Les étatistes de tout bord martèlent à l'envi que la crise est une conséquence des politiques "ultra libérales" menées depuis les années 80, et pour cela, tous les moyens sont bons, y compris les caricatures les plus grossières.
Une des figures de proues de ce révisionnisme socialisant, Paul Krugman, qui n'a pourtant pas dit que des bêtises par le passé, vient d'ajouter une page à son triste bilan d'ex économiste devenu propagandiste du parti démocrate, sans trop de souci vis à vis de la vérité historique et économique.
Blame it on Reagan !
Krugman a affirmé dans le NYT de dimanche, en substance, dans une tribune tout simplement intitulée "Reagan did it", que "après avoir permis le pillage des contribuables par les caisses d'épargne, Reagan était le principal responsable de la crise actuelle en "permettant aux familles de contracter un prêt immobilier sans apport personnel". Et de citer une loi de 1982, le Garn-St. Germain Depository Institutions Act, comportant ces provisions.
Seul petit problème: Krugman oublie sciemment de citer pourquoi une telle loi fut votée, et oublie consciencieusement tout ce que les administrations post reaganiennes ont fait pour nourrir la crise.
Retours historiques
La réglementation applicable aux caisses d'épargne (en abrégé, S&L) avant le dit acte, votée dans les années 30, comportait deux problèmes majeurs:
1) Par loi, les caisses d'épargne nepouvaient rémunérer leurs dépôts à plus de 5,25%. Ennuyeux, car la super-inflation (plus de 10% annuels) laissée par les administrations Nixon, Ford et Carter plombait lourdement l'économie, et obligea Paul Volcker, prédécesseur d'Alan Greenspan à la tête de la FED, à augmenter les taux d'intérêts de la banque centrale au dessus de cette limite. Résultat, dès la fin des années 70, les caisses d'épargne virent leurs déposants fuir vers des concurrents (des fonds de placement) proposant des obligations d'état sans risque (à l'époque...) et mieux rémunérées.
2) Les caisses d'épargne n'avaient pas droit, toujours suite au Glass Steagall act de 1933, de faire autre chose que du prêt immobilier: la hausse des taux de la FED les contraignait à augmenter la rémunération du capital à court terme, mais leurs recettes étaient limitées car ils n'avaient en portefeuille que des prêts longs à taux fixes.
Aussi deux lois furent votées pour permettre aux caisses d'épargne de lutter à armes égales avec la concurrence:
1) Lors de la dernière année, voire même des derniers mois, de la présidence Carter (1980), le Institutions Deregulation Monetary Control Act permirent aux caisses de relever leur taux de rémunération, par paliers, et sous la supervision d'un comité fédéral présidé par le secrétaire au trésor.
2) Le Garn St Germain act de 82 avait pour objectif premier de permettre aux caisses d'épargne de diversifier leur risque en leur permettant de réinvestir une partie de leurs déposits en prêts non immobiliers.
Cela ne fut pas suffisant pour les sauver, car les taux d'intérêts fédéraux durent monter au dessus de 10% au milieu des années 80 pour juguler l'inflation, et les revenus des prêts immobiliers "anciens" à taux fixes ne pouvaient pas financer des dépôts courts à un tel taux.
Ajoutons à cela que la réforme oublia de rénover les mécanismes d'assurance bancaire publique appliqués aux caisses d'épargne, ce qui encouragea des prises de risque inconsidérées de certaines caisses pour "tenir" à tout prix jusqu'à la baisse des taux. Loin de moi donc d'affirmer que les réformes de la fin de l'ère Carter et du début de l'administration Reagan furent parfaites. Mais l'incrimination du Garn St-Germain act comme principal responsable du fiasco actuel par Krugman relève du déni de réalité pur et simple.
Quelques menues omissions de M. Krugman
Krugman oublie donc sciemment de préciser que ces ajustements étaient rendus nécessaires par l'étranglement des caisses d'épargnes provoqué d'une part par des lois très contraignantes héritées de l'époque Roosevelt, et d'autre part par la politique financière désastreuse des administrations Johnson (D), Nixon (R), Ford (R), et Carter (D), marquée par la fin de la convertibilité du dollar en or (Nixon, 71), et par une phase d'expansion monétaire irresponsable pour financer les dettes publiques, provoquant une inflation supérieure à 10% les plus mauvaises années, rendant difficile tout projet économique de long terme, et plongeant l'économie américaine - et mondiale - dans une déprime noire.
Il oublie juste de préciser que lorsque le Garn St Germain Act fut passé, il s'agissait pour les banques de pouvoir réduire l'apport personnel de prêts qu'elles refinançaient elles mêmes, et que cela n'impliquait donc pas une moindre prudence des banques bien au contraire. Comme je l'ai déjà écrit, c'est la faculté accrue de titriser et de revendre des prêts "low standard" à des tiers qui fut l'allumette permettant d'enflammer la bulle du crédit. De cela, Krugman semble n'avoir cure.
Krugman feint d'ignorer que si la fin de l'apport personnel obligatoire fut en partie permise par la loi de 1982, ce n'est que dans les années 90, à la fin de la présidence de Bush père (et sous la pression d'une majorité démocrate à la chambre) que le département du logement put imposer des objectifs de refinancement de prêts aux plus pauvres à Fannie Mae et Freddie Mac, que ces objectifs furent graduellement renforcés du temps de l'administration Clinton, que celle ci promulga les deux actes essentiels de dérégulation bancaire (1994 et 1999), qu'elle autorisa, au détour d'un renforcement du CRA, la titrisation des prêts subprimes, qu'elle permit à la Federal Housing Administration, par le biais d'une branche appelée Ginnie Mae (la copine de Fannie ?) d'accorder des prêts fédéraux... Pour constituer un apport personnel (!),qu'elle institua en 1997 une déductibilité des intérêts d'emprunt immobilier, qu'elle fit la promotion de règles de prêt "innovantes" pour empêcher les banques de refuser un prêt à des gens pauvres sous prétexte qu'ils appartenaient à des minorités...
Il oublie également que par quatre fois au cours des années 2000-2006, des républicains, dont Ron Paul et J.McCain, ont tenté, en vain, de faire promulguer des textes visant à assainir les pratiques financières de Fannie Mae et Freddie Mac, alors dirigées par des caciques du parti démocrate, dont certains furent fortement soupoçonnés de détournements de fond, et que ce sont des majorités à dominante démocrates qui ont empêché ces réformes.
Bref, le Garn-St Germain act et Reagan ont bon dos. L'article de Krugman n'est qu'un exercice de propagande. Oh, and, by the way, Fernand St-Germain était un élu... Démocrate du Rhode Island. D'ailleurs, les deux lois de 80 et 82 ont été votées à une large majorité bi-partisane.
Krugman s'est également distingué par le passé en affirmant que Fannie Mae et Freddie Mac n'avaient rien à voir avec la titrisation des crédits subprimes dont ils étaient un acteur mineur. Sauf que Fannie et Freddie, hors bilan, ont massivement racheté des obligations "CDO" collatéralisées sur des prêts subprimes titrisés par d'autres, rachats qui, s'ils n'avaient pas eu lieu, auraient empêché bien des banques de prêter aveuglément à des familles insolvables entre 2003 et 2007. Ce fait a été abondamment documenté par... Le New York Times. Krugman devrait lire le journal qui le publie, de temps à autres.
Mais bon, il est tellement plus simple d'accuser Reagan, la déréglementation des marchés financiers, que de se livrer à de véritables exercices d'analyse que de toute façon la plus grande partie de l'électorat n'a même pas envie d'entendre...
Gageons qu'il se trouvera chez nous des dizaines de porte-voix de l'étatisme pour nous rappeler que "le prix Nobel d'économie Paul Krugman a d'ailleurs montré que la dérégulation de la finance promulguée sous Reagan est à la racine de la crise que nous vivons aujourd'hui". Voilà pourquoi, malgré notre audience encore faible, il convient de démentir sans faiblir tous ceux qui se livrent à de tels exercices de désinformation.
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NB. la plupart des faits énoncés ci dessus ont déjà été abondamment documentés dans ce blog. Voir notamment ma petite histoire bancaire des USA en deux parties, 1920-1989 et 1990-2008 .
Voir également: The fantasies of Paul Krugman, par William Anderson, Reagan didn't do it, par R.Scheer, et Regulating Krugman, par J.Wallison. Et enfin "The good and the bad Paul Krugman", par Richard Posner.
Et, pour mes éventuels nouveaux lecteurs, mon dossier sur la crise financière.
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Merci pour d'avoir mis les points sur les i
Rédigé par : Libertas | vendredi 05 juin 2009 à 08h59
Well said.
Et dans la série Krugman a fumé du crack :
http://krugman.blogs.nytimes.com/2009/04/19/is-inflation-the-answer/
Un édito de 10 lignes, 3 phrases, pour expliquer que oui l'inflation est LA solution pour sortir de la crise, mais alors une inflation programmée et soutenue, et sur le moyen terme au moins. Mais Krugman pense que la FED n'aura "pas le cran". En tout cas pas pour l'instant.
C'est tellement consternant ... on ne sait même pas par où commencer pour répondre.
Peut être en citant le désormais célèbre trait de Ron Paul à Bernanke : "how can we solve the problem of inflation ... with more inflation ?" (comment peut on résoudre le problème de l'inflation, par plus d'inflation ?)
Rédigé par : ST | vendredi 05 juin 2009 à 09h36
Ce Krugman est un terroriste intellectuel de la pire espèce
Rédigé par : LL | vendredi 05 juin 2009 à 14h15
Le 07 Juin ne laissons pas l'Europe tombez aux mains des socialistes et de leurs amis du Modem et d'alternative libérale, votons pour la majorité présidentielle ! Quand l'Europe veut, l'Europe peut ! Nicolas Sarkozy l'a montré ;)
Rédigé par : Liberal et Sarkozyste | vendredi 05 juin 2009 à 23h54
ha ha ha, "libéral sarkozique", merci pour ce trait d'humour raffiné et délicat.
comment ça, ce n'était pas de l'humour ?
Rédigé par : vincent | samedi 06 juin 2009 à 11h39
L’inflation pour effacer les dettes, c’est bien tentant quand même. L’alternative, continuer à payer d’énormes dettes qui ne correspondent à rien, c’est pas terrible quand même.
Si j’étais Obama j’attendrai le début de mon 2ème mandat (2012) pour enclencher ce cycle. Ou alors la fin pour ne pas partir sous les huées ?
@Vincent :
Sarkozy est quand même plus libéral que Besancesnot ou De Villiers. Personne n’est parfait.
Rédigé par : jb7756 | samedi 06 juin 2009 à 21h16
@jb:
L'inflation n'efface pas les dettes. L'inflation n'a JAMAIS fait disparaitre comme par magie la moindre dette. On peut rembourser une dette ou faire défaut sur la dette. C'est tout. Il n'y a pas de troisième voie que serait l'inflation.
L'inflation n'est qu'une manière cynique, cachée, de faire porter une partie du défaut sur la dette sur des tiers. C'est profondément immoral. C'est faire fi du principe de responsabilité qui veut qu'on ne fait par porter sur autrui la responsabilité de ses actes.
C'est justement parce que les Etats seront toujours tentés de raisonner comme vous et de choisir cette voie qu'il est indispensable de retirer aux Etats (et à quiconque) le pouvoir de créer de l'inflation sur demande.
Enfin, je reviens sur ce que j'ai écrit plus haut : l'inflation monétaire et la dette sont un seul et même phénomène. Je répète : l'inflation et la dette sont un seul et même phénomène. Non, attendez, je reformule plus clairement : l'inflation et la dette sont un seul et même phénomène. Une fois que vous avez compris cela, vous comprendrez qu'on ne peut pas résoudre le problème de la dette par l'inflation : c'est vouloir résoudre le problème de l'inflation, par encore plus d'inflation. C'est juste ... impossible. La seule chose que la relance programmée de l'inflation pourrait réussir à faire, c'est de repousser et amplifier le problème à une prochaine crise.
Rédigé par : ST | samedi 06 juin 2009 à 23h01
@ST
Je ne dis pas que l’inflation c’est bien. Mais quand on s’est mis dans une situation merdique, il faut bien s’en tirer.
C’est vrai l’inflation n’est qu’un impôt, mais masqué. Il est donc moins douloureux politiquement.
Alors oui il touche d’abord les gens « fourmi » qui ont eu la folie d’avoir confiance dans la monnaie. Et les « cigales » qui se sont endettées à mort pour consommer (on les a un peu poussé aussi) vont leur piquer dans l’assiette.
C’est pas très moral tout cela. Mais c’est humain.
Rédigé par : jb7756 | dimanche 07 juin 2009 à 00h47
@jb
> Je ne dis pas que l’inflation c’est bien. Mais quand on s’est mis dans une situation merdique, il faut bien s’en tirer.
OK. Je recommence. La situation merdique comme vous dites dans laquelle on s'est mis, c'est l'excès de dette. L'excès de dette est le résultat de l'excès de crédit. Et l'excès de crédit et l'inflation de la masse monétaire, c'est la même chose. Le même phénomène. Parce que "Money is Debt". La création monétaire et la création du crédit, c'est la même chose. C'est l'inflation qui nous a conduit dans la crise. Comment voulez vous que l'inflation nous en sorte ?
On sort de la dette en remboursant ou en faisant défaut. L'inflation en fait ni l'un ni l'autre. Elle dilue l'ancienne dette dans une nouvelle plus grand encore. C'est ce qu'on fait depuis des décennie, avec le succès que l'on a vue l'année dernière. Le phénomène n'est pas illimité. On ne peut pas repousser ad vitam eternam l'éviction de la dette excédentaire du système par une course en avant. C'est mathématiquement impossible. Il y a une limite, que certes on ne connait pas. La limite on y est peut etre déja. Ou on peut faire le pari stupide qu'elle sera à la prochaine crise, ou encore la suivante. On finira bien par l'atteindre si on pense résoudre le problème de l'excès de dette par une fuite en avant. L'inflation est cette fuite en avant.
Rédigé par : ST | dimanche 07 juin 2009 à 09h33
@ST
Oui mais il y a plusieurs moyens de faire de l’inflation.
Celui de l’excès de crédit que vous décrivez, mais un crédit doit être remboursé.
Cet excès de crédit entraîne une hausse des prix. Mais si les salaires ne suivent pas, la hausse fini par se briser. Avec des tombereaux de dettes à rembourser.
Mais si comme dans les années 1970 les salaires sont indexées automatiquement sur la hausse des prix, on part dans une spirale inflationniste sans retour. Comme une vulgaire république bananière l’état paye alors directement ses dépenses par la planche à billet sans contracter la moindre dette. La FED ne fait même plus crédit, elle donne carrément de l’argent (peu importe par quel mécanisme tordu).
Au bout de quelques années la masse monétaire décuple, les prix et les salaires ont été multiplié par 10 mais les dettes d’avant l’inflation ont été divisée par 10. Bien sûr les épargnants et les détenteurs des obligations d’état sont ruinés. Et la confiance dans la monnaie et le pays aussi ce qui est plus gênant.
Rédigé par : jb7756 | dimanche 07 juin 2009 à 11h10
@jb
Can More Inflation Revive the US Economy ?
http://mises.org/story/3489
Rédigé par : ST | mardi 09 juin 2009 à 15h09
Karl Denninger lance un défi à Paul Krugman :
http://market-ticker.org/archives/1097-How-Much-BS-Can-You-Take.html
Excellent.
Rédigé par : ST | mardi 09 juin 2009 à 16h19