Pendant le ClimateGate, qui m'a quelque peu occupé ces derniers jours, la terre, bizarrement, a continué de tourner. Entre autres mauvaises nouvelles routinières, la crise financière aux USA, sur laquelle je reviendrai ce week-end ou lundi, la mise en redressement d'Olympia, un scandale législatif à la française, sur lequel j'aimerai trouver le temps d'écire, mais hélas, mes journées n'ont que 24 heures, et surtout, la faillite déclarée hier matin de la première entreprise publique de Dubaï, le promoteur immobilier chargé du développement de l'émirat, entrainant son état de tutelle avec elle.
Cette faillite n'aurait dû surprendre personne. Pourtant, de très nombreux prêteurs, selon l'article du monde lié plus haut, semblent pris au dépourvu, et se retrouvent en danger de devoir enregistrer de nouvelles très lourdes pertes. Il est question de 13 milliards d'euros pour les banques européennes dont quelques banques Françaises...
Pour comprendre pourquoi la chute financière de Dubaï était écrite et outrageusement prévisible pour les tenants des cycles autrichiens de la monnaie et du crédit, voici une explication de la faillite du promoteur World Dubaï que vous ne trouverez certainement pas dans la presse mainstream.
Dubaï : la malédiction des gratte-ciels ?
La faillite du premier promoteur, quasi monopolistique et sous contrôle de l'état via la famille princière, World Dubaï, dont la dette représente 80% de la dette de l'émirat, ne devrait surprendre personne. D'abord parce qu'une structure publique de cet accabit, gérée par des gens habitués à l'argent facile, est l'archétype des structures candidates aux pires erreurs de gestion.Mais surtout, l'économiste Andrew Lawrence a lancé en 1999 une théorie intéressante, qu'il a appelé le Skyscraper Index (wikipedia), ou "index gratte-ciel", qui constate que (presque) toutes les crises du crédit de l'ère moderne ont commencé après que les gratte ciel les plus ambitieux et orgueilleux aient été construits. Non point qu'il y ait relation de causalité directe, mais parce que l'émergence de projets immobiliers pharaoniques est un indicateur semble-t-il assez fiable de l'émergence d'une bulle de crédit non soutenable par le système financier.
Naturellement, ce n'est pas le seul bon indicateur, et d'autres auteurs ont estimé que parler d'effet gratte ciel était quelque peu abusif. Mais déjà en 1995, carol Willis avait constaté que bien des projets de gratte ciel "record" s'étaient terminés par de grands déboires financiers pour leurs promoteurs, et que leur mise en service avaient souvent coïncidé avec le début de crises économiques.
Un senior Fellow de l'Institut Ludwig Von Mises d'Auburn (Georgia), Mark Thornton, représentant de l'école économique autrichienne, décrit en 2008 cet "effet gratte ciel" dans cette étude de 41 pages (HTML ou Pdf) qui en décortique les mécanismes, les forces et les faiblesses, que je vais tenter de vous résumer en quelques lignes.
Les gratte-ciels géants, symbole de l'euphorie née des taux d'intérêts maintenus artificiellement trop bas trop longtemps
En clair, les projets de gratte ciel sont d'excellents "marqueurs" du cycle de la monnaie pervertie par une mauvaise "régulation de marché" de la monnaie.
Thornton, s'inspirant des travaux de Richard Cantillon, économiste physiocrate du début XVIIIème souvent cité comme l'un des inspirateurs des premiers autrichiens (Böhm Bawerk ou Menger) constate que les différentes phases du cycle de la monnaie décrits par l'économiste Irlandais (et parisien d'adoption) se retrouvent dans les différentes phases de la décision de construction et de l'édification d'un gratte ciel.
D'une part, des taux d'intérêts trop bas favorisent une expansion de la taille des firmes, provoquant un besoin accru d'espace. Or, les entreprises qui sont candidates à l'édification de grands sièges sociaux souhaitent généralement le faire dans de grands centres d'affaires très regroupés, comme Manhattan ou La défense, où le foncier est nécessairement contraint. Or, les taux d'intérêt bas, dans ces conditions, provoquent une hausse du foncier constructible: les firmes sont donc tentées de maximiser l'usage du foncier en construisant en hauteur.
Les promoteurs, qui construisent ces immeubles dans plus de 2/3 des cas en vue d'en louer la plus grande partie, tendent à se méprendre sur le potentiel de marché de ces tours, puisque les indicateurs économiques nés des taux d'intérêt trop bas sont exagérément optimistes. D'autre part, les taux d'intérêts bas permettent d'investir dans les technologies de construction les plus pointues pour battre des records de hauteur ou réaliser d'authentiques exploits techno-architecturaux.
L'orgueil humain fait le reste. Les grands batisseurs ne veulent pas seulement construire une tour: ils veulent construire "la" tour, à laquelle leur société laissera son nom. Ils se persuadent que ce projet haut de gamme attirera des clients à la fois prestigieux et nombreux, ce que tout bon vendeur de produits lambda sait qu'il est très difficile de faire: on ne peut être à la fois Fiat et Aston Martin...
Un archétype de mal-investissement
Le résultat est que ces opérations, financés par des taux d'intérêt très faibles, tombent généralement dans la catégorie des "malinvestments" décrits par Mises puis Hayek dans leurs analyses respectives du cycle du crédit. De surcroit, le temps d'érection de ces monstres (j'emprunte cette phraséologie phallique à dessein, tant la psychologie du "plus gros gratte ciel" me parait relever du complexe du phallus que l'homme voudrait toujours plus grand...) fait qu'entre la décision de construire et l'arrivée sur le marché, le retournement du cycle tend à se produire: trop de projets financés par des taux faibles arrivent sur le marché à contretemps, au moment où les banques centrales, pour éviter les risques d'inflation provoqués par l'euphorie monétaire liée à l'explosion du crédit, doivent remonter les taux. Et nombre d'immeubles construits dans l'euphorie des taux bas se remplissent mal : les loyers n'équilibrent pas les charges nées de l'exploitation de la tour, et du service de la dette.
Les propriétaires de gratte ciels, financés par un effet de levier important et dont les loyers ne rentrent pas, se retrouvent étranglés par le refinancement de leur dette à échéance, et sont parfois mis en faillite, ou rachetés à vil prix.
A Dubaï, ils auraient dû lire les économistes autrichiens... (ici aussi d'ailleurs)
Or, nulle part ailleurs qu'à Dubai, les projets de construction plus orgueilleux et délirants ne se sont multipliés, dont la tour de 824m de haut "Burj Dubaï" (photo). Depuis un an, des vidéos circulent sur Youtube, montrant que les immeubles ou les villas des "îles palmier" ne trouvent pas preneur. La folie des grandeurs des nouveaux pharaons les a précipité dans un mur financier. Les constructeurs privés qui se sont associés à World Dubaï vont certainement l'accompagner dans sa chute. La vidéo ci dessous (anglais remarquablement audible) est éclairante. Tournée et diffusée en février 2009, elle montre l'étendue du désastre, avec des pertes estimées déjà à l'époque de plus de 50 milliards d'Euros pour l'ensemble du secteur de la construction.
Ce qui est frappant est l'attitude de déni des personnes interviewées, tels des joueurs de Poker acculés qui misent tout sur un seul coup, persuadés que le marché se retournera sous 6 à 9 mois. Je présume que tous les protagonistes de cette vidéo doivent réfléchir à leur reconversion... Ou au moyen de fuir leurs créanciers.
La mise en service de la tour géante, presque achevée, était prévue pour Janvier 2010. En Novembre 2009, le promoteur est en cessation de paiement. Le chantier est arrêté, car les entreprises adjudicataires ne sont plus payées... Quelle extraordinaire illustration du principe de Lawrence. Et de la validité des thèses autrichiennes, hélas si peu connues des décideurs politiques qui prétendent gérer l'économie, à Dubaï comme ici...
-----------
Nb. Prochaine "bulle de gratte ciels" à venir ? En Chine, cf. cette note de septembre. En fait, elle est déjà en cours d'éclatement, et la situation de nombre de gratte ciels à Shenzen ou d'autres villes moins médiatisées semble aussi préoccupante qu'à Dubaï. Toutefois, nul ne peut dire si cette bulle sera aussi désastreuse qu'à Dubaï pour les banques, l'économie Chinoise ne reposant pas uniquement sur l'immobilier.
La faillite de Dubai, plus que le "syndrôme gratte-ciel", montre surtout les dérives de l'État planificateur et investisseur. Du genre de celui qui lance des Grands Emprunts pour investir dans les secteurs d'avenir, car l'État sait lesquels ils sont, et qu'il est certain de rentabiliser tout ça...
On est très loin du marché libre et de la mondialisation financière, ou encore de l'excuse de l'absence de pétrole, explications apportées dans la totalité des articles disponibles de la presse mainstream.
Rédigé par : julito | vendredi 27 novembre 2009 à 09h02
Là Dubaï c’est l’extrême du n’importe quoi. La densité de peuplement est tellement faible que faire des gratte ciel est totalement injustifié en plus d’être ruineux. En plus le climat n’est pas très agréable (trop chaud, trop sec).
C’est une sorte de Las Vegas mais j’ai bien peur qu’ils aient du mal à trouver les touristes qui vont avec.
Je me suis souvent dit, cela fera des belles ruines !
Rédigé par : jb7756 | vendredi 27 novembre 2009 à 10h47
En ce qui concerne les faibles taux d'intérêt, j'ajouterais, sans être un spécialiste de la question, que les placements en immeubles de bureaux sont en concurrence directe avec les placements obligataires. Cela crée un lien direct, dans le marché immobilier de bureaux, entre la valeur en capital des biens immobiliers et le taux d'intérêt.
En effet, le loyer de marché étant connu en situation de concurrence locative (par exemple, 150€/m²/an), on calcule la valeur en capital d'un immeuble en rapportant son rendement locatif au taux du marché (p. ex. : puisque je veux un rendement de 5%, et que le loyer est de 100.000 €, la valeur de l'immeuble est celle d'une rente annuelle de 100.000 € capitalisée au taux de 5%).
Dès lors, si le taux d'intérêt du marché est faible en raison de la politique monétaire pratiquée par la banque centrale, la valeur des immeubles augmente. Et en cas de retournement de tendance, cette valeur tombe. CQFD.
Rédigé par : Christophe | vendredi 27 novembre 2009 à 12h22
Un enseignement essentiel de la faillite de Dubai qu'a très justement noté Philippe Herlin sur son blog :
http://ladettedelafrance.blogspot.com/2009/11/un-enseignement-de-la-faillite-de-dubai.html
L'écroulement des finances publiques n'est précédé d'aucun avertissement des agences de notations. Le fait qu'on nous agite que la France ou les Etats Unis restent notées AAA malgré leur endettement massif et accéléré n'a aucune espèce de signification. S'il y a banqueroute d'un grand Etat, soyons assuré qu'il ne sera précédé d'aucune avertissement préalable dans sa notation, ni forcément d'avertissement préalable sur les marchés (augmentation progressive des taux d'intérêt jusqu'à un niveau insoutenable) : l'accroissement des taux d'intérêt sera soudain. Tout ceux qui croient que la faiblesse actuelle des taux sur la dette des Etats, ainsi que les excellentents notations des agences spécialisées attestent encore des marges de manoeuvre dont nous pourrions disposer avant collision se trompent. Pour ceux qui finiront par chuter, la chute sera d'autant plus terrible qu'elle sera subite et sans avertissement (si tant est qu'on puisse dire que le dernier siècle d'histoire économique ne soit pas en lui même un avertissement continuel pour ceux qui veulent bien le voir).
Rédigé par : ST | vendredi 27 novembre 2009 à 17h21
Dubaï ne fera pas faillite parce que l'émirat voisin, et associé au sein des Emirats Arabes Unis, Abu Dhabi a du pétrole, un aéroport rabougri et des immeubles quelconques.
Cette crise est probablement un moyen pour Abu Dhabi d'obtenir plus de garanties (par exemple la superbe compagnie aérienne dubaïote Emirates Airlines) en échange de son sauvetage.
La morale de cette histoire : quand on est surendetté, on perd toute son indépendance aux profit des créanciers.
Cette leçon est fort connue, et pourtant les Etats s'endettent comme si c'était sans conséquence, ni financière, ni politique. or, la perte d'indépendance me semble encore plus grave que les conséquences «seulement» financières.
Rédigé par : Franck Boizard | vendredi 27 novembre 2009 à 19h15
@Franck Boizard
Le rapport de force créancier / débiteur ne tourne pas forcément au profit du créancier. Dubaï n’a pas d’armée, pas de pétrole et une petite population.
Les grands états sont beaucoup plus fort et là ils peuvent imposer leur volonté au dépend des créanciers. La Chine ne pourra pas faire grands choses sur ses créances américaines si les USA décident de ne pas les honorer.
Les mauvaises affaires du Dubai me font penser à la déroute de Nauru. Cette petite île du Pacifique avait bâti une immense fortune sur des mines de phosphate. Les mines épuisées, tous leur investissement d’avenir, notamment dans l’immobilier, se sont révélés catastrophiques et le pays est aujourd’hui ruiné.
C’est sans doute le sort qui attend la plupart des pétromonarchies quand elles seront privées des ressources du pétrole (parce nouvelles énergies ou épuisement).
Rédigé par : jb7756 | vendredi 27 novembre 2009 à 19h52
Auburn, Alabama ;-)
Plus sérieusement, pour appliquer la théorie du cycle dans ce cas, il faut identifier la source de la bulle, d'où "l'argent facile" coule quoi. Comment tout ça était-il financé à la base?
Rédigé par : Xavier M | samedi 28 novembre 2009 à 07h09
Merci d'évoquer les taux d'intêrets trop bas.Ce fut l'une des causes majeurs de la crise financière aux USA avec celui des garantis des crédits insolvables.
Les taux d'intêrets trop bas incite à la spéculation par une bulle.
D.J
http://leblogdjetliberte.blog.tdg.ch/
Rédigé par : D.J | samedi 28 novembre 2009 à 15h30
@ Xavier M : ce court articulet n'a pour but que d'expliquer en quoi l'éruption de gratte ciels fous est un indicateur de risque de crise de type autrichien. Je ne me suis pas plongé dans les sources de financements de l'économie Dubayotte (Yenne ?). Et accessoirement, je l'ai mis en ligne à deux heures du mat', aux limites de ma résistance physique au sommeil !
La question est : qui a prêté à World Dubaï et Nakeheel ? Et qui finançait les prêteurs ? Or, ces prêteurs sont d'une part les banques des autres émirats - et notamment des banques d'état, à ce qu'il semble - qui vivent sous le parapluie la rente pétrolière, mais aussi des banques telles que HSBC, qui ont prêté des sommes importantes, et qui se finançaient à prix serré.
Je laisse à d'autres le soin d'approfondir cette question s'ils le souhaitent.
Rédigé par : vincent | samedi 28 novembre 2009 à 18h13
(commentaire supprimé par le propriétaire du blog)
Rédigé par : seb | mardi 01 décembre 2009 à 21h46