puisqu'aujourd'hui la CSG est prélevée sur tous les flux, qu'elle reste identique quel que soit le type de placement considéré, et surtout, qu'elle n'augmente pas...
A ce prix, les entreprises pourront améliorer leur rapport entre valeur créée et risques encourus.
En ce qui concerne les banques et les assurances, la réforme doit aller bien au delà des impératifs réglementaires et fiscaux. L'intégration des intérêts versés dans la base taxable paraît ici impossible à appliquer du jour au lendemain, car avec des taux d'endettement/fonds propres absolument stratosphériques, certaines banques seraient du jour au lendemain en faillite. En outre, l'emprunt est la matière première des banques. La surtaxer paraît aussi peu pertinent que de faire payer une surtaxe caoutchouc aux fabricants de pneumatiques. Pourtant, une vaste réflexion visant à recréer un système ou les banques n'ont pas d'incitation excessive à se financer par la dette est indispensable. Comme le dit l'un des meilleurs chroniqueurs économiques du Financial Times, John Kay :
(...)
Les banques seraient, normalement, effrayées à l'idée de prêter à quelqu'un dont les engagements seraient 50 fois plus élevés que l'actif net, mais elles se sont joyeusement prêtées de l'argent les unes aux autres sur ces bases – Jusqu'à ce qu'elles soient contraintes d'arrêter. Si vous voulez l'explication en une phrase de la crise, c'est celle là.
(...)
En affaires, le capital est ce que vous possédez pour vous protéger vous mêmes, vos clients et vos créanciers quand cela va mal. Dans les périodes fastes, vous pouvez peut être avoir l'impression que vous en avez trop et qu'il vous coûte trop cher. Mais dans les temps difficiles, vous n'en avez jamais assez.
(...)
Il est rassurant de voir que que l'économie financière et le bon sens populaire aboutissent aux mêmes conclusions. Les banques sont au bord du gouffre parce qu'elles n'avaient pas assez de capital pour supporter leurs business models actuels. Trop de capital dans une banque, cela n'existe pas.
Les règles comptables, prudentielles et fiscales régissant les banques doivent leur permettre de se rapprocher de la plus grande neutralité en terme de financement entre capital et dette, et donc leur permettre de réduire les risques inhérents à la structure de leur passif. Je n'ai pas de proposition concrète à faire ici, faute de connaissance fine des spécificités de la fiscalité bancaire. Mais je ne doute pas que d'autres aient réfléchi à la question et envisagé des solutions élégantes à ces problèmes.
La difficile question des banques centrales
En outre, il apparait que les incitations bancaires favorisant la ressource financière "crédit" sur la ressource "capital" proviennent également, à certains moments, de la manipulation des taux à laquelle se livrent les banques centrales, qui ont ces dernières années, au vu des bulles d'actifs qui se sont formées, eu tendance à pratiquer des taux trop faibles par rapport aux risques réels de malinvestissement, et donc de correction à la baisse des cours de l'immobilier, ou des matières premières, ou d'autres valeurs.
Pour une banque centrale aussi, un taux de base doit couvrir le risque du non remboursement des lignes de crédits ouvertes. Si le premium exigé par la banque centrale est trop faible et ne reflète pas le risque réel qu'elle prend en ouvrant du crédit aux banques, alors elle fausse toute la perception des risques associés au crédit de l'ensemble de la chaîne des institutions financières. Mais, bien que cette hypothèse apparaisse raisonnable et soit exprimée par d'autres, je n'en ai pas trouvé de confirmation solidement étayée empiriquement.
Pour l'ensemble de ces raisons, les évolutions du système bancaire ne pourront pas n'être que fiscales. Mais il ne serait pas inutile de commencer par là, quelles que soient les autres évolutions envisageables du système monétaire international.
Le gouvernement à contresens
En poussant les banques à assouplir les conditions du crédit, par la voie de menaces inqualifiables, et sans la moindre considération pour les risques de marché actuels, le président de la république pousse à la fois les banques (qui doivent prélever un taux d'intérêt conforme au risque réellement encouru) et les entreprises à fragiliser leurs structures financières alors que la politique devrait plutôt chercher les moyens de leur permettre de se consolider --sans intervention du contribuable, donc sans recours à un "fonds souverain"-- pour leur redonner les moyens de leur développement.
En outre, il faudra bien que tôt ou tard, nos dirigeants se penchent sur les freins à l'injection de capital dans de nouvelles entreprises: taux marginaux d'imposition trop élevés obérant la formation de capital, désincitations à la prise de risques et à la croissance capitalistique via l'ISF, etc...
Notons d'ailleurs que si, à court terme, des mesures favorisant le recours au capital par les entreprises sont susceptibles de réduire la demande de crédit, à plus long terme, elles seront favorables à l'activité bancaire: avec plus de capital, en période faste, le recours à l'emprunt n'est que plus aisé.
Soutenir artificiellement le crédit ne fera que retarder la chute d'entreprises de toute façon trop faibles en trésorerie par rapport à leur niveau d'endettement. Autant admettre la crise à venir comme un fait acquis et donner à notre économie la chance de bâtir une croissance plus saine, fondée à la fois sur les entreprises qui auront résisté à la tourmente actuelle et sur de nouvelles entreprises qui amèneront des innovations profitables à tous, grâce à des politiques fiscales favorisant une saine accumulation de capital, seule vraie source d'enrichissement durable de l'ensemble de la société.
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Pour approfondir:
Corporate financial structure,
par Anette Poulsen.
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Wow ... Brillant. Je me coucherais moins ignorant ce soir. C'est clair, articulé, et surtout aborde des aspects bien peu souvent mis en avant ou expliqués. C'est sur, ca demande au lecteur plus d'implication et de concentration qu'un court billet d'humeur, mais c'est ô combien plus intéressant et instructif.
Rédigé par : ST | mercredi 19 novembre 2008 à 10h14
Extrêmement clair et pédagogique, félicitations !
J'aurai une question (naïve) sur le taux d'imposition :
Imaginons que A soit en Profession Libérale et assujetti à la TVA. Sur chacune de ses recettes, il doit payer : l9,6% de TVA et environ 45% de charges sociales, auxquelles ont peut rajouter un impôt final que pour l'exemple je mettrai à 50%. En chiffres : si A gagne 100, alors il lui reste environ 27, soit 73% de charges totales sur le TTC.
Il ne s'agit cependant là que de taux marginal : il faut en fait déduire ses achats déductibles des charges et impôts : si A achète pour 50 TTC, alors il récupère 19,6% de TVA et ne doit plus payer sur ces 50 les charges sociales et impôts. Donc, avec les mêmes taux, il ne paie plus qu'à peu près 13.5, les 36.5 de différence représentant les gains en TVA, Charges et Impôts.
Imaginons maintenant que le taux d'imposition ne soit plus 50% mais 10%. Les calculs donnent : pour 100 de recettes il lui reste 49, et les 50 d'achats lui coûteront 25.
Ma question est donc : ne peut-on dire que l'impôt est une subvention à l'achats de produits déductibles ? Et les questions subsidiaires : baisser l'impôt n'incitera-t-il pas à réduire ces achats ? etc.
Rédigé par : A | mercredi 19 novembre 2008 à 11h29
@A : "ne peut-on dire que l'impôt est une subvention à l'achats de produits déductibles ?"
Oui, enfin, subvention, uniquement si l'on prouve que les produits achetés ne l'auraient pas été autrement. C'est le cas par exemple si un libéral à gros revenu achète une voiture plus grosse (en leasing portée par son activité professionnelle) que s'il avait du la payer cash via ses revenus apres impot. Dans ce cas c'est bien la fiscalité qui l'encourage a tel ou tel type de consommation (une voiture, plus facilement assimilable a une charge professionnelle et donc au moins partiellement déductible, plutot qu'un voyage aux antilles).
"baisser l'impôt n'incitera-t-il pas à réduire ces achats ?"
Baisser l'impot dans ce cas de figure, conduira à ce que les achats reflètent plus les besoins et désirs des personnes, ce qui devrait être la définition d'une saine demande sur un marché libre, plutot que les encouragements indirects induits par la fiscalité. Et toute fiscalité à d'une manière ou d'une autre un facteur incitatif sur tel type de consommation ou d'épargne, et un facteur dissuasif sur tel autre type de consommation ou d'épargne. Ce n'est jamais neutre. Donc jamais juste. Et ouvre toujours la voie aux pressions des uns ou des autres.
Rédigé par : ST | mercredi 19 novembre 2008 à 12h48
Magistral exposé. Il est très rare de voir ainsi analysé, en termes économiques, le lien entre l'intérêt du chef d'entreprise et celui du citoyen. Les gens font d'habitude soit de l'économie d'entreprise, soit de l'économie d'Etat, mais rarement les deux ensemble.
Un autre livre papier en préparation, peut-être? En auto-édition, cette fois-ci (impression à la demande)?
Rédigé par : Robert Marchenoir | mercredi 19 novembre 2008 à 15h27
@ST : Merci pour la réponse. Votre deuxième paragraphe (et surtout sa dernière phrase) confirme bien ce que je pensais (craignais).
Rédigé par : A | jeudi 20 novembre 2008 à 08h07
Eh bé ! Vincent prof de compta maintenant ! Cet homme là sait tout, a tout appris, bravo.
Pourtant, je vais illustrer l'utilisation maximale et hautement moderne de l'effet de levier. Rappelez-vous ce cher Monsieur Aboulpez, richissime patron du groupe bancaire Aboulpez. L'un de ses fils avait inventé une machine automatique à tuer, éviscérer et plumer les pigeons et voulait créer son entreprise. Bien sur, il la voulait d'envergure mondiale. Papa Aboulpez prêta donc à son fils, Aboulpez Junior 10 millions de dollars.
Celui-ci alla créer une société unipersonnelle dans l'Etat du Delaware, USA, où les sociétés qui exploitent des biens immatériels sont créées sans publicité, sans obligation de présenter une comptabilité, etc... Il apporta également à cette société ses brevets. La Société du Delaware créa une holding au Luxembourg (les holding luxembourgeoises ne payent pas d'impôt, plus pour très longtemps maintenant, Europe oblige). Apport d'Aboulpez Jr via le Delaware de 10 millions de dollars, augmenté de 20 millions de dollars d'emprunts bancaires. Soit 30 millions de dollars. Aboulpez Jr crée d'autre part une petite société (30x30x20 cm de boite à lettre) dans les locaux d'un conseil juridique du Lichstenstein, cette société étant chargée par l'entreprise du Delaware de gérer pour son compte les brevets Aboulpez Jr. Avec les 30 millions de dollars, La Holding luxembourgeoise va créer 5 entreprises, chacune sur un continent différent, et qui vont inonder les grandes surfaces d'Europe, d'Amérique du Nord, du Sud et d'Asie de délicieux pigeonneaux conditionnés et codebarrés.
Voyons l'exemple de la société européenne. Elle est créée en France, choix stratégique : la société ne paiera jamais d'impôts sur les bénéfices, car la redevance pour brevet siphonera tout le profit qui se trouvera donc réparti entre Lichstenstein et Delaware (maxime: il né fot zamais mettre tous les oeufs di pizon dans lé mêm' panier !). La société achètera une des cinq machines commandées par un fabriquant italien, au prix de 20 millions chacune, sur laquelle le fabriquant italien verse 2 millions de commission d'intermédiaire à la société du Lichtenstein, qui, par un circuit passant par le Delaware, remboursera Papa Aboulpez de son prêt au fiston.
Jusqu'ici, vous me suivez, investissement initial zéro.
Le choix de la France était aussi dicté par le fait que dans ce pays, l'Etat déroule le tapis rouge aux entreprises industrielles qui se créent dans des zones rurales défavorisées. L'entreprise française est coiffée par une holding dans laquelle la holding luxembougeoise détient 51% du capital, les 49 % restants étant apportées par des business angels qu'Aboulpez père a convaincus de l'avenir extraordinaire du pigeon de consommation (on est plumeur de pigeons que diable !). S'y ajoutent 50% du capital en subventions diverses, du fait de la situation en zone rurale défavorisée (pour les pigeons, il vaut mieux la campagne que Paris Notre Dame où le pigeon du parvis a un goût fétide). Plus autant de prêts bancaires que de capital et de subvention, et roule ma poule, voila une holding dotée de 30 millions de dollars pour les investir dans une usine et des bureaux flambants neufs et acquis en leasing sur 20 ans (ouné pitite ligne en caractères microscopique sous lé bilan: éngazément hors bilan, c'est dé la location, ça compté pas dans lé ratios financiers. Les pigeons son fournis par des milliers d'agriculteurs sos contrat bénéficiant d'aides de la PAC européenne et de l'Etat. Aboulpez pèse donc sur les prix d'achat(ah, comme il pèse bien !).
Voila enfin la société industrielle française créée, au capital de 30 millions entièrement possédé par la holding française, et qui va pouvoir emprunter une cinquantaine de millions à moyen terme. Soit au total 80 millions. Comme c'est pareil dans les quatre autres usines mondiales, on est rendus mine de rien à 320 millions. bien sur, Aboulpez Junior se fait voter un salaire de 2 millions de dollars dans chacun des cinq continents.
Entre temps, le cadet Aboulpez a inventé un procédé très innovant pour retraiter la plume de pigeon broyée qu'il achète directement aux plumeurs de pigeons, et qu'on transforme en tee-shirts et caleçons douillets et confortables dans une grande usine à construire en Malaisie. Il y a des subventions "développement durable" à glaner, et des capitaux prêtés par la Banque Mondiale à la Malaisie à siphoner. Le développement durable, voila le truc du petit Aboulpez (son truc en plume quoi!)
Comme l'ainé a remboursé, papa Aboulpez va pouvoir prêter 10 millions au petit dernier (fô ké lé sous ça tourne !).
Pendant ce temps, le cousin Aboulpez met au point une technique de transformation des tripes de pigeon en farines animales qui iront engraisser les carpes Koi chinoises. Vive la mondialisation durable !
Z'avez compris l'effet de levier ?
Rédigé par : michel | jeudi 20 novembre 2008 à 08h17
@A
Je ne savais que les champions de la grande distribution avaient commencé dans le pigeon....
Rédigé par : joletaxi | samedi 22 novembre 2008 à 23h38