L'annonce
d'un nouvel et énième renforcement
des mesures de répression anti-automobilistes,
si elle ne saurait étonner, provoquera sans doute lassitude et
ecoeurement chez nombre de citoyens qui, sans avoir rien à se
reprocher, se sentiront un peu plus traités comme la pire
espèce de criminels.
Parmi les annonces phares d'un projet présenté par Mme
Alliot-Marie en conseil des ministres, la confiscation du véhicule
pour les auteurs d'infractions jugées graves par le
législateur. La liste des nouvelles annonces faites par le
gouvernement ne peut que faire bondir toute personne un tant soit peu
férue de droit, et plus encore de philosophie du droit. L’on
pourra lire à ce sujet la critique de Maître
Eolas, l'avocat le plus lu
du web. Elle suggère en outre d'autres nombreuses critiques venues autant du coeur que de la raison.
De
l'importance des élus
Tout
d’abord, passons rapidement sur le caractère politicien de
telles annonces. Quand un gouvernment ne sait plus quoi faire pour
avoir l'air « d'agir » sur la société,
il annonce un nouveau plan de "lutte contre l'insécurité
routière". Ça détourne l'attention
du chômage, peut être ?
Nous
noterons que les ministres et autres édiles qui concoctent de
telles machines répressives, souvent en contravention avec les
principes les plus élémentaires du droit, se réservent
eux mêmes le droit de ne pas les respecter, à l'aide de
moult gyrophares, escortes, cocardes signalant un véhicule
privilégié, et autres passe-droit. Le magazine
Auto-Plus s'est fait une spécialité de flasher
ces politiciens inciviques à
des vitesses
que la morale réprouve, sans parler de moult autres
infractions, relevées notamment lors de filatures des
principaux candidats à la présidentielle... En général,
les fautifs justifient leur attitude par "l'importance de
leur fonction".
Je
vais vous dire: vu de moi même, mon épouse, mes enfants,
mes parents et mes amis sont bien plus importants que tous les
Sarkozy du monde. Et il en ira de même pour quasiment toute
autre personne. L'importance est une notion qui est toute relative,
et dont l'invocation peut quelque peut choquer au pays où les
hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit :
devrions nous tous disposer de passe-droits du fait de notre
"importance" ?
Certes,
il y a bien un moyen de caractériser l'importance des gens au
sens que les politiques lui donnent: les décisions qu'un
Nicolas Sarkozy ou même qu'un maire de bourgade de province
peuvent prendre peuvent me causer du tort, alors qu'il y a fort peu
de chance que les actions que je puisse entreprendre de moi même
aient la moindre conséquence néfaste sur ces gens.
Bref, si l'importance se définit en fonction de la
"nuisibilité" des individus, pardon
pour le néologisme, alors oui, Mme Alliot Marie et M. Sarkozy
sont bien plus importants que moi.
Cela
ne leur donne pas pour autant plus de légitimité à
transformer nos vies d'automobilistes en enfer permanent, entre
l'enclume du permis à point et le marteau des nouvelles taxes
carbone ! La propension des politiciens à vouloir
"changer nos comportements" à
n’importe quel prix, y compris celui de l’établissement de
lois qui franchissent chaque jour un peu plus l’espace qui existe
entre un droit de la liberté et celui de la servitude, n’est
sans doute pas étrangère à la défiance
croissante que la population semble nourrir vis-à-vis de toute
volonté réformatrice de nos gouvernants.
Confiscation
du véhicule : l'horreur législative
Ainsi
donc, les véhicules des "chauffards"
risquent d'être confisqués. Pas temporairement, non:
saisis et revendus aux enchères au bénéfice de
l’Etat. A noter que la sanction existe déjà au code
de la route, mais que le projet présenté par Michèle
Alliot Marie en conseil des ministres prévoit son application
automatique, le juge devant "se justifier"
s'il décide de ne pas l'appliquer. D'une façon
générale, tout ce qui impose au juge une décision
"automatique" en dehors de toute capacité
de rapporter les faits à un contexte donné ne peut que
conduire à des désastres judiciaires. Là encore,
je vous invite à fouiner dans les archives de maître
Eolas pour approfondir cette question.
Une
telle disposition viole, que dis-je bafoue, le principe de l'égalité
en droit, ainsi que le droit de propriété, de plusieurs
manières.
D'abord,
elle introduit une inégalité de la sanction en fonction
de l'âge du véhicule et du modèle, autrement dit,
en fonction des moyens du contrevenant d'une part, et en fonction du
facteur chance qui fait que certains se feront
prendre
au volant d'une voiture neuve, d'autres derrière le volant
d'un véhicule de 8 ans. L'égalité dans la
sanction suppose que celle ci ne puisse en aucun cas être
différente que vous soyez riche ou pauvre d'une part, et
d'autre part qu'elle ne dépende pas d'éléments
tenant du pur hasard.
Elle
introduit en outre une inégalité flagrante entre
propriétaires d'un véhicule et locataires. Vous savez
quoi ? les formules d’achat en LOA ou en LLD vont connaître
un regain de popularité ! Seul problème: ces
formules de « possession » d'un véhicule
sont accessibles aux acheteurs de véhicule neuf mais peu
répandues dans l'occasion. Ceux qui, pour des raisons
diverses, ne peuvent accéder à un véhicule neuf
seront donc pénalisés. Et comme d'habitude, ce sont les
plus modestes...
Il
y a pire: la sanction violera, dans de nombreux cas, le droit de
propriété de nombreuses personnes innocentes. En effet,
nombre de véhicules sont possédés par une
famille, même si la facture d'achat ne porte que le nom
d'un de ses membres. De facto (surtout en cas de communauté de
biens...), la sanction touchera donc l'auteur des
« terrrribles »
infractions sanctionnées par les gendarmes, mais aussi son
épouse, son fils ainé, et que sais-je encore, en
confisquant leur propriété commune. Or, en droit
français, jusqu'à nouvel ordre, on ne peut que
sanctionner l'auteur d'un fait répréhensible, et pas
des personnes qui n'ont rien à voir avec la commission de ces
faits.
La
confiscation des véhicules des « chauffards »
devrait, dans un véritable état de droit, être
cassée par un conseil constitutionnel. Le caractère
hasardeux des décisions de cet organe me fait craindre que
certaines hérésies législatives puissent, hélas,
arriver au stade applicable. Wait and see.
Qui
sont ces terrrrifiants criminels de la route ?
Loin
de moi l'idée de légitimer le droit de rouler ivre mort
à 180 km/h en ville après avoir sniffé un rail
de coke. Mais admettons que, hormis certains samedis soir près
de certaines boites de nuit, ce type de comportement est rare.
Le
projet de loi prévoit la confiscation quasi automatique du
véhicule de ceux qui roulent sans permis. Le phénomène
de la conduite sans permis s'est considérablement développé
depuis que le permis à point est en application.
Pourquoi
de plus en plus d'automobilistes conduisent ils sans permis malgré
les risques qu'ils encourent ? Parce que pour bien des gens,
ne
plus pouvoir conduire signe leur arrêt de mort économique
et sociale. Alors une fois le permis perdu, bien des personnes
concernées continuent de conduire. Sans doute sont elles
d'ailleurs beaucoup plus attentives à ne pas commettre la
moindre infraction – Après tout, la baisse de
l’accidentologie routière se poursuit alors que le phénomène
de la conduite sans permis augmente : voilà qui devrait
faire réfléchir différemment nos décideurs !
D'autre part, la fréquence des contrôles est telle que
le risque d'être pris est estimé raisonnablement faible
par les gens concernés.
La
route est elle plus dangereuse pour autant ? Bien sûr que non.
Selon certaines données non officielles, 95% des gens qui ont
perdu des points ces dernières années avaient un bonus
d'assurance maximal en fonction de leur âge, alors que plus de
70% des personnes ayant été responsables d'un accident
entrainant une déclaration d'assurance avaient tous leurs
points ! En outre, malgré l'explosion du nombre de conducteurs
sans permis, la route devient chaque année un peu plus sûre,
comme elle le fait régulièrement depuis les années
70 : rapporté au nombre de kilomètres parcourus,
la mortalité effective a été divisée par
10. Le permis à point est il, dans ces conditions, un élément
de sécurisation de la route ? Rien n'est moins sûr...
Le
fait est que sans doute plus de 95% des gens qui perdent
temporairement ou définitivement leur permis de conduire ne
sont en rien des criminels de la route. Ce sont des gens qui ont
accumulé des
séries de petites infractions sans conséquence,
un stop mal marqué par ci, un excès de 20km/h par là...
Faut-il condamner ces personnes à des sanctions qui risquent
de nuire gravement à leurs conditions d'existence et à
celles de leurs familles ? A l'évidence, non.
La
menace de confiscation des véhicules se traduira par un plus
grand recours à l'achat d'épaves coûtant moins
d'un mois de salaire, et par une augmentation drastique de la part de
marché de la LOA dans l'achat automobile. Elle ne réduira
en rien l'incitation des personnes à conduire sans permis, et
elle ne rendra pas la route plus sûre qu'elle ne l'aurait été
sans cela. Ce n'est qu'une mesure vexatoire de plus.
Les
coûts cachés de l'hyper répression routière
Pour
arriver à réduire la proportion de personnes conduisant
sans permis, il faudrait que l'état mette en place un
véritable arsenal répressif nécessitant des
moyens de contrôle au moins triplés au bord des routes,
de façon à ce que le risque d’être pris
devienne réellement dissuasif. Or, nous avons vu que la
diminution de l'insécurité routière qui en
résulterait serait sans doute marginale. Les moyens mis pour
chasser ces dangereux pères de famille cherchant simplement à
pouvoir continuer à travailler ne rapporteraient donc qu'un
retour sur investissement faible. Mais ils manqueraient gravement à
la résolution d'un problème autrement plus grave et
totalement traité par dessous la jambe par l'appareil
juridico-policier depuis 40 ans: l'explosion de la délinquance
crapuleuse, et notamment des violences faites aux personnes.
Selon
l'INSEE, entre 1973 et 2003 (voir
cet ancien post), non
seulement les actes de
violence volontaire sur personnes ont été multipliés
par 4 officiellement, mais encore le taux de report de ces actes de
violence ont ils baissé, nombre de victimes n'osant plus
porter plainte, d'une part par peur des représailles, d'autre
part parce que le taux d'élucidation de ces violence est tombé
à des niveaux indignes d'un pays civilisé (moins de
16%). L’augmentation de la violence crapuleuse sur les personnes a
donc été certainement plus importante que ce que les
chiffres révèlent, et ce sont donc nettement plus de
400 000 de ces actes, nombre officiel, qui sont commis chaque
année, dans une atmosphère de relative impunité pour les agresseurs.
Il
est plus facile de chasser l'automobiliste désemparé
par les conséquences de la répression à tout
crin dont il fait l'objet que d'aller traquer le voyou qui fournit
les bandes des cités en Kalashnikov, et de rechercher toutes
les petites frappes qui tabassent les mères de familles ou les
adolescents bien habillés pour leur piquer un portable.
Pourtant, laquelle de ces violences est elle socialement la plus
nocive ?
On
me rétorquera que la route fait bien plus de morts que la
délinquance. Exact. Malgré tout, le nombre de morts
rapportés au nombre de kilomètres parcourus et au
nombre de voyages entrepris est en chute libre (*). De plus, ce
risque est perçu par la population comme totalement diffus,
évitable avec un peu de prudence, et emprunt d'une certaine
fatalité. En aucun cas, nous ne risquons de modifier nos
comportements économiques (sorties, vacances, autres
déplacements) et sociaux du fait de ce risque. Alors qu'un
risque important de se faire agresser dans la rue ou dans nos
merveilleux transports en commun dans lesquels nos politicards
voudraient que nous nous entassions sans jamais les emprunter eux
mêmes, est un facteur important de dégradation de la
qualité de vie, qui nous oblige à modifier bien des
comportements autrefois naturels pour nous protéger, sans
parler des coûts induits par ces mesures d’auto-protection.
La délinquance fait peur, la route pas.
Répression,
répression !
Certains
me répondront que la répression routière a
permis de diviser par trois la mortalité routière, et
que le manque de répression de la « vraie »
délinquance ne doit pas servir de prétexte pour
relâcher la pression sur les comportements accidentogènes.
Seul
problème avec cette affirmation, il est impossible de savoir
dans quelle proportion la répression des infractions routières
a contribué à la baisse du nombre d'accidents. Sans
doute un peu, mais sans doute pas plus que d'autres facteurs ô
combien importants qui n'ont rien à voir avec la répression
routière.
Les
facteurs qui peuvent avoir contribué de façon
importante à l'amélioration de la sécurité
routière (trois fois moins de morts pour plus de trois fois
plus de kilomètres parcourus en trente ans) sont, pêle-mêle
:
-
l'amélioration
continue du réseau routier:
expansion des routes à 2X2 voies à carrefours
dénivelés, au risque mortel 5 fois moins élevé
que les routes bidirectionnelles de campagne, alors que la vitesse
pratiquée y est la plus élevée, amélioration
de nombreux carrefours (le bilan sécurité des
giratoires est de ce point de vue éloquent), …
-
Amélioration
des dispositifs de sécurité active
et passive des véhicules: tenue de route, habitacles
renforcés, antiblocages divers...
-
Amélioration
du confort des automobiles, incitant à
une conduite plus souple.
-
progrès
de la médecine ayant transformé un
certain nombre de tués en blessés graves.
La
répression routière a sans aucun doute eu des effets
bénéfiques par rapport à certains comportements
véritablement dangereux tels que l'alcool au volant. En
revanche, la répression de la vitesse per se
semble
atteindre ses limites.
D'ailleurs,
dans des documents officiels(*), la sécurité routière
elle même reconnaît que "si le respect des vitesses
autorisées" était intégral, le nombre de
vie sauvées serait de 900 par an. Sans même évoquer
les biais que comporte ce type de calcul, notons que cela ne
représente qu'un tué sur 5: Il y a donc reconnaissance
implicite que le potentiel d'amélioration de la sécurité
routière lié au respect des limitations en vigueur
atteint ses limites.
Ces
900 vies ne valent elles pas un effort supplémentaire ?
Je
sais que certaines personnes voudraient que l'on considère que
la vie n'a pas de prix et que 100, 900 ou 4500 vies sauvées
chaque année mériteraient largement quelques menus
renoncements à notre liberté individuelle de
circulation.
Mais
à partir du moment où nous vivons dans un monde de
ressources rares, nous sommes bien obligés de mettre en regard
le coût des mesures mises en place pour sauver ces vies, avec
leur bénéfice.
Une
vie prise par un accident de la route est estimée à
1,267 millions d'Euros pour la société (valeur 2007).
Bien plus que le coût direct de l'accident (police, secours,
hospitalisation, exploitation de la route), ce chiffre prend en
compte la production de richesse que la personne décédée
aurait accompli si elle avait pu atteindre l'âge de la
retraite. Compte tenu de l'âge moyen (jeune) des morts sur la
route, l'on aboutit à un chiffre assez élevé.
Sauver
4500 vies « rapporterait » donc à la
société environ 5.5 milliards d'Euros par an. Si l’on
prend en compte le coût des blessés graves (coût
unitaire moins élevé mais plus nombreux), il faut
ajouter 5 autres milliards à ce chiffre. Soit environ 11
milliards au total. Il s’agit de surcroît de coûts en
majoritairement non directement perceptibles, que Frédéric
Bastiat aurait rangé dans la catégorie de ceux que l’on
ne voit pas.
Il
suffirait donc de limiter la vitesse sur nos routes à 30
km/heures, et à mettre un policier tous les 10 km, ou mieux,
un mouchard automatique dans chaque véhicule, pour faire
respecter cette limitation, qui sans aucun doute ramènerait la
mortalité routière à un niveau négligeable,
pour amener à la société un gain brut de 11
milliards. Pourquoi ne le faisons nous pas ? Parce que nous sentons
bien que les coûts sociaux d'une telle mesure pour l'ensemble
des familles comportant au moins une personne utilisant régulièrement
un véhicule personnel serait bien plus élevé:
impossibilité de travailler loin de chez soi, de nouer des
relations sociales non virtuelles hors d'un petit périmètre,
etc... La perte, tant en niveau de vie réel, qu'en qualité
de vie perçue, excèderait largement les 11 milliards
précédemment calculés. Nous acceptons un certain
niveau de risque de mortalité routière parce que les
bénéfices que nous tirons de la mobilité ainsi
obtenue sont infiniment plus importants.
Il
est à noter que je n’ai pas pu trouver de données
suffisantes sur les trafics routiers en France pour estimer le
bénéfice global que la société retirait
de la conduite automobile, exercice O Combien difficile s’il en
est. L’économiste Thomas F. Hogarthy s’y est essayé
pour les USA, dont la population est 5 fois plus élevée
que la notre, en 1998, sur la base de chiffres de 1995. Son calcul
prend en compte divers modes de déplacement automobile (taxi,
location avec chauffeur, sans chauffeur, véhicule personnel…),
le nombre de kilomètres parcouru par chaque mode, et le coût
moyen des déplacements par chaque mode, pour estimer une
fourchette basse extrêmement conservatrice du bénéfice
que la société américaine retire de
l’automobilité, en considérant que tout individu
n’entreprend un déplacement que si les avantages que ce
déplacement occasionne en justifient les coûts. Il
aboutit à un gain annuel minimal de 6,9 mille milliards de
dollars pour la société américaine, en 1995(**).
Wendell Cox ramène ce chiffre, en corrigeant certaines approximations, à 4,2 milliers de milliards. Rapporté à la différence de population et de
PIB/h, cela nous donnerait, pour la France, un bénéfice
minimal de l’automobilité d’environ 550 milliards d’Euros
à la même époque (selon le taux de change ajusté en parité de pouvoir d'achat calculé par l'OCDE). En supposant que ce bénéfice
soit à peu près indexé sur l'inflation (une
approximation sûrement assez correcte), nous arrivons à
un total de 720 milliards d'euros. Naturellement, ce n’est qu’un
ordre de grandeur. Mais il induit que les bénéfices de
l'automobilité représentent tout de même
environ 40% de notre PIB. Cela paraît logique: faites le compte de tout
ce qui serait inenvisageable sans la possibilité de déplacer hommes et
marchandises de façon convenable !
L’on
comprend donc que le coût du risque corporel et mortel lié
à l’automobile, 11 milliards, soit jugé très acceptable par
rapport aux bénéfices de l’auto-mobilité. A contrario, on saisit mieux l'importance, pour les personnes privées de permis, de continuer tout de même à conduire.
Pourquoi
les gens roulent « vite » ?
Les
gens tendent à rouler « aussi vite qu'ils
peuvent », toutes contraintes confondues (état de
la route, météo, trafic, capacité du véhicule,
peur plus ou moins grande du gendarme), parce que lorsqu'ils se
rendent d'un point A à un point B, le temps passé à
l'activité A ou à l'activité B a une certaine
valeur, mais le temps passé à joindre ces deux
activités est un pur coût. S'il existait un nouveau
moyen de se téléporter instantanément d'un point
A à un point B sans avoir à employer un véhicule,
nul doute que nous serions prêts à l'utiliser, même
s'il se révélait plus onéreux que l'automobile,
dans une marge raisonnable. Même si les constructeurs nous
vendent du plaisir de conduire, même s'ils déploient des
efforts considérables pour nous rendre nos kilomètres
toujours plus agréables, la réalité est là:
peu de gens conduisent pour la conduite elle même, mais parce
que ce qu'ils font avant et après l'acte de conduite a une
valeur plus importante pour eux que les coûts, financiers et
d'opportunité, associés à la conduite elle même.
Les
pouvoirs publics rendraient un bien plus grand service à la
sécurité routière en développant (ou en
faisant développer par le privé) et en renforçant
le réseau de voies à caractéristiques
autoroutières, permettant à la fois de satisfaire le
désir de réduction des temps de parcours et d'améliorer
considérablement le bilan de sécurité routière,
ou en lançant un grand programme de suppression de carrefours
dangereux par des giratoires ou tout autre moyen approprié,
qu'en consacrant les mêmes ressources à la traque des
conducteurs du dimanche sans accident mais à qui la malchance
à fait perdre les précieux points de leur permis.
Comportements
illégaux et comportements dangereux
Tel
est le problème de la sécurité routière
par elle même : la politique actuelle sanctionne bien des
comportements qui sont plus illégaux que dangereux.
Certes,
avoir un accident à 110 km/heure rendra probablement cet
accident plus grave que s'il s'était produit à 90km/h,
personne ne le conteste. Mais le fait est que la plupart des PV pour
petits excès de vitesse sanctionnent une probabilité
d'accident seulement légèrement augmentée par
rapport à une conduite à la limite des vitesses
légales.
Pourtant,
contrairement à certains, je n'adhère pas au discours
qui consiste à dire que tant qu'une personne ne provoque pas
d'accident, elle est libre de conduire à 180 km/h ivre morte.
En l'absence de toute dissuasion de ces comportements à
l'évidence fortement accidentogènes, nous verrions une
dégradation forte de la sécurité routière
non seulement de ces personnes peu sensibles au risque qu'elles
courent, mais surtout de personnes prudentes qui risqueraient bien
plus qu'avant d'être des victimes parfaitement innocentes de
l'imprudence des autres. Nous n'avons pas envie de jouer à la
roulette russe chaque fois que nous prenons le volant, il est normal
que le législateur fixe des limites préventives et
essaie de raisonnablement les faire respecter.
Ajoutons
que les pouvoirs publics, sous la supervision des représentants
élus du peuple propriétaire effectif des routes, sont
parfaitement légitimes à en fixer les règles
d'utilisation. Se pose donc le problème de la limite, bien
connue de tous les juristes. Rouler à 180 km/h en ville est
indubitablement dangereux. Rouler à 51 km/h ou à 71 sur
les voies sur berge de Paris l'est sans doute bien moins. Entre les
deux, le législateur doit prendre ses responsabilités
et fixer une limite qui sera forcément arbitraire, et moduler
les sanctions en fonction de la gravité de la limite franchie.
Pas de problème sur le principe.
En
revanche, du principe à l'application, il y aurait beaucoup à
redire. Toutes les limitations sont elles adaptées au niveau
de sécurité des véhicules actuels ou aux
qualités de la voie empruntée ? Les lieux où les
contrôles sont opérés sont ils représentatifs
du risque accidentogène ?
Confier
le permis et son retrait aux assureurs ?
j'ai
par le passé déjà écrit que le permis de
conduire ne devrait pas être délivré par un
examen auprès d'un fonctionnaire d'état, dont la
pénurie semble sciemment organisée depuis une quinzaine
d'années, et laissé
à l'appréciation d'un assureur
qui
devra mettre en équation son désir d'encaisser une
prime d'assurance et celle de ne pas avoir à régler de
sinistres trop importants. Pour ce faire, il devrait juger de
la qualité de la formation initiale reçue par un jeune
conducteur en se basant sur les statistiques d'accidents des
personnes ayant appris avec la même autoécole, en
pondérant éventuellement la prime en fonction de
l'usage (ou non) de la conduite accompagnée, du sexe (les hommes ont
3,1 fois plus de chance de mourir
au volant ou de faire mourir quelqu'un d'autre, que nos compagnes...
nos hormones !), etc.
Le
même raisonnement pourrait être tenu pendant toute la vie
du permis. L'important est que personne ne puisse prendre le volant
s'il ne trouve personne pour l'assurer. Il convient donc que les
infractions graves (alcoolémie élevée, grands
excès de vitesse) puissent faire l'objet d'une communication
aux assureurs, et que ceux ci décident, en fonction du profil
de risque de la personne, s'ils lui appliquent une surprime, ou
refusent carrément de l'assurer. Dans ce dernier cas, elles ne
délivreraient pas de carte verte, synonyme de permis. En
fusionnant permis et certificat d'assurance, nous effectuerions un
très grand progrès tant en terme de responsabilisation
des conducteurs, qu'en terme de lutte contre l'arbitraire
administratif.
Ainsi,
la répression de la conduite sans permis ne concernerait sans
doute plus des pères de famille un peu trop distraits face aux
panneaux de radar automatique collectionnant les petites
« prunes »
inférieures à 20km/h, mais de véritables dangers
publics que les assureurs ne voudraient en aucun cas avoir en
portefeuille, même contre une forte prime.
Conclusion
Il
y aurait encore beaucoup à écrire sur le sujet:
limitations de vitesse « politiques » et
inadaptées aux conditions de trafic et à
l'environnement routier, contrôles en ligne droite à des
endroits où aucun accident ne se produit jamais, progrès
techniques futurs qui pourraient permettre de réduire
l'accidentologie tout en relâchant l'étreint répressive
de toutes les Michèle Alliot-Marie du monde.
En
attendant, nous devons nous attendre à une intensification de
la répression envers les automobilistes. Nos édiles,
qu'ils soient élus ou nommés, sont tellement effrayés
du mauvais usage que nous pourrions faire de notre liberté
qu'ils estiment indispensable de la restreindre, y compris par une
quasi militarisation des moyens de la lutte contre nos mauvais
comportements supposés.
Est-ce
vraiment cette société que nous voulons ? Une société
où, sous prétexte de faire notre bien, des « élus »
prompts à s'exonérer eux mêmes des contraintes
qu'ils nous infligent se livreraient à une agression
perpétuelle contre nos libertés, notre libre arbitre,
et nos droits élémentaires ? Sans y prendre garde, nous
nous apercevrons un jour que malgré notre capacité de
voter pour de multiples candidats aux élections, nos libertés
réelles se rapprocheront de zéro, au nom de l'idéologie
sécuritaire et hygiéniste ambiante. M. Hayek, revenez
parmi nous, ils sont en train de devenir fous !
Nos
dirigeants devraient prendre garde à la forme que prendra la
réaction des masses le jour où l'agression quelles
subiront sera tellement vive qu'elles sortiront enfin de leur
léthargie actuelle. Ils devraient se rappeler à tout
instant qu'ils sont élus pour créer un cadre favorable
à la satisfaction de nos aspirations, et non pour nous abrutir
de mesures chaque jour un peu plus tyranniques.
--------------
(*)
Annexes : Données
d'accidentologie commentées
- (PDF
de synthèse)
(**) T.F. Hogarthy,
Benefits of road and travel transport, 1998, cité par Joel
Schwarz in « 21st century
Highways », éditions Heritage Foundation, 2005
Les commentaires récents