Sans queue ni tête, quelques brèves vite écrites pour un lundi calme...
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"Moi y en a vouloir des sous !" - Tel est en substance le message envoyé par l'association des constructeurs de logements US (NAHB) au congrès pour leur demander de rejeter un amendement proposé par John McCain, l'adversaire malheureux de Barack Obama, pour réduire l'influence de Fannie Mae et Freddie Mac. Les démocrates sont des alliés obéissants: l'amendement a été rejeté par 56 voix à 43.
Dans la foulée, un second amendement visant à augmenter de... 3 à 5% l'apport personnel minimal pour obtenir un crédit a lui aussi été envoyé dans la sciure après un intense lobbying de la NAHB.
Et ils s'en vantent, ces @#&§*$%£ ! ... Même pas un peu de décence pour les pousser au triomphe modeste dans la chasse aux prébendes financées par le contribuable.
A chaque fois, l'argument est le même: en résumé, "cela risquerait de réduire notre chiffre d'affaires".
Sachant que Fannie Mae et Freddie Mac coûteront au final plus de 300 milliards de dollars aux contribuables américains, que ces deux sociétés continuent de refinancer à tour de bras des prêts de basse qualité malgré de nouvelles pertes trimestrielles se chiffrant en milliards, et que les prêts accordés en masse et sans dépôt de garantie à des ménages insolvables sont à la source de la crise, je vous laisse juge de la dose de cynisme qu'il faut pour afficher et se glorifier de ses efforts de lobbying de la sorte. Disgusting bastards.
La subvention publique vers les clientèles privées, c'est le vol. Vol encouragé, institutionnalisé, banalisé, organisé. Mais le vol quand même.
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Malinvestissements - J'en profite pour vous faire partager une découverte: un blog consacré à l'explosion de constructions d'immeubles les plus laids et pleins de malfaçons à Seattle, la plupart du temps pendant les années bulles. Où on apprend par exemple qu'un immeuble de 30 étages vite fait mal fait en 2001 va devoir être détruit en 2010... Ils ont eu les subventions De Robien aussi, là bas, ou quoi ?
L'inévitable Wendell Cox a trouvé d'autres informations sur cette histoire incroyable. Mais toujours pas d'analyse sur le pourquoi de l'explosion récente de constructions très mal fichues à Seattle...
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Propriétaire pour 100 dollars ? - Et puisqu'on parle de Wendell, celui ci pointe sur des histoires de personnes qui ont emprunté en usant de leur maison comme collatéral pour plus de 300 000$, qui ont été saisis... Résultat de la vente aux enchères de la maison: 100 $. Cent. Pas cent mille, pas mille. Cent.
Et le pire est que ce n'est pas un cas isolé: sur une page de listings de ventes sur saisies du shériff du comté en question, on compte au moins une dizaine de ventes similaires à 100$ !
Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Le Wsj raconte que les prêts adossés à ces maisons désormais sans valeur ont servi de base au deal "Goldman Sachs - John Paulson", dont je vous parlais il y a peu. La question qui se pose est de savoir si Goldman et Paulson ont juste profité de la légèreté de banques et d'emprunteurs tiers, ou si les banques tierces ont forcé sur les prêts risqués en sachant que le fond créé par Goldman (Abacus) était prêt à racheter ces "daubes" pour alimenter le marché des dérivés spéculatifs de CDO...
Sans présumer de la culpabilité ou non de Goldman Sachs au sens de la lettre de la loi, voilà le genre d'histoire qui ne va pas arranger son cas devant un jury...
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Pour l'histoire des maisons adjugées à 100$, est ce que ce n'est pas la banque qui a justement racheté la maison à l'enchère initiale de 100$, personne n'ayant voulu jouer la course aux enchères avec la banque qui n'aurait pas laissé partir la maison à une valeur trop basse (tant qu'elle achète la maison à une valeur inférieure à l'argent qui lui est du, de toute façon ça ne lui coute rien). Du coup, faute d'enchérisseur, la maison part à 100$. L'ancien propriétaire doit toujours à la banque ses 300 000 $ d'emprunt, moins les 100$ que la vente a rapporté, mais finalement ça ne change rien : que la maison soit parti à 100$ ou 100 000$, le reste de l'argent du le conduit de toute façon à la faillite personnelle et à l'effacement de ses dettes (avec toutes les conséquences qu'un faillite personnelle peut avoir bien entendu). La banque de son côté préfère récupérer la maison et prendre le temps de la vendre hors enchère, plutôt que de récupérer 50 000$ ou 100 000$ tout de suite dans une vente précipitée dans un marché dégonflé.
L'article du WSJ est par contre édifiant en décortiquant la manoeuvre Goldman / Paulson. D'après ce que j'ai compris (Vincent me corrigera), l'outil financier qu'ils ont créé n'était même pas une vrais assurance : Abacus n'a pas réellement acheté des emprunts pourris sur lesquels ils ont pris une assurance. Ils ont conçu un véhicule financier adossé aux résultats d'un ensemble de prêts qu'ils ne possèdent pas, qui appartiennent à d'autres. Ce n'est pas véritablement une assurance, plus un système de pari, comme sur les sites en ligne où vous pouvez parier sur le vainqueur de la prochaine coupe du monde. Ici, Paulson et Sachs ont créé un pari du type : vous souscrivez à mon contrat, et tant que l'ensemble de prêts X et Y qui sont actuellement vendus sous forme titrisé sur les marchés ont un rendement positif, nous vous versons une certaine somme tous les mois, pendant toute la durée du prêt. Mais si un jours ces prêts font défauts, vous me devez une très grosse somme. Ensuite Paulson et Sachs ont mené une étude très minitieuse des différents pools de prêts titrisés pour identifier les plus pourris, ceux qui ne pourraient pas durer, et c'est sur ceux là qu'ils ont adossés leur contrat. Ils ont bien détaillé dans un document énorme les prêts en question (c'est pour ca qu'ils sont confiants sur les suites judiciaires, ils ont été transparents), et ont parié sur le fait que ceux qui achèteraient leur contrat, n'iraient pas regarder le contenu avec la même minutie qu'eux. Et ils ont eu raison. Le pire dans tout ca, c'est que ce sont par exemple des banques allemandes qui ont plongé dans la manoeuvre, et que lorsqu'il a fallu payer, les banques ont été renflouées par le contribuable allemand. Qui ont donc payé pour cette erreur. Et le pire du pire, c'est que cet argent n'est même pas allé pour rembourser les pertes de ceux qui avaient prêté de l'argent pour acheter les maisons, car le contrat n'était pas une assurance dont l'argent reviendrait à ceux qui ont fait un mauvais placement mais se serait couvert par un mécanisme d'assurance. Le contrait était un pari, sur l'évolution de prêts que ni Paulson ni Goldman Sachs n'avaient en leur possession. Ce n'est pas de la finance, c'est du casino. Il n'y a aucune création de valeur ici, juste un jeu à somme nulle entre deux institutions financières : pile je gagne, perd tu gagnes.
Si paulson / goldman sont reprochables, ceux qui ont investis avec eux le sont également. Il faut bien voir qu'ils sont entrés dans le contrat en pensant que Paulson était un idiot et qu'ils allaient lui prendre son argent. Que des banques se soient livrer à ce genre de jeu est tout simplement hallucinant. Qu'elles aient été renflouées par le contribuable l'est encore plus.
Dernier point : tout ça n'a rien à voir de près ou de loin avec le capitalisme. Il n'y a pas de capital ici, pas d'investissement. Ce n'est pas plus du capitalisme que jouer au casino. Car il n'y a aucune création de valeur in fine.
Rédigé par : ST | lundi 24 mai 2010 à 10h49
Non ST, je ne te corrigerai pas. J'ai mis du temps à comprendre tous les détails (il faut être tordu, quand même, pour monter des coups pareils) mais il semble qu'effectivement Abacus ne possédait rien. Une sorte de Tracker...
Je pense que dans un monde normal, dans le cas des banques qui sont allées à la table de black jack, la responsabilité personnelle des dirigeants devrait pouvoir être engagée. Mais je doute que le droit tel qu'il est écrit le permette.
Lire à ce sujet la très intéressante contribution de Patrick Madrolle Chez Turgot, pour le cas français.
http://blog.turgot.org/index.php?post/Madrolle-SARF
Rédigé par : vincent | lundi 24 mai 2010 à 11h00
Je rebondis sur le sujet : effectivement, Vincent et moi avions bien lu et bien compris la même chose.
On trouve un commentaire très intéressant de Karl Denninger sur ces mêmes principes. Je conseille ceux qui sont intéressé par le sujet et le lire au moins 2 fois pour bien comprendre.
http://market-ticker.org/archives/2348-Lets-Make-Murder-Illegal!.html
Il y compare le naked short selling (jouer un titre à la baisse en l'empruntant = "short selling", mais sans l'emprunter, d'où le "naked"), avec les side bets, qui sont des paris en bonne et du forme adossé à la performance de titres réels (c'est ce dont on parlait dans l'article du WSJ).
Il indique que le naked short selling est illégal mais apparemment pratiqué, puisque le gouvernement allemande juge utile de le rendre "encore plus" illégal. Les side bets eux n'ont rien d'illégal en eux mêmes, mais Denninger dénonce le fait qu'ils puissent être contractés par des banques adossées au système monétaire d'un gouvernement. Je résume son argument autrement, en tout cas comme je l'ai compris : en pratiquant ce genre de contrats, les banques n'ont pas besoin d'avoir de contreparties à l'argent qu'elles engagent. Il n'y a pas de "collaterals" dans ces engagements contractuels. Denninger compare cela a un chèque en blanc, c'est à dire la création d'une note de crédit qui n'a pas de contrepartie réelle. Le résultat, c'est que lorsque le pari est perdu, c'est le gouvernement qui rembourse, comme cela s'est passé avec l'affaire Paulson/Goldman et la banque allemande qui a mordue la poussière.
Rédigé par : ST | mardi 25 mai 2010 à 18h38
Aux US, les prêts immobiliers sont généralement non-recourse, càd que si tu ne payes pas, la banque te saisit la maison, et tu ne dois plus rien.
En France, la dette est toujours due, et si la vente de ta maison ne rembourse pas la totalité du capital restant dû, tu as encore une dette à la banque pour le solde.
C'est pour cela qu'il y a un gros mouvements aux US dit de "walk away", càd partir de la maison, l'abandonner, parce que si la valeur de marché de la maison est inférieure au capital restant dû et que la dette ne te suit pas, il devient rationel d'abandonner la maison.
Le montage GS/Paulson n'était pas une titrisation cash, mais une titrisation synthétique.
Dans une titrisation cash, le véhicule possède les créances en tant qu'actifs. Dans une titrisation synthétique, on met en place un CDS sur le portefeuille de créance et on trouve deux agents qui veulent prendre les deux côtés du pari sur la tenue du portefeuille de créance. Comme on a un CDS sur quelque chose d'unique, il n'a pas de prix de marché, et c'est donc le structureur (GS en l'occurrence) qui établit le prix du montage et donc qui doit payer à qui en fonction d'un modèle sur la base des prix des sous-jacents si ils existent ou sur des actifs de nature proche.
En gros, un package CDS sur une dette+ des bonds sans risque a un comportement proche du titre de dette. Cela permet de répliquer des dettes, d'où le terme de synthétique. C'est purement du pari.
Quand on a compris ce qu'est une titrisation sythétique, je ne vois pas comment on peut dire que les investisseurs du "mauvais" côté du deal GS/Paulson ont pu dire qu'ils ne savaient pas qu'il y avait quelqu'un qui jouait contre. Un deal synthétique, c'est par définition, il y a quelqu'un qui joue long, l'autre qui joue short.
Voici quelques pointeurs sur le montage Abacus
http://www.aleablog.com/abacus-for-dummies/
http://www.bionicturtle.com/learn/article/...re_illustrated/
http://sandrew.tumblr.com/post/543690974/r...abacus-timeline
http://www.interfluidity.com/v2/814.html
http://www.law.stanford.edu/display/images...ll%20Duffie.pdf
c'est très compliqué, ça serait un partially-funded synthetic CDO de RMBS et encore c'est ptet encore pire que ça :D
Sur le naked short, dans un marché qui se veux au comptant, vendre quelque chose que l'on n'a pas ou que l'on n'a pas loué auparavant consiste à vendre un titre virtuel qui entre en circulation le temps que le naked short seller cloture sa position. C'est de la fraude.
J'ai lu sur des sites dont j'ai oublié le nom que ce phénomène serait même tellement répandu qu'il y aurait déjà eu des AGs d'entreprises avec plus de votants que le nombre d'actions officielles.
Cela n'est pas du tout comparable avec un deal dérivé qui est bien un engagement.
La banque et la finance ne font plus la différence entre propriété et engagement.
Les marchés de titres sont tout aussi fiat que ne l'est la banque et la monnaie.
Rédigé par : Vincent Poncet | mercredi 26 mai 2010 à 14h15
@Vincent Poncet
Absolument. Et merci pour ces infos complémentaires.
La Finance est un aspect essentiel du capitalisme, dans la mesure ou l'industrie financière rassemble tous les mécanismes qui vont permettre la meilleure allocation possible du capital (l'épargne) en fonction des besoins d'investissements des entrepreneurs (marché des actions, crédit etc etc.). Mais aujourd'hui, on découvre une finance SANS CAPITAL : fiat money, crédit non appuyé par de l'épargne, titres sans actif sous jacent, naked short selling, side bets etc... Il n'y a pas de capitalisme sans capital. C'est bien pour cela que ces dérives n'ont rien à voir avec le capitalisme et qu'elles partagent toutes d'une seule et même logique : la tromperie. Depuis la monnaie papier des banques centrales inflationnistes jusqu'aux montages de Goldman Sachs, l'économie mondiale fonctionne sur des mensonges. Rétablir une économie saine du capital est la première pierre de la reconstruction post-crise. Malheureusement, on en est pas encore à cette étape. Il va falloir d'abord assumer les conséquences de ces fraudes.
Rédigé par : ST | mercredi 26 mai 2010 à 16h24