93% des Islandais viennent de voter "non" à l'accord de remboursement des fonds de garantie des épargnants britanniques et Néerlandais touchés par la faillite de Landsbanki et Kaupthing.
Je m'attends à un torrent de stupidités sur la question demain matin, y compris sur des radios spécialisées en économie, comme BFM.
Faute de temps pour faire plus, je vous invite, afin de ne pas vous laisser lobotomiser par la superficialité des analyses "mainstream" sur le cas Icesave, à en relire mon analyse de cette affaire aux ramifications complexes publiée au début de l'année, dont je copie-colle un court extrait:
La directive EC 94/19, surtout si son interprétation par les anglo-néerlandais devait être confirmée, pose dans les faits nombre de problèmes techniques difficilement surmontables, hors l'aspect immoral déjà évoqué.
Imaginons qu'une juridiction européenne confirme que c'est à l'état d'origine de la banque de couvrir les pertes des déposants de toutes l'Union. A l'ère d'Internet, et à l'ère de l'ouverture au niveau européen des marchés financiers (qui sera à moyen terme totale), rien n'interdit à un Européen de placer son argent en Islande, au Luxembourg, ou en Slovénie, tous pays soumis à la directive. Si on applique le raisonnement des européens contre l'Islande, une banque slovène qui aurait réussi à gagner beaucoup de clients en Europe occidentale, et qui ferait faillite, obligerait la Slovénie à faire appel à ses contribuables pour renflouer des épargnants français ? Mais que peut la petite Slovénie dans ce cas ?
Les régulateurs des petits pays seront donc contraints d'interdire à leurs banques de grandir de façon trop importante à l'étranger: autant dire que ce principe va totalement à l'encontre du principe d'ouverture à la concurrence du marché des services européens. Nul doute qu'au Luxembourg ou en Autriche, le résultat de l'affaire Islandaise est suivi de très près.
La prise en compte des dommages subis par les déposants en fonction de leur pays de résidence pose presque autant de problèmes: les gens qui vont chercher des placements à haut rendement à l'étranger, parfois en oubliant quelques déclarations fiscales (oh !), sont des adultes, qui savent ce qu'il font. Pourquoi le père de famille qui n'a qu'un livret A pour toutes économies devrait il voir des fonds publics, ou sa part de dette nationale, augmenter dans d'importantes proportions, pour permettre à l'investisseur mal avisé de rentrer dans ses frais ?
D'autre part, comment le régulateur anglais pourra-t-il exiger d'une banque Islandaise opérant sur son sol depuis Reykjavik via Internet qu'il doit renforcer ses fonds propres ? Et si on donne à chaque pays le droit d'exiger de certaines banques des changements prudentiels dans leur gestion, comment s'assurer que ces leviers ne soient pas utilisés à des fins protectionnistes ? Et comment éviter la cacophonie des régulateurs ?
La réponse qui vient à l'esprit est celle d'un équivalent de la FDIC à l'européenne, doté de pouvoirs trans-frontaliers. C'est dans cet esprit, sans doute, que la création d'un "régulateur systémique européen", aux contours encore flous, a été annoncée. Cet organisme pourraît être alimenté par des primes d'assurances versées par les banques comme une fraction de leur total de bilan, avec une modulation en fonction des risques détenus en portefeuille, sans doute par le biais de la cotation de ces actifs par les agences de notation. Un tel dispositif reproduirait les qualités et défauts du système américain de la FDIC, qui, de très loin s'en faut, n'a pas été efficace pour prévenir la crise actuelle, est au bord de la cessation de paiement (source bloomberg), et n'a pas empêché le gouvernement américain de faire lourdement pression sur ses contribuables pour éponger les pertes des grandes banques, de Fannie Mae, Freddie Mac, AIG, etc... En outre, ce sont les banques sans déposants, donc hors du système d'assurance de la FDIC, qui sont à l'origine des plus gros désastres financiers de la crise: Bear stearns, Lehman, Merill. Mais étendre un système semblable à la FDIC à tous les acteurs de la finance, en plus des banques de dépôt, augmenterait sans doute les primes d'assurance versées par les banques dans des proportions insoutenables.
Le système FDIC ne règle pas le problème des incitations perverses à l'imprudence des clients et des banquiers précédemment évoquées, pas plus que la mutualisation des risques n'incite, individuellement, chaque acteur a être plus responsable. En contrepartie, les institutions financières hors FDIC et trop peu importantes pour recevoir un bailout de l'état s'organisent pour régler leurs difficultés en ordre.
Les électeurs Islandais ne font que dire que la garantie des mauvaises affaires des banques par le contribuable, cela suffit. Je persiste et je signe: les Islandais ont pris collectivement la seule décision acceptable, financièrement et moralement. Juridiquement parlant, c'est bien moins certain...
Je m'attends également à une offensive de choc de l'Union Européenne pour trainer dans la boue les Islandais, et tenter d'arracher du gouvernement de la petite île un accord coûte que coûte. Mais je doute qu'un seul gouvernement démocratiquement élu de ce monde ose rejeter les conclusions d'un référendum tranché à 93%...
Bravo, les Islandais !
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Rappelons également que tout le problème vient initialement du fait qu'on a exigé que l'Etat Islandais assure les dépôts de ses banques, et par là même fasse de chaque contribuable islandais une caution solidaire involontaire en case de faillite. Ce n'est pas un problème anodin pour nous, à l'heure ou semble t-il le gouvernement français aurait l'intention de se porter caution sur la dette grecque, c'est à dire de rendre le contribuable français solidairement responsable d'un éventuel défaut de la Grèce sur sa dette souveraine ... En ce sens les deux affaires se rejoignent : dans les deux cas l'annulation du risque par la garantie étatique est une très mauvaise chose a priori (elle crée les conditions d'une prise de risque inconsidérée) et se révèle une très très mauvaise chose a posteriori : la garantie vendue comme "de principe" et "sans risque" s'est révélé ou se révèlera exerçable.
Ne nous mettons pas dans la situation de l'Islande et exigeons de notre gouvernement qu'il n'engage pas les français comme caution dans une affaire dans laquelle ils n'ont aucun moyen d'influer sur le comportement des grecs dans une matière où ils ont démontré à répétition leur incurie.
Rédigé par : ST | lundi 08 mars 2010 à 09h36
Je lis avec beaucoup d'attention ce blog depuis le climategate . Je trouve ce blog fort remarquable et pointu . Merci beaucoup pour tous ces articles passionnants . Et il ne contredit pas mes principes de base . C ' est la première fois que je poste ici un message .
Quand un gouvernement est élu par le peuple , sa légitimité vient du peuple . Si ce peuple affirme sa voix dans un référendum , le gouvernement perdrait sa légitimité en s ' opposant à cette voix . Car un score de 93% n ' a rien à voir avec un score de 52% par exemple . Si 52% est un score majoritaire , il laisse une très importante minorité d ' un poids presque équivalent . Mais 93% s ' approche de l ' unanimité . Le gouvernement seul contre tous ou presque ?
Une loi qui avait été votée par les politiciens et condamnée par un tel score référendaire oblige les politiciens à redresser leur image ternie .
Les structures internationales actuelles dépassent totalement l ' entendement du citoyen commun . Quand le monde devient un piège incompréhensible et dangereux , il est temps de revenir à des règles simples . L ' Islande se perd dans la mondialisation où nul n ' est garanti d ' en sortir gagnant . Cette mondialisation est très récente , elle présentait des aspects favorables en période de croissance mais ne montrait pas les aspects négatifs . Mais la vérité , c ' est que trop de choses étaient artificielles , le concept de mondialisation comme la croissance .
Pour en revenir au climategate , je suis inquiet pour Warm . Quelqu ' un a-t-il des nouvelles ? Est - il malade ? Ou dépressif ? A-t-il perdu son emploi ? Il était très fort pour partir dans des explications très compliquées pour essayer de prouver que les autres sont incompétents . Mais avec les choses trop techniques , le commun des mortels n ' est pas convaincu car si on lui dit ceci ou le contraire , il est incapable de déceler la bonne version .
Rédigé par : Wladir | lundi 08 mars 2010 à 12h03
Wlad, le problème, c'est qu'en France, on ne consulte jamais le peuple, et dans les rares cas ou on le fait, le vote n'est pas pris en compte.
Rédigé par : Nam | mardi 09 mars 2010 à 19h57
Je crois que c'est l'dée même de garantie des déposants par l'Etat qui est perverse. Peu importe que la garantie incombe à l'Etat du déposant ou à celui de la banque.
Si on disait que les Etats à l'avenir ne procéderont à aucun bailout, cela responsabiliserait tous les acteurs. Cela nous obligerait à répartir nos oeufs dans plusieurs paniers. Ca complique la vie, mais ne serait-ce pas plus sain?
Rédigé par : Jacques Peter | mercredi 10 mars 2010 à 15h16
@Jacques Peter :
Absolument, c'est le noeud du problème et c'est le cas de l'essentiel des instruments de la soit disant "régulation bancaire".
C'est ce que je détaillais dans cet article :
http://www.objectifliberte.fr/2009/06/regulation-bancaire-histoire-dun-echec-programme.html
Tous les efforts pour "limiter le risque" et la garantie des dépôts en est un de façon évidente, encouragent au final la prise de risque (si on vous protège des conséquences d'un risque, vous pouvez prendre plus de risque). Et ce n'est pas un effet pervers, c'est l'effet recherché : les Etats ont mis en place ces systèmes de limitation des conséquences des risques pour permettre de plus grand effets de leviers.
C'est ce que j'écrivais :
"La régulation bancaire est ainsi née de l'intervention première de l'Etat, de sa volonté de limiter le risque fondamental couru par une banque dans un système de réserve fractionnaire : celui du Bank Run. Paradoxalement, la régulation bancaire est née non de la volonté de poser des limites ou des contraintes à une système financier et monétaire de libre marché jugé trop anarchique, mais bien de la volonté de l'Etat de permettre de plus grands effets de levier, une plus grande production de crédits, une plus grande prise de risque que le seul marché aurait naturellement toléré, et ce dans un environnement donnant l'illusion d'une plus grande sécurité par une mutualisation des risques, une socialisation programmée des pertes."
et
"Toute l'histoire du système bancaire et monétaire est ensuite une fuite en avant pour affranchir les banques du risque fondamental qui les empêche d'augmenter leur effet de levier : abandon progressif de l'étalon or, incitation à l'assouplissement des critères de solvabilité des emprunteurs en faisant garantir les prêts par des institutions para étatiques ou par l'Etat lui même, mise en place de fonds de garantie des dépôts (toujours sous-dotés par rapport aux risques mais avec la caution implicite ou explicite de l'Etat) et quand cela ne suffit pas, la garantie implicite d'une nationalisation, c'est-à-dire de socialiser les pertes. A chaque étape, l'aléa moral augmente. L'incitation à courir plus de risque en augmentant l'effet de levier, en réduisant ses fonds propres ou en négligeant la qualité des prêts consentis s'accroit."
Rédigé par : ST | mercredi 10 mars 2010 à 16h28