J'ai publié il y a quelques temps un article défendant une décentralisation totale des prérogatives non régaliennes au niveau le plus local possible, et notamment des politiques sociales, à condition que le système fiscal qui accompagne une telle réforme soit lisible. Mais je n'avais pas détaillé tous les avantages d'une telle proposition.
Daniel Hannan et les avantages de la décentralisation sociale
Dans une première partie, il revient chiffres à l'appui sur les progrès exceptionnels qu'ont permis la réforme de l'aide sociale aux USA en 1996, en termes de réduction de la pauvreté*. J'avais déjà évoqué cette réforme bi-partisanne il y a quelques temps déjà, en mettant l'emphase sur l'évolution philosophique qu'elle avait induit, de l'état "assistant" à l'état "encourageant la reprise d'emploi" - from Welfare state to Workfare state.
Mais selon Hannan, la clé du succès de cette réforme n'est pas uniquement à chercher dans cette évolution, mais aussi et surtout dans la très grande décentralisation des politiques sociales qu'elle a permise. Hannan résume ainsi les avantages observés (traduction dilettante personnelle) de la réforme
1, les grandes bureaucraties engendrent des conséquences inattendues. Là où les collectivités locales peuvent calibrer leurs politiques pour coller aux réalités locales (Paris n'est pas Lavelanet, Nice ou Romorantin), un système uniforme couvrant 60 millions de personnes est condamné à contenir des failles, qui attireront des personnes qui n'auraient pas dû se sentir concernées...
Un exemple rapide pour illustrer ce premier point: Un chômeur pauvre à Paris aura comme principal problème de ne pas pouvoir s'offrir un logement simplement décent, mais n'aura pas de grandes difficultés à atteindre un bassin d'emploi large du fait du maillage de transports en commun. Cela explique que le mal-logement en Ile de France touche beaucoup de salariés, et en revanche un taux de chômage toujours nettement moindre que la moyenne nationale. Un chômeur à Villepot (#1000 hab, Loire Atlantique très rurale loin de Nantes) aura comme principale difficulté de pouvoir financer sa mobilité pour pouvoir toucher des emplois parfois très éloignés de son domicile, par contre le coût du logement ne devrait pas trop lui poser de souci, sauf situation d'indigence extrême. Les politiques censées répondre à ces deux types de situations ne peuvent pas être les mêmes.
2, La proximité favorise le discernement. Une personne (réclamant une aide sociale) peut être une veuve méritante réellement malchanceuse à un moment de sa vie, ou un fumiste notoire. Les services locaux peuvent le savoir, mais les grands dispositifs nationaux ne savent pas distinguer entre ces deux types de comportement et tendent à les traiter identiquement.
3, La diversité répend les meilleures pratiques. La liberté d'innover signifie que les autorités locales peuvent expérimenter des idées que des bureaucrates d'un lointain ministère n'auraient jamais envisagées.
4, Les privés (églises, associations caritatives, entreprises) sont plus à même de s'associer à des projets locaux que dans des plans nationaux, et de telles organisations ont largement prouvé qu'elles étaient meilleures que les agences gouvernementales pour tirer les personnes de la grande pauvreté.
5, Le "localisme" (ou "communalisme") transforme les attitudes. Les gens auraient une autre perception du voisin dont ils savent qu'il touche des allocations de handicap ou de chômage tout en travaillant au black, s'ils pouvaient mesurer l'impact de tels comportements sur leur feuilles d'impôts...
Les fraudes caractérisées aux systèmes sociaux seront bien plus difficiles à mener à grande échelle avec des politiques sociales gérées localement.
6, Peut être le plus important, la "localisation" renforce notre perception de notre responsabilité morale: celle de ne pas dépendre d'autrui si nous le pouvons, et notre responsabilité de venir en aide non pas à des catégories abstraites de "personnes modestes" mais à des voisins dans la difficulté, pour quelques raisons que ce soit. Nous sommes moins enclins à nous en laver les mains sous prétexte que nous avons payé nos impôts.
J'ajouterai pour ma part un septième point: les politiques locales sont par nature plus flexibles, et moins politisées que les grands dispositifs nationaux. Il est bien plus facile d'en évaluer les effets et d'en modifier les modalités si nécessaire. Et cet examen peut se faire de façon bien plus pragmatique que lors des grands débats nationaux où les partis sont prisonniers de leurs logiques idéologiques, démagogiques et politiciennes. Je puis constater presque quotidiennement combien des politiques, membre de partis contraints d'afficher des postures préfabriquées au plan national, sont capables de pragmatisme dès qu'ils redeviennent maires de leur commune, surtout s'il s'agit d'une petite commune.
Sous réserve que les communes disposent d'une autonomie fiscale importante, basée sur un système fiscal ultra-lisible - d'où ma préférence pour une flat tax locale par rapport à l'embrouillamini d'impôts locaux actuels -, alors les citoyens électeurs-contribuables seront mieux à même d'évaluer le rapport coût-avantages des politiques sociales promues dans leur aire géographique.
Quelques conditions de réussite
Naturellement, au delà du principe de base, "Dieu est dans les détails", et le diable aussi. Il n'est pas question d'affirmer que la situation nouvellement créée serait parfaite, mais simplement que ses effets pervers seraient bien moins problématiques que ceux engendrés par les grandes politiques sociales nationales, à condition que certains écueils soient limités.
Ainsi par exemple, une personne doit pouvoir être mobile géographiquement sans être soumise à chaque fois à un système de retraite radicalement différent. Certaines règles nationales, pourvu qu'elles ne constituent qu'un cadre général souple, doivent être maintenues. Mais elles ne doivent pas être trop contraignantes pour ne pas brider l'innovation des sociétés civiles et institutions locales.
Se poserait également le problème du passager clandestin: certaines communes pourraient être tentées de laisser tomber totalement leurs démunis et de les faire prendre en charge par la collectivité voisine. Cet écueil pourrait être contourné par le regroupement volontaire de communes dans des structures inter-communales s'accordant sur des programmes communs. Mais le caractère volontaire de ces associations communales nous prémunirait contre leur trop grand agrandissement, et donc la résurgence de mini-états, comme le seront les régions dans la réforme territoriale actuellement promue par le gouvernement.
Le mythe de "l'égalité sur tout le territoire"
Politiquement, l'appareil de l'état refusera toujours une telle réforme, brandissant l'épouvantail de la "rupture de l'égalité républicaine" sur le territoire. Cette égalité est un leurre et un handicap. Leurre parce que partout où l'état entend l'imposer (carte scolaire, logement social, etc...), elle ne fait qu'engendrer ségrégation et effets pervers. Handicap parce que vouloir imposer des dispositifs identiques à Paris et Villepôt est le plus sûr moyen d'accoucher de dispositifs bâtards et absolument pas ciblés sur les problèmes réels des gens.
L'un des quelques rares héritages positifs de la période Mitterrand est d'avoir fissuré le dogme jacobin hyper-centralisateur qui prévalait depuis la France des rois, et plus encore depuis les empires. Mais, prisonnier de la contradiction entre socialisme étatiste et conviction décentralisatrice, le projet socialiste de l'époque n'avait fait qu'accoucher d'un compromis bâtard créant des bureaucraties budgétivores aux compétences mal définies et redondantes.
La crise, en mettant l'état central face à ses contradictions et son impasse financière, pourrait être le détonateur d'un très grand mouvement d'une véritable décentralisation, sur le modèle helvétique des deux premiers tiers du XXème siècle. Et s'il fallait commencer par un chantier, celui de la décentralisation des politiques sociales serait sans aucun doute le plus prometteur en terme de résultats potentiels.
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Article
de D.Hannan trouvé via contrepoints.org
* Certains diront que la crise actuelle invalide le propos. Ce serait une erreur. Ce n'est pas parce que la politique B ruine les apports positifs de la politique A que cette dernière est à jeter. Les effets positifs de la localisation des politiques sociales rendent sans doute moins catastrophique la crise américaine que ce qu'elle aurait été si les dispositifs sociaux hérités de l'ère Johnson étaient encore tous en vigueur.
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Malheureusement,la région ou commune-providence provoque les mêmes effets pervers que l’Etat-providence sur les personnes et la morale.
Et l’expérience déjà très importante dans d’autres pays démontrent que dans le contexte d’un Etat à plusieurs étages administratifs, chaque strate essaie de tirer en avant ses propres mesures socialistes qui très souvent font doublon, puisque les échelons supérieurs ne veulent pas renoncer non plus à se faire bien voir des électeurs. Dans la réalité, on a donc de fait un empilement d’Etats qui se superposent, ce qui n’est pas acceptable pour le contribuable.
D’autre part, les échelons inférieures apparaissent davantage coûteuses et dispendieuses. Une commune a moins de pouvoirs pour lever des impôts qu’un Etat mais toute une série de compétences qu’elle va chercher à maximiser. Elle emploiera donc l’argent d’une manière aussi dispendieuse qu’un Etat mais avec moins de moyens, et ce pour satisfaire les élus locaux dans leur soif de pouvoir, et même dans une situation critique elle espère toujours être sauvée par les échelons administratifs supérieurs. Elle est pratiquement tout le temps couverte dans son irresponsabilité. Ce qui explique pourquoi les collectivités locales sont dans une situation financière encore plus critique.
La meilleure politique sociale c’est d’en laisser le monopole exclusif à la société civile : à l’initiative privée et à la charité.
Rédigé par : Tremendo | vendredi 04 juin 2010 à 11h50
Cet article est interessant, comme à l'habitude. Mais je pense que même si dans l'idéal la situation serait meilleure, il y a un trop gros risque de multiplication des emplois fictifs comme ça s'est fait avec la "régionalisation".
Rédigé par : VL | vendredi 04 juin 2010 à 11h51
C'est clair qu'en théorie, une gestion locale des aides sociales seraient largement plus efficaces que les politiques actuelles.
Mais une telle réforme me parait impossible à mettre en place: comment feraient les communes dont le taux de chomage avoisine aujourd'hui 40% (avec en réalité moins d'un actif sur 2 ayant un emploi non "précaire") pour financer ses dépenses sociales?
Ce ne sont pas des cas rares, et c'est même assez courant dans certaines banlieues parisiennes...
Je suis prêt à parier que plus de la moitié des chômeurs sont concentrés dans moins de 10% des villes, même en pondérant par leur population. Si quelqu'un a des chiffres là-dessus...
Rédigé par : Mateo | vendredi 04 juin 2010 à 11h56
Tout à fait d'accord avec Tremendo au final.
Rédigé par : VL | vendredi 04 juin 2010 à 12h17
@Mateo
> comment feraient les communes dont le taux de
> chomage avoisine aujourd'hui 40% pour financer
> ses dépenses sociales?
Elles seraient contraintes inéluctablement à baisser les prestations versées, ce qui aurait comme effet de pousser les chomeurs à gagner des villes avec un taux de chomage plus faible ?
Rédigé par : ST | vendredi 04 juin 2010 à 15h23
@ ST
Moui... Cela me semble irréaliste, la ville serait ruinée bien avant et/ou vidée de ses travailleurs et/ou en proie à de très graves troubles à côté desquels les émeutes que l'on a connu il y a quelques années seraient de gentilles parties de cartes entre bisounours sous Tranxen... Sans compter sur le fait que les élus de es villes sont généralement très à gauche...
Rédigé par : Mateo | vendredi 04 juin 2010 à 20h45
Je suis très surpris par cet article quand on peut observer en pratique le désastre de la décentralisation. Certes, Vincent prend des précautions en conditionnant la décentralisation à une fiscalité appropriée mais tout de même: la simple observation permet de constater que cette approche est vouée à l'échec. Je partage totalement le point de vue de Tremendo.
Rédigé par : Rocou | dimanche 06 juin 2010 à 08h19
Pour le cas de la France, la mise en place d'un tel système, évidemment beaucoup plus vertueux que le centralisme bureaucratique, nécessiterait d'abord de remettre sur pied de vraies collectivités, avec des vraies prérogatives aux périmètres clairement identifiés par les élus et les électeurs, ainsi qu'une vraie responsabilité fiscale vis-à-vis des contribuables. Ceci est un préalable nécessaire vers plus de décentralisation. Car comme vous le soulignez, la France est dans une contradiction qu'elle n'arrive pas à résoudre : d'un côté le principe de décentralisation est souhaité car plus efficace dans la plupart des domaines, mais de l'autre est brandi le principe de l'égalité républicaine, et toutes ses conséquences en terme de péréquations et d'irresponsabilité fiscale.
Rédigé par : Etienne | dimanche 06 juin 2010 à 08h54
Comment se débarrasser du jacobinisme?
On croit rêver! Nous sommes en France. La lutte entre Girondins et Montagnards a été "tranchée" il y a deux siècles en France. Les esprits en sont encore imprégnés. Changer les Français?
Rédigé par : hb45 | dimanche 06 juin 2010 à 10h55
@ Tremendo, Rocou
"La meilleure politique sociale c’est d’en laisser le monopole exclusif à la société civile : à l’initiative privée et à la charité"
C'est un idéal théorique. mais comme l'a dit un autre commentateur, nous sommes en France. On peut espérer aller vers l'idéal d'un seul coup, mais politiquement, comment fait on ?
La décentralisation est un désastre en France parce que conçue comme un moyen de multiplier les fromages. Les problèmes de la décentralisation à la Française:
1- c'est l'état qui vote des politiques en les mettant à la charge des budgets locaux.
2 - pas d'autonomie fiscale, ce qui oblige les petites collectivités à chasser les subventions offertes par les grosses, ce qui entraine 1001 effets pervers, sur lesquels je ne reviens pas.
3 - Pas de limitation claire des champs de compétence - La "clause de compétence générale" est une absolue abomination
4 - Une trop faible importance donnée à la commune, qui est le seul échelon où les contribuables peuvent vraiment faire pression sur le décideur des taxes... A condition que le système fiscal soit lisible. D'ou l'idée la flat tax...
L'idée est de mettre en concurrence des collectivités "chères et socialistes" avec des collectivités "pas chères et libérales". Et de voir qui sur le long terme arrive à séduire. les contribuables pourraient facilement comparer: des taux de flat tax (une commune à 20% est plus chère qu'une commune à 15) et des services associés.
Ajoutons que ça permet de donner "à boire et à manger" à tout le monde, alors qu'aujurd'hui, nous sommes tous condamnés à la soupe à la grimace socialiste.
Les collectivités devraient trouver le bon équilibre entre collaboration et compétition. Cela ne pourrait se faire que par essais et erreurs, aucune règle technocratique ne pouvant donner la bonne réponse.
@ Hb45 : en cas de faillite, les français changeront. Comme en 1789... Espérons que ce sera "tranché" différemment.
Rédigé par : vincent | dimanche 06 juin 2010 à 15h41
En France, la centralisation a été très poussée pour de bonnes raisons. Si les prestations sociales étaient entre les mains des maires ou d’autres responsables de proximités, les tentations et les pressions seraient grandes. Cela pourrait amener à l’inverse de l’objectif recherché avec un clientélisme encore accrus.
Il y a des choses que certains ici semblent oublier, c’est que le même système n’est pas applicable dans toutes les cultures. Ce qui marche dans les pays nordiques, ne marche pas forcément chez nous. Ici les gens sont moins raisonnables et surtout les contribuables ne font pas vraiment attention à ce que la puissance publique fait de leurs impôts (contrairement aux USA).
Un cas extrême est celui de l’Irak. Ces braves américains, totalement ignorant des pratiques locales, ont virés les sadamistes. Les occupants s’imaginaient sans doute qu’ils allaient rentrer tranquillement chez eux participer à l’élaboration d’une Irak démocratique et libérale. Mais ceux ci au chômage ont alors fait uniquement ce qu’ils savaient faire, répandre la terreur. Finalement les américains se sont résolu à les « rembaucher » pour les retourner contre Al Qaida. Une autre méthode, façon Staline, aurait été de tous les liquider ainsi que leur famille (on est jamais trop prudent).
Je sais que VB défend aussi la libre circulation des travailleurs. Cela me semble peu judicieux car il faut s’assurer d’un minimum de « comptabilité culturelle » avant de faire entrer n’importe qui. Sinon on va surtout peupler les prisons.
Rédigé par : jb7756 | lundi 07 juin 2010 à 12h02
Il me plait, merci beacoup! Si les prestations sociales étaient entre les mains des maires ou d’autres responsables de proximités, les tentations et les pressions seraient grandes. Cela pourrait amener à l’inverse de l’objectif recherché avec un clientélisme encore accrus.
Rédigé par : free sex dating | mardi 19 avril 2011 à 15h30