Le débat continue de faire rage entre ceux qui prédisent un retour de l'inflation aux USA, et ceux qui pensent au contraire que les manœuvres de « quantitative easing » de la FED ne pourront pas compenser le désendettement global de l'économie rendu nécessaire par l'éclatement de la bulle de crédit généralisée, et qui voient donc la déflation durer longtemps.
Je suis pour ma part plutôt enclin à penser qu'aux USA, l'inflation va finir par ressurgir à des taux élevés. Mais avant d'en arriver à la conclusion, voyons rapidement quels sont les deux grandes familles de scénarios possibles.
Poursuite de la déflation
Le raisonnement déflationniste est simple : la bulle qui explose a été créée par une montagne de dette, dettes en grande partie assises sur un collatéral, l'immobilier, qui va plonger quoiqu'il arrive pendant plusieurs années, réduisant le volume de crédit, donc de monnaie en circulation.
Les injections de liquidité de la FED sont dans ce contexte largement thésaurisées par les agents économiques, donc les banques, pour se couvrir contre les conséquences de la récession en cours : faillites d'entreprises, pertes d'emplois, et emprunteurs en défaut qui en résultent.
Lorsque les fonds propres des banques se seront reconstitués et que la mémoire de la crise commencera à s'estomper, il se sera écoulé suffisamment de temps pour que la FED ait eu le temps de réduire en douceur sa base monétaire, de façon à empêcher tout risque inflationniste, et ce, sans dramatiquement empêcher la reprise. C'est notamment ce qu'espère Ben Bernanke.
Reprise de l'inflation
Les inflationnistes reconnaissent que la première partie du raisonnement déflationniste est exacte, mais que ce raisonnement n'aurait été valide que si le gouvernement fédéral s'était tenu à l'écart de la crise, ou n'y était intervenu que de façon limitée.
Mais le gouvernement américain a massivement engagé le pays dans une politique de nationalisation des dettes insolvables des acteurs financiers privés, combinée à des plans de relance d'une ampleur jamais connue à ce jour, ce qui va creuser les déficits publics à des niveaux inimaginables, et donc forcer le trésor à emprunter des sommes considérables dans un laps de temps très court.
Conséquence : le trésor risque de ne pas trouver d'emprunteurs, sauf à tolérer des taux d'intérêts insupportables.
Or, le 18 mars, la FED a franchi une ligne rouge en annonçant qu'elle allait directement acheter des bons du trésor US, autrement dit, créer ex nihilo des dollars pour ce faire, et, pour faire bon poids, intensifier son programme de rachat d'actifs douteux des banques engluées dans la chute des MBS. Ces achats directs ont pour but, officiellement, de faire baisser les taux d'intérêts auquel le trésor arrive à emprunter.
Cette annonce fait craindre aux gros prêteurs étrangers (Chine, Saoudiens...) que la FED ne se mette à financer de façon routinière le trésor par de la création de base monétaire brute, alors que le volume des biens échangeables sera au mieux en croissance très basse : c'est la recette de l'hyper-inflation. Pas nécessairement comme au Zimbabwe ou dans l'Allemagne de 1923, mais des taux à deux chiffres, suffisamment volatiles pour empêcher tout calcul économique fiable de la part des investisseurs de long terme, ce qui est dramatique pour l'économie.
Dans ces conditions, comme à la fin des années 70, le dollar chuterait lourdement, au grand dam des détenteurs d'actifs libellés dans cette devise. Il est donc fortement envisageable que ces créditeurs du trésor US réduisent leurs lignes de dette à long terme vis-à-vis de l'oncle Sam. Ce qui veut dire que plus on va avancer dans le temps, plus les émissions de « bonds » US seront difficiles à placer, conduisant la FED à intensifier son programme de monétisation de la dette, poussant un peu plus l'inflation à la hausse... Nous sommes en face d'une prévision auto-réalisatrice parfaite.
Mon pronostic : la déflation n'est pas durable dans un cadre gouvernemental hyper-interventionniste
Si je pense que le scénario inflationniste finira par s'imposer, tout en étant incapable de dire quand, c'est parce qu'il me semble que toutes les réactions politiciennes à la crise poussent en ce sens. Il ne serait pas le plus probable si l'état intervenait pour une fois peu sur le déroulement des événements, mais nous savons que ce n'est pas le cas.
Pourquoi je crois à un scénario inflationiste au final, aux USA ? La politique de taux bas de la FED vise entre autres à tenter de limiter les « foreclosures », ces faillites d'emprunteurs immobiliers qui laissent aux banques un stock de maisons invendables sur les bras, stock qu'elles ne savent pas gérer, et qui font perdre beaucoup de valeur à nombre d'obligations fondées sur des prêts hypothécaires.
Si la FED se voit obligée de remonter ses taux d'intérêts pour « reprendre » la monnaie créée en excédent, alors que la baisse des prix immobiliers n'a pas été totalement purgée, alors une nouvelle vague de foreclosures se produira (rappelons que les banques sont encore très fragiles), plongeant à nouveau de nombreuses banques dans le marasme, et contraignant le trésor à de nouveaux plans de sauvetage géants : on voit mal cette administration là se convertir soudainement aux vertus de l'assainissement brutal mais court par le jeu des faillites.
Lesquels nouveaux plans de sauvetage impliqueront des taux bas, une nouvelle vague de quantitative easing, et ainsi de suite.
La FED ne pourra augmenter ses taux rapidement que si l'administration Obama, prenant conscience que les marchés ne pourront pas absorber indéfiniment la dette de tous les pays en crise, se résout à changer sa philosophie en matière de gestion de la crise : accepter la faillite des entreprises qui ne se sont pas préparées aux changements dans les périodes d'argent facile. Je ne parierai pas lourd sur cette hypothèse, mais sait on jamais ? François Mitterrand dut très vite se résoudre à revenir à « la rigueur » après les folies de 1981 et 1982. Barack Obama pourrait avoir à faire de même.
Conséquences pour la vieille Europe
En ce qui concerne l'Europe, le brouillard n'est pas moins épais.
Si le dollar commence sa glissade avant que des difficultés d'états emprunteurs n'apparaissent dans la zone Euro, alors il est fortement possible que nos états n'aient pas de problème pour trouver des acheteurs pour leurs bons : ceux qui se désengageront des dettes de l'oncle Sam se diversifieront et la dette de la zone Euro apparaitra comme un refuge sain, surtout si Angela Merkel et les Allemands résistent aux vélléités latines de forcer la BCE à adopter des stratégies laxistes pour l'Euro, et autres fadaises déjà dénoncées ici.
Mais attention, ce repos ne sera que de courte durée si les états endettés, au lieu de lancer des réformes dures, « profitent » de ce répit pour ajourner ces réformes et multiplient la dette comme les petits pains de Jésus. En l'absence de quantitative Easing ou de "caisse de défaisance", les "spreads" de taux entre états bien gérés et mal gérés vont continuer à se creuser, ce qui pourrait amener certains états à faire défaut. Et les principaux créditeurs des états sont des banquiers et des assureurs, dont l'état de santé est très préoccupant.
Si des craintes fortes de défauts de ces états (club med & Irlande) commencent à se manifester avant que le dollar ne dégringole, la situation sera fort différente, les investisseurs se réfugiant frileusement sur le dollar... En espérant que les faillites bancaires en chaine en Europe seront, pour leurs effets outre-Atlantique, absorbés par le trésor US.
Est-ce à dire que je ne crois pas une résurgence inflationniste forte possible en Europe ? Comme je l'ai déjà écrit, cette résurgence ne sera "hyper-inflationniste" que si l'Allemagne elle-même se retrouve à gérer un endettement trop élevé, et se joint à un cartel Franco-Italien pour changer les règles présidant à la gestion de la BCE vers plus de laxisme monétaire et un rachat direct de dettes d'état par la banque centrale. Pour l'instant, cette perspective parait improbable, mais qui sait ?
Cependant, même sans politique de QE excessive, la BCE, du fait de ses taux d'intérêts bas et de sa politique de prêts actuellement très bonifiés aux banques (une ligne de crédit exceptionnelle à 1 mois, improprement qualifiée d'injection par les médias, de 442 milliards à 1%, vient d'être ouverte ce jeudi), voit la masse monétaire augmenter alors que le PIB évoluera négativement. Il y a donc bien un risque de regain inflationniste si, comme le souhaitent les gouvernements, ces sommes viennent à retourner dans les circuits de consommation. En revanche, en l'absence de QE, une inflation "galopante" parait totalement exclue.
Conclusion
Comme vous le voyez, la variété de scénarios possibles, superficiellement effleurée ici, rend toute prévision ferme impossible. Une seule certitude : la folie ultra dépensière des états ne fait que retarder les vraiment gros ennuis, tout en garantissant une chute plus lourde et plus brutale.
Les états doivent d'urgence se recentrer sur ce qu'ils font aujourd'hui très mal, comme détecter et poursuivre les délinquants des cités ou des beaux quartiers, de la rue ou des banques d'affaires, maintenir l'ordre public... Ils doivent laisser les pouvoirs publics locaux négocier avec la société civile locale les politiques économiques et sociales, dans le cadre d'un système fiscal lisible. Les résultats obtenus seront meilleurs, pour bien moins cher, et ce sans creuser des déficits insoutenables sur le long terme.
Un vrai projet de société consisterait à organiser cette transition aussi en douceur que possible. Quel parti politique osera une telle... rupture ?
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Pour continuer:
Déflationistes : Mish Shedlock, Loïc Abadie (encore qu'il n'ignore pas la possibilité de résurgence inflationniste provoquée par l'état)
Inflationnistes : Peter Schiff, Art Laffer (pour une fois, ils sont d'accord), Alan Reynolds, Richard Fisher.
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L'idée déflationniste expliquée par la chute longue des actifs immobiliers ne tient pas ! En effet, comment expliquer que la chute de l'immobilier crée de la déflation alors que la hausse constatée depuis 10 ans, n'a pas créée d'inflation ...
En effet, les masses monétaires n'ont pas créées d'inflation sur les biens de consommation, mais crée une bulle sur actifs !!
A mon sens, l'endettement publique (endettement de relance) va directement s'orienter vers une relance de la consommation ... créant à la fois une forte inflation et une chute de la valeur des actifs : je pense que l'on assiste à un transfert de dette.
Le précédente dette a financer l'acquisition d'actifs (immobilier, action - via LBO et effet de levier - ) alors que la dette actuelle (dette de relance publique) va s'orienter vers la consommation ...
LBDP
http://leblogpatrimoine.blogspot.com/
Rédigé par : LBDP | vendredi 26 juin 2009 à 08h20
@LBDP :
> comment expliquer que la chute de l'immobilier crée de la déflation alors que la hausse constatée depuis 10 ans, n'a pas créée d'inflation
Parce que vous lisez l'inflation dans le seul index des prix à la consommation. Le fait que la chute de l'immobilier ( et l'effondrement de la bourse) provoque actuellement une déflation quasi sans précédent, et que l'index des prix à la consommation ne soit que très légèrement négatif est justement la preuve que cet index arbitraire n'est pas un indicateur sérieux et fiable de l'inflation. De même que dans les 20 (100 ?) dernières années, la mesure de l'inflation par le seul CPI (Consumer Price Index) est totalement faussée.
Ce n'est pas pour rien que les économistes de l'école autrichienne mesurent l'inflation au niveau de la masse monétaire, et pas au niveau des prix. Comme le disait Milton Friedman "Inflation is always and everywhere a monetary phenomenon".
@Vincent :
> François Mitterrand dut très vite se résoudre
> à revenir à « la rigueur » après les folies
> de 1981 et 1982. Barack Obama pourrait avoir
> à faire de même.
Malheureusement il y a une différence majeure entre Mitterrand en 81 et Obama en 2009 : en 81, le monde entier ne suivait pas l'exemple de la France. Il y avait une Thatcher en Grande Bretagne ou un Reagan aux Etats Unis, par exemple. Aujourd'hui, à quelques différences cosmétiques près, tout le monde avance dans la même direction. J'ai bien peur que cet uniformisation de l'emprise des idées étatiques est tellement forte que personne ne changera de direction avant qu'il ne soit bien trop tard. Pourtant justemment, cette uniformisation est une chance extraordinaire pour celui qui tenterait l'aventure de tourner le dos à l'étatisme avant les autres : imaginez qu'au beau milieu de cette fièvre relanciste et d'endettement, un pays annonce le rétablissement de l'Etalon Or pour sa monnaie, coupe les déficits et rembourse sa dette, tout en instituant une régime fiscale peu contraignant. Imaginez le pouvoir d'attraction que pourrait représenter un tel pays à faible fiscalité, protégé du surendettement et à la monnaie insensible à l'inflation ... Bon arrêtons de rêver, ce ne sera pas la France.
Rédigé par : ST | vendredi 26 juin 2009 à 09h45
Pour l'instant, les flots de liquidité ne viennent pas garnir les comptes des particuliers, ni ceux des entreprises et les achats de biens de consommation et de biens d'équipements ne sont donc pas sur la voie de la reprise. Les liquidités émises par les banques centrales maintiennent en vie les banques et leur permettent de continuer à spéculer: voir la hausse des prix des actions et des matières premières qui ressemble à de nouvelles "petites" bulles...Ces liquidités vont également vers les Etats, mais les plans de relance de ceux-ci ne se traduisent pas encore par des embauches...tant que cette situation persiste, c'est la déflation qui s'impose, c'est à dire la baisse des prix et des revenus...même si de mini-b ulles se développent sur certains actifs..Engager de grands travaux, développer la voiture électrique...ça se décide rapidement, ça se met en oeuvre en plusieurs années..les tendances déflationnistes peuvent donc persistert pendant tout ce temps-là....
Rédigé par : dominique | vendredi 26 juin 2009 à 10h31
Le seul échappatoire des états au surendettemnt dans lequel ils se trouvent sera le recours à une inflation forte. idem pour les banques. Les banques centrales vont contibuer à créer de la monnaie ex nihilo dans cette perspective. Cela se traduira par une réduction importante des revenus, obtenue à la fois par la diminution des pouvoirs d'achat de ceux qui travaillent ou touchent des pensions ou des rentes, et par un chômage exponentiel qu'il ne sera pas possible d'indemniser comme on le fait aujourd'hui.
Et quid des faillites d'états, aujourd'hui très prévisibles ? Quid des troubles sociaux de la part de populations désespérées ?
La situation actuelle n'a aucun précédent, et n'autorise aucune prévision.
Rédigé par : michel | vendredi 26 juin 2009 à 13h07
@michel :
> Le seul échappatoire des états au surendettemnt
> dans lequel ils se trouvent sera le recours à
> une inflation forte
On pourrait aussi arrêter de dépenser n'importe comment et payer nos dettes.
...
Ah oui pardon, elle est de mauvais goût celle là.
> La situation actuelle n'a aucun précédent
En effet, je pense que vous avez probablement raison. D'autres Etats ont déjà été dans le même genre de situation, mais jamais autant d'Etat simultanément.
Rédigé par : ST | vendredi 26 juin 2009 à 14h30
@ ST
Vous avez tout à fait raison.
Malheureusement, il est plus facile de faire marcher la planche à billets que de réformer en profondeur des sytèmes bufgétivores.
Rédigé par : michel | samedi 27 juin 2009 à 04h09