Après la cascade de prévisions apocalyptiques d'hier, il serait bon de revenir sur ce qu'il faudrait faire pour se sortir du pétrin. Plutôt que de réécrire ce que j'ai déjà pu publier depuis quelques mois, donnons la parole à des experts plus reconnus que je ne le suis (en clair, mieux payés pour dire la même chose). Tout d'abord, Arnold Kling, de la très distinguée George Mason University de Washington, dans les colonnes de Forbes:
Vérité première que la vulgate anti-captaliste ordinaire voudrait occulter: pas de profits, pas de business.
Wages and salaries rose by 3%, while corporate profits fell by 9%, from the third quarter of 2007 through the third quarter of 2008, according to Commerce Department data. Fourth-quarter figures, which will be available in late February, are expected to show weakening in both types of income, with wages and salaries showing almost no increase, and profits falling by more than 15% relative to last year's fourth quarter.
Un tel effet ciseau sur les entreprises ne peut se traduire que par des dépôts de bilan et des licenciements massifs.
The economy is in trouble today because of, pardon the pun, false profits. The financial sector reported as much as 40% of all profits in recent years. However, the reported profits on instruments such as mortgage-backed securities and the sale of credit default swaps did not reflect the long-term risks of those instruments. That is, the return on capital in the financial sector was artificially high because the amount of capital used to protect against risk was artificially low. Losses at many financial firms are inevitable. It is the market's way of telling the bloated industry to contract, releasing capital and talent for use elsewhere in the economy.
L'ensemble du système a sous-estimé le risque sous-jacent des actifs financiers détenus. Sujet déjà esquissé dans ob'lib', mais à approfondir.
(...)
The financial sector is too absorbed in de-leveraging itself to play an active role in the economic recovery. The rest of the non-financial sector of the economy is going to have to survive in a less forgiving financial environment. In order to finance expansion, businesses will be even more dependent than usual on profits. In that sense, this is a Minsky moment, as many economists suddenly rediscover the late Hyman Minsky's insight that financial structure is cyclical. As the economy grows stronger, firms are increasingly willing to engage in risky forms of finance and expand using borrowed money. When the economy weakens, firms fall back on organic growth financed by earnings.
Quand le crédit est rare et cher, il faut avoir accès à des ressources en capital: n'importe quel étudiant ayant vaguement étudié les bilans d'entreprise devrait savoir cela. Mais pas un ministre !
Et pour finir, une critique simple et lapidaire du plan d'Obie One.
Unfortunately, the pending stimulus package is not aimed at boosting profits. It is merely a massive transfer of power from the private sector to the government, disguised as a rescue plan for the economy. The decentralized process of markets with the discipline of the profit and loss system will no longer guide investment in the U.S. Instead, technocrats and central planners will control it.
(...)
Moreover, this spending will create only discrete projects, not ongoing businesses that generate jobs and profits.
Diminuer les prélèvements pesant sur les résultats d'exploitation des entreprises, voilà la voie qui devrait être suivie. (Et j'ajouterai : supprimer des dépenses d'un montant au moins équivalent aux baisses d'impôts)
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Et pour les banques, y a-t-il une alternative à la nationalisation ? Oui, selon Niall Fergusson, associé gérant d'un grand fonds d'investissement, et collaborateur du financial Times, qui reprends les grandes lignes de la proposition de Luigi Zingales déjà évoquée ici: forcer une restructuration de la dette plutôt qu'injecter des fonds publics, ce qui oblige les créanciers à supporter eux aussi une partie des pertes.
En convertissant en quantité suffisante de la dette, remboursable et à rémunération contractuelle, en capital, non remboursable et à rémunération ajustable à la baisse en temps de crise, la trésorerie des banques aurait été grandement soulagée, elles auraient pu faire face à leurs échéances sans appel au contribuable et auraient fait disparaître une part importante de leurs risques d'insolvabilité, ce qui aurait nourri la confiance interbancaire, celle qui a gravement fait défaut en septembre.
Au contraire, en proposant de racheter les actifs pourris des banques trop exposées, ou en injectant directement des fonds dans ces institutions, les états ont de facto gelé les opérations de restructuration de la dette et des actifs viciés: pourquoi entrer en conflit avec ses actionnaires et ses créanciers, alors que l'état allonge l'argent pour cicatriser les plaies ?
Une idée de (dé)réglementation pour le secteur financier: désengager constitutionnellement l'état du sauvetage des banques, leur demander de mettre au point leur système commun d'assurance-déposants opposable contractuellement par leurs clients, une procédure collégiale - et contractuelle - de gestion d'un "super article 11" permettant une restructuration-titrisation express des dettes des banques trop exposées en cas de risque de faillites en cascade, et une gestion par les banques elles mêmes de la reprise ou de la liquidation des banques en déroute, l'état se contentant de faire respecter les clauses contractuelles et les décisions de justice en cas de mise en redressement ou de liquidation.
Lorsqu'une banque aurait des difficultés, le système d'assurance interbancaire serait forcé de gérer en douceur sa liquidation sans pénaliser les déposants. Cela amènerait les banquiers à définir par eux mêmes des lignes de conduites moins risquées pour éviter d'en arriver là, et donc à réduire leur effet de levier. Une telle réforme replacerait dans l'ordre les priorités de l'action capitaliste:
1. Ne fais pas faillite
2. gagne de l'Argent.
Pris dans cet ordre, l'application de cette maxime encourage les stratégies de gain durable. Elles sont en général assez bien appliquées dans la sphère non financière, et dans les sociétés ou quelques gros actionnaires privés de référence ont des parts significatives, ce qui leur donne une puissante incitation à veiller à ce que ce principe soit respecté par la direction qu'ils ont choisie.
Sous le parapluie faussement protecteur des garanties d'état, ces commandements deviennent, au sein d'établissement dont les patrons sont rarement actionnaires (ou marginalement) :
1. gagne de l'argent à court terme, surtout pour toi - Calcule tes bonus en conséquence
2. Si tu fais faillite, prends l'oseille AVANT et tire toi (principe suivi à la lettre par Franklin D. Raines, Angelo Mozilo et les ex dirigeants de Merill Lynch...)
3. Laisse la facture au contribuable bien en évidence sur ton bureau art déco.
La sagesse économiste affirme que quand l'état subventionne quelque chose, il tend à augmenter le volume d'affaire autour de la chose subventionnée. Et bien lorsqu'il subventionne la faillite, il encourage les faillites. Voilà pourquoi il est urgent que le système financier se dote d'un système de gestion des faillites indépendant de l'argent de l'état...
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Ah, bien content de te voir remettre une couche sur ce modèle de faillite qui semble bien être le seul qui permette d'éviter le risque systémique ajd, redonne les bonnes incitations pour demain tout en faisant payer les bonnes personnes et pas le contribuable.
à noter que ce modèle est aussi défendu par d'autres personnes
1) Janet Tavakoli, spécialiste des produits structurés, elle a écrit plusieurs livres qui font références sur le sujet
http://www.tavakolistructuredfinance.com/biography.html
et elle dit "The Paulson Plan uses billions of taxpayer dollars and forces risk and potential losses on taxpayers—instead of those who enjoyed the gains. I advocate an alternative.
We can force creditors to accept a restructuring plan (this was done during the Great Depression). Creditors (debt holders) including credit default swap counterparties would be compelled to accept a restructuring plan. That requires partial forgiveness of debt in many cases and/or a debt for equity swap.
If we are determined to violate personal property rights, I prefer it be done through a forced debt forgiveness and a forced capital restructuring (debt for equity swaps), rather than through a massive bailout (any of the various forms of the Paulson Plan). The Paulson Plan destroys capitalism (those who stood to gain--and already made off with large gains--should bear the risk) and violates the spirit of democracy established by the Founding Fathers of the United States. "
http://www.tavakolistructuredfinance.com/TSF8.html
2) une tribune dans financial Times d'un gérant de fond semble-t-il
Debt-equity swaps: a capitalist solution to the crisis
http://www.ft.com/cms/s/0/6748e9d4-e315-11dd-a5cf-0000779fd2ac.html
Les appels à faire payer les créanciers se font sentir sur le web:
*) le blog nakedcapitalism y fait référence aussi quand il dit qu'il faut faire payer les actionnaires et les créanciers, il demande la faillite :
So we the taxpayers are going to eat a ton of bank losses that should instead be borne first by stockholders and bondholders This program should be labeled the Pimco bailout plan, since the giant bond fund holds a lot of bank debt.
http://www.nakedcapitalism.com/2009/02/bad-bank-assets-proposal-worse-than-you.html
Il faudrait vraiment mettre l'accent sur le fait que la protection anti-faillite par l'Etat est avant tout une protection des créanciers des entreprises en question. Le bailout n'est pas tant un bailout de l'enteprise qu'un bailout des créanciers, et donc de PIMCO :)
à noter que j'ai appris qu'avant les années 80, des entreprises faisaient plus de proposition volontaire de restructuration de dette avec leurs créanciers, càd sans passer par la case "faillite", qui force ce processus. Mais est arrivé une disposition fiscale qui fait passer la renégociation de dette avec les créanciers comme un revenu ... imposable. Ce qui aurait fortement limité le recours à cette option depuis.
*) Deleveraging Can Save Jobs One part of the solution to the current crisis is for Congress and the Treasury to restore, temporarily, the option for companies to deleverage by retiring debt at a discount without incurring tax liability. Tax-code and regulatory changes in the 1980s limited this option by treating the difference between the original issue price of debt and the lower amount for which it's repurchased as taxable income. The resulting tax liability on this "phantom income" decreases liquidity and blocks necessary restructuring of distressed corporate balance sheets. It also creates a perverse preference for bankruptcy that destroys asset values, jobs and customer relations. Finally, it puts American companies at a disadvantage relative to their competitors in nations with more accommodating tax structures, such as Germany and France.
We believe American enterprises should be encouraged to deleverage, whether by exchanging newly issued or existing stock for debt, or using cash from asset sales. This is the worst possible time to impose a tax liability on companies trying to avoid layoffs by reducing their interest payments on debt. Freed from a tax on phantom income, thousands of companies will become stronger through deleveraging. http://www.milkeninstitute.org/publications/publications.taf?function=detail&ID=38801182&cat=ART
Rédigé par : Vincent Poncet | jeudi 05 février 2009 à 09h33
Très intéressante, votre opposition entre les principes du capitalisme et leur déformation récente.
Toutefois, il serait utile d'élargir cette réflexion au-delà du sujet traité ici (les banques, la crise du crédit).
Car votre description du gain à court terme extorqué dans des bureaux Art déco s'applique de la même manière au capitalisme actuel non financier.
Sur ce point, les critiques des anti-libéraux sont justes: le système favorise massivement les profits opportunistes à court terme, la défausse du risque par ceux qui devraient en porter la responsabilité... bref, il est anti-capitaliste! (Les anti-libéraux ne tirent naturellement pas cette conclusion.)
Au-delà même de la crise actuelle, le libéralisme n'aura une chance de devenir crédible que s'il apporte une réponse à cette question.
Rédigé par : Robert Marchenoir | jeudi 05 février 2009 à 13h34
@Robert Marchenoir : mais justement, le libéralisme apporte une réponse à toutes ces questions. C'est justement la critique libérale qui dénonce le faux capitalisme sans capital dans lequel nous avons sombré.
Le seul problème est sémantique : si le terme "libéralisme" est utilisé par la foule de ses opposants pour définir le monde dans lequel nous vivons, difficile pour les libéraux de justifier ce monde. Comme je l'ai déjà dit, la méprise fondamentale est celle de la masse de ceux qui croient dur comme fer et professent sur les ondes, dans des livres et un peu partout que le 20eme siècle a été une grande marché inéluctable vers le libéralisme le plus extrême quand tout démontre au contraire qu'il a été une implacable progression vers le socialisme (le poids de l'Etat dans l'économie qui n'a JAMAIS cessé de croitre en étant le ratio indiscutable).
Non seulement le libéralisme, les idées libérales apportent une réponse à cette question. Mais ils sont les seuls à le faire.
C'est pourquoi on ne mettra jamais assez l'emphase sur l'importance de l'éducation et de la diffusion des idées, en préalable à toute révolution politique. Et c'est pourquoi un blog comme celui ci a une importance capitale, comme d'autres bien sur, dans ce travail nécessaire, de longue haleine. Et c'est vrais de tout autre support de communication qui peut faire progresser la diffusion de ces idées. La video sur internet étant une étape à venir probablement inéluctable et incroyablement puissante si utilisée convenablement (la campagne de Ron Paul aux dernières présidentielles américaines, relayée sur youtube en est un exemple frappant).
Rédigé par : ST | jeudi 05 février 2009 à 16h00
Oui, la proposition de Ferguson est à suivre attentivement. J'avais déjà rencontré ce type d'idée à l'époque de la faillite de l'Argentine.
Rédigé par : Henri Lepage | vendredi 06 février 2009 à 12h16