L'intelligence la plus avérée ne peut rien produire de bon si les matériaux de base de son raisonnement, les principes qui alimentent son travail, sont biaisés.
Un tel constat s'applique totalement au rapport de la commission dite "Balladur" sur la réforme des collectivités locales. Un produit intelligent, intelligible, même pas trop ennuyeux, mais au final mauvais, voire très mauvais, parce que les auteurs ont cantonné leur raisonnement dans la gangue d'un préjugé de type étatiste dont ils n'arriveront sans doute jamais à se défaire.
Les questions de base posées par le rapport sont pertinentes : n'y a-t-il pas trop de collectivités locales ? Leurs champs de compétences respectifs ne sont ils pas redondants, occasionnant des dépenses inutiles ? La fiscalité locale ne pousse-t-elle pas elle même à la dépense, et n'est elle pas pénalisante pour l'économie ?
La question oubliée
Malheureusement, le rapport omet, biais étatiste oblige, de poser "la" question importante qui aurait pu orienter très différemment ses conclusions: "L'intervention publique, dans son principe comme dans ses modalités, est elle justifiée sur chacun des champs de compétence aujourd'hui investi par l'état et les différents niveaux de collectivités locales ?"
Le rapport Balladur propose principalement d'une part de créer de grandes métropoles gérées par un super-maire élu au suffrage universel, et d'autre part de dissoudre très progressivement les départements, mais sans le dire, au sein de grandes régions, dont, affirme-t-il, la "masse critique" serait suffisante pour mener de "grandes politiques publiques locales". D'autre part, la réduction du nombre d'entités amènerait, selon le rapport, des espoirs d'économie sur le coût de la bureaucratie. Bref, le rapport Balladur propose de rebattre les cartes des attributions publiques. Il ne pose pas la question pourtant cruciale de leur périmètre global.
Tactiquement, du point de vue de ceux qui ne jurent que par la régionalisation, c'est intelligent. Maintenir en survie artificielle les départements comme sous-chambre de la région, pour amadouer les conseils généraux, et réduire l'opposition à la fusion: très bonne approche politicienne. Mais du point de vue de l'intérêt pour le citoyen, la réforme Balladur frise le zéro absolu.
Smaller is better !
J'ai déjà eu l'occasion de démonter les préjugés véhiculés par le rapport Balladur lorsque des propositions assez proches avaient été formulées par un autre rapport d'énarque, Jacques Attali. Par pure paresse, je copie colle des extraits de ce que j'écrivais alors:
Face à cette profusion, la réponse la plus courante est qu'il faudrait fusionner les échelons les plus petits au profit d'entités institutionnelles plus grandes: 36 000 communes ? C'est bien plus que nos voisins, nombreux sont ceux qui pensent qu'il faudrait les supprimer au profit des intercommunalités, aujourd'hui répandues, mais qui font doublon. De même, 100 départements, je vous demande un peu ? Sûr qu'une vingtaine de grandes régions, capables de "rivaliser avec les länder allemands", capables de "lancer de grandes politiques", seraient bien préférables, il faudrait donc leur transférer les ressources des départements et supprimer ces derniers.
(...)
Le problème réside moins dans la taille des divisions administratives que dans les compétences qui leurs sont données, et dans la répartition des compétences entre structures publiques et initiative privée. Transférer plus de pouvoir à des entités plus grandes ne fait que recréer à l'échelon inférieur de petits états. "Lancer de grandes politiques publiques" ? la belle affaire, c'est sans doute ce dont nous avons le moins besoin aujourd'hui.
Il faut donc étudier à la fois la problématique "verticale" de la répartition des compétences entre échelons institutionnels, mais aussi la question "horizontale" de la répartition des différents secteurs d'activité de la société française entre secteurs public et privé, ce qui oblige à se sortir de la tête les grands stéréotypes de l'action politique Française.
Arguments des partisans de la fusion
Les arguments des "fusionnistes" sont donc, nous l'avons vu, de quatre ordres:
1 – Des entités plus grandes aboutissent à moins de bureaucratie
2 – 26 régions coûteraient moins cher que 100 départements
3 – Des grandes régions peuvent mener de grandes politiques
4 – Une plus grande unité aboutit à un développement plus harmonieux de l'espace.
Moins de bureaucratie: un raisonnement surprenant !
Alors que tout le monde s'accorde pour dire que l'hyper-centralisation des pouvoirs aux mains de l'état avant 1982 était préjudiciable à la bonne marche des affaires du pays, il est curieux que l'on puisse affirmer que 26 régions seraient moins bureaucratiques que 100 départements. Dans ce cas, pourquoi ne pas considérer qu'un Etat serait moins bureaucratique que 26 régions, et qu'il faille supprimer ces dernières ?
En fait, ceux qui avancent de telles propositions n'ont sans doute qu'une idée très vague du fonctionnement des administrations "de terrain", parce qu'ils ne la connaissent pas, ou n'ont fréquenté que les hautes administrations centrales, qui sont un milieu plutôt à part.
Tous ceux qui ont fréquenté différentes échelles d'administration le savent: plus une administration gagne en volume, plus elle tend à perdre en réactivité et en pertinence. Alors que l'élu de Jonzac est très proche de ses citoyens, le bureaucrate de La Rochelle l'est un peu moins. Quant à celui de Poitiers, il n'est guère plus proche du responsable de l'entretien des routes de Surgères que son collègue de Paris ne l'est lui-même. Qui sait mieux si la création d'une déviation autour de sa commune est d'un intérêt supérieur: le maire de la petite commune locale, ou l'expert routier désincarné qui dirige un service "planification territoriale" au sein de la capitale régionale ?
(...)Si, par exemple, les quatre départements de Poitou-Charente venaient à être absorbés par la région, les effectifs dédiés à la réalisation de des tâches de proximité n'évolueraient pas (les structures passent, les missions restent), et il est probable que la bureaucratie décisionnelle régionale voit ses effectifs enfler, parce que, faute d'autonomie au niveau inférieur (le mal congénital de toutes les administrations du monde), les tâches de coordination et de planification seront tout simplement plus lourdes. D'autre part, l'allongement des délais de décision augmenterait considérablement les coûts de l'action administrative.
(...)
Communes et mégacités : small is beautiful
Ces craintes d'une moindre efficacité des structures publiques au fur et à mesure qu'elles croissent sont confirmées à l'échelon communal par de nombreux exemples empiriques. L'IEDM (Think tank canadien) a étudié le résultat des fusions de municipalités canadiennes (étude PDF), comme à Toronto et à Montréal. Il apparaît que les promesses de baisse de coûts et de réduction de la bureaucratie n'ont pas été atteintes: quand les communes ont fusionné, leurs services ont cru en taille, et ont substitué aux logiques transactionnelles qui prévalaient entre anciennes municipalités de petite taille, des processus bureaucratiques qui en ont amoindri l'efficacité. Des résultats similaires sont observés dans la plupart des villes américaines qui ont opéré des fusions de taille dans les années 50 à 70.
Plusieurs économistes ont cherché à expliquer ce phénomène. Le plus connu est sans doute Charles Tiebout (USA), qui a le premier a expliqué le lien entre la satisfaction des citoyens et la pluralité des juridictions locales. Extraits cités par l'IEDM:
Selon le Modèle de Tiebout, un résident peut difficilement influencer l’éventail et la qualité des services locaux (routes, police, pompiers, parcs, bibliothèques, etc.) qui sont offerts dans sa municipalité, de même que le prix fiscal qu’il doit débourser pour les obtenir. En tant que biens publics, ces services ne sont pas commercialisés comme des biens de consommation sur le marché. Le citoyen peut bien sûr tenter d’influencer son conseiller municipal ou voter pour quelqu’un d’autre, mais ses désirs ne seront satisfaits que s’il fait partie d’une majorité qui pense comme lui.
Tiebout a cependant montré que s’il existe, dans une région urbaine donnée, un grand nombre de petites municipalités, les gens pourront "voter avec leurs jambes" en s’établissant ou en déménageant dans les villes qui offrent le niveau optimal, selon eux, de services publics. Certains seront prêts à payer des impôts plus élevés pour obtenir des services de très grande qualité; d’autres préfèreront des services moins élaborés à moindre coût. Certaines villes mettront l’accent sur le développement industriel et l’emploi, d’autres sur la verdure et les loisirs, d’autres encore sur les services aux familles.
Dans ce contexte pluraliste, chaque citoyen sera plus à même de trouver une communauté qui lui convient - tout comme il peut faire un meilleur choix dans un marché privé compétitif, où divers produits lui sont offerts, que dans un marché dominé par un monopole. Qui plus est, chaque entité municipale subira plus de pression pour satisfaire les besoins et désirs de ses citoyens, parce qu’elle sera sujette à la concurrence des villes voisines. Pour demeurer prospère et garder ou attirer des résidants, elle aura intérêt à être plus efficace dans la prestation de services et moins gourmande au chapitre de l’imposition.
Depuis, nombre de recherches empiriques sont venues confirmer l'hypothèse de Tiebout. Toujours selon l'IEDM:
Le professeur David Sjoquist de la Georgia State University a analysé les coûts d’opération de 48 régions métropolitaines du sud des États-Unis et a observé que les coûts des services sont moins élevés dans les régions comptant de nombreuses petites administrations municipales. Le professeur Jacques Desbiens de l’Université du Québec à Chicoutimi estime pour sa part que pour la majorité des services municipaux, les économies d’échelle sont déjà réalisées dans les villes de très petite taille et que ce sont plutôt des déséconomies d’échelle que l’on observe dans le cas de regroupements de municipalités de plus de 2000 habitants.
Après avoir passé en revue de nombreuses études sur ce sujet, Robert L.Bish conclut que nous avons des preuves accablantes du fait que nous trouvons les administrations les moins coûteuses dans des systèmes polycentriques de municipalités de petite et de moyenne envergure, qui passent des ententes de coopération pour fournir les services qui offrent de réelles économies d’échelle. Les grandes municipalités ne semblent pas être en mesure de coopérer de cette façon, de décentraliser leurs services ou de faire appel à d’autres mécanismes de prestation pour les services qui ne présentent pas d’économies d’échelle
Même la mégacité de Montréal est obligé de le reconnaître:
"les regroupements de municipalités n’aboutissent pas nécessairement, ni surtout automatiquement, à des économies monétaires. Il existe peu d’économies d’échelle dans les fonctions municipales et ces économies sont atteintes à des niveaux de population relativement bas.
Par conséquent, un système où les communes de petite taille sont à la fois concurrentes et coopérantes sur des problématiques transversales est à la fois plus performant et plus démocratique que la constitution de mégacités où chaque citoyen voit son influence réduite à une fraction de plus en plus faible."
Une des objections courantes au maintient de grappes de petites communes est que leur urbanisme ne peut être planifié de façon cohérente et de façon harmonieuse si il est laissé à l'initiative de chaque commune.
Mes lecteurs réguliers, ou ceux qui ont lu mon livre, savent ce que je pense de l'excessive intrusion de l'état et des communes dans les choix d'affectation des sols. Là encore, de nombreux travaux théoriques ainsi que des exemples du « monde réel » montrent que des décisions individuelles prises dans un marché non contraint sont porteuses d'une harmonie tout aussi désirable, sinon plus, que celle résultant de l'imaginaire des planificateurs en chef. Selon Hayek, ou certains des économistes contemporains tels que M. Pennington de l'Institute of Economic Affairs, ont montré que les décisions prises en fonction d'impératifs de marché sont au contraire nécessairement prises en cohérence avec ce qui existe alentours, et que ce sont les entraves mises par le secteur public à la mobilité des lieux de résidence qui créent des situation non harmonieuses. Les villes du Texas que sont Dallas, Austin, Houston, sont régulièrement bien classées aussi bien parmi les villes à fort rayonnement international que parmi celles où il fait bon vivre. Avec Atlanta, qui est gérée suivant la même logique, ce sont les quatre agglomérations qui ont gagné en pourcentage le plus de population entre 1990 et 2005 aux USA.
La possiblité offerte, dans de nombreux états américains, à des développeurs ou à des quartiers d'habitants existants de "faire sécession" du droit des sols de leur commune mère et de s'autogérer suivant des règles à caractère contractuel renforce l'efficacité économique et spatiale des agglomérations, car elle donne une liberté d'action aux individus inimaginable dans un système de mégapole monocentrique.
(...)
Bref, les préjugés qui sous-tendent le rapport Balladur (réduction des coût, cohérence des politiques) sont battus en brêche tant par l'expérience que par la théorie.
Quant aux possibilités données aux régions agrandies de mener de grandes politiques... Comme si nous n'avions pas assez de l'état central pour jeter notre argent par les fenêtres ! Pour ceux qui pensent que la proximité "régionale" serait suffisante pour donner aux élus plus de sagesse qu'à nos ministres, je vous invite à relire ce discours du président de la région "Languedoc Roussillon". Avons nous vraiment besoin que des moyens supplémentaires soient placés entre les mains de tels olibrius ? La "grande région" est un fantasme de politicien keynesien et de "baron local", pas une avancée libérale.
Fiscalité : un rapport surréaliste
Je ne vais pas passer en revue toutes les incongruités contenues dans les vingt propositions du rapport, mais je ne puis passer sous silence le paragraphe absolument ahurissant consacré à la substitution de la taxe professionnelle (proposition 16). Extrait :
Il propose, afin d’assurer la neutralité de la réforme pour les finances publiques, ce qui nécessite une ressource de 8 milliards d’euros, qu’outre la part foncière, réévaluée, de la taxation des entreprises, celles-ci soient imposées en fonction de la valeur ajoutée qu’elles dégagent, le taux de cette taxation, qui serait affectée aux collectivités locales, ne pouvant excéder un plafond fixé à l’échelon national. Le reste à combler pour les collectivités locales serait financé sous la forme de dotations budgétaires et du transfert de divers impôts indirects, comme la taxe supplémentaire sur les conventions d’assurance.
Autrement dit: Nicolas Sarkozy vient d'annoncer la suppression d'un impôt qui frappait la valeur ajoutée des entreprises, remplaçons le par un impôt qui frappera le foncier (et qui sera de toute façon payé par la valeur ajoutée créée par les entreprises) et par un autre qui frappera... la valeur ajoutée créée par les entreprises. Rappelons que TOUTE TAXE PAYEE PAR UNE ENTREPRISE EST FINANCEE PAR SA VALEUR AJOUTEE, quand bien même son mode de calcul serait fondé sur un autre critère, comme l'assise foncière de l'entreprise. La proposition Balladur revient tout simplement à réintroduire sous une forme peut être rénovée la taxe professionnelle après qu'elle ait été supprimée. La rupture dans la continuité, en quelque sorte...
Le seul moyen de financer la suppression de la TP est de faire des économies, par exemple sur une partie des 65 milliards que l'état et les collectivités reversent sous formes "d'aides" aux entreprises, qui sont d'abord captées par des chasseurs d'aubaines.
Le rapport Balladur, l'art de ne rien changer en changeant
L'humoriste Karl Zéro aurait pu persifler ainsi :"Bal-ladur, c'est la rupture sans la rupture" ! La proposition relative à la taxe professionnelle est révélatrice jusqu'à la caricature de l'état d'esprit qui anime les producteurs de tels rapports : proposer des changements importants en apparence, certes, mais surtout ne rien changer des paradigmes qui structurent la société française, au point de l'étouffer. Le rapport Balladur prétend remplacer les percepteurs communaux et départementaaux par les grandes métropoles et la région. La belle affaire. Il prétend rénover la fiscalité locale en "réévaluant plus régulièrement l'assiette des impôts fonciers". Quel changement, pour sûr ! (voir ma critique de ce type de réforme des impôts locaux) Et il prétend remplacer la taxe professionnelle par une nouvelle taxe professionnelle. Sans plus de commentaires.
Le rapport Balladur propose un bon coup de peinture là ou une reprise des fondations serait nécessaire.
Proposition vraiment libérale: supprimons les régions et départements tels que nous les connaissons, et créons une vraie subsidiarité !
Certes, me direz vous, critiquer est bien beau, mais que proposez vous ?
Poussons jusqu'au bout la logique de deux raisonnements opposés, ceux qui veulent rapprocher la décision du citoyen, et ceux qui veulent une certaine unicité d'action publique au niveau national. Dans ce cas, il n'y a que deux niveaux de décision réellement utiles: la commune, parce qu'elle est la plus proche du citoyen, et l'état, parce qu'on conçoit assez mal une armée, une diplomatie et une police purement locales, ou même régionales.
Les deux échelons intermédiaires que sont le département et la région ne sont finalement que des institutions bâtardes qui ne peuvent gérer correctement les problématiques régaliennes, tout en éloignant la décision politique du citoyen sur les autres sujets, et ne sont en général considérés par les communes que comme de grands tiroirs caisse pour subventionner des projets d'intérêt généralement purement local.
A l'état, l'armée, la diplomatie, la police nationale (le crime est géographiquement mobile...), l'organisation générale des tribunaux, le vote des lois à caractère pénal, et le soin de fixer des cadres législatifs suffisamment communs mais avec de bonnes marges de manoeuvres pour l'action des communes. Pour ce faire, l'état aurait comme ressource les impôts indirects, TVA, TIPP, etc...
Aux communes, tout le reste, mais uniquement dans la mesure où l'action privée serait impuissante à délivrer certains services. Pour ce faire, les communes auraient accès à une ressource fiscale unique, une Flat Tax calculée à la fois sur les revenus des ménages et les gains "corporate". Le niveau national se bornerait à définir l'assiette de l'impôt, mais les communes en fixeraient le taux.
Aucun échelon intermédiaire ne pourrait prélever l'impôt. Un maire aurait donc des moyens plus importants qu'aujourd'hui, mais la concurrence entre collectivités limiterait ses ardeurs fiscales.
Une municipalité pourrait être soit très libérale et prendre très peu d'impôts, soit très redistributrice, d'inspiration sociale démocrate, et plus coûteuse. De même, elle aurait toute lattitude pour confier ses missions à des fonctionnaires ou à des structures privées, le droit du travail de la fonction publique étant ramené dans le droit commun. La concurrence entre collectivités permettrait à tout un chacun de trouver celle dont le rapport prestations/prix collerait le mieux à ses aspirations. En outre, les contribuables sauraient qui aller trouver si les impôts augmentaient de façon déraisonnable. Alors qu'un ministre des finances à Paris, technocrate désincarné, où même un adjoint aux finances de conseil régional - élu à la proportionnelle de surcroît --, n'auront que faire des récriminations des vaches à lait dont ils pressureront le pis, un maire aura à coeur de ne pas mécontenter des contribuables si proches...
Concernant les tâches qui ne pourraient être gérées efficacement par les communes (par exemple, la création et l'entretien d'infrastructures interurbaines, la mutualisation de polices locales ou des services de secours, ou la gestion d'un chèque éducation, l'école en tant que service étant privatisée...), les communes en délègueraient l'exécution à un GIE(*) intermédiaire, dont les salariés seraient également de droit privé. Le GIE n'aurait pas de structure politique propre mais un conseil d'administration, à élire ou désigner par les maires du périmètre du GIE.
En phase provisioire, le contour de certains GIE serait peut être celui des actuels départements (il faut bien partir de quelque part), mais gageons qu'assez vite, ce contour évoluerait, selon les souhaits des communes participant au GIE : scissions, évolutions limitrophes, etc... Ajoutons que les GIE pourraient être soit multimissions (1 GIE pour toutes les missions confiées à l'échelon supra-communal), soient thématiques (GIE route, GIE chèques sociaux, etc...).
De par sa proximité des décideurs communaux, l'échelon départemental paraît ici mieux adapté que l'échelon régional. Mais peut être que des communes choisiraient un échelon infra-départemental, les rares projets dépassant ce cadre étant gérés dans une logique de projet commun entre différents GIE, et non dans une logique de création de structure politique dédiée.
Le principe de subsidiarité gouvernerait l'action des GIE: les communes pourraient déléguer plus difficilement aux GIE leurs prérogatives qu'elles ne pourraient les reprendre. En outre, l'assemblée départementale des maires devrait décider quel pourcentage des recettes communales chacune apporterait aux GIE publics. Voilà qui les obligerait à s'interroger sur leur efficacité, car en cas de dérapage des coûts, les communes pourraient baisser leurs contributions, reprendre des délégations concédées aux GIE, etc...
Enfin, les missions confiées aux GIE pourraient être sans état d'âme privatisées, totalement ou partiellement.
Naturellement, ce ne sont là que de grandes lignes brossées à traits grossiers, qui mériteraient d'être affinées. Mais ainsi mises en concurrence, les communes auraient intérêt à rechercher, pour résoudre les problèmes se posant sur leur territoire, les solutions les plus efficaces, en évitant au maximum les considérations idéologiques. Elles en viendraient le plus souvent à privilégier la recherche de solutions partiellement ou totalement privées, que la société civile locale ne manquerait pas d'élaborer, de la façon la plus adaptée qui soit aux contraintes locales.
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* Un GIE, "Groupement d'Intérêt Economique", est une "quasi-entreprise" qui ne peut facturer qu'à ses actionnaires (ou ses associés), moyennant franchise de TVA. Sans doute l'usage du terme GIE est il quelque peu abusif s'agissant de structures à maîtrise d'ouvrage publique, mais l'idée est là.
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J'ai été élu local pendant trois mandats dans une commune de 8 000 habitants dans la périphérie lyonnaise mais se situant dans l'Ain.
1) En tant qu'adjoint je passais 5 à 6 h par jour pour une indemnité de 2800 F/ mois !
2) Je n'ai jamais calculé le temps passé considérable dans des réunions stériles avec les services de l'Etat, le Département ou la Région pour obtenir des cacahuètes pour financer des projets dont les dossiers étaient soumis au bon vouloir de certains filtres politiques ou techniques de "petits puissants"
3) Il fallait se rendre à Bourg-en-Bresse, distant de 50 km alors que la préfecture de Lyon était à 8 km.
4) Le SIVOM qui s'est transformé en Communauté de Communes après mon départ a généré des coûts supplémentaires sans réduire pour autant les dépenses de fonctionnement des communes membres.
5) La compétition sur les offress socio-culturelles, sportives ou de loisirs était plus importante que la mutualisation des moyens.
Si j'ai appris beaucoup, je me souviens que mes collègues et moi, souhaitions une simplification du système et nous avons tous abandonné.
Comme je l'ai entendu à l'Assemblée Nationale, hier après-midi, tout le monde veut la réforme mais pas celle proposée par la commission, ni celle des opposants car chacun défend son pré-carré au détriment du citoyen qui est devenu un consommateur de services à la carte que doit payer le voisin plus riche ou que doit financer (virtuellement par la dette) l'Etat qui doit taxer les riches.
A court et moyen terme, seuls les citoyens au statut de fonctionnaire dirigeront les communes de ce pays et la démocratie perdra définitivement son sens au profit d'une bureaucratie étouffante et gaspilleuse des deniers
Rédigé par : Blanc Cassis | mercredi 18 mars 2009 à 04h07
Merci pour cette analyse.Cette prudence est inquiétante. Il y a indiscutablement en France trop d’échelons, tout le monde en convient tout bas, tandis que la décentralisation est largement illusoire, tant que la fiscalité elle-même restera centralisée pour l’essentiel. Plus il y a d’échelon, plus il y a de doublons inutiles, plus il y a de fonctionnaires faisant la même chose à différents niveaux. De plus, les structures ont beaucoup vieilli, depuis le moment où on a créé les départements à la Révolution en fonction du nombre d’heures de cheval pour atteindre la préfecture !Pourquoi attendons-nous le rapport Balladur et surtout les décisions qui suivront cet été avec intérêt ?
Parce qu’il y a là une des réformes majeures et indispensables dont l’Etat a besoin. Il s’agit à la fois de réduire le nombre de collectivités locales et de mettre en place une vraie décentralisation, reposant sur un fédéralisme fiscal. C’est la seule façon de réduire, au niveau local, les dépenses publiques et notamment le nombre de fonctionnaires. Mais les faits sont têtus et la question est revenue sur le tapis, en raison de l’explosion des budgets des collectivités locales et de l’invraisemblable pyramide des administrations, de la commune au département, puis aux régions, en passant par toutes les techniques d’intercommunalités, sans parler bien sur de l’échelon de l’Etat et, au-delà, de celui, de plus en plus envahissant, de Bruxelles et des institutions européennes. Bonjour la faillite ; la seule voie de salut.
Rédigé par : Chris | mercredi 18 mars 2009 à 09h33
Article fort instructif. On sent la maîtrise du sujet. Toutes ces questions de centralisation, décentralisation, déconcentration, etc... m'ont toujours laissé perplexe. Je comprend mieux pourquoi maintenant : elles ne changent rien au problème tant qu'on ne remet pas en question les dogmes implicites.
On appréciera l'audace de présenter un projet contradictoire. Maintenant il va falloir s'accrocher sec pour s'attaquer aux baronnies et intérêts particuliers du système en place. Il y a fort à parier que seule l'incapacité de financer plus avant sera à même de renverser la balance.
Rédigé par : ST | mercredi 18 mars 2009 à 11h28
Même avec une faillite, je dirai "qu'ils n'auront rien appris, ni rien oublié".
Et on tentera de refaire la même soupe en prétextant que ça a raté à cause de la Crise, de la compétition des autres états fiscalement moins sévères qui piquent les taxes, de la mauvaise volonté etc...
En France, je pense que le crépuscule des idoles étatistes-socialistes n'est pas prêt d'arriver. La tentation pour moi de voter définitivement avec les pieds est grande... ne manque plus que je me donne les moyens.
Rédigé par : Mr_Zlu | mercredi 18 mars 2009 à 23h37
Très bon comme d'habitude.
Pour les taxes une proposition me semble meilleure.
Les communes disposeraient d'une TRÈS large liberté fiscale (il faut tout de même protéger les contribuables du pouvoir, fut-il local).
L'État n'aurait d'autre revenu qu'une part fixe (15%, 25% ?) des recettes fiscales des communes. Part votée par le Sénat.
L'assemblée ne votant elle que les lois et l'affectation de ce budget.
J'arrête, ça devient subversif là :-)
Rédigé par : L'ami du laissez-faire | mercredi 18 mars 2009 à 23h58
@Mr_Zlu
> Même avec une faillite, je dirai "qu'ils n'auront rien appris, ni rien oublié".
Sauf que s'il n'y a plus d'argent, il n'y a plus d'argent. Continuer dans le plus d'Etat quand on est au pieds du mur du financement, c'est possible, mais ca passe par l'instauration d'un régime autoritaire pour ne pas dire totalitaire. Si on refuse cette voie là, il y a un moment où on est forcé de revenir en arrière, et de diminuer la charge de l'Etat. La question reste : est on encore loin du mur ?
Rédigé par : ST | jeudi 19 mars 2009 à 09h28
Mais on glisse imperceptiblement dans un régime totalitaire. Les petites touches liberticides s'empilent chaque mois un peu plus. Maintenant, c'est au tour du net d'être progressivement mis sous tutelle.
Rédigé par : Aurelien | jeudi 19 mars 2009 à 10h06
@Aurélien : oui, mais comme tu dis, imperceptiblement. C'est un chose d'éroder les libertés un peu plus chaque jour (et je ne dis pas que ce n'est pas un vrais risque, un vrais problème en soi), mais c'est autre chose de basculer du jour au lendemain dans un régime totalitaire : la cessation de paiement est un événement brutal, pas progressif. On peut payer, on peut payer, et on franchit une ligne et du jour au lendemain, on peut plus payer. Point. Si on veut continuer à dépenser autant, on doit basculer brutalement dans l'autoritarisme : nationalisation de l'économie, fixation des prix, pénuries, loi martiale et tout le toutim.
On a connu des décennies de dégradation lente et insidieuse. Le jour où l'on franchira la ligne rouge, la dégradation sera massive et instantanée. Et nul ne peut prédire où se trouve la ligne rouge, avant de l'avoir franchie ...
C'est pour ca qu'il faudrait changer le cours des choses AVANT de risquer de franchir la ligne invisible, parce qu'après c'est trop tard. Mais nous savons tous que malheureusement on en prend pas la voie.
Rédigé par : ST | jeudi 19 mars 2009 à 18h15
Un excellent article, comme toujours ! qui amène quelques remarques (un peu ds tous les sens..).
A 100% d’accord avec les idées de flat tax et de suppression des échelons administratifs inutiles (effet doublon).
Seulement, une chose m’inquiète dans les solutions esquissées en fin d’article : les pouvoirs que vous proposez de donner au maire, le seul « contre-pouvoir » étant la concurrence entre les communes. Je doute de la validité d’une telle analyse qui malheureusement fait bcp d’adeptes chez certains libertariens not. aux USA.
Je m’explique : les contribuables locaux, c’est vrai, sauront que la hausse des impôts vient de leur maire si c’est lui qui décide de la fiscalité locale. Bien. Mais les électeurs ne sont presque jamais des contribuables. De deux choses l’une : soit l’on accorde le droit de vote qu’aux seuls contribuables (mon analyse de sale réactionnaire) ou l’on donne le droit de vote à tous dès 18 ans, et alors les électeurs disposent du pouvoir de voter sans forcément savoir ce que c’est que de payer des impôts. Donc, risque de hausse de la pression fiscale tjrs existant.
Ensuite, le maire disposera d’une marge d’action proche de celle de la sphère privée (vous parlez de contrats de droit privé, d’entreprises locales de droit privé, de GIE…). Je trouve que c’est très risqué ; la liberté ne doit être reconnue qu’aux personnes privées, tandis que la contrainte doit être rigoureusement appliquée aux personnes publiques. Aujourd’hui, les autorités locales peuvent déjà créer des entreprises de droit privé ou embaucher des contractuels ; mais dès qu’on passe dans une logique de droit privé, il n’y a plus aucun frein juridique à l’interventionnisme public (puisque le public jouit de la liberté de la personne privée !!!).
Vous dites, à fort juste titre que « L'intervention publique, dans son principe comme dans ses modalités, est elle justifiée sur chacun des champs de compétence aujourd'hui investi par l'état et les différents niveaux de collectivités locales ? »
Or, c’est déjà le cas ! En effet, à l’heure actuelle, il est dit pour droit que « les personnes publiques sont chargées d'assurer les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies et bénéficient à cette fin de prérogatives de puissance publique ; (…) si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique, elles ne peuvent légalement le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la concurrence ; (…) à cet égard, pour intervenir sur un marché, elles doivent, non seulement agir dans la limite de leurs compétences, mais également justifier d'un intérêt public, lequel peut résulter notamment de la carence de l'initiative privée » (CE 31 mai 2006).
C’est pour cela que les sociétés d’économie mixte sont limitées – hors monopoles légaux – à la gestion des infrastructures, et uniquement quand le privé n’est pas assez concurrentiel (pensez à la fourniture internet dans les zones rurales que les majors des télécoms ont déserté, jusqu’à ce que les régions mettent en place des DSP).
Si, en revanche, votre maire subventionne un médecin, ou pire, créée un cabinet de médecine, alors qu’il y en a déjà plein en ville, vous allez devant le juge administratif et en obtenez fissa la suppression !
Seulement, pour ce faire, il faut agir en justice, parce que les intérêts locaux sont très souvent corporatistes et donnent lieu à un grand nombre d’atteintes aux libertés (et combien de chefs d’entreprises ne pensent qu’à recueillir l’argent des contribuables à coup d’aides et de subventions de toute sortes plutôt qu’à satisfaire leurs clients en étant les meilleurs ???).
En ce sens, si la centralisation excessive est tout à fait néfaste (renforcement des bureaux des administrations centrales) la décentralisation à tout crin peut avoir des effets pervers aussi. Plusieurs échelons intermédiaires sont tout à fait justifiés, seulement il faut qu’à chaque fois existent des cotnre-pouvoirs adaptés parce que la seule concurrence entre les communes ne suffit pas.
Rédigé par : Philippe Jaunet | vendredi 20 mars 2009 à 09h57
Venez faire un petit tour sur le blog :
Pontencolere.blog.fr
Et vous verrez que certaines communes sont déjà dans le mur.
Rédigé par : EL | lundi 30 mars 2009 à 11h33