Les opinions publiques, tant américaine que française, et même une partie du patronat (Mais pas Laurence Parizot), se disent favorable à la mesure décidée par Barack Obama de limiter à 500.000$ (# 400.000€) le salaire des dirigeants des institutions financières bénéficiant de l'aide publique, ainsi qu'un conditionnement des bonus à un remboursement intégral de l'aide perçue. Et après tout, si l'on n'examine que le côté superficiel des choses, il y a un fond de bon sens -- oserai-je dire "de démagogie populiste" ? -- dans cette décision : ces sociétés ont été mal gérées, ont accumulé des pertes colossales, ont dû être "sauvées", pourquoi accepter que leurs dirigeants touchent des salaires pharaoniques ?
Pourtant, cette décision est plutôt malheureuse. Je ne reviendrais pas sur le principe dévoyé de l'aide de l'état aux canards boiteux (cf. une note précédente, entre autres). Mais même en admettant comme un fait accompli le principe de l'aide publique, limiter aussi drastiquement les salaires et bonus des dirigeants -- cela s'appliquera-t-il aussi aux commerciaux de pointe et aux traders ? -- sera contre productif:
- Ou bien les dirigeants sont de nouveaux dirigeants, ou des dirigeants arrivés peu avant la débâcle qui ont entrepris de redresser ce qui pouvait l'être. Dans ce cas, pour redresser des comptes aussi mauvais, il faut de bons dirigeants. Sachant qu'il existe une foule de sociétés non aidées par l'état, donc non astreintes aux mêmes limitations, qui ont besoin de cadres de qualité en ces temps difficiles, il est à craindre que les banques "aidées", d'une part, ne trouvent pas de candidats à très fort potentiel à ce prix, et d'autre part, que ces entreprises voient leurs meilleurs éléments de haut niveau partir, ne conservant que les plus médiocres.
Le raisonnement vaut également pour les traders. Si l'opinion américaine s'offusque que le total des bonus distribués ait atteint 18 milliards (contre 33 l'année précédente), et il est vrai qu'il y a sûrement eu des abus, une banque et un assureur ont un besoin impératif de conserver dans leur effectif les cambistes, traders, et commerciaux, qui ont réussi les meilleures performances dans la tempête. Ne pas rémunérer correctement ces talents, dont les entreprises en difficulté ont cruellement besoin, c'est pratiquement condamner ces entreprises soient à la mort lente, soit au minimum à de très graves nouvelles difficultés... et dans ce cas, à nouveau, des milliards seront exigés du contribuable.
Si des bonus ont été calculés de façon à récompenser la médiocrité, il est normal qu'ils soient revus à la baisse, supprimés, voire, dans les cas les plus extrêmes, remboursés, surtout s'ils ont été "auto accordés" par les patrons salariés eux-mêmes sans respect pour le droit de regard des actionnaires. Mais gageons que ce cas reste minoritaire. Le marché des salaires dans la finance va de toute façon naturellement se contracter, ce qui de toute façon contraint les hauts dirigeants les plus moyens à accepter des baisses "naturelles" de leurs émoluments dictées par le marché. Mais si un cadre qui pouvait espérer 3 millions de dollars dans les années fastes, qui n'a pas démérité, voit son salaire limité arbitrairement à 500 000 dollars, alors qu'un concurrent en meilleure santé peut lui en offrir 800 000 ou 1 million, que choisira le cadre en question ?
En permettant aux entreprises moins malades de débaucher à bon compte les meilleurs éléments de leurs concurrents en difficulté, l'état américain condamne les entreprises "aidées" à ne pas être capables de fournir un retour sur investissement acceptable pour l'aide reçue. Autrement dit, il accroit considérablement le risque, déjà naturellement élevé, que les aides apportées ne l'aient été qu'en pure perte.
Comme pour tout blocage de prix, si vous bloquez le prix du talent, vous engendrez une pénurie de talents. Les talents, actuels ou nouveaux, nécessaires pour sauver les entreprises qui peuvent l'être, doivent être payés au prix du marché. Ni plus, ni moins.
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Ps - Nicolas Sarkozy vient de manifester sa méfiance ce jeudi soir vis à vis de ce type de mesures. Sous réserve qu'il ne change pas d'avis, ce qui lui arrive parfois, c'est plutôt une bonne chose. Par contre, sa courte diatribe contre la rémunération des traders relevait purement et simplement de la démagogie. Et je précise que je n'exerce ni de près ni de loin ce type de métier, je ne prêche donc pas pour ma paroisse.
Ps 2 - Pour comprendre pourquoi les talents rares gagnent beaucoup et pourquoi ce n'est pas mauvais pour l'éco-système dans lequel ils évoluent, voyez cette défense du star system publiée il y a quelques temps, et reprise par la revue "problèmes économiques".
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Salut Vincent, complètement d'accord avec toi. Je tiens exactement le même raisonnement dans mon billet sur le sujet, mais en moins approfondi ;-)
Rédigé par : Rubin | dimanche 08 février 2009 à 00h44
Juste une remarque : si l'on considère l'aide de l'État comme une prise de participation, ne peut-on pas considérer qu'il a un droit de regard sur les salaires, au même titre que tout autre actionnaire ?
Rédigé par : Criticus | dimanche 08 février 2009 à 02h59
@ Rubin: ta réactivité m'impressionnera toujours
@ Criticus: A partir du moment ou l'état met de l'argent, effectivement, il peut avoir un droit de regard, encore que lorsqu'il s'agit de "subvention", le droit de regard peut devenir léonin, alors que lorsqu'il possède X% de la boite, il doit avoir X% des droits de vote, dans un monde bien fait.
Mais cela ne le dispense pas de ne pas prendre de décisions qui, au final, aggraveront la situation juste pour complaire à l'opinion majoritaire.
Rédigé par : vincent | dimanche 08 février 2009 à 16h00
Cette mesure est plus d’affichage qu’autres choses. Les dirigeants reçoivent quand même des actions dont ils pourront disposer après la banque aura été redressée.
Vincent ne porte pas dans son estime Obama. Voici un élément pour le convaincre qu’il n’est pas si mauvais que cela : il a pris comme conseiller « non officiel » Paul Volcker, le président de la Fed au temps de Regan qui a cassé l’inflation de l’ère Carter.
Ce qui m’inquiète en ce moment c’est la Guadeloupe. On a là presque toutes les conditions réunies pour une reprise de l’inflation sauf que l’Euro interdit cette éventualité. Mais si ça remonte en métropole et si le pays sombre dans la grève générale… Je vous laisse imaginer la suite. J’espère que le gouvernement ne va céder, sinon gare à la contagion (déjà en Martinique ça commence à bouger).
Rédigé par : jb7756 | dimanche 08 février 2009 à 22h31
Je comprends l'argumentation contre la limitation des salaires. Vouloir les limiter est une fausse réponse à un vrai problème que malheureusement vous esquivez (enfin selon moi).
Pour faire simple, c'est "combien valent vraiment ces gens" ? (Et pour couper court à tout commentaire, je fais partie de "ces gens"). Question délicate, n'est-ce pas ?
En gros, les managers d'équipes (très margement compensés) y sont-ils pour quoi que ce soit dans la performance d'un ou deux traders qui vont générer l'essentiel des profits ? Les traders qui génèrent le plus de profit sont-ils régulièrement performant.
En gros, comment dissocier la part de chance du vrai talent ? Quand on regarde les résultats de l'an passé, on se dit clairement qu'ils ont tous agi comme des moutons et que les talents ont été rares...
Comme quoi il vaut mieux avoir tort avec tout le monde que raison tout seul.
Ensuite vient la question de l'opacité de ces rémunérations. On connaît le salaire des dirigeants d'une banque, mais ils sont loins d'être les plus élevés. Que diraient les actionnaires s'ils savaient que certains bonus peuvent atteindre 80 ou 100M€, alors même que les personnes qui les touchent ne sont pas directement à l'origine des profits, mais se retrouvent parfois par hasard sans rien y comprendre à la tête de ces "desks" les plus juteux.
L'actionnaire ne peut plus remplir son rôle car il ne sait pas ce qui se passe dans ces boites noires que sont devenus les banques. Les dirigeants eux-mêmes n'y comprennent rien...
Pour résumer :
1/ récompenser les talents sans limiter leurs revenus, Oui. Mais qui sont les vrais talents ? Y a-t-il vraiment des centaines de milliers gens talentueux à la City ? Ou en fait seulement une poignée qui distribue sa manne sur des légions d'incompétents...
2/ Faire en sorte que les patrons de ces établissements comprennent ce qui se passe chez eux, à défaut des actionnaires, qui ne remplissent plus leur rôle depuis un bon moment déjà. Wishful thinking sûrement...
Rédigé par : CPM | lundi 09 février 2009 à 10h04
jb7756
je vous rejoins totalement.
En d autres temps, j'ai été disons très proche de la direction de Petrofina.Les rémunérations de l'époque feraient rire nos actuels dirigeants,et pourtant il s'agissait de gens de très grande valeur,qui ont fait de ce groupe une puissante société.Qui plus est, ils avaient une culture d'entreprise qui passerait pour de la niaiserie actuellement.
J'ai également bien connu les tables de trader.Non seulement les performances de ces gens ne reposent sur rien,sinon un peu de flair,et encore,et surtout de la chance, mais en plus,leur activité n'est créatrice de rien d'autre que de la richesse virtuelle,dont on voit aujourd'hui l'étendue du désastre.Au sujet de la compétence supposée des trader, j'ai d'ailleurs une anecdote très croustillante et bien réelle,qui en dit long sur le très problématique savoir de cette profession.Le cas Kerviel n'est pas un accident.
Qui plus est je, connais une très florissante compagnie de trading a Luxembourg, dont les employés sont rémunérés au fixe avec un intéressement que je dirais moi décent,ridicule en regard de ce qui est annoncé ailleurs, et qui a un niveau de performance qu'envierait la Générale
A l'inverse nous voyons actuellement des grands patrons, devenus des stars, perdre des milliards, ruiner des entreprises.On a fait une star de Mr. Gosch,qui démontre qu"il n'y comprend rien, qu'il n'avait strictement rien vu venir, qui n'a eu pour son groupe aucun modèle pour l'aveniret qui trouve son salut auprès de l'état.A force de concentration, de fusions, les sociétés sont devenues à ce point "opaques", que plus personne n'est capable d'avoir une vue synthétique.Mr. Davignon, le "fossoyeur" pour d'aucuns, de l'ex Générale de Belgique déclarait que plus aucun organisme de contrôle n'avait la capacité de vérifier l'état exact d'un holding de cette taille.De grands groupes ont fait des résultats quand ils restent dans leur métier, et que leur dirigeants ont grandi en leur sein,et il n'y a vraiment aucune nécessité pour cela de donner des salaires qui "poussent au crime"le plus docile et serviable employé.
Dans un autre billet, on nous explique la justification de l'envolée des rémunérations des patrons, par la comparaison avec le star système.Je trouve l'argument trivial.Un footballeur,un acteur,un chanteur gagne des millions,non pas parce qu' ils auraient une valeur unique;un talent extraordinaire, mais parce qu'ils sont des outils dans une industrie qui fonde son existence sur le développement du starsystème.On a vu récemment une staracademy anglaise découvrir par hasard un ténor extrordinaire.Je gage qu'il y en a des milliers,méconnus.La comparaison avec l'industrie, et cette médiatisation de ses patrons fait craindre de retrouver à la tête de grands groupes, des Jhonny Halliday, ou autre JC Vandame.
Si l'on suit ce raisonnement du talent unique qui devrait être rémunéré en fonction du service inappréciable rendu, je pense que vous serez d'accord que votre chirurgien qui sauve votre vie devra percevoir au moins la totalité de votre fortune, sinon celle de vos héritiers.
Mais il n'y a aucune raison de limiter les "salaires",je dirais les prébendes accordées aux dirigeants.L'état a tout loisir de remettre un peu d'équité par le biais de l'impôt
Il y a une intéressante étude économique sur le rôle de la fiscalité bien comprise, due à un professeur de faculté de l'université de Gand,et qui ouvre des voies audacieuses et inédites,mais d'un tel changement que personne ne se hasarderait à les suivre.
Bref,je ne pense pas qu'il y ait une seule personne au monde capable de donner la moindre orientation sur la sortie de crise.Le grand retour de l'état me fait frémir.Ou trouverait-on par miracle des "abbés Pierre" de la finance,des gens honnêtes, désintéressés,dévoués,qui brasseraient des milliards au profit de quelques uns, sans tenter d'en récupérer quelques miettes?
Rédigé par : joletaxi | mardi 10 février 2009 à 12h22