Il y a trois ans, notre presse s'extasiait sur la Californie, joyau des USA, état en pointe dans la sacro-sainte lutte contre le réchauffement climatique, modèle de social démocratie à l'intérieur d'un pays vendu aux politiques néo-libérales, j'en passe et des meilleures. Schwarzie Governator, succédant à un terne démocrate (Gray Davis) qui avait laissé exsangues les finances de l'état, osait tourner le dos aux doctrines bushistes, bien que lui même issu du parti républicain, et menait, en bonne cogestion avec le parlement local démocrate, le bal du renouveau néo-keyneysien et environnementaliste des états de l'union.
La Californie, mauvais élève de l'Union
Las, les mauvaises nouvelles s'accumulent sur le golden state, qui mérite de moins en moins son surnom. Je vous évoquais il y a peu l'obligation, pour l'état, de couper dans les fonds destinés aux investissements pour arriver à faire face à ses échéances de remboursement de prêts.
Comme cela ne suffit pas, Arnold Schwarzennegger a décrété deux journées mensuelles de congé sans solde pour tous les employés de l'état, afin de racler les fonds de tiroirs. Les syndicats envisagent de porter plainte contre cette décision. La situation de l'exécutif local est réellement désespérée. D'ailleurs, ceux qui ont prêté à l'état entonnent le chant du sauve qui peut: les obligations de l'état à échéance de 2038 et 5,25% en nominal se traitent désormais à 79,4 cents pour un dollar. Cela en dit long sur la confiance des investisseurs dans leur capacité à être remboursés.
La Californie n'est pas le seul état à avoir la tête sous l'eau, mais alors qu'il représente environ 12% de la population de l'Union, son déficit 2008 représente 25% des déficits cumulés des 37 états (sur 50) en difficulté, et le déficit 2009, prévu à 15 milliards de $, représenterait 1/3 des déficits cumulés des états. L'état appelle donc à l'aide le gouvernement fédéral.
Or, la Californie a l'une des populations les plus riches du monde, et beaucoup d'états de la Middle America ne comprendraient pas pourquoi une aide fédérale, forcément abondée par les états les plus pauvres, ou pour certains autres qui restent bien gérés, devraient soulager les résultats de tant d'années de gabegie social-démocrate. D'ailleurs, les électeurs Californiens ont réélu année après année les politiciens qui leur ont fait les promesses les plus intenables: un sauvetage par l'état fédéral reviendrait à exonérer la population de Californie de sa responsabilité dans ce désastre. Voilà pourquoi les grands élus californiens démocrates à Washington, tels que Nancy Pelosi, font campagne pour un Bailout: celui ci donnerait au peuple un blanc-seing pour persévérer dans l'irresponsabilité fiscale et sociale si chère aux élus démocrates.
Au reste, la situation financière de nombreuses communes n'est pas plus enviable que celle de l'état: de nombreuses municipalités ont visiblement mal géré les années de folie immobilière.
Comme si cela ne suffisait pas, en conséquence, la population locale perd confiance: le solde migratoire intra-USA de la Californie vis à vis des autres états est négatif pour la quatrième année consécutive, et la tendance va croissant. Lassés par les prix immobiliers (qui restent élevés malgré le krach), et par l'économie en berne, ceux qui le peuvent fuient. Destination préférée: le Texas (dont je vous reparlerai prochainement). Seule l'immigration pauvre en provenance du Mexique maintient une démographie générale positive.
La litanie des mauvaises nouvelles parait sans fin: Le chômage atteint 8,4%, le 3ème plus élevé du pays, et les contés de San Bernardino Riverside, les plus touchés par la crise du subprime, voient leur taux de chômage flirter avec 10%, des taux très... Français ! Le fonds de pension CalPers, le plus important du monde, qui doit payer les retraites des fonctionnaires californiens, vient d'enregistrer des pertes record à cause de l'immobilier.
Le sort des plus modestes n'est guère enviable, avec une hausse record de la fréquentation des abris de fortune prodigués par les associations d'aide aux sans abri. Avant la récession, le nombre de SDF était estimé à 73 000 personnes par nuit, en moyenne, dans la seule ville de Los Angeles. Or, la fréquentation de certains centres d'hébergement aurait été multipliée quatre depuis l'été.
La raison de ce marasme n'est pas à aller chercher très loin: la Californie a les lois parmi les plus contraignantes en matière de législation du sol, ce qui a occasionné la plus forte hausse de l'immobilier résidentiel de toute l'union lors des années folles 2000-2007. La Californie a été l'épicentre de la bulle immobilière dont l'explosion aujourd'hui se propage au monde entier : plus d'un tiers de la hausse des encours du crédit immobilier était basée dans la seule Californie. Une part des recettes fiscales, issues des transactions immobilières et de la valorisation des terrains, a servi à gonfler inconsidérément les dépenses de fonctionnement des collectivités, au lieu d'être considérées comme des gains exceptionnels. Mais le retournement de la conjoncture immobilière frappe la Californie de plein pied. La baisse de valeur du parc immobilier y représente la moitié de celle de tous les USA, soit 4 fois plus que sa part dans la population du pays. En Californie du sud, les ventes suite à banqueroute représentent 55% des transactions, et le prix médian est en chute de 44% (!) depuis les sommets du début 2007. Les ménages dérouillent, et les banques avec.
Dans ces conditions, les recettes fiscales des collectivités connaissent un "effet ciseau" absolument dramatique. D'où leur faillite.
Pourquoi vous parlé-je de tout cela, me direz vous ? La Californie, c'est loin, et le malheur des yuppies de la côte ouest nous touche assez peu. Certes, certes.
France Californie, même combat ?
Mais à bien y regarder, la situation de la Californie n'est pas sans présenter de nombreuses ressemblances avec celle de la France:
- Un PIB total à peu près du même ordre de grandeur
- Une bulle immobilière qui se dégonfle,
- Des déficits publics récurrents,
- Un état sur-endetté, incapable de freiner la folle progression de ses dépenses à caractère "social". Émissions d'obligations prévues pour 2009 par l'agence France Trésor: 145 milliards d'Euros, plus de la moitié de ses recettes fiscales nettes.
- Des collectivités locales qui ne sont pas en grande forme non plus, avec en première ligne les conseils généraux, qui tiraient au somment de la bulle immobilière environ 15% de leurs revenus d'une taxe basée sur les transactions immobilières (les "droits de mutation"), lesquelles sont en train de s'effondrer, tant en nombre qu'en valeur.
- Des jeunes qui émigrent en masse, un solde migratoire vers les pays industrialisés négatif, et une immigration majoritairement issue de pays à faibles revenus,
- Un chômage qui remonte en flèche vers les 10%,
- Des SDF que nous ne savons plus compter dans les grandes villes,
- Un président élu sur des promesses de rupture et qui n'a fait que perpétuer les mauvaises pratiques antérieures, incapable d'autre chose que quelques réformettes,
- Une surenchère écologique avec en point d'orgue des dépenses somptuaires annoncées au titre du Grenelle. Quand la bulle verte éclatera, cela fera très mal...
Que la France cesse d'inspirer confiance aux emprunteurs, comme le fait la Californie, et nous pourrions vivre un épisode économique comparable, avec obligation impérieuse pour l'état et les collectivités de couper de façon drastique dans toutes les dépenses (salaires, investissements) pour faire face aux échéances de remboursement des dettes passées.
Certes, actuellement, cela n'est pas le cas. La France, semble-t-il, place ses adjudications sans réelle difficulté. Ceci dit, l'Allemagne a connu quelques frayeurs, et quelques économistes de haut vol s'interrogent sur la soutenabilité des "pyramides de Ponzi de la dette publique" dans le temps. C'est surtout la faisabilité des plans de relance américains qui les inquiète le plus. Mais les déterminants de la "confiance éternelle" des prêteurs envers les états sont mal cernés et pourraient s'émousser avec la crise. Bref, toutes les analyses les plus contradictoires circulent, et les temps sont plus que jamais à l'incertitude.
Mais établir un parallélisme entre la situation future de la France et celle vécue aujourd'hui par la Californie ne parait plus du tout irréaliste. Chez nous, trente années de croissance sans fin du poids de l'état dans l'économie pourraient aussi, comme je l'expliquais déjà il y a quatre ans, se finir dans un mur. Au train où vont les choses, la seule question ne me parait pas de savoir si cela va se produire, mais "quand" (et j'espère toujours avoir tort). Seul un changement radical et rapide de politique économique pourrait nous sauver de cette funeste issue.
Trois différences majeures entre la France et la Californie, toutefois:
- En négatif, notre économie part d'un zénith bien moins brillant -- Les californiens ont la silicon Valley, nous avons eu le plan calcul...--,
- En positif, d'une part notre système bancaire, quoique imparfait, n'a pas multiplié les mauvais crédits par le passé -- pourvu que ça dure -- et d'autre part nous n'avons pas au dessus de nous d'état fédéral capable de nous sauver avec l'argent des allemands et des polonais. Tant mieux pour eux, et tant mieux pour nous: Si nous entrons en crise, nous devrons trouver les ressources en nous, pas trouver des excuses foireuses pour continuer à ne rien faire.
Bref, si le pire n'est jamais certain, la mésaventure Californienne devrait nous inciter à nous poser quelques questions sur notre avenir économique et sur les bonnes mesures à prendre pour ne pas suivre le même funeste chemin.
----
Sur ces considérations d'un optimisme ébouriffant, joyeuses fêtes ! Je publierai uniquement du "vite fait bien fait" d'ici le 6 janvier pour cause d'indigestion probable, et d'excès champagnisés.
----
La différence entre la Californie et la France ne se situe-t-elle pas aussi au niveau des actifs possédés par les deux états?
Je pense qu'il est toujours utile quand ces données sont disponibles de toujours mettre en perspective le montant de la dette et des actifs des états!
Par rapport à l'Allemagne nous savons que celle-ci va être très touchée par la baisse de ses exportations ce qui peut faire peur aux investisseurs quand à la capacité de l'état à honorer ses dettes.
Rédigé par : bibi33 | lundi 22 décembre 2008 à 10h10
"Ceci dit, l'Allemagne a connu quelques frayeurs, et "
En écho inverse à cela :
http://www.jpchevallier.com/article-25828150.html
"Tout est parti d’une adjudication du Trésor allemand le mercredi 10 décembre de Schatz (bons à 2 ans) de €7 milliards qui a été tout juste souscrite, alors que les soumissions sont habituellement nettement supérieures à l’offre. ...."
Rédigé par : Josick d'esprit agricole | lundi 22 décembre 2008 à 11h05
@bibi33 : toujours prendre les chiffres des actifs d'un Etat avec des pincettes, car tous les actifs ne sont pas forcément disponibles ni réalisables. Exactement comme lorsque l'on parle des actifs cumulés de tous les français pour l'opposé au montant global de l'endettement public et privé : l'essentiel des actifs étant de l'immobilier qui ne peut être que très partiellement cédé à des tiers étrangers ...
En outre, les créanciers se soucient moins du niveau des actifs des Etats auxquels ils prêtent que de leur capacité régalienne à taxer l'argent dont ils ont besoin. C'est pour cela entre autre qu'avec une dépense publique à plus de 50% du PIB, la marge de manoeuvre de la France en cas de détérioration du poids de sa dette publique est nettement plus problématique que celle des Etats Unis ou le poids de la dépense publique est à 30%.
Rédigé par : ST | lundi 22 décembre 2008 à 12h48
Tout à fait.
En fait ma question était de savoir si les actifs de l'état français ainsi que leurs natures (actions, immobilier, ...) jouaient un rôle sur sa capacité à emprunter comparativement à d'autres états comme notamment l'Allemagne.
Rédigé par : bibi33 | lundi 22 décembre 2008 à 14h09
@Bibi33
si je puis me permettre ce parallèle, auquel les puristes trouveront à redire, mais bon...
Ce qui fait la valeur d'une créance, c'est la capacité de l'emprunteur de générer le flux de cash suffisant pour rembourser avec les intérêts. Un actif peut être amené en garantie du prêt comme assurance, ce qui peut abaisser le taux d'intérêt du prêt, mais pas comme substitut de remboursement.
Tenir compte des garanties avant de se préoccuper de la capacité de remboursement de l'emprunteur, c'est faire comme une banque américaine qui a prêté à un type insolvable en se disant que de toute façon, c'était pas grave, en cas de problème, on peut toujours récupérer la maison...
Rédigé par : vincent | lundi 22 décembre 2008 à 22h01
"Ce qui fait la valeur d'une créance, c'est la capacité de l'emprunteur de générer le flux de cash suffisant pour rembourser avec les intérêts. Un actif peut être amené en garantie du prêt comme assurance, ce qui peut abaisser le taux d'intérêt du prêt, mais pas comme substitut de remboursement."
Eh oui, un rappel hélas nécessaire: l'investissement sans la productivité accrue, la spéculation sans le risque et l'assurance sans les indemnisations ce n'est plus du tout du capitalisme.
Rédigé par : Jesrad | mardi 23 décembre 2008 à 11h22
@Josick d'esprit agricole : oui, la piste d'explication de JP Chevallier a deja été discutée il y a quelques posts. Elle n'est pas inintéressante en soit. En revanche, son auteur qui semble très sûr de lui, n'a pas de mots assez élogieux pour Alan Greenspan, considère l'abaissement des taux directeurs à zéro par la FED comme un coup de génir et note tout simplement dans son dernier post que la crise est ... finie. En fait, d'après lui, c'était même pas vraiment une crise. Et la croissance va reprendre, comme si de rien était.
http://www.jpchevallier.com/article-26071522.html
Vous me permettrez d'émettre quelques brins de scepticisme sur le sujet. Et de se donner rendez vous dans 6 mois.
Rédigé par : ST | mardi 23 décembre 2008 à 17h15
Quelle est la capacité de remboursement de la France ? comment les emprunteurs apprécient-ils sa solvabilité ? C'est simple : à la capacité de vous traire, Messieurs les contribuables français. Car ne rêvez pas, au train où grimpe notre endettement, attendez-vous à des ponctions sévères sur vos revenus, patrimoines, et consommations dans les toutes prochaines années. Déjà, en début d'année 2009, le réchauffement climatique sera un bon prétexte pour vous imposer des taxes carbone.
Rédigé par : michel | mardi 23 décembre 2008 à 19h15